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Lettre de la Commission à l'ancienne Commission des assurances de l'Ontario

Social Areas
Services, biens et installations
Emploi
contrats
Type de ressource
lettre

Le 28 novembre 1997

Adjoint aux audiences
Commission des assurances de l’Ontario
5160, rue Yonge, C.P. 85
North York ON M2N 6L9

Conformément à l’article 36 de la Partie IV des Règles de pratique et de procédure pour les audiences des commissaires, du surintendant et du conseil consultatif de la Commission des assurances de l’Ontario (CAO), la Commission ontarienne des droits de la personne (la Commission) a l’honneur de vous faire parvenir la présente lettre de commentaires concernant l’audience publique qui sera tenue au sujet d’une demande présentée par (l’assureur) relativement à un système de classification et à des taux d’assurance-automobile.

La Commission a passé en revue la demande présentée par (l’assureur) ainsi que le Rapport final sur cette question qui a été préparé par la CAO. Les observations suivantes concernent tous les éléments du système de classification du risque proposé qui semblent avoir des répercussions sur les politiques sociales.

Certains facteurs de classification du risque d’après le système proposé par (l’assureur), soit la possession d’une carte de crédit, les antécédents de faillites, la situation professionnelle, la stabilité de l’emploi, de même que la situation et la stabilité résidentielles, risquent d’enfreindre la partie I du Code des droits de la personne de l'Ontario.

En lisant le manuel des courtiers préparé par (l’assureur), on peut voir qu’un particulier assuré, qui est célibataire (sans conjoint) et qui ne répond à aucun ou seulement à quelques-uns des critères de risque mentionnés ci-dessus, pourrait faire l’objet d’une discrimination fondée sur l’état matrimonial. Ce serait le cas si l’on comparait cet assuré à une personne mariée qui ne répond pas non plus à ces critères de risque, à condition que ce conjoint soit lui aussi exempt de risque.

Par contre, une personne mariée risque de subir des conséquences négatives si son conjoint est classé dans l’une des catégories de risque, par exemple s’il a déjà fait faillite

Il serait également possible d’affirmer que le fait d’exclure des marchés « privilégiés » à taux réduit certaines personnes qui ne satisfont pas à l’ensemble ou la plupart des critères de risque « produit l’exclusion, la restriction ou la préférence d’un groupe de personnes qui sont identifiées par un motif de discrimination interdit », portant ainsi atteinte à l’article 11 du Code. À titre d’exemple, on peut montrer de façon statistique que les femmes dans leur ensemble ont moins de chances que les hommes d’être propriétaires de maison, d’avoir des cartes de crédit ou d’occuper un emploi. Un statut de résidence de deux ans peut constituer une discrimination à l’endroit des immigrés récents. Le statut de non étudiant risque d’être discriminatoire contre les jeunes.

Selon l’un ou plusieurs des scénarios ci-dessus, il est concevable qu’un assuré nommé dépose une plainte en discrimination auprès de la Commission, dans le domaine des services ou des contrats, pour des motifs prévus dans le Code, comme l’état matrimonial, le sexe ou le lieu d’origine. Si l’on conclut que le système de classification du risque proposé est discriminatoire aux termes du Code, il faudra alors décider si cette discrimination est considérée « raisonnable » et « de bonne foi » selon les motifs énumérés à l’article 22.

L’article 22 du Code prévoit que les polices d’assurance individuelles et collectives qui ne sont pas offertes par un employeur à un employé peuvent faire des distinctions fondées sur l’âge, le sexe, l’état matrimonial et familial ou un handicap, mais que ces distinctions doivent être fondées sur des motifs justifiés de façon raisonnable et de bonne foi.

Selon la Cour suprême du Canada, statuant dans l’arrêt Zurich Insurance Co. c. Ontario (Comm. des droits de la personne) (1992), 16 C.H.R.R. D/255 (C.S.C.), une pratique est de bonne foi si elle a été adoptée de manière honnête, dans les intérêts d’une pratique commerciale solidement fondée et reconnue et non afin de porter atteinte aux droits protégés conformément au Code. La Cour estime qu’une pratique discriminatoire est « raisonnable » si :

  • elle est fondée sur une pratique d’assurance solidement fondée et reconnue;
  • il n’existe aucune autre solution pratique.

Une pratique d’assurance solidement fondée et reconnue est définie comme une pratique adoptée « afin de satisfaire l’objectif commercial légitime d'imposer des primes proportionnelles au risque ».

Il n’est pas évident qu’une commission d’enquête ou un tribunal déciderait que le système de classification du risque proposé par l’assureur « est fondé sur une pratique d’assurance solidement fondée et reconnue », comme le prévoit l’arrêt Zurich. La CAO, à titre d’organisme responsable de l’application de la Loi sur les assurances, devrait offrir son opinion experte sur la question de savoir si la proposition de l’assureur, y compris l’analyse actuarielle, est conforme à une pratique commerciale de bonne foi. Dans son Rapport final, la CAO admet que « (l’assureur) a présenté la preuve d’une corrélation statistique entre ces facteurs (de classification du risque) et les pertes ».

On peut également se demander s’il aurait décidé qu’« il n’existe aucune autre solution pratique » pour remplacer la proposition de (l’assureur). La Cour suprême a clairement établi que l’industrie des assurances devrait travailler de façon active à l’élaboration de critères non discriminatoires pour évaluer le risque. À ce jour, l’industrie n’a pas encore mis au point de nouveau système pour l’assurance-automobile. Une plainte similaire dans ce domaine connaîtrait peut-être maintenant un sort tout à fait différent.

L’arrêt Zurich signifie d’abord que l’industrie des assurances peut enfreindre certains motifs en vertu de la partie I du Code si elle peut montrer, conformément à l’article 22, qu’une telle pratique est adoptée « afin de satisfaire l’objectif commercial légitime d'imposer des primes proportionnelles au risque ». D’autre part, la Cour a clairement déclaré que l’industrie des assurances ne devait pas indéfiniment continuer à user de critères discriminatoires pour établir ses taux, puisqu’elle estime que l’industrie « doit chercher à éviter de fixer des primes fondées sur des motifs interdits ». Lorsqu’on combine ces deux aspects de la décision Zurich, on peut affirmer que tout nouveau système de classification proposé, même s’il s’agit d’une meilleure méthode d’évaluation du risque, devrait au moins ne pas enfreindre la partie I du Code davantage qu’aucun système actuel de classification. En fait, un tel nouveau système proposé devrait chercher à éviter de déterminer le risque en fonction des motifs interdits.

Sans tenir compte de la décision majoritaire dans l’arrêt Zurich et de l’exception prévue à l’article 22 conformément au Code, la CAO semble avancer une interprétation différente de ce qu’on peut appeler les tests de classification du risque fondés sur des motifs justifiés « de façon raisonnable » et « de bonne foi ».

Le document d’information de la CAO contenait une réplique similaire à l’opinion émise par les deux juges dissidentes dans l’arrêt Zurich. Ces juges ont décidé qu’une corrélation statistique ne suffisait pas à justifier le caractère raisonnable d’une pratique discriminatoire. Un lien de causalité doit exister.

Dans son Rapport final en réponse à la demande de l’assureur (p. 5-6), la CAO a déclaré que toute nouvelle variable de classification du risque doit remplir tous les critères stipulés dans la Loi sur les assurances (l’article 412.1 en particulier : voir annexe). Elle affirme également qu’en-dehors d’un rapport statistique, les critères de classification du risque doivent également faire une distinction équitable. Par ailleurs :

Un indicateur du caractère raisonnable d’un système de classification du risque est sa causalité, c.-à-d. que l’assuré devrait être capable de déduire de façon logique comment le taux qu’on lui demande de payer a été calculé et de comprendre l’effet de ses antécédents de conduite sur celui-ci (Rapport final de la CAO, p.7).

La décision majoritaire dans Zurich ne repose pas sur un « lien de causalité », mais seulement sur une corrélation statistique suffisante pour justifier le caractère raisonnable d’une pratique discriminatoire. La position articulée dans le document de la CAO, soit qu’un automobiliste assuré devrait être capable de comprendre les répercussions de son dossier de conduite sur le taux de l’assurance, semble donc être un test plus strict de « caractère raisonnable » que celui qui se dégage de l’interprétation de l’article 22 du Code dans l’arrêt Zurich. D’après la Loi sur les assurances, le commissaire des assurances a l’autorité de prescrire par règlement les éléments et conditions d’un système de classification du risque.

De nos jours, une plainte relative à l’assurance-automobile similaire à celle présentée dans Zurich connaîtrait peut-être une issue différente, car la commission d’enquête ou le tribunal pourrait tenir compte de la position de la CAO selon laquelle il devrait exister un lien de causalité entre la classification du risque et le dossier de conduite, et que la Loi sur les assurances confère au commissaire des assurances la possibilité d’imposer une telle condition.

Enfin, la mention que l’on trouve dans le manuel des courtiers préparé par (l’assureur) au fait qu’une condamnation pour fraude à l’assurance-automobile constitue un risque inacceptable devrait être modifiée par l’énoncé suivante : « si un pardon n’a pas été accordé », conformément à l’article 10(1) du Code.

Veuillez noter que les observations ci-dessus ne représentent que l’opinion de la Commission, et que rien n’empêche celle-ci de poser des questions sur tout autre sujet pouvant l’intéresser et lié au Code.

La Commission peut rencontrer la CAO pour discuter plus amplement de cette question. Vous pouvez communiquer avec moi au (416) 314-4522.

Veuillez agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs.

La directrice,
LA COPIE ORIGINALE SIGNÉE PAR

 

F. Pearl Eliadis