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Un impact disparate : Deuxième rapport provisoire relatif à l’Enquête de la Commission ontarienne des droits de la personne sur le profilage et la discrimination raciale par le service de police de Toronto

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10 août, 2020

Révisé et corrigé le janvier 2023 

Voir PDF : Un impact disparate : Deuxième rapport provisoire relatif à l’Enquête de la Commission ontarienne des droits de la personne sur le profilage et la discrimination
                raciale par le service de police de Toronto (mise à janvier 2023) 
Voir PDF: Racial disparity in arrests and charges: An analysis of arrest and charge data from the Toronto Police Service

Voir PDF: Use of Force by the Toronto Police Service report (updated January 2023)

Voir PDF: Independent Expert Review by Dr.Jung (December 2022)

Déclaration de la commissaire en chef intérimaire de la CODP, Ena Chadha 

 

Table des matières

Résumé
Un impact disparate – Contexte
Disparité raciale dans les interpellations et les accusations : analyse des données sur les interpellations et les accusations transmises par le service de police de Toronto
Rapport sur le recours à la force par le service de  police de Toronto
Prochaines étapes et conclusion

Résumé

Les personnes noires sont plus susceptibles d’être arrêtées par la police de Toronto.

Les personnes noires sont plus susceptibles d’être inculpées et de faire l’objet d’accusations excessives par la police de Toronto.

Les personnes noires sont plus susceptibles d’être frappées, abattues ou tuées par la police de Toronto.

Les données du service de police de Toronto, obtenues par la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) dans le cadre de son enquête sur la discrimination raciale et le profilage racial effectués par le service de police de Toronto (SPT) à l’endroit des personnes noires, confirment ce dont les communautés noires nous ont fait part, à savoir qu’elles pâtissent de pratiques policières relevant du racisme systémique et de préjugés raciaux anti-Noirs[1].

Les données du SPT allant de 2013 à 2017, recueillies et analysées par une équipe d’experts, témoignent des nombreuses accusations et interventions policières excessives à l’égard des communautés noires, telles que le dépôt d’accusations discrétionnaires de faible gravité et le recours à la force par des agents de police, avec toutes les conséquences négatives et préjudiciables que cela implique sur le plan physique et émotionnel.

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1) Les personnes noires sont largement surreprésentées dans les statistiques sur les accusations discrétionnaires de faible gravité et elles sont plus susceptibles que les personnes blanches d’encourir des accusations ayant peu de chances d’aboutir à une condamnation.

  • Le taux d’accusations visant les personnes noires était 3,9 fois plus élevé que pour les personnes blanches et 7,1 fois plus élevé que pour les personnes issues d’autres groupes racialisés.
  • Bien qu’elles ne représentent que 8,8 % de la population de Toronto d’après les données du Recensement de 2016, les personnes noires représentaient 42,5 % des personnes accusées d’entrave à la justice. Ainsi, proportionnellement à leur représentation dans la population, elles étaient 4,8 fois plus susceptibles d’être accusées d’entrave à la justice. À l’inverse, les personnes blanches et les personnes issues d’autres groupes racialisés étaient sous-représentées.
  • Les personnes noires représentaient 35,2 % des personnes accusées d’infractions de la route « hors de vue » (telles que l’absence d’assurance valide); ce type d’infractions survient une fois que l’interpellation a commencé, ce qui conduit à penser que celle-ci est due à d’autres motifs.
  • Les personnes noires représentaient 37,6 % des personnes accusées de possession de cannabis et étaient 4,3 fois plus susceptibles de faire l’objet de telles accusations, et ce, alors même que les taux de condamnation et de nombreuses études démontrent que les personnes noires consomment du cannabis à peu près dans les mêmes proportions que les personnes blanches.
  • Bien qu’elles fassent l’objet d’accusations à un taux disproportionnellement élevé, les personnes noires étaient surreprésentées dans les statistiques sur les accusations retirées et elles étaient moins susceptibles d’être condamnées que les personnes blanches.

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2) Les personnes noires sont considérablement surreprésentées dans tous les cas de recours à la force impliquant la police de Toronto :

  • Comme indiqué dans le rapport Un impact collectif, les personnes noires étaient nettement surreprésentées dans les enquêtes de l’Unité des enquêtes spéciales (UES) sur des blessures graves, des décès ou des allégations d’agression sexuelle par rapport à leur représentation dans l’ensemble de la population. Les données de l’UES montrent que les personnes noires étaient surreprésentées dans les cas de recours à la force (28,8 %), les fusillades (36 %), les interactions mortelles (61,5 %) et les décès causés par des coups de feu tirés par la police (70 %).
  • Les personnes noires étaient largement surreprésentées dans les cas de recours à la force de faible intensité qui ont entraîné des blessures physiques (telles que des ecchymoses et des lacérations), sans atteindre toutefois le niveau du seuil de « blessures graves » fixé par l’UES.
  • Le taux de recours à la force de faible intensité à l’égard des personnes noires était cinq fois plus élevé que pour les personnes blanches et 11 fois plus élevé que pour les autres personnes racialisées.
  • Les personnes noires étaient plus susceptibles de subir des cas de recours à la force dans le cadre d’une intervention policière proactive (par exemple, lorsqu’un agent décide d’interpeller et d’interroger une personne) que dans le cadre d’une intervention réactive (par exemple, lorsque la police répond à un appel à l’aide). En revanche, les personnes blanches étaient plus susceptibles d’être visées par un recours à la force dans le cadre d’une intervention policière réactive.
  • La surreprésentation importante des personnes noires dans les statistiques sur les enquêtes de l’UES et leur nette surreprésentation dans les cas de recours à la force de faible intensité ne peuvent s’expliquer par des facteurs tels que les zones de patrouille dans les quartiers à faible et à forte criminalité, les taux de criminalité violente ou le revenu moyen. Leur surreprésentation est restée constante et considérable, même après prise en compte de ces facteurs, ce qui tend à montrer que la race constitue un paramètre plus pertinent pour prédire le recours à la force par la police.

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Un impact disparate – Contexte

En novembre 2017, la CODP a lancé une enquête publique sur la discrimination raciale et le profilage racial effectués par le service de police de Toronto (SPT) à l’endroit des personnes noires, afin de contribuer à instaurer la confiance entre la police et les communautés noires. L’enquête avait pour but de déterminer les points problématiques et de formuler des recommandations.

Le 10 décembre 2018, la CODP a publié son premier rapport provisoire, Un impact collectif, qui présente les conclusions tirées par Scot Wortley à partir des données obtenues auprès de l’Unité des enquêtes spéciales (UES).

Depuis, Scot Wortley et ses collègues Ayobami Laniyonu, Maria Jung et Erick Laming (l’équipe de recherche) ont terminé leur analyse des données du SPT liées aux accusations, aux arrestations, aux remises en liberté et aux cas de recours à la force. Les rapports Disparité raciale dans les interpellations et les accusations et Recours à la force par le service de police de Toronto mettent en lumière les disparités raciales courantes dans les pratiques du SPT en matière de mise en accusation, d’interpellation et de recours à la force.

L’équipe de recherche s’est également penchée sur les explications théoriques de ces disparités, telles que l’existence d’un racisme systémique ou de préjugés raciaux anti-Noirs. Elle a formulé des recommandations tendant à réduire la surreprésentation des personnes noires dans les statistiques sur les accusations, les interpellations et le recours à la force par la police. Pour mieux comprendre la nature des interactions entre le SPT et les communautés noires, il convient de lire les rapports accompagnant le présent résumé avec le rapport Un impact collectif.

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Disparité raciale dans les interpellations et les accusations : analyse des données sur les interpellations et les accusations transmises par le service de police de Toronto

Le pouvoir de porter des accusations peut avoir de graves répercussions sur la vie de la personne visée. Les personnes qui ont été accusées d’une infraction mais qui n’ont pas été reconnues coupables ont parfois été en placées en détention provisoire en prison et peuvent ainsi avoir un dossier de non-condamnation. Compte tenu de son importance, le pouvoir de porter des accusations doit être exercé équitablement et dans le respect du Code criminel, de la Charte des droits et libertés et de la législation sur les droits de la personne. Toutefois, les données examinées dans Disparité raciale dans les interpellations et les accusations indiquent que les personnes noires tendent nettement plus souvent à faire l’objet d’accusations par la police, avec toutes les conséquences que cela peut impliquer. Une telle situation soulève de graves interrogations quant à l’équité et à la légitimité des pratiques du SPT en matière de mise en accusation et d’arrestation.

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Méthodologie et données

Les chercheurs indiquent depuis longtemps que les disparités raciales sont plus susceptibles de se produire lorsque les agents de police jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire pour porter une accusation. Les agents ont généralement plus de latitude pour porter des accusations à l’égard d’affaires de plus faible gravité. Par exemple, un agent n’a probablement pas d’autre choix que d’inculper une personne pour une infraction liée aux armes à feu. En revanche, un agent en patrouille qui voit deux adolescents consommer une drogue illégale dans un parc a plusieurs options à sa disposition :

  1. il peut ignorer la violation et poursuivre son chemin
  2. il peut s’approcher des jeunes et leur demander de cesser la violation constatée
  3. il peut donner formellement un avertissement ou une mise en garde
  4. il peut arrêter les adolescents et recommander une déjudiciarisation avant la mise en accusation
  5. il peut porter une accusation criminelle.

Dans Disparité raciale dans les interpellations et les accusations, l’équipe de recherche a cherché à déterminer comment la race peut influer sur les décisions d’interpellation et de mise en accusation. Sur la base de précédentes études et de consultations auprès des communautés noires et du barreau pénal, l’équipe s’est concentrée sur neuf infractions pour lesquels les agents de police sont susceptibles d’exercer leur pouvoir discrétionnaire :

  1. non-respect d’une condition, d’une promesse ou d’un engagement
  2. entrave à la justice
  3. voie de fait contre un agent
  4. menaces à l’endroit de la police
  5. possession de cannabis
  6. possession d’autres stupéfiants (autres que le cannabis)
  7. infractions de la route « hors de vue » (conduite sans permis valide, conduite sans assurance valide, conduite sous le coup d’une suspension, etc.)
  8. entrave à l’ordre public
  9. intrusion.

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Résultats

Dans les données de 2013 à 2017, les personnes noires étaient largement surreprésentées dans toutes les catégories d’accusations examinées, et elles étaient nettement plus susceptibles que les personnes blanches d’être interpellées et inculpées. En effet, les personnes noires ne représentaient que 8,8 % de la population de Toronto, mais 32,4 % des personnes ayant fait l’objet d’une accusation. Ce taux était 3,9 fois plus élevé que chez les personnes blanches et 7,1 fois plus élevé que chez les personnes issues d’autres groupes racialisés.

Cette surreprésentation était particulièrement marquée dans le cas des accusations d’entrave à la justice, de possession de cannabis et d’infractions de la route « hors de vue ».

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  a.Entrave à la justice

Au cours de la période à l’étude, les personnes noires étaient largement surreprésentées dans les statistiques sur les accusations d’entrave à la justice. En effet, elles ne représentaient que 8,8 % de la population de Toronto, mais 42,5 % des personnes accusées d’entrave à la justice. Ainsi, proportionnellement à leur représentation dans la population, elles étaient 4,8 fois plus susceptibles d’être accusées d’entrave à la justice. À l’inverse, les personnes blanches et les personnes issues d’autres groupes racialisés étaient sous-représentées.

Ce constat suscite des préoccupations quant à l’existence d’un racisme systémique ou de préjugés raciaux anti-Noirs, étant donné le caractère hautement discrétionnaire des accusations d’entrave à la justice.

  b.Possession de cannabis et de stupéfiants

Les personnes noires étaient largement surreprésentées dans les statistiques sur les accusations de possession de cannabis et d’« autres » stupéfiants. En effet, elles ne représentaient que 8,8 % de la population de Toronto, mais 37,6 % des personnes accusées de possession de cannabis. Elles représentaient également 28,5 % des personnes faisant l’objet d’une accusation pour possession de stupéfiants (hors cannabis). Ainsi, proportionnellement à leur représentation dans la population, elles étaient 4,3 fois plus susceptibles d’être accusées de possession de cannabis, et 3,2 fois plus susceptibles d’être accusées de possession d’« autres » stupéfiants, et ce, alors même que les taux de condamnation et de nombreuses études démontrent que les personnes noires consomment du cannabis à peu près dans les mêmes proportions que les personnes blanches et qu’elles ne recourent pas à d’autres types de stupéfiants aussi souvent que d’autres groupes raciaux.

Ces résultats corroborent de précédentes études et soulèvent des préoccupations quant à l’existence d’un racisme systémique ou de préjugés raciaux anti-Noirs, car la surreprésentation des personnes noires dans les statistiques sur les accusations de possession de stupéfiants ne correspond pas à la consommation avérée de drogue au sein des communautés noires.

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  c.Infractions de la route « hors de vue »

Les personnes noires étaient largement surreprésentées dans les statistiques sur les accusations relatives aux infractions de la route « hors de vue », c’est-à-dire qui interviennent uniquement lorsqu’un agent décide de vérifier la plaque d’immatriculation ou d’arrêter le véhicule. En effet, les personnes noires ne représentaient que 8,8 % de la population de Toronto, mais 42,5 % des personnes accusées d’avoir commis de telles infractions. Ainsi, proportionnellement à leur représentation dans la population, elles étaient quatre fois plus susceptibles d’être accusées d’une infraction de la route « hors de vue », tandis que les personnes blanches et les personnes issues d’autres groupes racialisés étaient sous-représentées dans ces statistiques.

Ces chiffres disproportionnés suscitent des préoccupations quant à l’existence d’un racisme systémique ou de préjugés raciaux anti-Noirs. Par nature, les infractions de la route « hors de vue » découlent généralement de pratiques policières proactives, dans la mesure où l’agent choisit à sa discrétion de vérifier la plaque d’immatriculation d’un véhicule ou d’interpeller un conducteur avant de savoir que ce dernier peut avoir commis une infraction. Dans bien des cas, l’agent a décidé d’interpeller le conducteur après avoir déterminé sa race.

Incidence du sexe

Les hommes noirs étaient particulièrement surreprésentés dans les données sur les mises en accusation et les interpellations. Bien qu’ils ne représentent que 4 % de la population de Toronto, ils étaient mis en cause dans près du tiers (29,1 %) des dossiers d’accusation. Le taux d’accusations visant les hommes noirs était 4,5 fois plus élevé que pour les hommes blancs et 7,5 fois plus élevé que pour les hommes issus d’autres groupes racialisés.

Les femmes noires étaient elles aussi surreprésentées dans les statistiques sur les mises en accusation, quoique dans une moindre mesure que leurs homologues masculins. Le taux d’accusations visant les femmes noires était 2,4 fois plus élevé que pour les femmes blanches et 6,2 fois plus élevé que pour les femmes issues d’autres groupes racialisés. À cet égard, les disparités entre les femmes noires et les femmes blanches étaient particulièrement marquées pour les accusations relatives à des infractions de la route « hors de vue », à l’entrave à la justice et à l’entrave à l’ordre public. Les femmes noires étaient 4,8 fois plus susceptibles d’être accusées d’infractions de la route « hors de vue », 4,1 fois plus susceptibles d’être accusées d’entrave à la justice et quatre fois plus susceptibles d’être accusées d’entrave à l’ordre public.

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  d.Résolution des affaires

Bien qu’elles fassent l’objet d’accusations à un taux disproportionnellement élevé, les personnes noires étaient moins susceptibles d’être condamnées que les personnes blanches. L’équipe de recherche est d’avis que ce constat vient étayer l’argument selon lequel, en raison de préjugés raciaux, les personnes noires courent davantage le risque d’encourir des accusations de faible gravité et peu susceptibles d’aboutir à une condamnation. Cette conclusion mine également l’idée que les personnes noires sont plus souvent inculpées parce qu’elles seraient plus enclines à commettre des actes illégaux passibles de condamnation.

Enfin, les données analysées confirment que les personnes noires étaient surreprésentées dans les accusations ayant été retirées. Ce constat vient infirmer davantage l’idée selon laquelle le plus grand nombre d’accusations portées à leur encontre s’explique par leur plus grande propension à commettre des actes illégaux. Les données indiquent plutôt que les personnes noires ont régulièrement fait l’objet d’accusations peu susceptibles d’aboutir à une condamnation. En fait, près de la moitié de toutes les accusations analysées dans l’ensemble de données (49,7 %), sans égard à la question de la race, ont été retirées et 5,7 % ont été rejetées ou suspendues. Seulement 20,2 % des accusations étudiées ont donné lieu à une condamnation.

Il ne nous appartient pas, dans le cadre du présent rapport, de déterminer si ces résultats tiennent à des situations d’accusation excessive ou à d’autres facteurs propres au système de justice pénale. Néanmoins, il est évident que les personnes noires pâtissent de manière disproportionnée de ces pratiques de mise en accusation, ce qui laisse craindre l’existence d’une discrimination systémique.

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Rapport sur le recours à la force par le service de police de Toronto

Le Rapport sur le recours à la force est l’une des premières études canadiennes à examiner l’intersection entre la race et le recours à la force par la police au moyen de données ventilées selon la race. L’équipe de recherche a examiné les données sur les incidents ayant donné lieu à des blessures graves ou à un décès (seuil retenu pour déterminer si l’UES mènera une enquête), ainsi que les données sur les incidents de recours à la force de faible intensité dans les cas où l’UES n’a pas été appelée à intervenir.

Enquêtes de l’UES

Dans Un impact collectif, Scot Wortley a conclu que les personnes noires étaient nettement surreprésentées dans les enquêtes de l’UES. Elles étaient, en effet, plus susceptibles d’être concernées par des enquêtes sur le recours à la force par la police ayant entraîné des blessures graves, la mort ou des agressions sexuelles présumées. Elles étaient également surreprésentées dans les enquêtes de l’UES sur le recours à la force par la police.

Entre 2013 et 2017, une personne noire à Toronto était 20 fois plus susceptible qu’une personne blanche d’être abattue par le SPT. Bien qu’elles ne représentent que 8,8 % de la population de Toronto, les personnes noires étaient surreprésentées dans les enquêtes menées par l’UES sur les cas de recours à la force (28,8 %), les fusillades (36 %), les cas de recours à la force ayant entraîné la mort de civils (61,5 %) et les décès causés par des coups de feu tirés par la police (70 %). Les hommes noirs, qui représentent 4 % de la population de Toronto, étaient pourtant les plaignants dans un quart des cas d’allégation d’agression sexuelle par des agents du SPT dont l’UES était saisie.

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Autres facteurs susceptibles d’influer sur le recours à la force

Après la publication du rapport Un impact collectif, l’équipe de recherche a procédé à une analyse plus approfondie des données de l’UES et constaté que les enquêtes ouvertes par l’UES concernant des personnes noires étaient plus souvent dues à des activités policières proactives que réactives. Ainsi, plus d’un quart des cas concernant des personnes noires découlaient d’interpellations proactives, contre seulement 11,1 % pour les cas concernant des personnes blanches.

L’équipe de recherche a également mené une analyse plus poussée pour évaluer si d’autres facteurs souvent invoqués pouvaient expliquer les grandes disparités raciales ressortant des données. En plus des taux de criminalité des quartiers, l’équipe a recensé plusieurs facteurs susceptibles d’entrer en jeu lorsqu’un agent choisit de recourir à la force, tels que les caractéristiques des civils (âge, sexe, etc.) et les facteurs conjoncturels (milieu communautaire, comportement des civils, maladie mentale, affaiblissement de la faculté, présence d’une arme, etc.).

Néanmoins, l’équipe de recherche a déterminé, à l’issue d’une analyse minutieuse, que ces facteurs ne pouvaient pas expliquer la nette surreprésentation des personnes noires dans les enquêtes de l’UES et les décès causés par des coups de feu. En effet, leur surreprésentation demeurait considérable après la prise en compte de tous ces autres facteurs.

En fin de compte, la race d’une personne demeure un indicateur important pour prédire le recours à la force par un agent. Cette analyse contredit plusieurs des arguments, en apparence neutres, qui sont fréquemment avancés pour expliquer, autrement que par la discrimination, la surreprésentation des personnes noires dans ces statistiques.

Par exemple, on entend fréquemment que les personnes noires sont plus exposées à des incidents d’usage de la force policière, car elles vivent plus souvent dans des zones de patrouille où les taux de criminalité sont plus élevés. L’équipe de recherche a posé l’hypothèse selon laquelle le niveau de criminalité dans la collectivité pourrait être un indicateur utile pour prédire le recours à la force par la police, puis s’est penchée sur les zones de patrouille de Toronto. Près de 40 % des enquêtes sur les cas de recours à la force ont eu lieu dans des quartiers à forte criminalité, ce qui semble indiquer une corrélation entre la criminalité dans la collectivité et le nombre d’enquêtes de l’UES sur les cas de recours à la force.

Toutefois, en examinant l’intersection entre le facteur de la race et les zones de patrouille, l’équipe de recherche a constaté que les personnes noires étaient surreprésentées dans les cas de recours à la force par la police aussi bien dans les zones de patrouille affichant un taux de criminalité élevé que dans celles caractérisées par un taux de criminalité faible. À la lumière de ces données, les taux de criminalité dans les zones de patrouille ne peuvent pas expliquer la surreprésentation.

L’équipe a également analysé d’autres facteurs qui pourraient, selon certains, avoir une influence sur le recours à la force, tels que la possession d’une arme par la personne, l’existence de troubles mentaux ou d’une autre déficience psychologique, le comportement de la personne envers la police au moment de l’incident, ainsi que les antécédents criminels. Toutefois, là encore, l’équipe de recherche a constaté que ces facteurs n’expliquaient pas la surreprésentation des personnes noires dans les statistiques sur le recours à la force.

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Recours à la force de faible intensité

Les dossiers de l’UES ne représentent qu’un faible pourcentage des cas de recours à la force par la police. De nombreuses formes graves de recours à la force sont en deçà du seuil de l’UES, qui porte sur la nature de la blessure physique d’une personne (par exemple, les fractures atteignent le seuil, mais ce n’est pas forcément le cas des ecchymoses ni des lacérations graves). Les cas de recours à la force de faible intensité peuvent eux aussi avoir d’importantes répercussions physiques et émotionnelles négatives sur la personne visée.

Comme il est indiqué en détail dans le Rapport sur le recours à la force, la démarche qu’a dû suivre la CODP et l’équipe de recherche pour identifier et coder chaque cas de recours à la force de faible intensité consistait à compiler, rapprocher et extraire des renseignements issus de trois rapports distincts du SPT, qui contenaient chacun des données différentes : le rapport sur les blessures (RB), le rapport sur le recours à la force (RRF) et le rapport général d’incident (RGI). Le RGI est le seul document à contenir des renseignements sur la race.

Il a fallu manuellement trouver des RB mentionnant clairement un incident de recours à la force par la police au cours de l’interaction, puis rechercher les RRF correspondants. Les RB ont ainsi été associés à des RRF, certains restant toutefois orphelins, puis ont été reliés à un RGI correspondant. Une fois ce travail de rapprochement terminé, tous les rapports ont été regroupés dans une base de données unique qui a permis de recueillir et d’analyser les renseignements issus des trois rapports.

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Résultats

L’équipe de recherche a constaté qu’entre 2016 et 2017, les personnes noires étaient largement surreprésentées dans les cas de recours à la force de faible intensité, encore plus que dans les incidents ayant donné lieu à une enquête de l’UES. Ainsi, 38,9 % des cas de recours à la force de faible intensité concernaient des personnes noires. En revanche, les personnes blanches et les personnes issues d’autres groupes racialisés étaient sous-représentées dans les statistiques sur ces incidents.

Les hommes noirs étaient particulièrement surreprésentés, à hauteur de 34,5 % de tous les cas de recours à la force de faible intensité. Bien que les femmes noires soient sous-représentées dans les statistiques à l’étude, le taux de recours à la force de faible intensité visant les femmes noires était 3,6 fois plus élevé que pour les femmes blanches et 25 fois plus élevé que pour les femmes issues d’autres groupes racialisés.

Les personnes noires étaient largement surreprésentées dans presque toutes les catégories de recours à la force, notamment dans les incidents impliquant l’utilisation d’une arme à feu, la vaporisation de gaz poivré, l’usage de coups par la police, le placage au sol, le recours à des pistolets à impulsion électrique (Taser) et les chiens policiers.

Alors même qu’elles ne représentent que 8,8 % de la population de Toronto, les personnes noires représentaient :

  • 32,2 % des cas impliquant l’utilisation d’armes à feu par la police
  • 36 % des cas impliquant l’utilisation de gaz poivré par la police
  • 36,7 % des cas impliquant l’usage de coups par la police
  • 41,1 % des cas impliquant le placage au sol ou d’autres mesures de contrainte par la police
  • 45,5 % des cas impliquant l’utilisation de pistolets Taser par la police
  • 57,1 % des cas impliquant des chiens policiers.

De plus, proportionnellement à leur représentation dans la population en général, les personnes noires étaient, à la suite d’un cas de recours à la force par la police :

  • 2,7 fois plus susceptibles de souffrir d’une fracture
  • 3,8 fois plus susceptibles de souffrir de blessures causées par le gaz poivré
  • 4,2 fois plus susceptibles d’avoir des éraflures ou des égratignures
  • 4,4 fois plus susceptibles de subir un traumatisme crânien
  • 4,6 fois plus susceptibles de souffrir de douleurs corporelles ou de lésions aux tissus mous
  • 4,7 fois plus susceptibles de subir des coupures ou des lacérations
  • 4,7 fois plus susceptibles de souffrir de blessures causées par des décharges de pistolets Taser
  • 6,6 fois plus susceptibles de souffrir de douleurs à la poitrine.

Il est important de souligner que, d’après les données, les personnes noires étaient largement surreprésentées aussi bien dans les interactions réactives que dans les interactions proactives avec la police, comme c’est aussi le cas dans les statistiques sur les enquêtes de l’UES, mais que, dans les statistiques sur les incidents de recours à la force de faible intensité, elles étaient davantage surreprésentées dans les cas liés à des pratiques policières proactives (comme les contrôles routiers) que dans les interventions policières réactives. En revanche, les données montrent que 60,7 % des cas de recours à la force de faible intensité visant les personnes blanches découlent d’un appel de service (qui constitue une intervention policière réactive), contre seulement 48,3 % pour les cas concernant les personnes noires.

La nette surreprésentation des personnes noires dans les cas de recours à la force de faible intensité suscite des préoccupations quant à l’existence d’un racisme systémique ou de préjugés raciaux anti-Noirs.

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Autres facteurs d’explication

L’équipe de recherche a examiné plusieurs idées reçues susceptibles d’expliquer la surreprésentation des personnes noires sans invoquer la discrimination. Citons, par exemple, l’idée selon laquelle cette situation tient au fait que les personnes noires habitent dans des zones de patrouille à forte criminalité. En fait, même en tenant compte de facteurs comme le taux de criminalité des zones de patrouille, le revenu moyen et le pourcentage de ménages dirigés par une mère seule, l’équipe de recherche a constaté que les personnes noires étaient toujours largement surreprésentées dans les cas graves et de faible intensité de recours à la force.

Malgré la prise en compte de ces autres facteurs, les personnes noires couraient relativement un risque bien plus important de subir des incidents graves et de faible intensité de recours à la force policière que les personnes blanches. À titre d’exemple, par rapport à leur proportion dans la population d’une zone de patrouille donnée, les personnes noires étaient 4,9 fois plus susceptibles d’être l’objet d’usage de force que les personnes blanches. Pour leur part, les personnes appartenant à d’autres groupes racialisés étaient 0,6 fois (ou 40 %) moins susceptibles d’en faire l’objet que les personnes blanches.[2]  

Bien que la zone de patrouille, le taux de criminalité violente et le revenu médian des ménages puissent prédire la probabilité de subir des cas de force policière, ils ne peuvent expliquer la surreprésentation des personnes noires dans ces statistiques. D’après l’équipe de recherche, « les données indiquent que, pour prédire le recours à la force par la police, la race demeure un fort indicateur en tenant compte du taux de criminalité et du revenu médian des ménages ». 

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Prochaines étapes et conclusion

La CODP et l’équipe de recherche poursuivront leurs travaux dans le cadre de l’enquête. Les prochaines étapes consistent à établir un rapport final, qui inclura les résultats des entrevues menées auprès des membres de la communauté et de la police, une analyse des procédures policières, ainsi qu’un examen des mesures et des pratiques de responsabilisation. Le rapport comprendra également une série de recommandations adressées aux intervenants du milieu policier pour lutter contre la discrimination raciale.

L’attention actuelle sur les méthodes policières à l’égard des personnes noires met principalement en avant les fusillades policières. Un impact collectif, le premier rapport provisoire relatif à l’enquête de la CODP sur la discrimination raciale et le profilage racial effectués par le SPT à l’endroit des personnes noires, publié en décembre 2018, démontre de manière irréfutable que les personnes noires courent plus de risques d’être abattues par la police de Toronto que les personnes blanches ou les personnes issues d’autres groupes racialisés.

Un impact disparate montre que les personnes noires, et notamment les hommes noirs, sont encore plus susceptibles de faire l’objet d’interpellations proactives, d’être inculpées et d’être victimes d’incidents de recours à la force dans un large éventail d’interactions policières. Ce constat ajoute une dimension importante aux discussions actuelles et reflète le racisme quotidien auquel doivent faire face les communautés noires. Ces rapports et les conclusions afférentes donnent un poids considérable aux nombreux appels lancés en faveur d’une réforme systémique des services policiers.

Les rapports Un impact collectif et Un impact disparate prouvent sans l’ombre d’un doute qu’il n’y a plus lieu de débattre de l’existence ou non d’un racisme systémique ou de préjugés raciaux anti-Noirs au sein du service de police de Toronto. Il est temps de prendre des mesures concrètes pour faire évoluer les institutions et les systèmes de maintien de l’ordre et les tenir comptables des disparités raciales constatées dans ces deux rapports.

La Commission de services policiers de Toronto (CSPT), le SPT, la Ville de Toronto et le gouvernement de l’Ontario doivent prendre sans délai des mesures audacieuses pour lutter contre le racisme systémique et anti-Noirs dans le secteur du maintien de l’ordre et pour respecter et protéger la vie des personnes noires. Dans le cadre des travaux menés pour réinventer les services de maintien de l’ordre au moyen d’un nouvel ensemble de modèles de financement, de politiques, de procédures et de règlements, il est impérieux de tenir pleinement compte du vécu des personnes noires.

La CODP demande au SPT, à la CSPT et à la Ville de Toronto d’instaurer officiellement, en collaboration avec les communautés et organisations noires et la CODP, un processus permettant d’adopter des recours juridiquement contraignants qui changeront radicalement les pratiques et la culture dans le secteur du maintien de l’ordre, et de combattre et d’éliminer le racisme systémique et les préjugés raciaux anti-Noirs dans les services policiers.

La CODP demande au gouvernement de l’Ontario d’établir un cadre législatif et réglementaire destiné à lutter directement contre le racisme systémique et les préjugés raciaux anti-Noirs dans le secteur du maintien de l’ordre. La législation provinciale doit exiger que tous les services de police de l’Ontario s’attachent, entre autres, à recueillir et à analyser des données fondées sur la race dans tout l’éventail des activités policières, ainsi qu’à établir des processus de responsabilisation transparents et efficaces afin que les agents se livrant à des actes de profilage ou de discrimination raciale fassent l’objet de mesures disciplinaires.

 

[1] Les rapports ont été établis par Scot Wortley et son équipe de recherche. Le présent résumé a été élaboré par la CODP.

[2]  Ce paragraphe a été modifié par rapport à la version précédente.

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