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Projet de loi 211, Loi de 2005 modifiant des lois pour éliminer la retraite obligatoire

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Le 23 novembre 2005

La Commission ontarienne des droits de la personne (« la Commission ») est heureuse de pouvoir présenter ses observations sur le projet de loi 211, Loi de 2005 modifiant des lois pour éliminer la retraite obligatoire.

La Commission félicite le gouvernement pour le dépôt de ce projet de loi et appuie son sens général. Elle s’inquiète toutefois de certaines dispositions.

Il existe de nombreux problèmes économiques, sociaux et en matière de ressources humaines liés à la retraite obligatoire. Au centre du débat sur la retraite obligatoire, se trouve néanmoins le problème fondamental des droits de la personne. Les personnes âgées sont souvent l’objet de nombreux stéréotypes et d’hypothèses à propos de leur utilité, de leurs habiletés et de leurs contributions à la société. Les travailleurs plus âgés sont souvent considérés, à tort, comme étant moins productifs, moins engagés à l’égard de leur travail, moins dynamiques ou innovateurs et moins réceptifs au changement. La Commission a constaté que l’âgisme est enchâssé dans les structures et les attitudes sociétales et qu’il peut servir à paralyser et à dévaluer les personnes âgées dans les importants aspects de leur vie. L’âgisme et la discrimination fondée sur l’âge ont les mêmes répercussions sur les personnes qui en sont victimes que les autres formes de traitement inégal visés par le Code des droits de la personne de l’Ontario (« Code ») et devraient susciter le même degré de révolte morale et de condamnation.

En 2000, la Commission a entamé des consultations publiques à l'échelle de la province sur la discrimination fondée sur l'âge. La réaction à ces consultations a été excellente et la Commission a reçu de nombreux mémoires portant sur la retraite obligatoire. La retraite obligatoire est une question qui affecte profondément la vie de milliers d’Ontariennes et d’Ontariens. La grande majorité des personnes qui ont présenté des mémoires sur la retraite obligatoire étaient en faveur de son abolition. Dans son document de consultation de 2001, Il est temps d'agir, la Commission a recommandé qu’on amende le Code en éliminant la défense globale de la retraite obligatoire à 65 ans et en amplifiant la protection contre la discrimination basée sur l'âge de sorte à inclure les travailleurs de plus de 65 ans.

La recommandation de la Commission se fondait non seulement sur les préoccupations exprimées par le public, mais également sur les principes fondamentaux des droits de la personne : la participation, l’individualisation et la dignité.

L'emploi permet aux personnes de participer pleinement à la vie de la société. Il a non seulement un impact majeur sur la situation économique des particuliers, mais, il favorise l'autonomie, la sécurité et l'amour-propre et donne l'impression à la personne qu'elle contribue à la vie communautaire.

La retraite obligatoire consiste à imposer une décision uniquement basée sur l'âge et non pas sur la capacité d'une personne de faire son travail. Elle englobe un ensemble d’hypothèses concernant l’utilité et les habiletés des travailleurs plus âgés. Le droit d’être considéré d’abord en tant que personne, et non pas simplement comme membre d’un groupe, et d’être jugé d’après ses compétences et ses habiletés se trouve au cœur des droits de la personne. En tant que société, nous ne trouverions pas acceptable que l'on mette fin à l'emploi d'une personne en raison de tout autre motif de discrimination énoncé dans le Code, comme la race, le sexe ou le handicap.

La retraite obligatoire porte atteinte à la dignité des employés plus âgés. Le fait de ne plus se sentir valorisé comme employé en raison simplement de son âge exerce un impact psychologique et émotionnel profond.

De plus, la retraite obligatoire peut avoir des retombées particulièrement graves et disproportionnées sur les personnes qui font partie des groupes vulnérables. Ainsi, les femmes qui restent au foyer pour élever leurs enfants ou s'occuper de membres de leur famille ne touchent pas de revenu et ne peuvent pas cotiser au Régime de pensions du Canada (RPC) pendant qu’elles sont absentes du marché du travail. Par ailleurs, lorsqu'elles retournent travailler une fois qu'elles n'ont plus de responsabilités de fournisseuses de soins, elles doivent parfois prendre leur retraite juste au moment où leur carrière prend de l'essor ou leur capacité de gagner leur vie est à son maximum. Les femmes qui font partie de la population active rémunérée, mais qui ont tendance à travailler dans des secteurs dans lesquels il n'y a pas de régime de retraite de l'employeur, qui assument un emploi à temps partiel ou temporaire et qui occupent des emplois dont le taux de rémunération est très inférieur à celui des hommes, sont confrontées à un obstacle différent. Ces femmes ne pourront probablement pas accumuler une pension du RPC, un REER ou une pension privée assez important pour conserver un niveau de vie adéquat après leur retraite. Les femmes sont donc plus aptes à sombrer dans la pauvreté en raison de leur départ obligatoire à la retraite.

Les nouveaux immigrants doivent faire face à des difficultés semblables. Leur période d'emploi au Canada est parfois plus courte et cela les empêche d'accumuler une pension; par ailleurs ils ont également tendance, comme c'est le cas aussi des personnes racialisées et des personnes handicapées, à voir leur accès au marché du travail restreint, à gagner un revenu moins élevé et à devenir chômeurs durant leur vie professionnelle. Par conséquent, ces groupes sont également exposés à des conséquences graves dues à la retraite obligatoire.

La Commission estime donc que la retraite obligatoire constitue une forme de discrimination fondée sur l'âge et elle est heureuse de constater que le gouvernement de l'Ontario a déposé ce projet de loi pour y mettre un terme. Elle appuie le sens général du projet de loi 211.

Par contre, certains aspects du projet de loi 211 préoccupent vivement la Commission. Ce sont, plus précisément, les dispositions relatives à l’accès aux avantages sociaux et à l’indemnisation des accidents du travail.

Le projet de loi 211 n’élimine pas les dispositions de la Loi sur les normes d’emploi qui permettent aux employeurs de faire à l’encontre des employés âgés de 65 ans et plus des distinctions injustes en matière de prestation des avantages sociaux, notamment l’assurance maladie et l’assurance dentaire, ainsi que l’assurance vie et l’assurance invalidité. Les employeurs ne sont pas empêchés de fournir des avantages sociaux inférieurs, sinon aucun, aux employés qui atteignent l’âge de 65 ans. Essentiellement, la prestation d’avantages sociaux aux employés de plus de 65 ans reste à la discrétion des employeurs. Les compétences, les habiletés et les fonctions de deux employés, un âgé de 64 ans et l’autre de 65 ans, peuvent être absolument identiques et, pourtant, l’un d’eux a accès aux avantages sociaux et l’autre, non.  Si le projet de loi 211 n’est pas modifié, les employés privés d’avantages sociaux ou recevant des avantages sociaux inférieurs uniquement à cause de leur âge n’auront pas le droit de déposer une plainte concernant la discrimination fondée sur l’âge en vertu des droits de la personne.

Un grand nombre de personnes continuent de travailler après l’âge de 65 ans parce qu’elles ne peuvent se permettre financièrement d’arrêter de travailler. Comme on l’a mentionné précédemment, c’est surtout le cas des femmes, des nouveaux immigrants, des personnes racialisées et des personnes handicapées. Ces personnes figurent parmi les employés les plus vulnérables et le refus de leur accorder des avantages aurait un impact dévastateur sur leur situation économique.

Autoriser les employeurs à interrompre arbitrairement les avantages sociaux des travailleurs plus âgés au lieu de prendre une décision fondée sur des motifs rationnels est discriminatoire et injuste. Les lois en matière de droits de la personne comportent des principes bien établis pour le traitement des questions liées aux avantages sociaux et à l’assurance. Par exemple, l’article 22 du Code crée une défense pour les contrats d’assurance, notamment l’assurance vie, l’assurance accident, l’assurance maladie et l’assurance invalidité, les autorisant à établir des distinctions entre des personnes pour des motifs justifiés de façon raisonnable et de bonne foi et fondés sur l’âge, le sexe, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap. Pareillement, le règlement 286/01 pris en application de la Loi sur les normes de travail autorise les régimes d’assurance vie et les régimes de prestations d’invalidité à établir des distinctions entre les personnes pour des motifs fondés sur l’âge, le sexe et l’état matrimonial, pourvu que ces distinctions soient fondées sur une méthode actuarielle. La Cour suprême du Canada a d’ailleurs appuyé ce genre d’approche mesurée dans sa décision dans l’affaire Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne)[1] et la Commission la juge préférable à une exemption générale. En effet, cette approche reconnaît l’importance et la primauté des principes relatifs aux droits de la personne ainsi que la nécessité d’exploiter des régimes d’assurance collective et des régimes d’avantages sociaux collectifs viables. Elle oblige les employeurs et les assureurs à faire en sorte que les distinctions établies pour des motifs énoncés dans le Code soient rationnelles et justifiables. Elle permet également la surveillance des droits de la personne au besoin. Ces types de défense ont historiquement été efficaces et appropriés. Par conséquent, la Commission recommande que la protection généralisée et arbitraire contre l’exemption des avantages sociaux prévue au projet de loi 211 pour les personnes âgées de 65 ans et plus soit remplacée par une défense plus circonscrite pour les employeurs et les assureurs, selon laquelle les distinctions établies entre les personnes au regard de la prestation des avantages sociaux sont fondées sur des motifs justifiés de façon raisonnable et de bonne foi, l’employeur étant tenu de démontrer que la pratique est justifiée dans les circonstances.

L’approche du projet de loi 211 au regard de l’indemnisation des accidentés du travail préoccupe également la Commission. Le projet de loi 211 modifie la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail en ajoutant une disposition prépondérante selon laquelle les dispositions de cette loi, les règlements y afférents et toute décision ou politique découlant de cette loi qui exige ou autorise l’établissement d’une distinction fondée sur l’âge, s’appliquent en dépit des dispositions du Code.

Cette disposition est extrêmement vaste. Elle autorise les distinctions établies non seulement en fonction de l’âge de 65 ans, mais de n’importe quel âge. Elle exempte essentiellement le système d’indemnisation des accidentés du travail de toutes les exigences concernant l’âge énoncées dans le Code. Elle n’autorise aucune contestation ni surveillance en vertu du Code. La Commission estime que cette exemption est trop vaste et contredit la disposition prépondérante proper au Code.

Le fait que cette disposition protège certaines dispositions de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail contre toute révision préoccupe la Commission. Par exemple, l’article 41 de cette Loi oblige les employeurs à réemployer les travailleurs qui se sont trouvés dans l’incapacité de travailler en raison d’une lésion et qui, à la date où la lésion est survenue, avaient été employés par lui sans interruption pendant au moins un an. Elle oblige également l’employeur à adapter le travail ou le lieu de travail aux besoins du travailleur, dans la mesure où cela ne lui cause aucun préjudice injustifié. Cette obligation prend fin le deuxième anniversaire de la date où la lésion est survenue, un an après que le travailleur est capable de s’acquitter des tâches essentielles de l’emploi ou à la date où le travailleur atteint l’âge de 65 ans. L’exemption prévue dans le projet de loi 211 signifie que les travailleurs blessés peu avant l’âge de 65 ans, à 65 ans ou après l’âge de 65 ans perdent un de leurs droits les plus importants en vertu de la législation sur l’indemnisation des accidentés du travail, peu importe leurs capacités individuelles et leur état de santé et sans subir d’évaluation individualisée de leur situation.

On ne sait pourquoi les travailleurs plus âgés seraient considérés comme étant inadmissibles au réembauchage et à l’adaptation uniquement à cause de leur âge. Cette idée va d’ailleurs à l’encontre du droit à l’adaptation prévu dans le Code pour les employés handicapés et des principes fondamentaux des droits de la personne : la dignité, le droit à la participation et à l’intégration et l’individualisation.

La Commission croit que l’approche du projet de loi 211 à l’égard des avantages sociaux et de l’indemnisation des accidentés du travail est incompatible avec le sens général de cette loi, qui consiste à reconnaître l’utilité et la contribution des travailleurs plus âgés, à offrir aux travailleurs la dignité du choix et de faire en sorte que les employés sont jugés d’après leurs compétences et leurs habiletés et non d’après leur âge. Les dispositions du projet de loi 211 concernant les avantages sociaux et l’indemnisation des accidentés du travail constituent une forme de discrimination fondée sur l’âge. Elles portent à croire que les travailleurs plus âgés sont essentiellement moins utiles que leurs collègues plus jeunes et renforcent l’âgisme et les stéréotypes et hypothèses négatifs à propos des capacités et des contributions des travailleurs plus âgés. Elles ne reconnaissent pas la contribution des employés plus âgés à leurs lieux de travail ni l’importance du travail pour les travailleurs plus âgés. Ces dispositions constituent une atteinte à la dignité et la Commission croit qu’elles seront vulnérables à des contestations en vertu du Code.

Au cas où le gouvernement déciderait de ne pas modifier les articles du projet de loi 211 traitant des avantages sociaux et de l’indemnisation des accidentés du travail, la Commission recommande que la loi assujettisse ces articles à une disposition de temporisation de cinq ans. Durant ces cinq années, on pourrait examiner l’impact de l’élimination de la retraite obligatoire sur les régimes d’avantages sociaux et l’indemnisation des accidentés du travail afin de déterminer si ces exemptions continuent d’être pertinentes.

Pour terminer, la Commission souhaite féliciter de nouveau le gouvernement pour le dépôt de cet important projet de loi. La question dont nous sommes saisis se rapporte à la dignité humaine, à l’autonomie et à l’autodétermination. Il importe de mettre fin à la retraite obligatoire; il importe également que ce soit fait dans le respect de l’équité et des principes inhérents aux droits de la personne.  Les travailleurs plus âgés apportent tous les jours une contribution valable à cette province. Leurs contributions et leurs droits méritent d’être respectés.


[1] (1992) 16 C.H.R.R. D/255 (R.C.S)