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L’importance des instruments internationaux pour les politiques en manière de discrimination raciale en Ontario

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Publication : Décembre 2004

(Veuillez noter que les opinions exprimées dans les articles sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission des droits de la personne de l'Ontario.)

par Frédéric Mégret

Frédéric Mégret est professeur adjoint à la Faculté de Droit de l’Université de Toronto. En tant qu’immigrant nouvellement arrivé au Canada, il étudie les dimensions globales et transnationales de la protection des droits de la personne. Il est co-rédacteur du recueil « The United Nations and Human Rights » et contribue régulièrement à des travaux sur les droits de la personne.

Résumé analytique

Le droit international étudie depuis longtemps les problèmes concernant la discrimination raciale. Les politiques en matière de discrimination raciale en Ontario pourraient sans aucun doute s’inspirer d’une nouvelle ouverture et d’une participation au débat international, même s’il ne faut pas miser toutes ses attentes dans le droit international.

La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de la discrimination raciale (CERD), adoptée en 1966, constitue le traité le plus important sur la discrimination raciale. Elle est à la fois universelle (seulement 25 états ne l’ont pas adoptée) et très spécialisée. Il faut en revanche souligner que plusieurs autres instruments internationaux, même s’ils ne concernent pas exclusivement la discrimination raciale, font partie de l’ensemble des normes à ce sujet. La Déclaration universelle des droits l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont les deux instruments internationaux les plus reconnus. Il existe d’autres instruments plus spécialisés, comme la Convention contre la Discrimination en matière d'emploi et de profession, adoptée par l’Organisation internationale du Travail en 1958 et la Convention contre la discrimination en matière d’éducation, adoptée par l’UNESCO en 1960.

À noter aussi sont les diverses conventions régionales à cet effet, dont la Convention interaméricaine sur les droits de l’homme et la Convention européenne sur les droits de l’homme. Même si cette dernière est la seule qui s’applique au Canada, il est encourageant de penser que les divers traités régionaux ont une incidence les uns sur les autres. Il ne faut pas omettre la possibilité que certains concepts qui ont évolué dans un contexte régional pourraient s’étendre à un autre contexte.

La jurisprudence, les rapports, les résolutions, adoptées par les instances qui sont directement ou indirectement responsables de leur mise en œuvre, pourraient être encore plus importants que les conventions en soi, dans la mesure où celles-ci ont tendance à être de nature plus générale. Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale est certainement l’instance la plus reconnue et celle qui est directement responsable de la mise en oeuvre de la CERD. Sa jurisprudence est limitée parce que seulement quelques requêtes ont dépassé le stade la recevabilité mais ses observations générales et rapports annuels valent la peine d’être examinés. Le Comité des droits de l’homme, qui s’assure que la Convention sur les droits civils et politiques est respectée, a aussi diffusé des observations générales portant sur le droit de protection contre la discrimination raciale.

Paradoxalement, ce sont les organismes régionaux qui se sont avérés les meilleures instances de droit international en matière de discrimination raciale. Malgré les limites évidentes de leur contexte régional, ils ont l’avantage considérable de pouvoir entendre et de juger, en moyenne, plus de causes que les organismes universels. Ainsi, les cours interaméricaine et européenne ont chacune prononcée deux ou trois arrêts-clés en matière de discrimination raciale.

Enfin, plusieurs organes qui ne sont pas nécessairement une cour ou des organes de surveillance jouent toutefois un rôle important dans l’application du droit international pour les cas de discrimination raciale. Par exemple, il y a presque tous les organismes onusiens responsables des droits de l’homme (la Commission des droits de l’homme, la sous-commission) et même ceux qui ne sont qu’indirectement impliqués par les droits de l’homme (l’Assemblée générale). Les décisions prononcées par ces organismes ont une portée plutôt générale mais ils ont à l’occasion créée des sous-organismes dont le mandat porte plus spécifiquement sur la discrimination raciale[1]. Il existe trop d’instances régionales pour les nommer individuellement. L’important est de souligner qu’ils ne produisent pas des « règles absolues » mais qu’ils participent à définir les tendances générales en matière de discrimination raciale.

Comment la discrimination raciale est-elle définie par le droit international?

La discrimination raciale se présente non seulement lorsqu’une différence est établie entre certains groupes raciaux, mais aussi quand cette différenciation d’un groupe nuit à la jouissance des droits normalement protégés par les traités internationaux sur les droits de l’homme. La discrimination raciale se distingue de l’interdiction plus générale de la discrimination arbitraire. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a quasiment reconnu que certains causes de discrimination raciale sont non seulement des violations évidentes des droits de l’homme, mais qu’elles pouvaient aussi constituer des traitements inhumains ou dégradants, au sens l’article 3 de la Convention européenne sur les droits de l’homme, parce qu’elles mettent en cause une forme d’offense à la dignité humaine.[2]

Les groupes raciaux devraient être définis de façon objective et les états ne devraient pas avoir le loisir de définir arbitrairement, relativement à la CERD, ce qui constitue ou non un groupe racial. Même si la Déclaration universelle et le PIRDCP portent uniquement sur la race, la CERD interdit toute discrimination fondée sur la « race, couleur, descendance ou origine nationale ou ethnique ». Selon le Comité contre la discrimination raciale, il suffit qu’un groupe se définisse « subjectivement » comme étant un groupe racial pour qu’il soit considéré comme tel.

Même si la CERD ne fait aucune référence directe aux personnes autochtones, le Comité contre la discrimination a clairement établi que dans la pratique, la discrimination contre les Autochtones équivaut à la discrimination raciale, et par conséquent est interdite.

A) Discrimination : intention et effet

La définition de la discrimination raciale passe forcément par la définition de la discrimination, qui en soi n’est pas simple à déterminer. Les traités à ce sujet ne s’y avancent pas; la tâche incombe par conséquent aux organes oeuvrant dans le domaine. La définition se présente facilement lorsque la discrimination est explicite, il suffit même de pouvoir prouver que l’objectif d’une mesure est discriminatoire. Dans une cause opposant la Grèce à la Turquie, au sujet de l’avenir de Chypre, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que même si le Chypriotes Grecs n’étaient pas expressément nommés dans une série de textes juridiques, ces derniers visaient sans aucun doute cette population.

En revanche, dans les causes de discrimination implicite et lorsque l’objectif d’une loi ne peut pas être clairement établi en preuve (si par exemple les dossiers parlementaires ne font pas preuve d’intention discriminatoire), il est possible d’établir qu’une loi viole l’interdiction de discrimination raciale si cette loi « porte atteinte de manière injustifiée et disparate à un groupe qui se distingue par sa race, couleur, descendance ou origine nationale ou ethnique ».[3] Quelques exemples de causes de ce genre se sont présentés dans le cadre de la jurisprudence. Par exemple, la Cour interaméricaine a jugé que même si elle n’était pas officiellement discriminatoire, une proposition d’amendement visant l’inclusion dans la Loi sur la naturalisation, « un examen détaillé sur le pays et de ses valeur », serait en effet, étant donné le contexte de la société costaricaine, une discrimination contre la population autochtone (dont les notions d’espagnol écrit n’étaient généralement pas égales à celles du reste de la population).

Il est bien entendu difficile d’affirmer qu’il s’agit de discrimination tout simplement à cause des effets qui se présentent inévitablement lorsqu’il s’agit de droits économiques et sociaux. Il est parfois difficile et litigieux de prouver ces effets, qui apparaissent parfois longtemps après l’adoption d’une loi ou d’une pratique. De plus, il n’y a en principe aucune limite au degré jusqu’où ces effets peuvent s’apparenter à la discrimination raciale. Que faudrait-il faire par exemple, si une politique économique était adoptée et qu’elle portait préjudice aux plus démunis d’une société où la majorité des personnes démunies appartenait à un certain groupe racial (que ce groupe racial était disproportionnellement représenté dans la classe démunie)?

Il n’est pas tout à fait clair jusqu’où le droit international peut juger que le discrimination « accidentelle » ou involontaire est illégale. La Cour européenne des droits de l’homme propose certains éléments intéressants. Dans l’affaire de Abdulaziz, Cabales et Balkandali, par exemple, la cour a statué que les lois du Royaume-Uni sur l’immigration, même si elles établissent une « différenciation fondée sur la nationalité et donc indirectement sur la race, origine ethnique et peut-être même la couleur d’une personne », ne sont pas racistes parce qu’aucune preuve ne permet d’établir qu’une « différence de traitement fondée sur la race n’avait été exercée ». Dans la mesure où le règlement applicable prévoit que « les agents d’immigration doivent exercer leur mandat sans recours à la race, couleur ou religion du demandeur » et que ce règlement s’applique à « tous les demandeurs, peu importe leur lieu d’origine dans le monde et sans égard à leur race ou religion »,[4] la Cour a jugé que l’objectif de la loi était de freiner l’immigration et non de discriminer.

B) Différenciation légitime par rapport à la discrimination illégale

L’interdiction de la discrimination raciale n’admet aucune exception. En revanche, certaines pratiques exercées par les États ne sont pas considérées comme étant une forme de discrimination raciale, au sens stricte du terme. Les organes internationaux se sont portés en faveur d’une soi-disant discrimination à rebours. L’article 4 de la convention sur les races stipule que « Les mesures spéciales qui sont prises dans l’unique objectif d’assurer l’avancement de certains individus, groupes raciaux ou groupes ethniques, pour lesquels de telles mesures de protection doivent être prises, afin qu’ils puissent jouir des mêmes droits et libertés fondamentales, ne sont pas considérées comme étant une forme de discrimination raciale ». Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme a poussé la question plus loin en soulignant que « (…) les principes d’égalité supposent parfois de la part des Etats parties l'adoption de mesures en faveur de groupes désavantagés, visant à atténuer ou à supprimer les conditions qui font naître ou contribuent à perpétuer la discrimination interdite par le Pacte »[5]. Les États ont donc le pouvoir d’accorder temporairement « un traitement préférentiel dans des domaines spécifiques aux groupes en question par rapport au reste de la population»[6]. La légalité de la discrimination positive est toutefois soumise à deux conditions : dans un premier temps, ces mesures ne doivent pas « par conséquent mener à l’établissement de droits distincts pour les différents groupes raciaux »; ensuite, les mesure prises dans l’objectif d’exercer une discrimination positive « ne doivent pas être maintenues lorsque les objectifs pour lesquels elles ont été fixées ont été atteints ».

Il s’agit ensuite de déterminer si d’autres types de différenciation à motif racial pourraient être considérés légitimes. La question se pose plus particulièrement dans le contexte du « profilage racial », qui consiste à cibler des communautés spécifiques pour des raisons d’ordre public. Comme on le sait, le profilage racial pourrait devenir un problème endémique, en Ontario comme ailleurs, à cause des efforts de lutte contre le terrorisme.

Il faut souligner qu’à ce sujet, le droit international pourrait être perçu comme une porte de sortie. Conformément au droit international, une forme de discrimination interdite pourrait être jugée légitime, tel que l’affirme le Comité contre la discrimination raciale, « si, comparés aux objectifs et aux buts de la Convention, les critères de différenciation sont légitimes ou conformes aux dispositions de la Convention».[7] Les défenseurs du profilage racial pourraient probablement s’appuyer sur ce libellé pour défendre leur pratique. On doit en revanche se méfier de tels arguments. Selon un des critères essentiels établis par la Cour interaméricaine, la discrimination ne peut être jugée acceptable que si elle est « raisonnable ». Le terme s’applique à la fois aux moyens et à la finalité, mais en ce qui concerne les moyens pris « il est interdit d’imposer à tout être humain un traitement différentiel allant à l’encontre de son caractère unique et congénère ».[8] Il semblerait donc que la discrimination raciale se distingue des autres formes de discrimination dans la mesure où elle peut être jugée légale dans la poursuite d’un objectif social « légitime ».

L’applicabilité des instruments internationaux au Canada

Le Canada, même s’il n’est pas le seul à faire ainsi, n’a pas déterminé explicitement l’applicabilité des instruments de défense des droits de la personne au sein du pays. La Loi canadienne sur les droits de la personne ne stipule pas clairement quelles sont les obligations internationales du Canada, notamment au niveau de la CERD.

Étant donné que le Canada a mis en place un soi-disant système « dualiste », la CERD devrait théoriquement être annexée à la législation canadienne avant de pouvoir être applicable. En revanche, même si elles n’ont pas été annexes, les obligations internationales du Canada devraient dans plusieurs cas avoir un certain poids devant les cours canadiennes. Dans l’affaire Baker, par exemple, le juge L’Heureux-Dubé a fait valoir (et il a été soutenu par la majorité de la cour) que « Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l'approche contextuelle de l'interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire»[9]. On pourrait dire que les normes internationales en matière de discrimination raciale devraient à un minimum avoir ce type de rôle.

Le droit international coutumier constitue une autre avenue pour l’application des normes internationales de discrimination raciale. En accordant à la CERD le statut du droit international coutumier, on évite d’être obligé de l’annexer. Il est aisé d’affirmer que les normes de la communauté internationale ont acquis un tel statut (une quasi ratification universelle en est un bon indicateur).

Comment la politique de la CODP en matière de discrimination raciale peut elle s’inspirer des définitions et des conventions internationales

Outre la question du profilage racial que je viens de suggérer, laquelle pratique fait l’objet d’une condamnation claire et presque universelle de la part de la communauté internationale, le débat sur les droits économiques et sociaux qui est engagé en Ontario pourrait s’inspirer du droit international. Le Comité sur la discrimination raciale ne cesse de répéter que la discrimination économique est autant une forme de discrimination raciale qu’une forme de discrimination empêchant un individu de jouir de ses droits civils et politiques. La protection de ces droits se pose particulièrement pour les domaines de l’emploi, du logement, de la santé et de l’éducation, où apparaissent souvent des formes contemporaines de discrimination. Il est souvent difficile de prouver l’occurrence de la discrimination raciale dans de tels occasions mais le Comité affirme ouvertement son intention d’avoir recours à divers indicateurs structurels (par ex. les différentielles du taux d’emploi) pour démontrer les cas de discrimination raciale systémique.

Par ailleurs, les organes internationaux tournent actuellement leur attention vers la possibilité que les intervenants du secteur privé, au même titre que l’État, pourraient violer les droits de la personne en exerçant une discrimination raciale. On estime que l’État devrait à tout le moins garantir un environnement normatif où la discrimination du secteur privé ne pourrait pas être exercée. Les personnes dont les droits ont été violés devraient se faire accorder les réparations nécessaires.

Enfin, une grande partie du travail du Comité sur la discrimination raciale concerne la protection des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés contre la discrimination raciale. Le CERD souligne explicitement que la Convention ne doit pas servir aux « exclusions, restrictions ou préférences établies par un Etat partie à la Convention selon qu'il s'agit de ses ressortissants ou de non ressortissants », mais la Déclaration de Durban démontre que la discrimination contre les personnes n’ayant pas la nationalité d’un pays est l’une des sources principales de racisme contemporain. La dernière observation générale du Comité[10] concerne les personnes n’ayant pas de titre de séjour ou qui ne peuvent acquérir la nationalité de l’État où ils résident. Le Comité a souligné que même si certaines distinctions entre les ressortissants et non ressortissants sont légitimes, elles devraient dans la mesure du possible être évitées. On affirme par exemple : « Bien que certains (…) droits, comme celui de participer aux élections, de voter et de se présenter aux élections, sont réservés aux citoyens, toute personne, en principe, a le droit de jouir des droits de l’homme ”.[11] On indique ensuite que l’État devrait assurer « des garanties législatives contre la discrimination raciale aux non ressortissants, sans égard à leur statut d’immigrant ».[12]

Conclusion

Le droit international sur la discrimination offre une diversité de ressources utiles pour contrer la discrimination raciale. Même si ce droit n’est pas directement applicable, ses définitions devraient permettre d’approfondir le débat en Ontario.


[1] Par exemple, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d'intolérance, le Groupe de travail chargé de la mise en oeuvre de la Déclaration de Durban et du Programme d’action et le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’origine africaine.
[2] East African Asians v UK [1973] 3 EHRR 76, para. 207.
[3] Recommandation générale XIV, Définition de la discrimination (art. 1, par.1), para. 2.
[4] East African cases, supra note 2 , paras. 84-85.
[5] Observation générale no. 18: Non-discrimination : . 10/11/89
[6] Id.
[7] Recommandation générale XIV, Définition de la discrimination, para. 2.
[8] 55.
[9] [1999] 2 R. C. S. 817, para. 70.
[10] Recommandation générale 30, Discrimination contre les non-ressortissants, CEDR/C/64/Misc.11/rev.3. 
[11] Id., para. 1. 3.
[12] Id., para. 2. 7.

 

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