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Phipps c. Commission de services policiers de Toronto

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La Commission est intervenue devant le Tribunal relativement à une plainte déposée par Ron Phipps – une cause qui soulevait des questions difficiles. Le Tribunal a conclu que M. Phipps avait été soumis au profilage racial en 2005 par un agent de la police de Toronto. Cet agent avait accosté M. Phipps alors qu’il livrait le courrier dans un quartier cossu de Toronto, avait vérifié avec un propriétaire à qui M. Phipps avait parlé, il l’avait ensuite suivi et vérifié son identité auprès d’un facteur de race blanche.

Le Tribunal a déclaré que même s’il n’y avait pas eu de racisme flagrant, il y avait eu profilage racial. Même si cet incident remonte à cinq ans, il nous rappelle que le profilage racial existe et que cette pratique est inadmissible dans les services de police et de sécurité. Il confirme que le profilage racial peut être un geste systémique que les gens posent sans même s’en rendre compte, ce qui montre bien l’ampleur du défi à relever pour les personnes qui ont pour mandat d’éliminer cette pratique.


Numéro du dossier de la cour : C53665
COUR D’APPEL DE L’ONTARIO


E N T R E :
MICHAEL SHAW ET CHEF WILLIAM BLAIR
Appelants
-et-

RONALD PHIPPS, COMMISSION DE SERVICES POLICIERS DE TORONTO ET
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE DE L’ONTARIO
Intimés
-et-

COMMISSION ONTARIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
Intervenante
 


FACTUM DE L’INTERVENANTE
COMMISSION ONTARIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE


Commission ontarienne des droits de la personne
180, rue Dundas Ouest, 8e étage
Toronto (Ontario) M7A 2R9

Anthony Griffin, BHC no 23064S
Téléphone : 416 314-4547
Télécopieur : (613) 326-9867

Avocat de l’intervenante
Commission ontarienne des droits de la personne

À L’HONORABLE COUR :
ET À :

Borden Ladner Gervais LLP
Barristers and Solicitors
Scotia Plaza, 40, rue King Ouest
Bureau 1400
Toronto (Ontario) M5C 3Y4

Kevin A. McGivney, BHC no 32370R
Téléphone : 416 367-6118
Télécopieur : 416 361-2471

Lisa C. Cabel, BHC no 50719P
Téléphone : 416 367-3217
Télécopieur : 416 361-2710

Avocats pour les appelants

ET À :

Thomas Law Professional Corporation
1400-10, rue King Est
Toronto (Ontario) M5C 1C3

Jayson Thomas
Téléphone : (647) 347-5450
Télécopieur : (647) 723-7431

Avocat de l’intimé,
Ronald Phipps

ET À :
Antonella Ceddia
a/s de City of Toronto Legal Services
Station 1260, 26e étage
Metro Hall
55, rue John
Toronto (Ontario) M5V 3C6

Téléphone : 416 338-2338
Télécopieur : 416 397-1765

Avocate de l’intimée,
Commission de services policiers de Toronto

ET À :

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE DE L’ONTARIO
Tribunal des droits de la personne de l’Ontario
655, rue Bay, 14e étage
Toronto (Ontario) M7A 2A3

Rochelle Fox
Téléphone : 416 326-1312
Télécopieur : 416 326-2199

Avocate du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario

APERÇU

1. La Commission ontarienne des droits de la personne (« Commission ») intervient dans cet appel en vertu de l’ordonnance du juge O’Connor, juge en chef adjoint de la Cour de l'Ontario, datée le 4 août 2001.

2. La Commission soutient que cet appel devrait être rejeté pour les motifs suivants :

  • Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (« TDPO ») est un tribunal d’experts spécialisés. La norme de contrôle judiciaire applicable à ses décisions exige le niveau le plus élevé de déférence envers ses constatations des faits, les conclusions qu’il en tire et sa détermination d’une enfreinte aux droits prévus par le Code.
  • La décision du TDPO reflète le fait que le critère en trois parties établissant une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire d’une instance de discrimination a été rempli. M. Phipps est un homme noir qui a été interpelé et questionné par la police. Sa race a joué un rôle dans la décision de l’interpeler et de le questionner.
  • Les preuves circonstancielles jouent un rôle prédominant dans les causes de discrimination raciale, particulièrement lorsqu’il s’agit de déterminer si l’on peut raisonnablement conclure que la race du requérant a joué un rôle dans le traitement défavorable qui lui a été infligé. Dans le cas présent, les preuves circonstancielles appuient la conclusion que M. Phipps a été interpelé et questionné en partie à cause de sa race.
  • La décision du TDPO est conforme à la jurisprudence en discrimination raciale et reconnaît que la discrimination raciale peut être subtile, prépondérante et inconsciente.

PARTIE I – FAITS

3. Le TDPO a rendu une décision concernant la requête pour violation des droits de la personne déposée par Ronald Phipps (« M. Phipps ») contre l’agent Michael Shaw (« l’agent Shaw ») et le chef William Blair, du Toronto Police Service, et la Commission de services policiers de Toronto (« CSPT ») le 18 juin 2009 à la conclusion d’une audience sur le bien fondé de la requête de M. Phipps.

Phipps v. Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 877 (CanLII) (« Décision du TDPO »), registre des appels, onglet 7

4. Par un arrêt daté le 6 octobre 2010, la Cour divisionnaire (juges Wilson et Swinton, juge Nordheimer dissident) a rejeté la demande de révision judiciaire de la décision du TDPO.

Décision de la Cour divisionnaire, registre des appels, onglet 6

5. La requête pour violation des droits de la personne de M. Phipps alléguait que l’agent Shaw avait exercé une discrimination fondée sur la race et la couleur contre lui, un afro canadien, en l’interpelant et en le questionnant alors qu’il livrait le courrier pour Postes Canada dans le quartier affluent de Bridle Path à Toronto, le 9 mars 2005.

Décision du TDPO, para. 3, registre des appels, onglet 7

Requête en vertu du paragraphe 53(3) du Code des droits de la personne, registre des appels, onglet 9

6. Le TDPO a jugé que l’agent Shaw avait exercé une discrimination fondée sur la couleur contre M. Phipps lors de la prestation de services policiers, contrairement au Code des droits de la personne. Le TDPO est arrivé aux constatations de faits suivantes :

  • M. Phipps, un employé de Postes Canada, livrait le courrier dans le quartier affluent de Bridle Path le 9 mars 2005 comme facteur de relève. Il portait un uniforme de Postes Canada, transportait un sac postal et livrait le courrier et des dépliants. [au para. 7]
  • M. Phipps n’a pas livré le courrier et des dépliants à chaque maison ce jour là. Il s’est cependant arrêté à une maison en particulier pour s’excuser auprès du propriétaire d’avoir fait une erreur de livraison le jour précédent. [au para. 7]
  • Alors qu’il accomplissait ses activités de livraison habituelles, M. Phipps a été interpelé par l’agent Shaw des services policiers de Toronto qui patrouillait dans le quartier dans sa voiture de patrouille en compagnie d’une nouvelle recrue, l’agente Diane Noto. Semé de produire une pièce d’identité, M. Phipps a montré à l’agent Shaw son permis de conduire et sa carte d’identité de Postes Canada. L’agente Noto a effectué une contre vérification des pièces d’identité de M. Phipps dans l’ordinateur des services policiers qui se trouvait dans la voiture de patrouille et la contre-vérification n’a rien révélé. [aux para. 8, 12]
  • M. Phipps a poursuivi ses activités de livraison. Il a parlé à plusieurs travailleurs de la construction dans le quartier qui ont affirmé que l’agent Shaw ne les avait pas questionnés. Un homme blanc qui livrait de l’eau dans le quartier n’a pas été interpelé ni questionné par la police. M. Phipps a ensuite parlé à un facteur de race blanche dans la région qui a mentionné à M. Phipps que l’agent Shaw lui avait posé des questions sur les facteurs dans le quartier Bridle Path. [au para. 15]
  • L’agent Shaw et l’agente Noto ont été chargés de patrouiller dans le quartier Bridle Path après avoir été avisés que des lignes téléphoniques y avaient été coupées par d’éventuels suspects décrits comme étant « des hommes blancs, originaires d’Europe de l’Est qui se déplaçaient en voiture ». [au para. 8]
  • Durant sa patrouille, l’agent Shaw a « immédiatement » remarqué M. Phipps lorsqu’il s’est engagé dans une certaine rue. Peu après, l’agent Shaw s’est rendu compte que M. Phipps était un facteur. L’agent Shaw prétend qu’il a remarqué des faits inhabituels : M. Phipps n’était pas le facteur régulier, il ne livrait pas le courrier à chaque maison, il traversait sans cesse la rue et s’est arrêté à une maison pour parler au propriétaire sans toutefois livrer le courrier. [aux para. 9, 22]
  • Après avoir interpelé M. Phipps, parlé avec lui et confirmé son identité, l’agent Shaw a parlé à un autre facteur – un homme de race blanche – à propos des autres facteurs qui se trouvaient dans la région. [au para. 13]

Décision du TDPO, registre des appels, onglet 7

7. Le TDPO a conclu que la couleur de M. Phipps était un facteur qui avait éveillé les soupçons de l’agent Shaw et l’avait incité à interpeler et à questionner M. Phipps et à subséquemment demander des renseignements sur ce dernier. En tirant cette conclusion, le tribunal a tenu compte du contexte social de la nature et du phénomène du profilage racial et a analysé les éléments de preuve dans ce contexte. Le TDPO a affirmé ce qui suit :

[17] Dans ce cas, comme dans beaucoup de cas de prétendue discrimination raciale, aucune preuve directe ne démontre que la décision de l’agent d’agir comme il l’a fait se fondait en partie sur la race. Par conséquent, la question, à savoir si les actes de l’agent constituaient de la discrimination raciale et enfreignaient le Code, n’a pas été déterminée conformément aux principes bien établis suivants applicables dans les cas de preuve circonstancielle.
..

[23] À mon avis, la chronologie précédente décrite par l’agent Shaw suggère que c’est la couleur de la peau du requérant, plutôt que ses prétendues activités inhabituelles, qui a influencé ses actions.
...

[34] Je conclus que la couleur du requérant est un facteur qui a incité l’agent Shaw à surveiller le requérant, à l’interpeler puis à demander des renseignements à son sujet le 9 mars 2005 et qu’il a enfreint le droit du requérant à un traitement égal exempt de discrimination fondée sur la couleur en matière de services, contrairement aux articles 1 et 9 du Code.

Décision du TDPO, aux para. 4; 17; 24; 34, registre des appels, onglet 7

PARTIE II – QUESTIONS ET LOIS APPLICABLES

A. La norme de contrôle judiciaire – le caractère raisonnable – exige le niveau le plus élevé de déférence

8. Tous les membres du groupe d’experts de la Cour divisionnaire ont convenu que la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions du TDPO est le caractère raisonnable. L’autorisation d’interjeter appel demandée n’a pas invoqué la norme de contrôle judiciaire. Lorsque la norme de contrôle judiciaire appropriée est le caractère raisonnable, d’importantes conséquences s’ensuivent.

9. Une « décision déraisonnable » signifie,
la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.

Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 au para. 56

10. Lorsqu’elle applique le critère du caractère raisonnable en général, la cour de révision ne doit à aucun moment se demander ce qu’aurait été la décision « correcte ». Cette approche rigoureuse donne effet à l’intention du législateur de confier à un tribunal la responsabilité principale de trancher les questions selon son propre processus et ses propres raisons.

Barreau du Nouveau Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 au para. 50

11. Une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision. Il s’agit plutôt de savoir si les motifs, dans leur ensemble, étayent la décision; c’est à dire s’ils sont capables de résister à un examen assez poussé.

Ryan, supra au para. 55

12. Lorsqu’elle examine les questions de fait, la cour n’est pas tenue d’envisager d’autres interprétations de la preuve et de déterminer laquelle elle considère la plus raisonnable. Le rôle de la cour est plutôt de déterminer si l’interprétation de la preuve par le tribunal est raisonnable, c’est-à-dire si ses constatations sont étayées par la preuve.

Ontario (Human Rights Commission) v. Jeffrey, [2007] O.J. No. 3767 au para. 23 (Cour divisionnaire)

ADGA Group Consultants Inc. v. Lane (2008), 91 O.R. (3d) 649 au para. 76 (Cour divisionnaire)

13. La déférence reconnaît et respecte le choix du législateur de laisser certaines questions entre les mains des décideurs administratifs et présume que la décision à l’étude est raisonnable à moins que le requérant ne démontre qu’il en est autrement.

Dunsmuir, supra aux para. 47-49, 146

Ryan, supra aux para. 48 et 51

14. Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable reconnaît qu’aucun résultat ne doit être considéré comme étant correct. Plutôt, il y a une gamme de résultats qui sont acceptables et la fonction du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable consiste uniquement à déterminer si la décision s’inscrit dans cette gamme.

Abdoulrab et al. v. Ontario Labour Relations Board et al. (2009), 95 O.R. (3d) 641 au para. 42 (C.A.)

15. La norme de contrôle appelant une grande retenue judiciaire en l'espèce s’applique aux constatations des faits du TDPO, aux conclusions qu’il en tire et à sa détermination d’une enfreinte aux droits prévus par le Code; dans tous ces domaines, le TDPO agit selon son expertise.

Knoll North America Corp. v. Adams and Ontario (Human Rights Tribunal), [2010] O.J. No. 5611 aux para. 42 et 48 (Cour divisionnaire)

B. Les éléments d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire dans les instances de droits de la personne

16. Le point de départ d’une discussion sur une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire est la décision de la Cour suprême dans la cause O’Malley. Dans cette cause, la Cour a fourni une définition de la discrimination, énoncé les éléments d’une plainte au motif de discrimination et décrit les fardeaux de la preuve des différentes parties. Elle a défini une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire comme étant « celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé ».

Ontario (Human Rights Commission) v. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 S.C.R. 536 au para. 28

17. Ce passage souvent cité de la cause O’Malley décrit l’effet d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire, plutôt que ses éléments. Par exemple, Mme O’Malley a établi sa preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire en démontrant qu’elle était membre de l'église adventiste du septième jour et, que par conséquent, elle ne pouvait pas travailler le samedi. Or, si une personne établit que son incapacité est un facteur qui a influencé son licenciement, elle a établi une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire de l’existence d’une discrimination au motif de l’incapacité. Dans de tels cas, l’établissement d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire déplace le fardeau de la preuve à l’intimé qui doit établir une défense fondée sur un préjudice indu ou une justification.

18. Dans une plainte au motif de discrimination en matière de services, l’établissement d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire déplace le fardeau de la preuve à l’intimé qui doit fournir une explication rationnelle non discriminatoire.

19. Comme l’a mentionné la majorité de la Cour divisionnaire au paragraphe 17, les éléments d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire ont été énoncés dans la cause Dang comme suit. Le requérant doit démontrer :

  1. qu’il appartient à un groupe protégé par le Code;
  2. qu’il a subi un mauvais traitement; et
  3. que le prétendu mauvais traitement était fondé sur son sexe, sa race, sa couleur ou son ascendance.

Cet énoncé est semblable à la description du juge Nordheimer, au paragraphe 139, des éléments d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire. Le requérant doit démontrer :

(i) qu’il appartient à l’un des groupes protégés par le Code;
(ii) qu’il a subi un mauvais traitement; et
(iii) qu’il y a un lien démontré entre le motif interdit et le mauvais traitement.

20. Les observations du juge Abella J. dans la décision McGill concernant la différence entre une distinction et une discrimination ne modifient pas les éléments fondamentaux d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire. Un requérant doit réussir un test en trois parties :
i) le requérant appartient-il à un groupe possédant une caractéristique protégée en vertu du Code?

ii) le requérant a-t-il subi un mauvais traitement?

iii) est-il raisonnable de conclure que la caractéristique protégée a joué un rôle quelconque dans le mauvais traitement?

Le test applicable à une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire continue d’exiger un lien entre une caractéristique protégée et le mauvais traitement.

Ontario (Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010 ONCA 593 (CanLII) aux para. 96 et 103

21. Dans la présente affaire, les deux premiers éléments ne sont pas remis en cause. La question critique est de savoir s’il y a une preuve qui permettrait au TDPO de raisonnablement conclure que la race de M. Phipps est un facteur qui a influencé le traitement de l’agent Shaw à son égard. Or, il existait une telle preuve; des travailleurs de race blanche travaillant dans le quartier n’ont pas été interpelés ni questionnés. Comme l’a fait remarquer la majorité de la Cour divisionnaire au paragraphe 59 :

M. Phipps fut la seule personne interpelée et questionnée dans le quartier. Il portait un uniforme et faisait son travail. Il était le seul homme noir dans le quartier. Plusieurs autres particuliers dans la région immédiate n’ont pas été questionnés par les agents de police, y compris plusieurs hommes travaillant sur trois chantiers de construction et un homme livrant de l’eau. La preuve non contredite de M. Phipps était que tous les particuliers qui n’ont pas été questionnés étaient de race blanche.

22. Ici, le membre du TDPO a focalisé l’enquête sur la question du lien; à savoir, s’il y avait une preuve qui permettrait de conclure que le traitement de l’agent Shaw à l’égard de M. Phipps se fondait sur le fait que M. Phipps est noir. Le TDPO a écrit ce qui suit :

Il m’incombe de déterminer si la couleur de la peau du requérant est un facteur qui a incité l’agent Shaw à surveiller le requérant, à l’interpeler puis à demander des renseignements à son sujet. [para. 20]

...Je conclus que, selon toute probabilité, le fait que le requérant était un homme afro-canadien dans un quartier affluent était un facteur, un facteur important, et probablement le facteur prédominant, que ce soit consciemment ou inconsciemment, dans les actions de l’agent Shaw. [para. 21]

En conséquence, je conclus que ce n’est pas un comportement inhabituel de la part du requérant qui a incité l’agent Shaw à le surveiller, mais plutôt le fait qu’il était un homme afro canadien dans un quartier affluent. [para. 28]

En conséquence, je conclus que la couleur du requérant était un facteur dans les soupçons continus de l’agent Shaw à son égard et dans sa décision de l’interpeler et de le questionner. [para. 31]

23. Le TDPO n’a pas omis la troisième partie du test en trois parties et il n’a pas créé une présomption de discrimination après avoir établi les deux premiers éléments de la preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire. Il a plutôt traité les éléments de preuve qui permettraient de conclure qu’il y avait un lien entre la race de M. Phipps et la façon dont l’agent Shaw l’a traité. L’élément de preuve à l’appui d’une telle conclusion est reflété dans la décision du TDPO. Ce dernier a fait remarquer, au paragraphe 15, que les travailleurs de la construction de race blanche travaillant dans le quartier n’ont pas été interpelés ni questionnés et qu’un homme blanc livrant de l’eau n’a pas été questionné.

24. L’examen du TDPO a reconnu l’assertion selon laquelle cet élément de preuve permet de conclure que la race de M. Phipps a influencé le traitement de l’agent Shaw à son égard. La requête de M. Phipps en vertu du paragraphe 53 (3) du Code renferme l’échange suivant :

En quelle façon avez-vous été traité différemment des autres? M. Finlay, d’ascendance caucasienne, n’a pas été sommé de fournir une pièce d’identité. Un conducteur caucasien livrant de l’eau lorsqu’ils m’ont interpelé la première fois n’a pas été sommé de fournir une pièce d’identité. Plusieurs hommes caucasiques travaillant sur divers chantiers de construction à quelques mètres de l’endroit où j’ai été harcelé n’ont pas été sommés de présenter une pièce d’identité.

Requête en vertu du paragraphe 53(3) du Code, registre des appels, onglet 9, p. 105

C. Les plaintes de discrimination raciale requièrent généralement des preuves circonstancielles et la formulation de conclusions raisonnables

25. Les plaintes de discrimination raciale, notamment les allégations de profilage racial, peuvent rarement s’appuyer sur une preuve directe. L’existence et la portée du préjugé racial ne sont pas des questions qui peuvent être établies de la manière normalement associée à la preuve de faits d’intérêt privé.

R. v. Parks, [1993] O.J. No. 2157 au para. 42 (C.A.)

26. Généralement, pour qu’une discrimination raciale puisse être prouvée, cette preuve doit être établie par inférence à partir d’une preuve circonstancielle. Lorsque la preuve indique que les circonstances correspondent au phénomène du profilage racial ou de la discrimination raciale et fournissent un fondement pour conclure que l’agent de police ment sur les raisons pour lesquelles il a choisi de porter son attention sur l’accusé, le compte rendu peut alors soutenir la conclusion selon laquelle il y a eu instance de profilage racial ou de discrimination raciale. Cela ne fixe pas la barre trop basse (ce qui serait injuste à l’égard des agents) ni trop haute (ce qui rendrait la preuve d’une plainte raciale pratiquement impossible à faire).

R. v. Brown (2003), 64 O.R. (3d) 161 au para. 46 (C.A.)

27. Le profilage racial peut rarement s’appuyer sur une preuve directe. Il doit plutôt être inféré des circonstances entourant les actions des services policiers. Si la preuve permet de conclure que la race a influencé la façon dont un requérant a été traité, une cour ou un tribunal peut tirer cette conclusion. Il n’est pas obligatoire de tirer une telle conclusion; celle-ci incombe au juge des faits qui a entendu la preuve.

Peart v. Peel Regional Police Services Board, [2006] O.J. No. 4457 au para. 95, 135 (C.A.)

28. Utilisée de cette façon, la preuve circonstancielle, dont on peut raisonnablement inférer l’existence d’un lien entre la race du requérant et le mauvais traitement, assume une fonction nécessaire dans l’analyse des plaintes de discrimination raciale. Ces dernières ne sont pas rejetées simplement parce qu’il n’y a pas de preuve directe de l’existence d’un lien. Utilisée de cette façon, la preuve circonstancielle peut étayer une conclusion qui ne requiert pas de preuve directe et qui reconnaît la nature subtile, prépondérante et inconsciente du racisme.

Knoll America, supra au para. 48

29. À ce stade, le fardeau de la preuve demeure avec le requérant et la preuve circonstancielle étaye simplement la conclusion qu’un lien existe; le troisième élément de la preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire. Les éléments d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire ne sont pas modifiés. Un examen adéquatement éclairé de la preuve circonstancielle pertinente, conjuguée à une appréciation sensible du contexte social dans lequel les plaintes de discrimination raciale doivent être évaluées, fournit une protection contre l’échec de plaintes valables en droit par suite de la répartition du fardeau de la preuve.

Peart, supra au para. 147

30. À partir de son expérience des plaintes de discrimination raciale, le TDPO utilise généralement les principes établis suivants énoncés à la fois dans la Décision du TDPO et dans les motifs de la Cour divisionnaire :

  1. il n’est pas nécessaire qu’un motif de discrimination interdit soit le seul ou le principal facteur menant à la conduite discriminatoire; il suffit qu’il soit un facteur.
  2. il n’est pas nécessaire d’établir qu’une intention ou une motivation a mené à la discrimination; l’enquête doit porter sur l’effet des actions de l’intimé sur le requérant;
  3. il n’est pas nécessaire qu’un motif interdit soit la cause de la conduite discriminatoire de l’intimé; il suffit qu’il soit un facteur ou un élément exécutoire;
  4. il arrive souvent qu’il n’y ait aucune preuve directe de discrimination; la discrimination est plus souvent étayée par des preuves et des inférences circonstancielles;
  5. le stéréotype racial est généralement le résultat de croyances, de préconceptions et de préjugés subtils, inconscients.

Le TDPO utilise également les principes bien établis suivants concernant la preuve circonstancielle :

  1. L’établissement d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire d’un cas de discrimination déplace le fardeau de la preuve à l’intimé qui doit fournir une explication rationnelle non discriminatoire.
  2. Pour réfuter une inférence de discrimination, l’intimé ne peut simplement suggérer une explication rationnelle quelconque. Il doit offrir une explication crédible de toutes les preuves présentées.
  3. Un requérant n’est pas tenu d’établir que les actions de l’intimé ne mènent à aucune autre conclusion que celle que la discrimination étayait la décision en litige dans un cas donné.
  4. Rien n’exige que la conduite de l’intimé, pour être jugée discriminatoire, doive être compatible avec l’allégation de discrimination et incompatible avec toute autre explication rationnelle.
  5. Le point crucial consiste à déterminer si une inférence de discrimination est plus probable d’après les éléments de preuve que les actuelles explications offertes par les intimés.

Décision du TDPO, para. 16, 17, registre des appels, onglet 7

Décision de la Cour divisionnaire, para. 76, 77, registre des appels, onglet 6

31. L’utilisation d’une preuve circonstancielle pour inférer que le troisième élément de la preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire est établi ne signifie pas que le requérant a gain de cause. Elle signifie plutôt que le TDPO demande légitimement à l’intimé (un agent de police dans le cas présent) de fournir le motif ou les motifs de la décision d’interpeler le requérant et de demander des renseignements sur lui. L’intimé peut fournir une explication non discriminatoire. Si cette explication est acceptée par le TDPO, la plainte est rejetée. Dans le cas présent, le TDPO n’a pas accepté les explications de l’agent Shaw.

D. La décision du TDPO n’a pas créé de présomption de discrimination

32. Aux paragraphes 47 à 58 de leur factum, les intimés allèguent que la décision du TDPO a créé une présomption de discrimination. L’assertion repose sur l’affirmation erronée des intimés que le TDPO a omis la troisième partie du test en trois parties applicable à une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire d’une instance de discrimination. En effet, dans le paragraphe 45 de leur factum les intimés prétendent qu’« aucun fait présenté comme preuve ne suggère le lien requis entre la race de M. Phipps et le mauvais traitement ».

33. L’allégation des intimés interprète erronément la preuve et l’établissement d’une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire dans la cause dont le TDPO est saisi. Le seul homme noir travaillant dans le quartier a été interpelé. Les hommes blancs travaillant dans le quartier ne l’ont pas été. Ce sont les faits présentés comme preuve. Ces faits devraient permettre de raisonnablement conclure que M. Phipps a été interpelé parce qu’il est noir.

34. Lorsqu’elle est analysée correctement, la décision du TDPO ne crée pas de présomption de discrimination. Le fardeau de la preuve applicable à une preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire appartient au requérant. On applique le test en trois parties. La preuve circonstancielle est utilisée pour tirer une conclusion dans la troisième partie du test.

E. La discrimination, particulièrement la discrimination raciale, peut être inconsciente.

35. Au paragraphe 87 de leur factum, les intimés suggèrent que le fait que la discrimination peut être inconsciente ne devrait pas servir de substitut à la preuve. Dans le cas présent, le TDPO n’a pas substitué l’éventuelle nature inconsciente de la discrimination raciale à la preuve. Il l’a plutôt utilisée comme contexte pour évaluer les éléments de preuve dont il était saisi, exercice utile et nécessaire étant donné la nature subtile, prépondérante et inconsciente du racisme.

36. Le racisme agit à plusieurs niveaux : individuel, systémique ou institutionnel et sociétal. Il peut y avoir discrimination raciale par préjugé et stéréotype manifestes, ou de façon inconsciente, plus subtile et subversive.

Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale (2005), Commission ontarienne des droits de la personne

37. L’observation précédente faite par la Commission dans sa politique de 2005 est conforme à une longue lignée de jurisprudence dans laquelle on retrouve les énoncés suivants :

L’attitude qui sous-tend le profilage racial peut être consciente ou inconsciente. C’est-à-dire que l’agent de police n’est pas nécessairement manifestement raciste. Sa conduite peut être fondée sur un stéréotype racial inconscient. (Brown, supra au para. 8)

Le profilage racial peut être le résultat d’un préjugé racial manifeste, inconscient ou institutionnel. Un agent individuel qui effectue un profilage racial peut être subjectivement inconscient de ce qu’il fait. Certes, le profilage racial ne reflète pas nécessairement un préjugé racial. Il peut refléter la perception légitime de la réalité du contexte au sein duquel l’agent exerce ses activités. (Peart, supra au para. 93)

38. Dans le cas présent, le TDPO était sensible à la nature de la discrimination raciale, comme le reflètent ses commentaires aux paragraphes 18 et 19 de sa décision. Le TDPO a utilisé sa compréhension du phénomène de la discrimination raciale pour évaluer les éléments de preuve dont il était saisi. Ces éléments de preuve ont persuadé le TDPO qu’il pouvait conclure que la race de M. Phipps avait influencé la façon dont l’agent Shaw l’avait traité.

39. Au paragraphe 86, les intimés font référence à l’observation du juge Nordheimer dans les motifs de la Cour divisionnaire et à l’éventualité qu’une personne qui a exercé de la discrimination inconsciemment soit punie en l’absence d’action volontaire. La présente cause ne soulève pas une question de « punition » pour actions involontaires. L’assertion affirmant que la décision du TDPO contredit le principe selon lequel « notre système judiciaire est fondé sur la notion selon laquelle seuls les individus ayant agi volontairement peuvent être punis » va à l’encontre des principes établis en matière de droits de la personne. L'intention d'établir une distinction est sans pertinence. Les lois en matière de droits de la personne visent à offrir une voie de recours à la victime de discrimination et non pas à punir les auteurs de la discrimination. Comme la Cour suprême l’a déclaré dans la cause O’Malley :

Le Code vise la suppression de la discrimination. C'est là l'évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non pas à punir l'auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination.
...

... l'intention d'établir une distinction n'est pas un élément essentiel de la discrimination qui est généralement interdite dans les lois canadiennes sur les droits de la personne.

... La preuve de l'intention, une exigence nécessaire dans notre façon d'aborder une loi criminelle et punitive, ne devrait pas être un facteur déterminant dans l'interprétation d'une loi sur les droits de la personne qui vise à éliminer la discrimination. Je suis d'avis que les tribunaux d'instance inférieure ont eu tort de conclure que l'intention d'établir une distinction constitue un élément de preuve nécessaire.

O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.S.C. 536 aux para. 12 et 14

PARTIE IV – ORDONNANCE DEMANDÉE

40. L’intervenante, la Commission ontarienne des droits de la personne, allègue que cet appel devrait être rejeté. En vertu des modalités de l’ordonnance du juge O’Connor, juge en chef adjoint de la Cour de l'Ontario, la Commission n’exigera pas de frais et dépens et aucuns frais et dépens ne lui seront attribués.

LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS.

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Anthony D. Griffie
Avocate, Commission ontarienne des droits de la personne

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Cathy Pike
Avocat, Commission ontarienne des droits de la personne