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Mémoire de la CODP relatif au la Prochaine Stratégie ontarienne de réduction de la pauvreté

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Avril 30, 2020

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L’honorable Todd Smith
Ministre des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires
7e étage, 438 avenue University
Toronto (Ontario) M5G 2K8

Objet: Prochaine Stratégie ontarienne de réduction de la pauvreté

Monsieur le Ministre:

J’espère que vous vous portez bien, en particulier en cette période de pandémie de COVID-19. Je vous écris aujourd’hui au nom de la Commission ontarienne des droits de la personne (la CODP) au sujet de la consultation du gouvernement concernant la prochaine Stratégie ontarienne de réduction de la pauvreté (la Stratégie). La CODP demande à l’Ontario d’adopter une approche de réduction de la pauvreté fondée sur les droits de la personne en pérennisant les types de mesures économiques et sociales prises en réponse à la pandémie de COVID-19 sous forme de solutions permanentes qui permettront de protéger durablement le bien-être de l’ensemble de la population de l’Ontario.

Comme vous le savez, une personne sur sept vit dans la pauvreté en Ontario. Certains groupes déterminés par des motifs prévus dans le Code des droits de la personne de l’Ontario connaissent la pauvreté de façon disproportionnée, et sont également plus susceptibles d’avoir des problèmes de santé, un niveau d’instruction inférieur, un emploi précaire, et de subir d’autres inégalités sociales et économiques. Les groupes particulièrement touchés sont les femmes (en particulier les mères seules et les femmes au-delà d’un certain âge), les personnes autochtones, les communautés racialisées y compris les nouveaux arrivants, les personnes handicapées, les adultes vivant seuls et d’autres populations.

Les crises sociales et économiques, en particulier une crise sanitaire comme la pandémie de COVID-19, exacerbent les inégalités actuelles dont sont victimes les groupes vulnérables. La mise en œuvre de mesures insatisfaisantes pour ces groupes a une incidence négative sur les mesures prises dans l’ensemble et sur le bien-être de l’ensemble de la population.

Comme le reconnaît la Loi de 2009 sur la réduction de la pauvreté de l’Ontario, la surveillance des données est un élément clé de la lutte contre la pauvreté. Si nous ne disposons pas de données fiables pour déterminer et prévoir les répercussions inégales, et réagir en conséquence, les groupes vulnérables seront exposés à des risques supérieurs en matière de santé et dans d’autres domaines; cela pourrait conduire à la résurgence d’une crise et avoir une incidence négative sur la situation sociale et économique générale en Ontario.

La mise en œuvre de solutions permanentes à la pauvreté, comme un revenu de base universel garanti, et la surveillance d’un ensemble complet de données concernant les répercussions négatives, permettront de contribuer à protéger la santé, le logement et la sécurité alimentaire de toutes les Ontariennes et de tous les Ontariens, et non seulement des groupes vulnérables, pendant et après une crise.

La CODP a exposé ces principes, ainsi que d’autres actions et principes importants, dans l’Énoncé de politique sur l’adoption d’une approche de gestion de la pandémie de COVID-19 fondée sur les droits de la personne, publié dernièrement.

Il est fondamental pour assurer la réussite de la prochaine Stratégie ontarienne d’accroître la reconnaissance du droit universel à un niveau de vie suffisant dans la Loi de 2009 sur la réduction de la pauvreté et d’adopter une approche fondée sur les droits de la personne. Cela aidera également l’Ontario à satisfaire à ses obligations juridiques en vertu des législations nationales et internationales relatives aux droits de la personne.

Nous sommes toutes et tous liés. La mise en œuvre des meilleures stratégies pour répondre aux besoins des groupes les plus vulnérables est également une question d’équité, et non seulement de droits de la personne; il s’agit de contribuer à protéger l’ensemble de la population dans les moments les plus difficiles comme dans les plus favorables.

Pauvreté, discrimination et législation relative aux droits de la personne

La Loi de 2009 sur la réduction de la pauvreté et le Code des droits de la personne de l’Ontario ont une vision commune: une province où toute personne dispose de possibilités égales de contribuer et de participer à la prospérité et à la santé de la collectivité. Ces deux textes de loi reconnaissent également que certains groupes sont plus vulnérables aux inégalités.

Cet objectif législatif commun est important. Il est renforcé par la mention dans le Code de la Déclaration universelle des droits de l’homme (la DUDH) des Nations Unies. La DUDH reconnaît que toute personne a droit à un niveau de vie suffisant. Le Canada, ses provinces et ses territoires ont des obligations légales relatives au respect, à la protection et à l’exercice de ce droit en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (le PIDESC) et des traités connexes relatifs aux droits de la personne. En vertu du PIDESC, le droit à un niveau de vie suffisant inclut la nourriture, les vêtements et un logement suffisants. Le PIDESC reconnaît également le droit à la santé, au travail, à l’éducation et à la sécurité sociale; ces droits sont interdépendants du droit à un niveau de vie suffisant.

Les personnes qui connaissent la pauvreté en Ontario sont titulaires de droits en vertu des législations internationales et nationales relatives aux droits de la personne. Elles doivent faire l’objet d’un traitement égal, avec dignité et respect, et sans discrimination. Cependant, selon un sondage mené par Environics en 2017 à la demande de la CODP, seule une minorité des répondants au sondage en Ontario (39%) avait un sentiment positif à l’égard des personnes bénéficiaires de l’aide sociale, et une majorité (62%) estimait que les propriétaires devraient avoir des inquiétudes concernant la location d’un bien à ces personnes.

De trop nombreuses personnes en Ontario connaissent la pauvreté, en particulier des groupes vulnérables à la discrimination, contrairement aux principes du Code. Près de deux millions de personnes en Ontario, soit 14% de la population, ont un faible revenu, inférieur ou égal à la moitié du revenu médian du ménage, selon le Recensement de 2016. Les taux sont nettement supérieurs pour les personnes handicapées (23,5%), les populations autochtones (23,7%), les personnes noires (24,1%), les familles dont le chef est une femme (29,8%), les immigrants arrivés entre 2001 et 2016 (35,6%), et les personnes arabes (40,6%).

La pauvreté et la discrimination systémique sont interconnectées et produisent des effets conjugués en matière de soins de santé, d’emploi, de logement et dans d’autres domaines. Les inégalités et la discrimination dans ces domaines ont à leur tour une incidence négative sur la sécurité et sur la situation sociale et économique des groupes marginalisés et de la collectivité en général.

Le fait de vivre dans la pauvreté limite la capacité des personnes à remédier à la discrimination, à améliorer leurs conditions de vie et à exercer leurs droits à la santé, au logement et à l’emploi. Les personnes appartenant aux groupes vulnérables ont une moins bonne santé, sont contraintes d’exercer des emplois précaires faiblement rémunérés, ont affaire de façon disproportionnée au système de justice pénale, et sont plus susceptibles de connaître l’itinérance; cela les rend plus vulnérables à d’autres inégalités et actes de discrimination.

Recommandations pour l’adoption d’une approche fondée sur les droits de la personne pour la prochaine Stratégie ontarienne de réduction de la pauvreté

Dans le Plan stratégique 2017-2022 de la CODP, nous nous sommes engagés à utiliser notre mandat et nos pouvoirs pour «faire en sorte que les droits de la personne soient pris en compte dans les stratégies gouvernementales et communautaires de lutte contre la pauvreté, l’itinérance et la faim».

La CODP a la conviction qu’un changement fondamental ne pourra se produire que lorsque les gouvernements et la société à tous les échelons reconnaîtront le droit de vivre à l’abri de la pauvreté comme un droit de la personne, et qu’ils travailleront ensemble pour mettre en place des solutions permanentes pour exercer ce droit.

En 2019, le gouvernement fédéral a fait progresser les droits de la personne en reconnaissant une approche fondée sur les droits de la personne dans de nouveaux textes législatifs, notamment en faisant mention du PIDESC dans la Loi sur la réduction de la pauvreté et dans la Loi sur la stratégie nationale sur le logement du Canada. Cette reconnaissance apparait également dans l’entente bilatérale conclue entre l’Ontario et le Canada dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement du Canada.

Le Code des droits de la personne de l’Ontario, la loi suprême de la province, stipule qu’«il est opportun de réviser et d’élargir la protection des droits de la personne en Ontario». Dans ce but, la CODP formule les recommandations suivantes en vue de la modification de la Loi de 2009 sur la réduction de la pauvreté de l’Ontario, et de l’adoption d’une approche fondée sur les droits de la personne pour l’élaboration et la mise en œuvre de la prochaine Stratégie de réduction de la pauvreté:

  1. Reconnaître explicitement dans la Loi et dans la Stratégie le droit à un niveau de vie suffisant, incluant une nourriture, des vêtements et un logement suffisants, conformément à la législation internationale
  2. Faire mention du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et des autres traités internationaux relatifs aux droits de la personne qui abordent le droit de vivre à l’abri de la pauvreté
  3. Exprimer clairement que la réduction de la pauvreté contribue à satisfaire à l’obligation de tous les échelons de gouvernement de mettre en œuvre progressivement le droit à un niveau de vie suffisant dans un délai raisonnable. Plus précisément, exprimer cette obligation et veiller à ce que les gouvernements locaux et régionaux aient la capacité et la responsabilité pour assurer l’exercice du droit à un niveau de vie suffisant
  4. Alors que la Loi reconnaît déjà la nécessité de fournir un appui et d’éliminer les obstacles pour les personnes qui subissent une discrimination fondée sur les motifs du Code que constituent la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap, modifier la Loi pour inclure également le motif d’identité sexuelle prévu dans le Code
  5. Reconnaître la vision commune de la Loi et du Code, et, comme la CODP le demande depuis longtemps dans des mémoires et d’autres déclarations, modifier le Code pour inclure la situation sociale dans tous les domaines cités au nombre des motifs de discrimination interdits
  6. Alors que la Loi exige de fixer un objectif en matière de réduction de la pauvreté ainsi que des indicateurs servant à mesurer le degré de réussite de la Stratégie qui sont liés aux déterminants de la pauvreté, notamment l’état de santé, le niveau d’instruction, le logement, le revenu et le niveau de vie:
    1. Fixer un objectif en matière de réduction de la pauvreté au moins équivalent aux objectifs en matière de réduction de la pauvreté à l’échelon fédéral (une réduction de 20% de la pauvreté d’ici 2020 et une réduction de 50% de la pauvreté d’ici 2030, par rapport aux données de 2015)
    2. Fixer un objectif en matière de réduction de la pauvreté consistant à éradiquer l’extrême pauvreté et l’itinérance dans un délai de cinq ans
    3. Élargir les indicateurs associés à la pauvreté en Ontario pour se conformer au modèle des dimensions de la pauvreté de Statistique Canada, ou un autre ensemble complet similaire d’indicateurs de la pauvreté, en incluant des indicateurs et des données pour l’Ontario sur le Seuil officiel de la pauvreté au Canada, la pauvreté économique extrême, les besoins insatisfaits en matière de logement et l’itinérance chronique, les besoins insatisfaits en matière de santé, l’insécurité alimentaire, l’implication des jeunes, la littératie, le salaire minimum et les emplois faiblement rémunérés, parmi d’autres indicateurs
    4. Inclure des indicateurs concernant
      1. l’état de santé, y compris les problèmes de santé, l’accès aux services, l’immunisation contre les virus, les taux de mortalité, etc. (et non uniquement le poids à la naissance)
      2. l’accès à une nourriture saine et le recours aux banques d’alimentation
      3. le coût annuel de la pauvreté pour l’Ontario et son incidence sur l’économie
    5. Fournir des données concernant la pauvreté pour toutes les tranches d’âges (et non uniquement pour les enfants)
    6. Ventiler tous les indicateurs associés à la pauvreté (et non uniquement les mesures de revenu) en fonction des groupes vulnérables déterminés par la Loi et par les motifs du Code, qui sont exposés à un risque accru de pauvreté et de discrimination, notamment les jeunes LGBTQ2 et les personnes transgenres en Ontario
    7. Étant donné qu’un des objectifs de la Loi est de rompre le cycle de la pauvreté intergénérationnelle, et que le Recensement de 2016 indique que les communautés autochtones et racialisées connaissent de façon disproportionnée la pauvreté intergénérationnelle en Ontario, inclure un indicateur de la pauvreté intergénérationnelle ventilé en fonction de l’ascendance autochtone, du statut racialisé et de tout autre motif du Code justifié
    8. Rendre compte des données disponibles pour tous les indicateurs dans les rapports annuels exigés par la Loi, y compris les données indiquant l’état d’avancement de l’objectif précis en matière de réduction de la pauvreté qui doit être fixé dans le cadre de la Stratégie aux termes de la Loi
  7. Reconnaître que la réduction de la pauvreté inclut un bon état de santé et adopter cette approche dans les stratégies et les plans
  8. Consulter et inclure des personnes ayant une expérience vécue lors des consultations concernant la réduction de la pauvreté et lors de la mise en œuvre des stratégies et des plans
  9. Améliorer l’aide sociale et les mesures de soutien de l’emploi pour contribuer à atteindre l’objectif d’éradication de l’extrême pauvreté et de l’itinérance dans un délai de cinq ans
  10. S’engager envers des solutions permanentes à la pauvreté, comme un revenu de base universel garanti, qui permettront de contribuer à protéger la santé, le logement et la sécurité alimentaire de toutes les Ontariennes et tous les Ontariens, et non seulement des groupes vulnérables, pendant et après une crise
  11. Modifier la Loi pour prévoir le suivi rigoureux et indépendant des progrès par un organisme compétent pour mener des recherches, consulter le public, fournir des avis et assurer une supervision, et rendre compte publiquement pour responsabiliser l’Ontario
  12. Modifier la Loi pour prévoir un processus public accessible et efficace permettant de prendre connaissance des problèmes systémiques liés à la pauvreté, de statuer sur ces questions et d’y remédier
  13. S’engager envers le processus d’élaboration d’une stratégie de réduction de la pauvreté spécifique aux Autochtones, et notamment une stratégie spécifique aux Autochtones en milieu urbain, et démarrer ce processus, en partenariat avec les dirigeants autochtones, les fournisseurs de services et les organismes communautaires

La reconnaissance du droit à un niveau de vie suffisant et l’adoption d’une approche fondée sur les droits de la personne dans le cadre de la prochaine Stratégie ontarienne contribueraient à faire de l’Ontario une instance de premier plan dotée d’une vision transformatrice de la réduction de la pauvreté.

Comme toujours, la CODP serait favorable à toute rencontre permettant de discuter des meilleurs moyens d’adopter une approche fondée sur les droits de la personne pour réduire et éradiquer la pauvreté et la discrimination connexe en Ontario.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, mes salutations distinguées.

La commissaire en chef,
Renu Mandhane, B.A., J.D., LL.M.

c.c.      L’honorable Greg Rickford, ministre des Affaires autochtones
           L’honorable Christine Elliott, ministre de la Santé
           L’honorable Doug Downey, procureur général
           Commissaires de la CODP