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Lettre au Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels : Plan d'action visant l'élimination du placement en isolement en Ontario

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Février 21, 2019

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L’honorable Sylvia Jones
Ministre de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels
18e étage, Édifice George Drew
25, rue Grosvenor
Toronto (Ontario)  M7A 1Y6

Madame la Ministre,

J'espère que vous vous portez bien. Je vous écris à propos de la décision R. v Capay (2019 ONSC 535) de la Cour supérieure de justice datée du 28 janvier 2019. À l'instar d'autres causes juridiques récentes et des appels à l'action passés de la CODP, les conclusions factuelles tirées dans R. v Capay confirment que le placement en isolement nuit à la santé, augmente les risques et mine la sécurité, la réadaptation et la réinsertion. Vous serez sans doute d'accord avec moi que les conclusions du juge Fregeau sont extrêmement troublantes et exigent l'adoption de mesures décisives.

Vu que la période d'appel de cette affaire n'est pas terminée, je ne propose pas de commenter les conclusions juridiques du juge Fregeau ou le processus décisionnel de la Couronne relativement aux appels de décisions. Je vous écris plutôt pour exhorter le présent gouvernement à agir – là où d'autres ont failli – afin de donner suite aux questions systémiques relatives aux droits de la personne soulevées par les conclusions factuelles du tribunal. L’arrêt R. v Capay et d'autres décisions juridiques récentes donnent au gouvernement une occasion cruciale de faire preuve de figure de proue en matière de gestion, voire éventuellement d’élimination, du placement en isolement.

Vous trouverez ci-après un aperçu des travaux menés par la CODP jusqu'à présent, un résumé des éléments de preuve des torts causés par le placement en isolement, ainsi que des renseignements relatifs à son recours excessif continu en Ontario et au manque de garanties adéquates. Nous formulons également aux pages suivantes six recommandations en vue d'éliminer graduellement le placement en isolement d'une façon qui respecte les droits de la personne des détenus ainsi que la santé et la sécurité des agents des services correctionnels.

Enfin, j'aimerais aussi profiter de l'occasion pour souligner la diligence dont a fait preuve le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (MSCSC) en ce qui a trait à la mise en œuvre de l'ordonnance Jahn (détaillée ci-après). Cependant, l’arrêt R. v Capay met en lumière de nombreuses questions relatives aux droits de la personne allant au-delà de la portée de cette ordonnance. Nous comprenons que le juge Cole soumettra dans les prochains jours son rapport d'étape sur les travaux du gouvernement relatifs à la mise en œuvre de cette ordonnance et nous compterons sur vous pour veiller à ce que le MSCSC donne suite à toute préoccupation soulevée dans ce rapport.

Madame la Ministre, vous avez une occasion unique de rendre nos prisons plus humaines, nos collectivités plus sûres et notre système de justice plus équitable. La CODP se réjouit de cette occasion de collaborer avec le gouvernement de l'Ontario pour relever les défis immédiats et atteindre ces objectifs importants.

La CODP a prévenu le gouvernement précédent que le placement en isolement contrevenait aux droits de la personne

Pendant de nombreuses années, la CODP a prévenu le gouvernement précédent qu’il n'accordait pas assez d'attention à la protection des droits de la personne des détenus. Le traitement réservé à Adam Capay démontre clairement que le défaut d'agir pour donner suite aux mises en garde de la CODP a eu des répercussions dévastatrices sur les détenus, les victimes d'actes criminels et l'administration de la justice.

La CODP est active dans le dossier de la réforme des pratiques de placement en isolement depuis 2012. En 2012, nous sommes intervenus dans une requête en droits de la personne déposée par Christina Jahn contre le MSCSC. Mme Jahn était aux prises avec des troubles mentaux, des dépendances et le cancer. Elle prétendait avoir été placée en isolement pendant toute la période de ses incarcérations (environ 210 jours) au Centre de détention d’Ottawa-Carleton et avoir subi un traitement brutal et humiliant en raison de son sexe et de ses troubles mentaux. 

La CODP est intervenue dans l’affaire pour traiter des motifs systémiques à l’origine du défaut de fournir à Mme Jahn les services de santé mentale appropriés et de lui éviter le placement en isolement. Le fait que les femmes détenues dans les établissements correctionnels de l’Ontario n’avaient pas accès aux mêmes services de santé mentale que les hommes constituait une source additionnelle de préoccupations.

En 2013, les parties ont conclu une entente historique prévoyant toute une série de réparations d’intérêt public ayant trait au recours au placement en isolement et au traitement des détenus ayant des troubles mentaux. Dans le cadre de cette entente exhaustive, l’Ontario a accepté d’interdire le placement en isolement de toute personne ayant des troubles mentaux, sauf en cas de dernier recours. Une seconde entente a été conclue en 2015 exigeant que l’Ontario procure aux personnes placées en isolement une fiche d’information sur leurs droits.

Dans un mémoire sur l’examen de la politique provinciale en matière d’isolement soumis au MSCSC en janvier 2016, la CODP a rendu compte des effets néfastes du placement en isolement et exhorté le gouvernement à en éliminer la pratique. À titre de mesure intérimaire, la CODP a recommandé que le MSCSC impose des limites strictes au recours au placement en isolement qui cadrent avec celles recommandées par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et le jury de l’Enquête du coroner sur le décès d’Ashley Smith, y compris (a) interdire le recours au placement en isolement pour une période indéfinie, (b) interdire le placement en isolement pour une période de plus de 15 jours consécutifs et (c) limiter le recours en isolement à une durée de 60 jours cumulatifs dans une même année civile.

En octobre 2016, après avoir obtenu du MSCSC des informations statistiques sur l’étendue du recours au placement en isolement dans ses établissements correctionnels, et après avoir rencontré Adam Capay lors d’une visite à la prison de Thunder Bay, la CODP a soumis des mémoires complémentaires dans le but d’orienter encore davantage l’examen de la politique provinciale en matière d’isolement du MSCSC. Nous avons réitéré notre appel à l’élimination du recours au placement en isolement et, à titre de mesure intérimaire, notre appel à l’imposition de limites strictes à son utilisation continue.

En septembre 2017, compte tenu des préoccupations persistantes de la CODP à l’égard du recours excessif au placement en isolement et du traitement discriminatoire réservé aux personnes ayant des troubles mentaux en Ontario, nous avons déposé une requête en cas de contravention à un règlement auprès du Tribunal des droits de la personne en Ontario (TDPO), dans laquelle nous soutenions que le gouvernement avait manqué à son obligation de se conformer aux réparations d’intérêt public prévues dans l’entente de règlement de 2013 de l’affaire Jahn. La CODP alléguait que l’Ontario n’avait pas respecté ses engagements juridiquement contraignants visant à interdire le recours au placement en isolement des personnes ayant des troubles mentaux, à assurer le dépistage des troubles mentaux et la prestation de services connexes, ainsi qu’à documenter fidèlement et à examiner le recours au placement en isolement dans ses établissements, puis à en faire rapport.

Le 16 janvier 2018, avec l’aval de la CODP et de l’Ontario, le TDPO a émis une ordonnance pour régler la requête de 2017 en cas de contravention à un règlement. L’ordonnance exige que l’Ontario « se conforme sur le plan opérationnel » aux réparations d’intérêt public établies à l’origine dans l’affaire Jahn (y compris en ce qui a trait au dépistage des troubles mentaux, à l’accès aux services de santé mentale et à l’interdiction du placement en isolement des personnes ayant des troubles mentaux, sauf préjudice injustifié), élabore et mette pleinement en œuvre un système précis d’identification des détenus ayant des troubles mentaux et recueille et rende publiques des données désagrégées sur son recours au placement en isolement.

L’ordonnance exige également que le gouvernement obtienne les services d’une experte indépendante (Kelly Hannah-Moffat) pour aider à la mise à exécution du règlement et d’un examinateur indépendant (le juge David Cole) pour faire publiquement rapport de la conformité de l’Ontario avec les modalités du règlement.

Or, comme nous l'indiquions ci-haut, les questions relatives aux droits de la personne soulevées précédemment par la CODP et confirmées dans l’arrêt R. v Capay vont au-delà des questions traitées dans l'ordonnance Jahn.

Le placement en isolement nuit à la santé, augmente les risques et mine la sécurité, la réadaptation et la réinsertion

Il est maintenant abondamment clair que le placement en isolement nuit à la santé physique et mentale, et mine la sécurité dans les prisons, la réadaptation et la réinsertion. Les conclusions du juge Fregeau à propos des torts causés par le placement en isolement confirment les déclarations faites dans les mémoires précédents de la CODP au MSCSC et abondent dans le sens des décisions récentes de tribunaux de l'Ontario, de la Colombie-Britannique et de l'Alberta.

Le juge Fregeau s'est fondé sur des éléments de preuve incontestés indiquant que « le placement en isolement accroît les troubles mentaux existants et peut entraîner le développement de troubles mentaux jusqu’à présent non détectés ». Dr John Bradford, le psychiatre ayant témoigné dans le cadre de la requête de M. Capay, a fourni des éléments de preuve incontestés additionnels selon lesquels les détenus placés en isolement « deviennent anxieux, déprimés ou autre. Ils subissent des perturbations cognitives... les perturbations cognitives peuvent donc être assez profondes ».

La preuve fournie par le Dr Bradford a également permis au juge Fregeau de conclure qu' « il a continuellement été démontré que le placement en isolement avait des répercussions considérables profondes sur la santé physique et mentale, et qu'il aggravait les troubles mentaux existants ». Le juge Fregeau a aussi déterminé que le placement en isolement était associé à une hausse des cas de conduite automutilatoire et de suicide.

Ces conclusions abondent dans le sens de celles de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans Canadian Civil Liberties Association (CCLA) v Canada. Dans cette cause, le juge en chef adjoint Marrocco a accepté des preuves d’expert selon lesquelles « l’état constant d’isolement, de privation sensorielle et de séquestration associé au placement en isolement crée chez la personne détenue une situation de stress extrêmement négative », « le placement en isolement semble constituer un important facteur de risque de développement de symptômes psychiatriques, y compris la dépression, l’idéation suicidaire et d’autres symptômes plus généraux » et « le placement en isolement à long terme peut entraîner des symptômes psychiatriques jamais détectés auparavant ». Le juge en chef adjoint Marrocco a également déterminé que les effets psychologiques négatifs du placement en isolement peuvent « survenir en quelques jours ».

La cour suprême de la Colombie-Britannique a récemment conclu que le placement en isolement préventif soumettait les détenus à « un risque considérable de torts psychologiques graves, y compris des douleurs et souffrances mentales, et une incidence accrue d’automutilation et de suicide ». Compte tenu de l’importance de la preuve déposée, le tribunal chargé de l’affaire BCCLA v Canada a conclu que « plutôt que de préparer les détenus à leur réintégration dans la population générale, les placements prolongés en isolement ont l’effet opposé, soit d’accroître leur dangerosité à l’intérieur des murs de l’établissement et au sein de la collectivité ».  

En bref, la cour suprême de la Colombie-Britannique a déterminé que le placement prolongé en isolement augmentait les risques et minait la sécurité dans les établissements, la réadaptation et la réinsertion. Plus tôt cette année, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a tiré une conclusion similaire dans l’affaire R. v Prystay. Ces conclusions provenant des quatre coins du pays confirment que le placement en isolement constitue une mauvaise politique correctionnelle dans la mesure où il n’atteint pas la plupart des objectifs des pratiques correctionnelles modernes.

Le recours excessif au placement en isolement se poursuit en Ontario

Malgré les torts évidents et l’inefficacité du placement en isolement, les données publiées par le MSCSC indiquent qu’un nombre important de détenus continuent d’y être soumis, dans bien des cas pour de longues périodes de temps.

Un échantillon de données de décembre 2015 fourni par le MSCSC à la CODP montre qu’à tout moment, 6 à 8 % de la population carcérale totale (de 477à 636 personnes environ) étaient placées en isolement, et que plus de 20 % des placements effectués duraient 15 jours ou plus.

Plus de trois ans après, on ne dénote aucun signe d’amélioration considérable. Les données du mois de mai 2018 du MSCSC (publiées dans la suite de l’ordonnance Jahn) font état de près de 4 000 placements individuels en isolement au cours d’une période de deux mois, dont plus de 657 pour une durée de plus de 15 jours.

Ces chiffres sont élevés et il peut être difficile de se rappeler que chacun d’entre eux représente une personne. Le traitement réservé à Adam Capay sert de rappel de la réalité se cachant derrière ces nombres, et des conséquences négatives à long terme du placement en isolement sur les détenus, les agents des services correctionnels, les victimes d’actes criminels, la collectivité et l’administration de la justice.

L’Ontario ne dispose pas de garanties efficaces

Malgré les torts associés au placement en isolement et à son recours continu, l’Ontario ne dispose pas de garanties efficaces pour les détenus vulnérables placés en isolement.

Inadéquation de l’examen des décisions en matière de placement en isolement

Dans ses mémoires de janvier 2016 sur l’examen de la politique provinciale en matière d’isolement, la CODP a recommandé au MSCSC d’assujettir les décisions sur le placement en isolement et les évaluations des soins de santé à une surveillance et à un contrôle externe indépendants qui incluent un examen judiciaire.

Dans ses mémoires de janvier 2016, la CODP analysait le processus d’examen (toujours en usage) du MSCSC et indiquait que le nombre répété de cas troublants de placement en isolement – malgré la mise en application d’un processus d’examen interne – a mis en lumière l’importance d’un examen externe indépendant. Trois ans plus tard, le juge Fregeau a confirmé que le système d’examen des placements en isolement en Ontario était brisé.

En déterminant que les droits garantis par la Charte d'Adam Capay avaient été bafoués, le juge Fregeau a conclu qu’ « il est évident qu’à l'échelle de l'établissement et de la région, le processus d'examen du placement en isolement de l'accusé s'est révélé inutile ». Le juge a fondé ses conclusions sur des éléments de preuve indiquant que les résumés administratifs des dossiers médicaux de M. Capay ne reflétaient pas adéquatement les évaluations de son psychiatre, sur des preuves d'expert selon lesquelles les examens du placement en isolement de M. Capay étaient souvent manquants ou se limitaient à une ou deux lignes de texte « qui réitéraient des raisons génériques reprises de raisons précédentes », ainsi que sur les témoignages de nombreux représentants du MSCSC dont les éléments de preuve montraient que le placement continu en isolement avait toujours été soumis au regard d'examinateurs régionaux. Des représentants régionaux et de l'établissement ont témoigné de leur incapacité de se souvenir  « d’une seule occasion » où le placement continu en isolement n’avait pas obtenu l'appui des autorités régionales. Un représentant régional a même témoigné du fait qu'il ne pensait pas que la région avait pour rôle d’intervenir dans une décision de placement en isolement qui avait obtenu le soutien d'un travailleur social ou d'un psychiatre.

Bien que la requête déposée dans R. v Capay n’eut pas directement contesté  la constitutionnalité du cadre législatif du MSCSC régissant l’examen du placement en isolement, le tribunal s’est penché sur les problèmes systémiques du système actuel et a noté que la preuve entendue « démontre qu’il existe un mépris systématique troublant à l’égard des procédures policières et des droits des détenus au sein du système correctionnel de l’Ontario ». Le juge Fregeau a également conclu que l’inconduite visée par cette affaire « n’était pas isolée » et que « l’inadéquation et inefficacité du processus d’examen des placements en isolement en Ontario sont des problèmes continus de longue date. »

Ces conclusions abondent dans le sens de celles de l’affaire CCLA, dans laquelle la Cour supérieure de l’Ontario a déterminé qu’un devoir d’équité robuste s’applique aux décisions de maintenir le placement en isolement préventif de détenus, et que le défaut de prévoir l’examen indépendant de telles décisions contrevenait à la Charte. Cet aspect de la décision, exigé par la loi en Ontario, n’a pas été porté en appel.

Bien que le juge en chef adjoint Marrocco ait laissé entendre dans l’affaire CCLA que les examens indépendants pourraient être menés par des agents des services correctionnels d’autres établissements, les conclusions tirées dans R. v Capay démontrent qu’une indépendance efficace et conforme sur le plan constitutionnel ne peut être obtenue par l’entremise d’un processus ministériel.

Inadéquation des services aux détenus autochtones

L’affaire R. v Capay met également en lumière l’importance de prendre des mesures immédiates au sein du MSCSC pour veiller à ce que les détenus métis, inuits (autochtones) et des Premières Nations reçoivent des services qui répondent à leurs besoins culturels, spirituels et linguistiques.

Les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation somment les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux « de s’engager à éliminer, au cours de la prochaine décennie, la surreprésentation des Autochtones en détention » et « de travailler avec les collectivités autochtones pour offrir des services culturellement adaptés aux détenus en ce qui concerne, notamment, la toxicomanie, la famille et la violence familiale de même que les difficultés auxquelles fait face une personne lorsqu’elle tente de surmonter les séquelles de la violence sexuelle ».

Les conclusions tirées par le juge Fregeau dans R. v Capay montrent que l’Ontario n’a pas effectué des progrès suffisants lorsqu’il s’agit de veiller à ce que les détenus autochtones reçoivent les services appropriés sur le plan culturel dont ils ont besoin. Les éléments de preuve déposés ont permis au juge Fregeau d’établir que M. Capay avait reçu de façon limitée des services culturellement adéquats avant sa rencontre avec la CODP en octobre 2016. Selon la preuve, M. Capay a reçu la visite d’un agent de liaison pour les détenus autochtones (ALDA) à deux reprises seulement durant ses quatre années d’isolement précédant sa rencontre avec la CODP.

Une fois de plus, l’expérience de M. Capay à cet égard cadrait tout à fait avec ce que j’ai vu et entendu durant mes tournées de plusieurs établissements correctionnels provinciaux. En février 2017, tous les détenus avec qui je me suis entretenue lors de ma visite à la prison de Kenora se plaignaient d’un accès insuffisant et irrégulier à des programmes culturels et spirituels, et d’un accès limité à des espaces extérieurs pour la pratique de cérémonies traditionnelles. On m’a aussi indiqué que les programmes offerts par les ALDA n’incluaient pas la purification au foin d’odeur. Une personne détenue disait que la direction considérait que l’accès aux programmes spirituels constituait un privilège et non un droit.

Comme le décrit la Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur la croyance de la CODP,  le Code des droits de la personne de l’Ontario (Code) exige que les services correctionnels de la province assurent l’accommodement des convictions et pratiques traditionnelles des peuples autochtones, y compris leurs cérémonies et coutumes sacrées. Le manque d’accommodement approprié et opportun d’une conviction ou d’une pratique spirituelle autochtone peut constituer de la discrimination aux termes du Code. Les prisons de la province ont aussi l’obligation de concevoir des services inclusifs à l’intention des détenus qui souhaitent pratiquer leur spiritualité ou culture autochtone. Cette obligation devrait s’étendre au fait de veiller à ce que le personnel des prisons ait les compétences culturelles requises pour reconnaître et combler les besoins en matière de croyance des peuples autochtones. Elle devrait aussi inclure l’adoption de politiques relatives aux ressources humaines qui assurent le recrutement et la promotion de personnel autochtone.

Le professeur Michael Jackson, un expert en droit pénitentiaire canadien et international, et en politiques et pratiques connexes, a livré au tribunal chargé de l’affaire R. v Capay son opinion et des éléments de preuve selon lesquelles les décisions en matière de placement en isolement des détenus autochtones devraient reposer sur une pleine contextualisation des facteurs systémiques et historiques de la personne détenue, conformément aux principes Gladue. Une telle approche va dans le sens de la décision de la Cour d’appel dans United States of America v Leonard, selon laquelle les principes Gladue devraient s’appliquer à toutes les interactions de personnes autochtones avec le système de justice. Les preuves déposées par le professeur Jackson indiquaient qu’une telle approche aiderait à repérer les programmes autochtones disponibles pouvant combler les besoins des détenus et réduire les risques d’une façon appropriée sur le plan culturel. La preuve du professeur indiquait que le fait de fournir des « soutiens appropriés sur le plan culturel » pourrait avoir atténué la perception du risque que constituait M. Capay et contribué à mettre fin à son placement en isolement.

Bien que le juge Fregeau ait ultimement déterminé que la preuve à sa disposition ne suffisait pas à établir que le placement en isolement avait eu un effet négatif disproportionnel sur l’accusé en tant que personne autochtone, pour les besoins de la Charte, les conclusions du tribunal à l’égard de l’accès de M. Capay à des ALDA et à des services culturels demeurent profondément troublantes.

Plan d’action en vue d’éliminer le placement en isolement en Ontario

À la suite de la publication de l’arrêt R. v Capay, les Ontariennes et Ontariens s’attendront à ce que le gouvernement de l’Ontario prenne des mesures actives pour régler les questions graves relatives aux droits de la personne associées au recours continu au placement en isolement. En concluant plus tôt cette année que le placement en isolement en cause dans R. v Prystay contrevenait à la Charte, la juge Pentelechuk de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta affirmait ce qui suit :

La vision sociale de ce qui s’avère un traitement ou une punition acceptable évolue au fil des ans. La stérilisation forcée, les pensionnats autochtones, la lobotomisation pour traiter les troubles mentaux, les châtiments corporels à l’école et la peine de mort sont tous des exemples de traitements jadis jugés acceptables. Le placement en isolement fait des ravages sur le cerveau. Son recours comme solution rapide à des problèmes complexes dérange de plus en plus.

Cette décision et d’autres rendues par des tribunaux de l’ensemble du pays laissent entendre que notre société a atteint un point tournant. Je vous encourage et j’encourage votre gouvernement à faire figure de proue à ce moment déterminant.

Nous exhortons le gouvernement à mettre rapidement en œuvre un plan d’action qui vise à mettre fin au placement en isolement en Ontario et se fonde sur les recommandations suivantes :

  1. S’engager publiquement à éliminer graduellement le placement en isolement en Ontario
  1. Continuer la mise en application de l’ordonnance Jahn, ce qui comprend la résolution de toute préoccupation abordée dans le rapport de l’examinateur indépendant, le juge David Cole, qui sera bientôt déposé
  1. Interdire fermement le placement en isolement des détenus qui :
    1. sont enceintes ou ont récemment accouché
    2. pratiquent l’automutilation de façon chronique ou sont suicidaires
    3. ont un trouble mental ou de développement
    4. ont besoin d’observation médicale
    5. ont une mobilité réduite
  2. Interdire fermement le placement en isolement d’une durée indéfinie en :
    1. imposant une limite de 15 jours pour tous les placements en isolement
    2. imposant des durées d’isolement d’au plus 60 jours cumulatifs dans une année civile
  3. Prendre des mesures immédiates pour assujettir les décisions sur le placement en isolement à un processus d’examen externe indépendant qui inclut un examen judiciaire
  4. Tenir véritablement compte des circonstances uniques des détenus autochtones en :
    1. mettant en œuvre des politiques exigeant la prise en compte des principes Gladue lors de toute décision relative au placement en isolement
    2. veillant à ce que tous les outils d’évaluation du risque assurent une contextualisation appropriée des besoins des détenus autochtones
    3. veillant à ce que les détenus autochtones obtiennent des services qui répondent à leurs besoins culturels, spirituels et linguistiques.

Madame la Ministre, vous avez une occasion unique de rendre nos prisons plus humaines, nos collectivités plus saines et notre système de justice plus équitable. Je vous encourage à faire preuve de leadership audacieux dans ce dossier.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Renu J. Mandhane, B.A., J.D., LL.M.
Commissaire en chef
Commission ontarienne des droits de la personne

c.c. L’honorable Caroline Mulroney, procureure générale de l’Ontario
Sam Erry, sous-ministre de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels
Paul Boniferro, sous-procureur général
Commissaires de la CODP