Language selector

Social Media Links FR


Facebook CODP Twitter CODP Instagram logo Link to OHRC Instagram page

Objet : La réforme des services correctionnels du MSCSC – Observations après la visite de la prison de Kenora

Page controls

Page content

Le 28 février 2017

L’honorable Marie France Lalonde
Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels
18e étage, Édifice George Drew
25, rue Grosvenor
Toronto (Ontario)  M7A 1Y6

Madame la Ministre,

Tout d’abord, je tiens à vous remercier de m’avoir donné la possibilité de visiter la prison de Kenora et de m’entretenir avec des membres de la direction, du personnel et des prisonniers. Comme vous le savez peut-être, j’étais accompagnée du commissaire à temps partiel, Maurice Switzer, qui est citoyen de la Première Nation mississauga d'Alderville.

Je vous écris aujourd’hui pour vous présenter un résumé de nos observations. Nous avons relevé quelques problèmes par rapport aux droits de la personne, qui semblent particuliers à la prison de Kenora et qui méritent l’attention du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, ainsi que la prise de mesures. Je me réjouis de discuter plus en détail de ces points à notre prochaine rencontre prévue pour début mars.

Appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada et plan stratégique de la Commission ontarienne des droits de la personne

Les observations de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) au sujet de la prison de Kenora doivent être lues à la lumière des appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada (CVR) :

30. Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de s’engager à éliminer, au cours de la prochaine décennie, la surreprésentation des Autochtones en détention et de publier des rapports annuels détaillés sur l’évaluation des progrès en ce sens.

31. Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de procéder à une évaluation et d’établir des sanctions communautaires réalistes qui offriront des solutions de rechange à l’incarcération des délinquants autochtones, de fournir un financement suffisant et stable à cet égard et de cibler les causes sousjacentes du comportement délinquant.

34. Nous demandons aux gouvernements du Canada, des provinces et des territoires d’entreprendre des réformes du système de justice pénale afin de mieux répondre aux besoins des délinquants atteints du TSAF; plus particulièrement, nous demandons la prise des mesures suivantes:

iii. mettre à la disposition de la collectivité de même que des responsables des services correctionnels et des libérations conditionnelles les ressources qui leur permettront de maximiser les possibilités de vivre dans la collectivité pour les personnes atteintes du TSAF.

36. Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de travailler avec les collectivités autochtones pour offrir des services culturellement adaptés aux détenus en ce qui concerne, notamment, la toxicomanie, la famille et la violence familiale de même que les difficultés auxquelles fait face une personne lorsqu’elle tente de surmonter les séquelles de la violence sexuelle.

Dans le même objectif que les appels à l’action de la CVR, le plan stratégique de la CODP pour 2017-2023 met l’accent sur la réconciliation, la justice pénale, la pauvreté et l’éducation. Nous nous sommes expressément engagés à faire mieux comprendre les répercussions du colonialisme sur les peuples autochtones, à favoriser la responsabilisation envers la discrimination systémique contre les peuples autochtones et à éliminer les pratiques discriminatoires dans les établissements correctionnels de la province. Notre visite de la prison de Kenora s’est déroulée dans ce contexte.

Prise en compte des besoins spirituels et culturels des Autochtones

Les prisonniers de la prison de Kenora constituent un groupe particulièrement vulnérable. La direction nous a confirmé que plus de 90 % des prisonniers s’identifient comme membres des Premières Nations. Bon nombre d’entre eux viennent de communautés éloignées dans le Nord de l’Ontario et pour certains, l’anglais n’est pas leur première langue. Cette situation crée des défis uniques sur le plan de l’obligation d’accommodement des besoins culturels et spirituels des prisonniers. 

Comme l’affirme la Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur la croyance de la CODP, le Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code) exige que les services correctionnels provinciaux accommodent les croyances spirituelles et les coutumes des peuples autochtones, y compris leurs cérémonies et coutumes sacrées. Le non-accommodement d’une conviction ou pratique spirituelle autochtone de façon appropriée et opportune peut constituer de la discrimination aux termes du Code.

Les prisons provinciales sont également tenues de concevoir des services inclusifs et adaptés aux prisonniers qui souhaitent pratiquer leurs spiritualité ou coutumes autochtones. Dans cet esprit, le personnel doit posséder les compétences culturelles nécessaires pour reconnaître les besoins spirituels des peuples autochtones et y répondre adéquatement.

En dépit de ces droits, il semble que la prison de Kenora ne soit pas entièrement en mesure de répondre aux besoins spirituels et culturels des prisonniers. La plupart des employés du MSCSC qui fournissent des services aux prisonniers, comme l’aumônier, le personnel infirmier, le travailleur social et l’agent de réadaptation ne s’identifient pas comme membres des Premières Nations. Il n’y a qu’un seul agent de liaison pour les détenus autochtones affecté à la prison : un Aîné qui parle une langue autochtone et qui est employé par le Ne-Chee Friendship Centre. Le préposé au programme Drug Education and Living (DEAL), également employé du Ne-Chee Friendship Centre, s’identifie comme Métis, mais ne parle aucune langue autochtone. Sur les 59 agents correctionnels, environ, qui travaillent à la prison, entre 2 et 5 d’entre eux seulement s’identifient comme Autochtones. 

Chaque prisonnier avec lequel nous nous sommes entretenus à la prison de Kenora s’est plaint de l’accès irrégulier et insuffisant à des programmes culturels et spirituels, et de l’accès limité à des espaces en plein air pour la tenue des cérémonies traditionnelles. Nous avons appris que la cérémonie de purification (« smudging ») ne comptait pas parmi les programmes offerts par l’agent de liaison pour les détenus autochtones. Un prisonnier nous a confié que l’accès aux programmes spirituels était considéré par la direction comme un privilège, au lieu d’un droit. 

Il serait bénéfique pour la prison de Kenora et d’autres établissements correctionnels ayant un pourcentage élevé de prisonniers des Premières Nations (comme la prison de Thunder Bay) d’obtenir l’aide du MSCSC à l’élaboration d’une vaste stratégie de prévention et d’élimination des atteintes aux droits de la personne fondées sur la croyance. Cette stratégie devrait veiller à ce que les pratiques d’emploi ne causent pas d’obstacles discriminatoires dans le recrutement et le maintien en poste de personnes autochtones possédant les compétences nécessaires pour fournir des services efficients et équitables aux prisonniers autochtones. Cette stratégie devrait également encourager une infrastructure plus favorable à la culture et à la spiritualité autochtones. À cet égard, la conception du Meno Ya Win Health Centre à Sioux Lookout, que nous avons aussi visité, constitue un exemple parfait de conception inclusive, adaptée aux besoins des peuples autochtones.

Accommodement des personnes handicapées

Les ressources en soins de santé, dont des traitements psychiatriques, du soutien thérapeutique et des programmes ciblés, semblent n’être pas suffisantes pour répondre aux besoins complexes de la population carcérale de la prison de Kenora.

Lors de mes rencontres avec des membres de la direction et du personnel de la prison, le préposé au programme DEAL et le chef des services infirmiers m’ont affirmé que tous les prisonniers se trouvant actuellement à la prison de Kenora avaient soit des handicaps mentaux, soit une déficience intellectuelle (y compris et surtout le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF)), soit des problèmes de dépendances. Ce sont des circonstances particulières qui nécessiteront probablement une approche proactive pour veiller au respect de l’exigence, prévue par le Code, d’accommoder les handicaps, sans subir de préjudice injustifié.

Par exemple, la prison ne dispose pas d’un médecin ou d’un psychiatre salarié à temps plein. À la place, un psychiatre se rend à la prison deux fois par mois, un psychiatre communautaire peut être convoqué « en cas de nécessité » et des psychiatres du Centre de santé mentale Royal Ottawa, ainsi que d’autres spécialistes médicaux, peuvent être consultés par le biais de systèmes d’accès à distance. Cela semble à première vue insuffisant pour répondre aux besoins personnalisés de plus de 175 prisonniers, dont la majorité sont des Autochtones, qui bénéficieraient probablement de services communautaires spécialisés. En fait, étant donné la population carcérale de la prison de Kenora, le MSCSC pourrait envisager d’élaborer un modèle correctionnel plus thérapeutique pour cette prison.

Enfin, les membres de la direction ne pouvaient se souvenir que de deux ou trois cas où des prisonniers de la prison de Kenora ont été transférés à l’Établissement de traitement et Centre correctionnel de la vallée du Saint-Laurent pour y subir un traitement intensif. Ils ont relevé que les critères rigoureux d’admission et leur emplacement géographique constituaient un obstacle à ce genre de transfert. 

Manque de contacts avec la famille et la communauté

Les prisonniers de la prison de Kenora sont confrontés à un problème particulier de manque de contacts avec leurs familles et leur communauté. Premièrement, un grand nombre de familles n’ont pas les moyens de se payer le déplacement jusqu’à Kenora, surtout si elles viennent d’une communauté éloignée ou accessible uniquement par hydravion. Deuxièmement, les appels à frais virés sont exorbitants pour certaines familles (des centaines ou des milliers de dollars par mois) et nécessitent que les membres de la famille disposent d’une ligne fixe, ce qui est de moins en moins courant. Troisièmement, la prison n’est pas dotée de salle prévue pour les visites familiales, même pour les prisonniers qui ont des enfants en bas âge. Pour terminer, il arrive qu’après leur mise en liberté, certains prisonniers ne parviennent pas à trouver un moyen de transport pour retourner dans leur communauté ou ne soient pas acceptés dans leur réserve en raison de stigmates liés à leur situation. Ce sont des préoccupations qu’ont soulevées des prisonniers et des membres de la famille ou du public avec lesquels nous avons discuté, dans la région. 

Il est bien évident que même si une grande partie de ces problèmes se retrouvent dans tous les établissements correctionnels de la province, ils ont des répercussions particulièrement profondes sur les prisonniers autochtones et doivent être étudiés dans le contexte des pratiques coloniales qui ont érodé les liens communautaires et familiaux des Premières Nations (p. ex., les pensionnats, la rafle des années 60 et la surreprésentation des enfants autochtones dans le système de tutelle de l’état). En réalité, la criminalisation et l’incarcération dans une prison aussi éloignée du territoire traditionnel d’une personne autochtone risquent de briser de façon permanente et irréversible le lien entre cette personne et sa famille, sa communauté et sa culture. L’impact disproportionné de la détention provisoire et de l’emprisonnement sur des personnes autochtones présumées innocentes suscite des craintes d’atteinte aux droits de la personne.

Cautionnement et renvoi

Il y a lieu de relever qu’il semble qu’un grand nombre de prisonniers autochtones à la prison de Kenora aient été renvoyés sous garde après la violation présumée d’une condition de leur ordonnance de libération conditionnelle, et pas nécessairement parce qu’ils posent un risque perçu pour la sécurité publique. Certains prisonniers nous ont affirmé qu’ils étaient renvoyés en prison après avoir violé des conditions de leur cautionnement qui leur imposaient de s’abstenir de consommer de l’alcool ou des drogues, malgré leur dépendance. 

En conséquence, nous sommes ravis de l’annonce récente du procureur général qui a promis la mise en place de soutiens additionnels et d’une supervision accrue pour les personnes vulnérables, présentant de faibles risques, qui se retrouvent aux prises avec la loi, dont l’élaboration d’un nouveau programme adapté aux besoins culturels des prisonniers autochtones qui passent par le processus de mise en liberté sous caution et de renvoi.

Isolement

La prison de Kenora est dotée de quatre cellules d’isolement « officielles ». En tout cas quelques prisonniers placés dans des cellules d’isolement semblaient en détresse profonde. Leur situation doit être examinée à la lumière des exigences énoncées dans la décision Jahn c. MCSCS.

Selon des statistiques reçues du MSCSC, en août 2016, la prison affichait un taux d’isolement parmi les plus bas de la province (10 %). Cela s’explique probablement par les efforts considérables que la direction et le personnel ont déployés pour appliquer des stratégies créatives à l’égard des prisonniers ayant des besoins élevés, logés dans des unités de transition, qui favorisent une réinsertion graduelle dans la population carcérale générale. Bien que nous applaudissions ces efforts, il est impératif de considérer tous les prisonniers qui ne sont pas logés parmi la population générale comme se trouvant en isolement à des fins juridiques et administratives et ayant droit aux suivis et à la supervision réservés aux prisonniers en isolement.

Surpopulation et confinements aux cellules

Nous comprenons que la prison de Kenora souffre de problèmes de nature endémique qui affligent l’ensemble du système correctionnel provincial, à savoir une surpopulation, une pénurie de personnel et des confinements en cellule qui en découlent.  La prison était surpeuplée le jour de notre visite et des membres du personnel nous ont confié que les problèmes de manque de personnel et de surpeuplement étaient plus aigus pendant les mois d’été. Dans notre lettre datée du 3 août 2016, adressée au ministre Orazietti, en poste à cette époque, nous avions exprimé nos préoccupations à l’égard du problème de la surpopulation et de ses conséquences négatives sur les prisonniers vulnérables. 

Comme notre mandat nous enjoint de faire état de l’état des droits de la personne dans la province et dans l’intérêt de la transparence et de la responsabilisation, nous nous réservons la possibilité de rendre publique la présente lettre.

En vous remerciant à nouveau de nous avoir donné la possibilité de visiter la prison de Kenora, je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’assurance de ma haute considération.

La commissaire en chef,
Renu Mandhane, B.A., J.D., LL.M.
Commission ontarienne des droits de la personne

c.c.      L’honorable ministre Yasir Naqvi, procureur général

L’honorable ministre Dr Eric Hoskins, ministre de la Santé

Grand Chef Alvin Fiddler, Nishnawbe Aski Nation 

Grand Chef Francis Kavanaugh, Traité no 3

Chef Isadore Day, Chiefs of Ontario

Sylvia Maracle, directrice exécutive, Ontario Federation of Indigenous Friendship Centres

Howard Sapers, conseiller indépendant pour la réforme des services correctionnels, MSCSC

Paul Dubé, ombudsman

Patti Fairfield, directrice exécutive, Ne-Chee Friendship Centre

Commissaires de la CODP