Politique sur le dépistage des drogues et de l’alcool 2016

Version révisée approuvée par la CODP : Le 27 septembre 2000, 2009, 2016
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Sommaire

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) reconnaît qu’il est légitime pour les employeurs de vouloir assurer la sécurité en milieu de travail. De nombreux facteurs dont la fatigue, le stress, les distractions et les risques en milieu de travail peuvent miner la sécurité au travail. Pour composer avec les questions de sécurité que soulève la consommation d’alcool et d’autres drogues, certains employeurs procèdent à l’administration de tests de dépistage des drogues et de l’alcool. Or, ces tests ont des conséquences particulières sur le plan des droits des personnes ayant des dépendances. La dépendance à l’alcool ou aux drogues est considérée comme un « handicap » aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario (Code). Le Code interdit la discrimination à l’endroit de personnes en raison d’un handicap, réel ou perçu, dans des domaines sociaux comme l’emploi, les services et le logement.

Les politiques et programmes de dépistage des drogues et de l’alcool peuvent s’avérer discriminatoires dans le contexte de la dépendance ou de la perception de dépendance. Ils soulèvent des questions de droits de la personne si un résultat positif entraîne des conséquences négatives pour une personne en raison d’une dépendance ou de la perception d’une dépendance, comme l’adoption de mesures disciplinaires automatiques, l’imposition d’exigences de travail rigides, le refus de tenir compte des besoins jusqu’au point de préjudice injustifié ou le non-respect de la dignité et de la vie privée durant le processus de dépistage.

L’adoption de politiques et de programmes de dépistage des drogues et de l’alcool qui s’avèrent discriminatoires au motif de la dépendance ou de la perception d’une dépendance peut être justifiée si l’employeur peut démontrer que ses mesures de dépistage constituent une exigence légitime du poste. Cependant, les employeurs devraient adopter une approche proactive en ce qui concerne le dépistage des drogues et de l’alcool. Lorsque de telles politiques sont nécessaires pour assurer la sécurité, les employeurs devraient les élaborer de façon à éviter toute répercussion discriminatoire possible. Conformément au critère de détermination de la légitimité d’une exigence établi par la Cour suprême du Canada, les politiques des employeurs devraient :

  1. être adoptées à des fins qui sont logiquement liées à l’exécution des fonctions du poste
  2. être adoptées en croyant sincèrement qu’elles sont nécessaires pour réaliser ce but légitime lié au travail
  3. être raisonnablement nécessaires pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour en démontrer la nécessité, l’employeur doit démontrer qu’il est impossible de procéder à l’accommodement de la personne sans que cela ne lui cause de préjudice injustifié.

Le dépistage des drogues et de l’alcool devrait avoir pour objectif principal de mesurer l’affaiblissement des facultés et non de décourager la consommation d’alcool ou de drogues, ou de surveiller les valeurs morales des employés. Même l’administration de tests de dépistage qui mesurent le degré d’affaiblissement des facultés peut uniquement être jugée légitime si ces tests ont un rapport démontrable avec l’exécution des fonctions du poste (par exemple si un employé occupe un poste critique pour la sécurité, à la suite d’un accident ou d’un « quasi-accident » important) et s’ils sont effectués dans le cadre d’une évaluation plus large de la dépendance à l’alcool et aux drogues. En s’en tenant à l’administration – au personnel occupant des postes critiques pour la sécurité – de tests dont l’objectif est de mesurer l’affaiblissement des facultés, on peut atteindre un juste équilibre entre le respect des droits de la personne et les exigences en matière de sécurité, tant pour les employés que les membres du public.

En cas d’obtention de résultat positif, les employeurs devraient offrir un processus d’évaluation individuelle de la dépendance à l’alcool ou aux drogues et doivent tenir compte des besoins des employés jusqu’au point de préjudice injustifié. Si les employeurs ou les politiques de dépistage des drogues et de l’alcool traitent les usagers occasionnels comme des personnes ayant une dépendance et imposent des conséquences sur cette base, il peut s’agir de discrimination à première vue au motif de la « perception d’un handicap ».

Toute politique relative au dépistage des drogues et de l’alcool qui respecte les droits de la personne et peut être justifiable aux termes du Code : 

  • repose sur un lien rationnel entre l’objectif du dépistage (minimiser le risque d’affaiblissement des facultés pour assurer la sécurité) et l’exécution des fonctions du poste
  • montre que le dépistage est nécessaire pour assurer la sécurité au travail
  • est adoptée après qu’on a envisagé des méthodes moins intrusives de détection de l’affaiblissement des facultés et d’amélioration de la sécurité en milieu de travail
  • est mise en œuvre dans des circonstances limitées seulement, lorsqu’il y a un motif valable, à la suite d’un incident ou en cas de réintégration de poste
  • n’applique pas des conséquences automatiques à l’obtention d’un résultat positif
  • ne confond pas la consommation d’alcool ou de drogues et la dépendance à l’alcool ou aux drogues
  • s’inscrit dans le cadre d’une évaluation plus vaste de la dépendance à l’alcool  ou aux drogues (p. ex. programmes d’aide aux employés, programmes de sensibilisation aux drogues et évaluation médicale plus complète menée par un professionnel ayant de l’expertise dans le domaine de l’alcool et des drogues ou un médecin disposant d’une méthode de vérification de la présence de handicap)
  • prévoit des mesures d’adaptation individualisées pour les personnes qui ont une dépendance et obtiennent un résultat positif, jusqu’au point de préjudice injustifié
  • emploie des méthodes peu intrusives et à grande précision, qui sont capables de mesurer l’affaiblissement actuel des facultés et procurent des résultats rapides
  • emploie des méthodes d’analyse réputées
  • respecte la confidentialité des renseignements médicaux et la dignité de la personne tout au long du processus.
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1. Introduction

Le Code des droits de la personne de l’Ontario (« Code ») reconnaît la dignité et la valeur de toute personne et assure à tous les mêmes droits et les mêmes chances, sans discrimination. Les dispositions du Code visent à créer un climat de compréhension et de respect mutuel de la dignité et de la valeur de toute personne, afin que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à y apporter sa contribution.

Pour composer avec les questions de sécurité que soulève la consommation d’alcool et de drogues, certains employeurs procèdent à l’administration de tests de dépistage des drogues et de l’alcool. La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) reconnaît qu’il est légitime pour les employeurs de vouloir assurer la sécurité en milieu de travail. La Loi sur la santé et la sécurité au travail[1] et d’autres mesures législatives obligent les employeurs, employés et autres parties responsables à prendre certaines mesures en vue d’assurer la sécurité  en milieu de travail. Les employeurs peuvent être tenus criminellement responsables en cas de manquements graves aux règles de sécurité[2]. De nombreux facteurs dont la fatigue, le stress, les distractions et les risques en milieu de travail peuvent miner la sécurité au travail. Pour composer avec les questions de sécurité que soulève la consommation d’alcool et d’autres drogues, certains employeurs procèdent à l’administration de tests de dépistage des drogues et de l’alcool. Le dépistage des drogues et de l’alcool est monnaie courante dans les milieux de travail des États-Unis[3] et gagne en popularité ailleurs dans le monde[4]. Cependant, cette pratique est controversée[5] et a fait l’objet de plusieurs jugements de tribunaux judiciaires, de commissions d’arbitrage du travail et de tribunaux des droits de la personne au cours des dernières années. Certains types de dépistage, comme le dépistage aléatoire, le dépistage des drogues et le dépistage effectué à l’embauche sont particulièrement litigieux.

Le dépistage de l’alcool et des drogues est controversé en ce qu’il oppose d’une part les exigences en milieu de travail et de l’autre les droits de la personne et le droit à la vie privée des employés. Selon l’Organisation internationale du Travail « [l]'analyse des substances organiques pour déceler chez les travailleurs d'éventuels problèmes liés à l'alcool ou aux drogues soulève des questions d'ordre moral, éthique et juridique de grande importance qui exigent que soient déterminées les circonstances dans lesquelles il est juste et approprié d'effectuer ces analyses »[6].

La Cour suprême du Canada a fait remarquer que les employeurs doivent porter une attention particulière à la conciliation des questions de sécurité et de vie privée au moment d’envisager l’adoption de mesures de dépistage des drogues et de l’alcool, et
ce, qu’il s’agisse d’un milieu de travail syndiqué ou non[7]. Quant à l’importance de la vie privée des employés en contexte de dépistage des drogues et de l’alcool, le tribunal a affirmé ce qui suit :  

Peu après l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour a reconnu que « l’utilisation du corps d’une personne, sans son consentement, en vue d’obtenir des renseignements à son sujet, constitue une atteinte à une sphère de la vie privée essentielle au maintien de sa dignité humaine » (R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, par. 431-432). En outre, signalons que, dans l’arrêt R. c. Shoker, 2006 CSC 44, [2006] 2 R.C.S. 399,  la Cour n’a établi aucune distinction entre le prélèvement d’échantillons d’urine, de sang ou d’haleine en vue du dépistage de l’alcool ou des drogues et a conclu : « Le prélèvement d’échantillons de substances corporelles est une mesure très envahissante et, comme notre Cour l’a souvent confirmé, il est assujetti à des normes et à des garanties rigoureuses qui permettent de satisfaire aux exigences de la Constitution » (par. 23)[8].

Le dépistage des drogues et de l’alcool a des conséquences particulières sur le plan des droits de la personne. Aux termes du Code, les personnes qui ont ou ont eu une dépendance à l’alcool ou aux drogues, ou qui sont perçues comme ayant une telle dépendance, sont considérées comme ayant un « handicap »[9] et bénéficient d’une protection contre la discrimination en emploi et dans tous les autres domaines sociaux[10]. Les personnes ayant une dépendance ont droit aux mêmes mesures de protection des droits de la personne que les autres personnes handicapées[11]. Les politiques et programmes de dépistage des drogues et de l’alcool en milieu de travail pourraient s’avérer discriminatoires envers les personnes ayant une dépendance réelle ou perçue, et, dans un tel cas, pourraient être justifiées dans des circonstances limitées seulement.

Il n’est pas nécessairement obligatoire de soumettre des employés qui semblent avoir pris des drogues ou de l’alcool à un test de dépistage. La section 5.2 explique d’autres méthodes pouvant servir à composer avec la situation.

Cette politique peut aider les employeurs, les syndicats et les autres parties responsables à comprendre et à respecter leurs obligations en matière de dépistage des drogues et de l’alcool aux termes du Code. Elle peut être d’une grande utilité aux employeurs qui envisagent de mettre en place des programmes de dépistage des drogues et de l’alcool dans le cadre de leurs politiques plus vastes de santé et de sécurité au  travail.  Les employeurs peuvent aussi se servir de la politique comme complément à leurs politiques relatives à l’alcool et aux drogues, à leur matériel de formation et à leurs politiques de lutte contre la discrimination et le harcèlement. Voir l’Annexe A pour en savoir davantage sur l’objet des politiques de la CODP.


[1] Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, chap. O1.

[2] Aux termes de l’article 217.1 du Code criminel, L.R.C., 1985, chap. C-46, les employeurs doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de leurs employés au travail. Les employeurs qui manquent à cette obligation peuvent être tenus criminellement responsables de négligence (article 22.1).

[3] Par exemple, en 2004, 62 % des entreprises membres de l’American Management Association utilisaient une méthode quelconque de dépistage des drogues illégales. Michael R. Frone, Alcohol and Illicit Drug Use in the Workforce and Workplace, Washington, DC, American Psychological Association, 2013, par. 147.

[4] Organisation internationale du Travail, « Un lieu de travail "propre": le dépistage de la consommation de drogues et d’alcool sur le lieu de travail », Magazine Travail, no 57 (septembre 2006). En ligne : Organisation internationale du Travail www.ilo.org/global/publications/magazines-and-journals/world-of-work-magazine/articles/WCMS_082285/lang--fr/index.htm (consulté le 21 février 2015). Pour obtenir un examen des lois et pratiques relatives au dépistage de l’alcool et des drogues de l’Union européenne, voir Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, Legal status of drug testing in the workplace, En ligne : Observatoire européen des drogues et des toxicomanies www.emcdda.europa.eu/html.cfm/index16901EN.html (consulté le 21 août 2014); voir aussi Anya Pierce, « Regulatory Aspects of Workplace Drug Testing in Europe », Drug Test Anal., vol. 4 (2012), p. 62.

[5] Par exemple, l’efficacité du dépistage de l’alcool et des drogues en milieu de travail fait l’objet de débat. Bien que plusieurs études aient révélé que le dépistage de l’alcool et des drogues réduit les incidents et blessures en milieu de travail, des analyses documentaires ont permis de repérer de nombreuses erreurs de méthodologie dans ces études, dont l’existence de variables non contrôlées pouvant expliquer les résultats. Cela a amené certains chercheurs à conclure qu’il existe peu de preuve à l’appui d’une réduction des incidents et blessures au travail attribuable au dépistage de l’alcool et des drogues. Ken Pidd et Ann Roche, « How effective is Drug Testing as a Workplace Safety Strategy? A Systematic Review of the Evidence », Accident Analysis and Prevention, vol. 71 (2014), p. 154; Frone, supra, note 3; Scott Macdonald et coll., « Testing for Cannabis in the Work-place: A Review of the Evidence », Addiction, vol. 105 (2010), p. 408. Parmi les études puissantes nommées par les chercheurs figure J.E. Brady et coll., « Effectiveness of Mandatory Alcohol Testing Programs in Reducing Alcohol Involvement in Fatal Motor Carrier Crashes », Am. J. Epidemiol., vol. 170, no 6 (2009), p. 775, selon laquelle les programmes de dépistage de l’alcool avaient un effet considérable sur le taux d’accidents de camionneurs.

[6] Organisation internationale du Travail, Prise en charge des questions d’alcoolisme et de  toxicomanie sur le lieu de travailcode de pratique de l’OIT (Genève, Bureau international du travail, 1996), par. 16.

[7] Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, aux par. 19-20, [2013] 2 R.C.S. 458 [« Irving »].

[8] Ibid., au par. 50.

[9] Dans l’affaire Entrop v Imperial Oil 50 OR (3d) 18, au par. 89, 2000 CanLII 16800 (CA) [« Entrop »], la Cour d’appel de l’Ontario a accepté une décision de la Commission d’enquête de l’Ontario selon laquelle la surconsommation d’alcool et la surconsommation de drogues constituaient « toutes les deux un handicap » et que chacune était « une maladie ou affection entraînant un handicap physique ou un affaiblissement mental qui nuit au fonctionnement physique, psychologique et social ». Le tribunal a aussi accepté que la dépendance à l’alcool et la dépendance aux drogues étaient toutes les deux des « handicaps » dignes de protection aux termes du Code.

[10] Le Code vise cinq domaines sociaux : l’emploi, le logement (hébergement), les biens, les services et installations, l’adhésion à une association professionnelle et les contrats.

[11] Ontario (Programme de soutien aux personnes handicapées) c. Tranchemontagne, 2010 ONCA 593 (CanLII).

2. Champ d’application de la politique

Le dépistage des drogues et de l’alcool revêt un intérêt particulier pour les employeurs ontariens dont les activités présentent des risques sur le plan de la sécurité ou qui sont soumis aux exigences réglementaires des États-Unis (par exemple l’industrie du transport routier)[12] ou aux politiques de « tolérance zéro » envers la consommation d’alcool ou de drogues de sociétés américaines affiliées. Pour ces raisons, cette politique porte sur les milieux de travail, et plus particulièrement sur les milieux de travail qui comptent la sécurité parmi leurs objectifs organisationnels[13]. Cependant, les principes mis de l’avant pourraient s’appliquer à d’autres domaines sociaux[14].

Il est à noter que les sociétés de transport international ou interprovincial sont assujetties à la réglementation fédérale[15]. Les transporteurs aériens, les services de camionnage et de transport par autobus interprovincial et transfrontalier et les autres employeurs assujettis à la réglementation fédérale doivent se soumettre à la Loi canadienne sur les droits de la personne[16], de compétence fédérale, et non aux lois provinciales sur les droits de la personne.


[12] La plupart des employeurs soumis à la réglementation américaine sur les véhicules automobiles commerciaux relèvent probablement de la compétence fédérale en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cependant, les entreprises assujetties à la réglementation provinciale dont les conducteurs n’entrent que rarement aux États-Unis sont également soumises à la réglementation américaine relative au dépistage des drogues et de l’alcool pour ce qui est de l’entrée aux États-Unis.

[13] Les politiques relatives au dépistage des drogues et de l’alcool chez les employés n’occupant pas de poste critique sur le plan de la sécurité peuvent s’avérer difficiles à justifier aux termes du Code. Il serait également difficile à justifier qu’une politique qui porte sur des objectifs autres que la sécurité (comme la productivité) constitue une exigence de bonne foi si celle-ci entraîne des conséquences négatives pour les personnes ayant, ou perçues comme ayant, une dépendance. Voir la section 4 pour obtenir plus de renseignements.

[14] Par exemple, on procède souvent au dépistage des drogues et de l’alcool dans les sports de compétition pour assurer une compétition équitable. Dans un autre exemple, la CODP a déterminé que le dépistage des drogues et de l’alcool comme condition d’admissibilité aux programmes de soutien du revenu de base constituait également de la discrimination à première vue. Lettre du commissaire en chef Keith C. Norton à l’hon. John Baird, ministre des Services sociaux et communautaires (non publiée, juillet 1999). La CODP y exprime son inquiétude à la suite de l’annonce faite par le gouvernement d’administrer aux bénéficiaires de l’aide sociale des tests de dépistage des drogues et de l’alcool.

[15] Loi constitutionnelle de 1867 (UK), 30 & 31 Victoria, chap. 3, reproduite dans L.R.C. 1985 aux articles 91 et 92.

[16] Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, chap. H-6.

3. Mesures de protection prévues dans le Code

Le paragraphe 5 (1) du Code interdit la discrimination en emploi fondée sur 16 motifs, y compris le handicap. Le paragraphe 10 (1) du Code adopte une définition large du terme « handicap », qui englobe les troubles physiques, psychologiques et mentaux. La dépendance à l’alcool et aux drogues[17] constitue un handicap aux termes du Code. Parmi les exemples de ce genre de handicap figurent la dépendance à l’alcool et la dépendance à des drogues licites (p. ex. médicaments sur ordonnance) et illicites[18].

La Cour suprême du Canada a accepté la définition de la dépendance suivante,  élaborée par la Canadian Society of Addiction Medicine :

Maladie primaire chronique, caractérisée par une perte de contrôle sur le recours à des substances psychoactives et sur le comportement. Sur le plan clinique, les manifestations touchent les aspects biologiques, psychologiques, sociologiques et spirituels. Les éléments centraux sont des changements d’humeur, le soulagement d’émotions négatives, la recherche du plaisir, une préoccupation liée à l’emploi de la ou des substances ou à des comportements ritualistes, et un usage continu de la ou des substances ou la perpétuation du ou des comportements en dépit de conséquences néfastes du point de vue physique, psychologique et social. Comme d’autres maladies chroniques, la toxicomanie peut être évolutive, récurrente et fatale[19].

Les exemples qui suivent illustrent des situations où la consommation ou la perception de consommation d’alcool ou de drogues peut bénéficier de protection aux termes du Code.

  1. Situations où la consommation d’une personne a atteint l’étape de la dépendance (« trouble d’utilisation de substance »)[20].
  2. Situations où une personne est perçue comme ayant une dépendance à l’alcool ou aux drogues

Exemple : Un employeur refuse une promotion à un employé parce qu’il a l’impression que cet employé a une dépendance à l’alcool. En raison de cette perception et des gestes de l’employeur qui en résultent, il est possible que le droit de l’employé à un traitement égal en vertu du Code ait été violé.

Les personnes qui prennent des drogues de façon occasionnelle ne bénéficient pas de protection aux termes du Code, à moins qu’elles soient perçues comme ayant un handicap[21].

  1. Situations où une personne a eu une dépendance à l’alcool ou aux drogues par le passé, mais n’a plus de handicap.

Exemple : Une entreprise décide d’adopter une politique relative à l’alcool et aux drogues. La politique oblige les employés occupant un poste critique sur le plan de la sécurité de divulguer tout « problème de surconsommation d’alcool ou drogues » actuel ou passé. Après avoir fait part d’un problème passé de surconsommation d’alcool, qu’il a réglé il y a sept ans, un employé est automatiquement muté à un poste non critique sur le plan de la sécurité. L’entreprise l’oblige à participer à un programme de rétablissement de deux ans, suivi d’une période d’abstinence de cinq ans, et à se soumettre à d’autres mesures de contrôle avant de lui permettre de réintégrer son poste initial. La politique est jugée discriminatoire[22].


[17] La CODP  emploie « dépendance » comme terme général pour parler des personnes qui ont soit un problème  d’« abus » d’alcool ou de drogues, ou ont une « dépendance à l’alcool ou aux drogues ». Dans la nouvelle version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), les dépendances ne sont plus réparties selon qu’il s’agit d’un « abus » moins grave ou d’une pleine « dépendance ». Elles sont plutôt regroupées dans la même catégorie de « troubles d’utilisation de substance ». Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : DSM-5, Arlington, VA, American Psychiatric Association, 2013. En ligne (en anglais) : Psychiatryonline dsm.psychiatryonline.org//content.aspx?bookid=556&sectionid=41101782 (consulté le 21 août 2014). De nombreuses décisions citées dans la présente politique utilisent le terme « abus » d’alcool ou de drogues, parce qu’elles ont été émises avant la publication du DSM-5.

[18] En règle générale, les programmes de dépistage de l’alcool et des drogues portent sur six substances : marijuana, cocaïne, opioïdes et opiacés, amphétamine (y compris la méthamphétamine), phencyclidine (PCP) et alcool. Frone, supra, note 3.

[19] Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, au par. 101, 3 RCS 134. Voir la note en fin de texte 20 pour obtenir une définition et des critères diagnostiques plus spécifiques.

[20] Selon le DSM-5, un « trouble d’utilisation de substance » fait référence à un profil d’utilisation de l’alcool ou d’une drogue qui mène à une invalidité ou à une détresse importante, caractérisée par la manifestation d’au moins deux de 11 schémas de comportement, ou critères, dans une période de 12 mois. Ces schémas de comportement sont liés au manque de contrôle qu’exerce la personne sur
sa consommation d’alcool ou de drogues, les difficultés d’ordre social causées par sa consommation d’alcool ou de drogues, son usage dangereux d’alcool et de dogues, ainsi que des critères pharmacologiques (c’est-à-dire tolérance et symptômes de sevrage). Le trouble d’utilisation de substance peut être léger, modéré ou grave, selon le nombre de critères auxquels satisfait la personne. American Psychiatric Association, supra, note 17. Il est à noter que le Code n’offre pas nécessairement de protection au motif du handicap pour tous les troubles qui répondent à cette définition. Par exemple, la jurisprudence actuelle sur le statut de handicap de la dépendance à la nicotine ou au tabac n’est pas concluante. Voir McNeill v Ontario (Ministry of the Solicitor General and Correctional Services),1996 CanLII 14947 (Ont Sup Ct); Cominco Ltd v United Steelworkers of America, Local 9705, [2000] BCCAAA No 62 (QL); Club Pro Adult Entertainment Inc v Ontario (Attorney General), 2006 CanLII 42254 (Ont Sup Ct).

[21] Voir la section 7.2 pour obtenir plus de renseignements.

[22] Entrop, supra, note 9.

4. Établissement de l’existence de discrimination et défenses prévues au Code

Les tests de dépistage des drogues et de l’alcool constituent une forme d'examen médical. Même lorsqu’ils sont adoptés de bonne foi, les politiques et programmes de dépistage des drogues et de l’alcool peuvent avoir un effet préjudiciable en lien avec la dépendance ou la perception de dépendance (discrimination prima facie ou « a première vue »). Les politiques et programmes de dépistage des drogues et de l’alcool peuvent avoir un effet préjudiciable sur des personnes qui ont une dépendance ou sont perçues comme ayant une dépendance en imposant des conséquences négatives (comme des mesures disciplinaires, un congédiement ou un rejet de candidature) ou des conditions d’emploi additionnelles et rigides[23], en ne prévoyant pas l’accommodement des employés ayant obtenu un résultat positif jusqu’au point de préjudice injustifié ou en ne respectant pas la dignité et la vie privée des employés au cours du processus de dépistage.

Aux termes du Code, les employeurs qui ont adopté une politique ou un programme de dépistage des drogues et de l’alcool jugé discriminatoire à première vue peuvent se défendre en démontrant que la politique, la règle, l’exigence, la norme ou le test ayant entraîné un effet préjudiciable constitue une exigence légitime ou de bonne foi[24]. L’employeur doit utiliser le critère à trois volets mis de l’avant par la Cour suprême du Canada[25] pour établir selon la prépondérance des probabilités que la politique, la règle, l’exigence, la norme ou le test :

  1. a été adopté à des fins qui sont logiquement liées à l’exécution des fonctions du poste
  2. a été adopté en croyant sincèrement à sa nécessité pour réaliser ce but légitime lié au travail
  3. est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail Pour en démontrer la nécessité, l’employeur doit démontrer qu’il est impossible de procéder à l’accommodement de la personne sans que cela ne lui cause de préjudice injustifié.

L’article 17 du Code prévoit une défense à l’accusation de discrimination lorsqu’une personne ayant un handicap est incapable de s’acquitter d’une fonction essentielle de son poste. Cependant, une personne sera uniquement jugée incapable de s’acquitter des fonctions essentielles de son poste si ses besoins attribuables au handicap ne peuvent pas faire l’objet d’un accommodement sans causer de préjudice injustifié[26]. Dans le cas du dépistage des drogues et de l’alcool, cette défense s’applique uniquement si l’employeur peut démontrer que le dépistage ou toute autre méthode utilisée pour déceler l’affaiblissement des facultés par l’alcool ou les drogues constitue une exigence raisonnable et de bonne foi[27].

En gardant à l’esprit le critère à trois volets au moment de concevoir leurs politiques et programmes de dépistage des drogues et de l’alcool, les employeurs peuvent éviter d’imposer des effets potentiellement discriminatoires aux personnes ayant une dépendance réelle ou perçue. Les politiques bien conçues qui tiennent compte dès le début des trois volets du critère peuvent être utiles aux employeurs en cas de contestation de leur légitimité aux termes du Code.

Les employeurs devraient tenir compte des questions suivantes : 

  • Existe-t-il une raison objective de penser que l’affaiblissement des facultés des suites de la consommation d’alcool ou d’autres drogues nuirait à l’exécution sécuritaire des fonctions du poste? Existe-t-il un lien rationnel entre l’objectif du dépistage (p. ex. minimiser le risque d’affaiblissement des facultés pour assurer la sécurité) et l’exécution des fonctions du poste?
  • Existe-t-il une raison objective de penser que le degré, la nature et la portée de l’affaiblissement des facultés des suites de la consommation d’alcool ou de drogues, ainsi que la probabilité de risques connexes, puissent nuire à la sécurité de la personne, de ses collègues de travail, des membres du public ou de l’environnement?
  • Peut-on raisonnablement dire qu’il est nécessaire de procéder au dépistage pour repérer les personnes qui, au moment de l’administration du test, ne sont pas en mesure de s’acquitter des fonctions de leur poste en toute sécurité parce qu’elles ont les facultés affaiblies par l’alcool ou les drogues[28]? Peut-on raisonnablement dire que le dépistage est nécessaire pour créer un environnement de travail sans facultés affaiblies par l’alcool ou les drogues? Par exemple, a-t-on fait la démonstration d’un problème d’alcool ou de drogues dans le milieu de travail[29]?
  • Y a-t-il des moyens moins intrusifs d’accomplir le but légitime lié au travail (p. ex. contrôles par des pairs ou des superviseurs)
  • Est-ce que le critère ou la norme tient compte des différences individuelles, dans la mesure où il ou elle prévoit l’accommodement des personnes jusqu’au point de préjudice injustifié.

Après avoir examiné ces questions, les employeurs pourraient ne trouver aucune raison objective de conclure qu’ils devraient mettre en place des politiques ou des programmes de dépistage des drogues et de l’alcool en milieu de travail. Il se pourrait que d’autres mesures, comme des contrôles de sécurité, programmes de sensibilisation aux drogues et de promotion de la santé et politiques d’accommodement de la dépendance, puissent atteindre l’objectif de l’employeur, soit de composer avec les risques pour la sécurité et problèmes de rendement qu’occasionne l’affaiblissement des facultés par l’alcool et les drogues.

Cependant, si le dépistage est justifié, l’employeur devrait respecter les principes directeurs suivants :  

  • Toute politique ou tout programme de dépistage des drogues et de l’alcool qui est conforme à la loi établira un rapport ou un lien rationnel entre le dépistage et l’exécution des fonctions du poste. Il a été déterminé qu’en l’absence d’un lien démontrable avec la sécurité et l’exécution des fonctions du poste ou d’éléments de preuve de l’accroissement de la sécurité au travail, l’administration de tests de dépistage des drogues et de l’alcool contrevenait aux droits des employés[30].
  • La politique ou le programme ne doit pas être appliqué de façon arbitraire à certains groupes d’employés et non à d’autres. Par exemple, un employeur qui tente de justifier sa politique de dépistage des drogues et de l’alcool peut ne pas être en mesure de légitimer le fait qu’il soumette uniquement à un test de dépistage les nouveaux employés ou les employés qui retournent au travail, et pas les autres membres du personnel. Dans certaines situations par contre, l’administration de tests de dépistage aux membres du personnel occupant des postes critiques pour la sécurité peut être justifiable.
  • Un poste critique sur le plan de la sécurité est un poste qui comporterait des risques importants de blessure pour l’employé, des tiers ou l’environnement si le titulaire de ce poste avait, au travail, les facultés affaiblies par l’alcool ou des drogues. Pour déterminer si un poste est critique sur le plan de la sécurité, il importe d’envisager la question dans le contexte de l’industrie et du milieu de travail particuliers, et du niveau de participation directe de l’employé à une activité à haut risque. Toute définition doit tenir compte du rôle des superviseurs dûment formés, et des poids et contrepoids en place au sein du milieu de travail.
  • Les tests de dépistage des drogues et de l’alcool devraient avoir pour objectif principal de mesurer l’affaiblissement des facultés et non de décourager la consommation d’alcool ou de drogues[31] ou de surveiller les valeurs morales des employés. Le dépistage de la consommation de drogues et d’alcool devrait se restreindre à déterminer l’incapacité réelle de l’employé de s’acquitter des fonctions essentielles ou de satisfaire aux exigences de son poste, au moment de l’administration du test. Il ne devrait pas simplement viser la détection de la présence de drogues ou d’alcool dans l’organisme.
  • Les employeurs devraient avoir recours à la méthode la moins importune d’évaluer l’affaiblissement des facultés ou l’aptitude au travail.
  • Les politiques sur le dépistage des drogues et de l’alcool font partie des règles et normes du milieu de travail. Par conséquent, les normes régissant l’exécution du travail devraient être inclusives. Les employeurs doivent intégrer le concept d’égalité aux politiques du milieu de travail.
  • Les politiques adoptées à l’échelle organisationnelle comme les politiques de dépistage des drogues et de l’alcool doivent assurer l’accommodement des employés sur une base individuelle. Le caractère d’individualité est au cœur de la notion de dignité des personnes handicapées et du concept de l’accommodement[32]. Les règles tout englobantes qui ne tiennent pas compte des circonstances individuelles sont susceptibles d’être jugées discriminatoires[33].

Exemple : Un employeur exploitant un milieu de travail très dangereux se soucie d’agir de façon équitable et décide d’étendre à l’ensemble du personnel sa politique de dépistage aléatoire de l’alcool, qui visait à l’origine les titulaires de postes critiques sur le plan de la sécurité. Le but de la politique est d’assurer la sécurité au travail en prévenant l’affaiblissement des facultés par l’alcool. Les employés font automatiquement l’objet d’une suspension de trois jours s’ils obtiennent un résultat positif. Même si la politique inclut l’offre de programmes de rétablissement généreux aux personnes qui ont une dépendance et obtiennent un résultat positif, l’employeur peut ne pas être en mesure de justifier que la politique constitue une exigence de bonne foi. Cela est dû au fait que la suspension automatique ne tient pas compte des circonstances particulières des employés ayant une dépendance. De plus, les postes non critiques sur le plan de la sécurité de l’employeur entraînent très peu de risques pour la sécurité. Dans leur cas, il est donc difficile de faire la démonstration d’un « lien rationnel » entre l’objectif du dépistage de l’alcool (assurer la sécurité) et l’exécution des fonctions du poste. En outre, étant donné l’existence de méthodes moins intrusives de détection des facultés affaiblies, il pourrait s’avérer difficile pour l’employeur de justifier qu’il doit raisonnablement effectuer le dépistage de l’alcool pour prévenir l’affaiblissement des facultés par l’alcool au travail.

Tout programme de dépistage des drogues et de l’alcool devrait s’inscrire dans une politique plus vaste de santé et de sécurité. Les mesures prises pour réduire les risques qu’occasionnent l’alcool ou les drogues en milieu de travail devraient être combinées à d’autres mesures d’amélioration de la sécurité au travail, comme la formation adéquate des employés et la réduction des dangers et distractions en milieu de travail.

Parfois, des tierces parties comme des clients demandent aux employeurs d’adopter une politique ou un programme de dépistage des drogues et de l’alcool. Cependant, en cas d’effet préjudiciable sur les employés ayant une dépendance réelle ou perçue, les employeurs conservent l’obligation de démontrer que la politique ou le programme constitue une exigence de bonne foi au moyen du critère à trois volets[34].

Dans l’ensemble, les programmes et politiques de dépistage des drogues et de l’alcool qui sont judicieusement conçus et respectent les droits de la personne peuvent être justifiables aux termes du Code. Cependant, il continue d’incomber aux employeurs de veiller à ce que l’application de ces programmes ou politiques n’entraîne pas de situation spécifique de discrimination. Le sommaire de la présente politique présente les composantes d’un programme ou d’une politique de dépistage qui respecte les droits de la personne.


[23] Dans l’affaire Entrop, supra, note 9, la politique de dépistage des drogues et de l’alcool de la société Imperial Oil a été jugée discriminatoire à première vue en partie parce qu’elle soumettait le requérant, une personne ayant eu un handicap par le passé, à une réaffectation automatique à un poste non critique pour la sécurité qui était moins intéressant. De plus, l’employé a pu reprendre son poste initial uniquement après avoir consenti à « une évaluation médicale rigoureuse et à des mesures de contrôle continues » (par. 118), y compris deux années de programme de rétablissement, cinq années d’abstinence, sa participation à un groupe d’entraide (apparemment pendant une durée indéterminée), sa divulgation à l’employeur de tout changement à sa situation pouvant accroître le risque de rechutes, la transmission périodique à l’employeur d’information sur son respect des conditions d’emploi et l’administration d’examens médicaux annuels, y compris des tests de dépistage de la surconsommation d’alcool et de drogues. L’employeur n’a pu démontrer que ces exigences satisfaisaient au critère d’établissement des exigences de bonne foi (par. 118-127).

[24] L’article 11 du Code interdit la discrimination résultant d’exigences, de qualités requises ou de critères qui peuvent sembler neutres, mais ont des effets négatifs sur des personnes désignées dans le Code. On appelle souvent cela de la « discrimination par suite d’un effet préjudiciable ». Dans un tel cas, le Code permet à la personne ou à l’organisation ayant créé l’effet préjudiciable de démontrer que l’exigence, la qualité requise ou le critère est raisonnable et établi de bonne foi en prouvant qu’elle ne peut tenir compte des besoins du groupe dont la personne fait partie sans subir de préjudice injustifié.

[25] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (BCGSEU)(Meiorin Grievance) [1999] 3 R.C.S. 3 [« Meiorin »], au par. 54.

[26] Voir la section 7.1 sur l’obligation d’accommodement pour obtenir plus de renseignements. Voir aussi Meoirin, ibid.

[27] Dans l’affaire Entropsupra, note 9, la Cour d’appel de l’Ontario a stipulé que si l’employeur ne peut démontrer que le dépistage ou d’autres méthodes utilisées pour établir l’affaiblissement des facultés, comme la divulgation obligatoire et la réaffectation automatique, sont en soi des exigences de bonne foi, sa défense aux termes de l’article 17 échouera (par. 83).

[28] Voir Entrop, supra, note 9, au par. 96. Au par. 97, la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué que :

Les règles en milieu de travail d’un employeur pourraient ne pas satisfaire le troisième volet du critère Meiorin à plusieurs égards. Par exemple, une règle pourrait s’avérer arbitraire dans le sens où elle n’est pas liée au but légitime visé par l’employeur ou ne contribue pas à l’atteinte de ce but. Elle pourrait également, de façon déraisonnable, ne pas prévoir d’évaluation individualisée. Enfin, elle pourrait ne pas être raisonnablement nécessaire étant donné que l’employeur dispose d’autres moyens, moins intrusifs sur le plan des droits de la personne, d’atteindre son but.

[29] Cette analyse doit reposer sur des éléments de preuves convaincants. Dans l’affaire Mechanical Contractors Association Sarnia v United Association of Journeymen and Apprentices of the Plumbing & Pipefitting Industry of the United States and Canada, Local 663, 2013 CanLII 54951 (ON LA) [« Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2013 »], l’arbitre a tenté de déterminer s’il existait un problème de santé et de sécurité au lieu de travail en raison de l’usage d’alcool ou de drogues. Il a conclu qu’un tel problème n’existait pas au lieu de travail, ce qui constituait l’une des raisons pour lesquelles l’employeur ne pouvait pas démontrer que le dépistage des drogues et de l’alcool avant l’accès constituait une exigence de bonne foi. Les questions de convention collective citées dans la décision ont été confirmées au moment de l’appel de la décision, dans Mechanical Contractors Association Sarniv United Association of Journeymen and Apprentices of the Plumbing & Pipefitting Industry of the United States and Canada, Local 663 2014 ONSC 6909 (CanLII) [« Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2014 »]. Compte tenu du fait qu’elle avait confirmé les questions de convention collective, la Cour divisionnaire a indiqué qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les questions de droits de la personne.

[30] Voir Irving, supra, note 7, au par. 31; Entrop, supra, note 9. Voir également Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2013supra, note 29, confirmé dans Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2014; Canada (Commission des droits de la personne) c. Banque Toronto-Dominion, [1998] 4 RCF 205, CanLII 8112 (CAF).

[31] Des chercheurs ont fait  remarquer qu’il existe peu d’études rigoureuses sur le plan méthodologique qui confirment que le dépistage des drogues et de l’alcool en milieu de travail décourage la consommation d’alcool ou de drogues. Pour une analyse de la documentation, voir Frone, supra, note 3.

[32] Pour obtenir plus de renseignements, voir Commission ontarienne des droits de la personne, Politique et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement, Toronto, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 2000. En ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/politique-et-directives-concernant-le-handicap-et-lobligation-daccommodement.

[33] Voir la section 7.1 sur l’obligation d’accommodement pour obtenir plus de renseignements.

[34] Les exigences de tierce partie ne consituent pas toujours des exigences de bonne foi. Voir International Union Of Operating Engineers, Local 793v Sarnia Cranes Limited [1999] OLRD No 1282 [QL]; United Association of Journeyman and Apprentices of the Plumbing and Pipefitting Industry of the United States and Canada, Local 663 v Mechanical Contractors Association of Sarnia (Drug and Alcohol Policy Grievance), [2008] OLAA No 621 (QL), au par. 136; Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2013, supra, note 29. Cette dernière décision a été maintenue dans Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2014supra, note 29. Les politiques de dépistage des drogues et de l’alcool peuvent être justifiables lorsqu’elles ont pour but de respecter la réglementation du ministère des Transports des États-Unis touchant les camionneurs et conducteurs d’autobus qui traversent la frontière. Dans de tels cas cependant, les employeurs doivent quand même assurer l’accommodement des personnes ayant obtenu un résultat positif jusqu’au point de préjudice injustifié. Voir Milazzo c. Autocar Connaisseur Inc. et al., 2003 TCDP 37 (CanLII) [« Milazzo »].

5. Situations de dépistage des drogues et de l’alcool

5.1. Dépistage avant l’obtention du poste

Certains employeurs procèdent au dépistage des drogues et de l’alcool avant d’embaucher une personne (dépistage préalable à l’emploi), de la muter ou de lui offrir une promotion (dépistage de certification), ou de lui permettre, en tant qu’employé contractuel, de commencer à travailler sur le chantier d’un client (dépistage préalable à l’accès)[35]. Ces différents types de dépistage s’articulent autour de principes semblables.

La CODP est d’avis que le paragraphe 23(2) du Code interdit le dépistage des drogues et de l’alcool dans le cadre du processus initial de sélection du personnel.

Bien que la jurisprudence n’exclue pas le dépistage des drogues et de l’alcool après l’offre conditionnelle d’un emploi critique sur le plan de la sécurité, la CODP recommande de ne pas adopter de telles pratiques.

Si le dépistage mène au refus d’embaucher une personne au motif de sa dépendance actuelle ou perçue, il pourrait s’agir de discrimination à première vue. L’imposition de conséquences négatives à la suite de l’obtention d’un résultat positif pourrait amener un tribunal à conclure qu’il y a perception d’un handicap, même si le candidat ou la candidate n’a pas de dépendance[36].

Les employeurs qui procèdent au dépistage des drogues et de l’alcool avant de remplir un poste critique sur le plan de la sécurité devraient s’assurer que l’obtention d’un résultat positif ne mène pas automatiquement au retrait de l’offre conditionnelle ou à d’autres conséquences négatives. Le dépistage devrait s’inscrire dans un processus de sélection plus exhaustif pouvant inclure l’examen des autres qualités légitimement requises sur le plan de la certification et autres. L’employeur doit également remplir son obligation d’accommodement des personnes ayant des dépendances.

Tout examen médical effectué devrait fournir une évaluation efficace de la capacité du candidat ou de la candidate d’exécuter les fonctions essentielles du poste. Il a été déterminé que les tests de dépistage préalable à l’emploi ou à l’accès ne suffisent pas à démontrer qu’une personne se présentera au travail avec les facultés affaiblies par l’alcool ou les drogues[37]. Par conséquent, si le dépistage entraîne des conséquences négatives au motif de la dépendance d’une personne ou de la perception d’une dépendance chez elle, il peut être difficile de justifier qu’il s’agit d’une exigence de bonne foi[38].

5.2. Dépistage pour motifs raisonnables ou à la suite d’un incident

Le dépistage de l’alcool ou des drogues pour « motifs raisonnables » (pour « cause » ou « cause  raisonnable ») et « à la suite d’un incident » peut être acceptable dans certaines circonstances spécifiques[39], comme lorsqu’on a pu établir un lien entre l’affaiblissement des facultés et l’exécution des fonctions critiques sur le plan de la sécurité. Les « motifs raisonnables » devraient être fondés sur des preuves objectives, comme l’observation de conduites spécifiques ou d’autres indicateurs, y compris :

  • voir un employé ou une employée prendre de l’alcool ou des drogues au travail
  • reconnaître chez un employé ou une employée des caractéristiques ou conduites qui correspondent à des caractéristique ou conduites de personnes ayant les facultés affaiblies par l’alcool ou les drogues (comme l’odeur de l’alcool ou de drogues)
  •  trouver du matériel associé à la consommation d’alcool ou de drogues à proximité de la personne ou de son poste de travail (p. ex. bouteilles vides)[40].

Il n’est pas nécessairement obligatoire de soumettre les employés qui semblent avoir pris des drogues ou de l’alcool à un test de dépistage. On pourrait résoudre la situation au moyen d’autres méthodes, comme le fait de permettre à la personne d’expliquer sa conduite, de la démettre temporairement de ses fonctions critiques pour la sécurité dans le but d’assurer sa sécurité immédiate, de lui offrir des mesures d’adaptation jusqu’au point de préjudice injustifié (comme son aiguillage vers un programme d’aide aux employés ou la prestation du soutien requis à son admission à un programme de rétablissement), d’effectuer la gestion progressive de son rendement et, s’il y a des raisons légitimes de se préoccuper de la situation, de demander à la personne de se soumettre à une évaluation médicale. La Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur les troubles mentaux et les dépendances de la CODP offre des renseignements additionnels sur ces méthodes[41].

Un employeur aura un intérêt légitime à procéder au dépistage des drogues et de l’alcool à la suite d’un incident ou de rapports de conduites dangereuses ayant presque causé un incident, lorsque l’évaluation de l’état de l’employé ou de l’employée fait raisonnablement partie de l’enquête[42]. Cela peut inclure le fait de déterminer si la personne a pris des substances qui agissent sur l’activité physique ou mentale et pourraient avoir contribué à l’incident. L’enquête pourrait aussi porter sur les autres facteurs pouvant avoir contribué à l’incident, comme le manque de formation, la fatigue et d’autres circonstances susceptibles d’accroître le risque.

On ne devrait pas procéder au dépistage des drogues et de l’alcool à la suite d’incidents semblant avoir été causés par des facteurs externes comme une défaillance mécanique ou structurale, ou des facteurs environnementaux.

Les employeurs devraient uniquement procéder au dépistage pour motifs raisonnables ou à la suite d’un incident si ce dépistage est nécessaire dans le cadre d’un processus plus global d’évaluation de la dépendance à l’alcool ou aux drogues. Ce processus inclut une évaluation médicale plus complète, effectuée par un ou une spécialiste des troubles d’utilisation de substance ou sous la supervision d’un médecin. L’évaluation globale pourrait comprendre d’autres composantes, comme un programme d’aide aux employés (PAE) ou des contrôles effectués par des pairs ou des superviseurs.

5.3. Dépistage aléatoire des drogues et de l’alcool

Des tests de dépistage en cours d’emploi ne devraient être administrés que si l’on peut établir un lien entre l’affaiblissement des facultés et l’exécution des fonctions du poste, par exemple dans le cas où l’employé ou l’employée occupe un poste critique sur le plan de la sécurité dont le risque en milieu de travail est démontrable[43]

Comme nous l’avons indiqué précédemment, le dépistage des drogues et de l’alcool devrait avoir pour objectif de déterminer l’affaiblissement réel de la capacité de l’employé ou de l’employée d’exécuter les fonctions essentielles du poste ou de satisfaire à ses exigences dans l’immédiat[44]. En contexte de dépistage aléatoire des drogues et de l’alcool, il a été déterminé que l’utilisation d’alcootests était permissible aux termes du Code[45]. Le dépistage de l’alcool au moyen d’alcootests est jugé minimalement intrusif (comparativement aux prélèvements sanguins par exemple) et hautement fiable lorsqu’il s’agit de mesurer à la fois le niveau de consommation et le niveau réel d’affaiblissement des facultés. Par conséquent, l’administration de tests aléatoires de dépistage de l’alcool est acceptable s’il s’agit de postes critiques sur le plan de la sécurité, mais uniquement si la supervision du personnel est minime ou non existante, si on dispose de preuves de risque dans le milieu de travail particulier et si l’employeur s’acquitte de son devoir de tenir compte des besoins des personnes dont les résultats de tests se révèlent positifs (voir ci dessous)[46].

Malgré les grandes percées technologiques des dernières années, la recherche scientifique n’a pas encore pu confirmer l’existence d’une méthode de dépistage des drogues qui se compare à l’alcootest pour l’alcool[47] en ce qui a trait à :

  • sa capacité de mesurer l’affaiblissement des facultés[48]
  • son degré élevé de fiabilité
  • son niveau d’intrusion minimal
  • sa rapidité de production de résultats[49].

Les employeurs qui utilisent des méthodes de dépistage des drogues répondant à ces critères pourraient avoir plus de facilité à établir que le dépistage aléatoire des drogues chez les employés occupants des postes critiques sur le plan de la sécurité constitue une exigence de bonne foi, mais uniquement si la supervision du personnel est minime ou non existante, si le milieu de travail particulier comporte des risques dont la démonstration a été faite et si l’employeur s’acquitte de son obligation d’accommodement des besoins des personnes qui ont obtenu des résultats de tests positifs[50].

Cependant, même les politiques de dépistage des drogues et de l’alcool qui répondent aux exigences du Code peuvent être contestées par les employés, au motif de la protection de leur vie privée.

Dans l’affaire Irving[51], la Cour suprême du Canada s’est demandée si la mise en œuvre d’une politique de dépistage aléatoire de l’alcool dans un milieu de travail comportant des risques sur le plan de la sécurité constituait un exercice valide des droits de la direction de l’employeur prévus par une convention collective.

La Cour a confirmé que le dépistage aléatoire n’était pas automatiquement justifié parce que le milieu de travail était dangereux et que les employés occupaient des postes critiques sur le plan de la sécurité. Elle a conclu que la dangerosité du milieu de travail était un facteur très pertinent, mais que l’employeur devait aussi posséder des éléments de preuve d’un risque accru pour la sécurité, comme un problème généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie au travail[52].

Dans cette affaire, la majorité de la Cour était d’avis que la mise en œuvre d’une politique de dépistage aléatoire de l’alcool ne constituait pas un exercice valide des droits de l’employeur[53]. La politique de dépistage n’était pas justifiée parce que le risque pour la sécurité au lieu de travail ne l’emportait pas sur l’atteinte importante à la vie privée des employés.

L’affaire portait sur les droits des employés aux termes d’une convention collective. Cependant, la Cour suprême a indiqué que « même dans un milieu non syndiqué, l’employeur est tenu de justifier l’atteinte à la vie privée qui découle de l’imposition de tests aléatoires en précisant les risques qui surviennent dans le lieu de travail donné. L’analyse comporte différentes étapes, mais toutes deux exigent essentiellement un examen attentif et la mise en balance des intérêts liés à la sécurité d’une part et à la vie privée d’autre part[54] ».

5.4. Dépistage effectué dans le cadre d’un plan de rétablissement

Quand un employé ou une employée réintègre un poste critique sur le plan de la sécurité après avoir suivi un traitement de l’alcoolisme ou de la toxicomanie, le dépistage des drogues et de l’alcool peut être justifiable[55]. La personne peut devoir remplir certaines conditions pour réintégrer son poste, comme se soumettre à des tests de dépistage à l’improviste. Toute condition imposée doit être adaptée à la situation particulière de l’employé ou de l’employée, de façon à respecter l’obligation d’accommodement de l’employeur. Dans de tels cas, la durée déterminée de dépistage de l’alcool ou des drogues devrait être raisonnable et la fréquence des tests ne devrait pas être onéreuse ou intrusive.

Le dépistage effectué à la suite de la réintégration de l’employé ou de l’employée peut faire partie de l’entente de retour au travail (p. ex. a entente de dernière chance ou de comportement), dont le non-respect pourrait mener au licenciement de la personne. Cependant, à l’instar des personnes aux prises avec d’autres handicaps chroniques, les personnes ayant une dépendance peuvent faire des rechutes après le traitement[56]. La conclusion d’une entente n’élimine pas l’obligation qu’a l’employeur de tenir compte des besoins de la personne en cas de rechute[57].

Exemple : Une travailleuse d’usine occupant un poste critique sur le plan de la sécurité divulgue une dépendance à la drogue à la suite d’un incident en milieu de travail et participe à un programme de traitement. Son retour au travail est conditionnel au fait qu’elle se soumette à des tests aléatoires de dépistage des drogues. L’employée réussi son premier test de dépistage, mais elle a bientôt un accident de voiture et se remet à consommer des drogues. Elle échoue son deuxième test. L’employeur prend en compte toutes les circonstances de l’affaire, y compris son pronostic, son plan d’accommodement et son rétablissement jusqu’à présent, et tient compte de sa rechute en donnant à l’employée le congé dont elle a besoin pour suivre un second traitement. Il profite également de cette période pour élaborer un second plan de retour au travail.

En même temps, l’obligation d’accommodement de l’employeur n’est pas illimitée[58]. Un employeur a l’obligation de tenir compte des besoins des personnes ayant une dépendance jusqu’au point de préjudice injustifié.  De plus, dans certaines circonstances limitées, une mesure d’adaptation qui normalement ne constituerait pas un préjudice injustifié peut ne pas être requise parce qu’elle altérerait fondamentalement la nature de l’emploi ou parce qu’elle ne permettrait encore pas à la personne « de s’acquitter des obligations […] essentielles inhérentes à l’exercice de ce droit[59] ».

Exemple : Un employé occupant un poste critique pour la sécurité a une dépendance aux drogues et a suivi des traitements à répétition. Malgré plusieurs tentatives de retour au travail, il n’arrive pas à réussir un test de dépistage à la suite de sa réintégration. Selon son médecin, il ne sera pas en mesure de travailler dans un avenir prévisible et doit prendre un congé sans solde à durée  indéterminée pour suivre un programme de rétablissement.

Pour l’employeur, l’accommodement continu des besoins de l’employé ne causerait pas de préjudice injustifié sur le plan des coûts ou de la santé/sécurité. Cependant, étant donné les circonstances particulières de l’employé et malgré les tentatives d’accommodement répétées de l’employeur, la personne n’est toujours pas en mesure d’exécuter les fonctions essentielles de son emploi ou d’assumer des fonctions de remplacement. Par conséquent, il se peut que l’obligation d’accommodement de l’employeur prenne fin.

Parfois, après avoir mis à l’essai sans succès toutes les mesures d’adaptation possibles, il peut ne rester aucun moyen d’aider la personne à combler les exigences essentielles du poste. Il peut aussi arriver qu’un employé ou qu’une employée soit perpétuellement incapable de prendre part au processus d’accommodement, ou non disposé à le faire, malgré les tentatives de l’employeur. Là aussi, l’obligation d’accommodement de l’employeur pourrait prendre fin.


[35] Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2013supra, note 29.

[36] Dans Weyerhaeuser Company Limited v Ontario (Human Rights Commission) ex rel Chornyj, 2007 CanLII 65618 (Ont Div Ct) [« Chornyj »], une politique de dépistage des drogues préalable à l’emploi a été jugée non discriminatoire à première vue au motif de la perception d’un handicap. Le requérant, qui a admis consommer occasionnellement des drogues, n’a pas fait l’objet d’un congédiement ou d’une perte d’emploi automatique, et l’entreprise ne jugeait pas qu’il avait un handicap. Par conséquent, sa requête pour discrimination au motif de la perception de handicap n’était pas défendable.

[37] Dans l’affaire Entropsupra, note 9, il a été établi que le dépistage des drogues préalable à l’emploi au moyen d’analyses d’urine contrevenait au Code. Selon le tribunal, « […] l’obtention d’un résultat positif n’est pas gage d’affaiblissement futur, ni même d’affaiblissement probable futur des facultés au travail, et pourtant les candidats qui obtiennent un seul résultat positif ne sont pas embauchés (par. 103). La Cour d’appel de l’Ontario ne s’est pas prononcée sur le dépistage de l’alcool préalable à l’emploi étant donné qu’il n’en était pas question dans la politique relative à l’alcool et aux drogues d’Imperial Oil. Voir également Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2013, supra, note 29 aux par. 183, 217 et 218. Dans l’affaire Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2014supra, note 29, la Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé l’analyse de la question de convention collective effectuée par l’arbitre, mais n’a pas cru nécessaire d’aborder la question relative au Code des droits de la personne.

[38] Les employeurs peuvent également être tenus de démontrer les risques particuliers pour la sécurité que compte le milieu de travail. Voir Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2014supra, note 29; Irvingsupra, note 7 au par. 20.

[39]Irving, supra, note 7 aux par. 30 et 45.

[40] Adapté d’ENFORM, Alcohol and Drug Policy Model for the Canadian Upstream Petroleum Industry, édition 1.0. (2007). En ligne : ENFORM (association canadienne pour la sécurité dans le secteur amont de l’industrie pétrolière et gazière) www.enform.ca/resources/detail/70/alcohol-and-drugs-policy-model-for-the-upstream-petroleum-industry par. 18 (consulté le 4 août 2015).

[41] Commission ontarienne des droits de la personne, Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur les troubles mentaux et les dépendances (Toronto, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 2014). En ligne : Commission ontarienne des droits de la personne www.ohrc.on.ca/fr/politique-sur-la-pr%C3%A9vention-de-la-discrimination-fond%C3%A9e-sur-les-troubles-mentaux-et-les-d%C3%A9pendances.

[42] Entropsupra, note 9, au par. 114. Voir également Sterling Crane, [2009] OLRD No 4623 (QL) [« Sterling Crane »], dans laquelle la Commission des relations de travail de l’Ontario affirme : « Il est manifeste que la jurisprudence accepte maintenant que la conduite d’analyses d’urine à la suite d’un incident survenu dans un milieu de travail critique sur le plan de la sécurité corresponde à un exercice valide des droits de la direction d’un employeur et à une exigences professionnelle de bonne foi aux termes des lois relatives aux droits de la personne, pourvu que ce dépistage fasse partie d’une enquête visant à déterminer la cause de l’incident. Je suis d’accord que l’adoption d’une politique prévoyant ce type de dépistage constitue un exercice légitime des droits de la direction tant qu’on ne commence pas à effectuer le dépistage de façon aléatoire » (par. 74).

[43] Irving, supra, note 7, aux par. 20 et 45.

[44] Voir Entropsupra, note 9, au par. 99; Imperial Oil Ltd v Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 900 [2006] OLAA No. 721 (QL), au par. 124, [« Imperial Oil Ltd, 2006 »]Imperial Oil Limited v Communications, Energy & Paperworkers Union of Canada, Local 900, 2008 CanLII 6874 (Ont Div Ct), [« Imperial Oil Ltd, 2008 »]; Imperial Oil Ltdv Communications, Energy & Paperworkers Union of Canada, Local 900, 2009 ONCA 420 (CanLII) [« Imperial Oil Ltd, 2009 »].

[45] Entrop, supra, note 9.

[46] Voir la section 7.1 sur l’obligation d’accommodement pour obtenir plus de renseignements.

[47] Par exemple, les analyses d’urine peuvent détecter une consommation passée mais ne peuvent pas déterminer la quantité consommée ou si la personne a actuellement les facultés affaiblies. Voir Frone, supra, note 3; Leo J. Kadehjian, « Specimens for Drugs-of-Abuse Testing », dans Forensic Science and Medicine: Drugs of Abuse: Body Fluid Testing, R.C.Wong et H.Y. Tse (éd.), Totawa, NJ, Humana Press, 2005. Voir aussi Entrop, supra, note 9. Les techniques d’analyse de salive s’améliorent rapidement [voir par exemple Nathalie A. Desrosiers et coll., « On-Site Test for Cannabinoids in Oral Fluid », Clinical Chemistry, vol. 58, no 10 (2012), p. 1418]. Cependant, en raison d’une variété de facteurs, la détermination de l’affaiblissement des facultés au moyen d’une analyse de la salive comporte encore des limites. Voir Marilyn A. Huestis, et coll., « Oral Fluid Testing: Promises and Pitfalls », Clinical Chemistry, vol. 57, no 6 (2011), p. 805; V. Vindenes, et coll., « Detection of Drugs of Abuse in Simultaneously Collected Oral Fluid, Urine and Blood from Norwegian Drug Drivers », Forensic Science International, vol. 219 (2012), p. 165; Frone, supra, note 3; Alain Verstraete, « Detection Times of Drugs of Abuse in Blood, Urine, and Oral Fluid »,Ther Drug Monit, vol. 26, no 2 (2004), p. 200; Scott Macdonald, « Submission to the Society of Energy Professionals and the Power Workers’ Union Comment on the Canadian Nuclear Safety Commission Discussion Paper Fitness for Duty: Proposals for Strengthening Alcohol and Drug Policy, Programs and Testing », 2012. En ligne : www.suretenucleaire.gc.ca.eng/pdfs/Discussion-Papers/12-03/20120919-DIS-12-03-Scott_Macdonald.pdf. Les analyses sanguines peuvent s’avérer plus efficaces que d’autres méthodes pour détecter les niveaux de drogues associés à l’affaiblissement des facultés, mais sont très intrusives. Voir Leo J. Kadehjian, ibid.; Macdonald, 2010, supra, note 5. Un analyseur d’haleine pour la détection des drogues est en cours d’élaboration. Voir Olof Beck, « Exhaled Breath for Drugs of Abuse Testing – Evaluation in Criminal Justice Settings », Science and Justice, vol. 54 (2014), p. 57; Sarah K. Himes et coll., « Cannabinoids in Exhaled Breath following Controlled Administration of Smoked Cannabis », Clinical Chemistry, vol. 59, n12 (2013), p. 1780. Cependant, peu de documentation scientifique en valide l’usage.

[48] Dans l’affaire Imperial Oil Ltd, 2008, supra, note 44, la Cour divisionnaire de l’Ontario a affirmé : « Nul ne conteste que la méthode actuelle de dépistage des drogues [salive] puisse détecter l’affaiblissement par le cannabis, bien que le résultat du test ne soit pas disponible au moment de l’administration » (par. 10). Cependant, les limites de cette méthode sont manifestes dans la documentation scientifique (voir la note de fin de texte 47, ci-haut).

[49] Dans Imperial Oil Ltd, 2006 supra, note 44, le dépistage des drogues dans la salive par la méthode de l’écouvillonnage buccal a été jugé non valide aux termes de la convention collective, en partie parce que les résultats ne pouvaient pas être obtenus immédiatement. Le test devait être soumis à un laboratoire à des fins d’analyse. Les employés qui obtenaient éventuellement un résultat positif reprenaient leurs fonctions critiques sur le plan de la sécurité immédiatement après le dépistage. Par conséquent, cette méthode ne pouvait pas assurer la sécurité immédiate dans le lieu de travail, et ne s’apparentait donc pas à l’alcootest, dont la validité a été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario dans la décision Entrop (aux par. 112-113). Cette décision a été confirmée dans Imperial Oil Ltd, 2008, supra, note 44, et dans Imperial Oil Ltd, 2009, supra, note 44. Les directives en matière de dépistage des drogues conseillent de soumettre les tests d’analyse de salive initiaux à un laboratoire pour qu’ils soient analysés à l’aide de techniques de laboratoire de qualité élevée et vérifiés par un médecin examinateur. Voir European Workplace Drug Testing Society, European Guidelines for Workplace Drug Testing in Oral Fluid, 2011. En ligne : EWDTS www.ewdts.org/ewdts-guidelines.html (consulté le 21 juillet 2015), par. 6; Substance Abuse and Mental Health Services Administration, « Mandatory Guidelines for Federal Workplace Drug Testing Programs – Oral Fluid » (proposition), Federal Register, vol. 80, no 94 (2015). En ligne : Department of Health and Human Services www.samhsa.gov/workplace/drug-testing#proposed-mandatory-guidelines (consulté le 22 juillet 2015), par. 28086.

[50] La jurisprudence sur les droits de la personne des différents territoires de compétence ne s’entend pas sur l’acceptabilité du dépistage des drogues préalable à l’emploi et de façon aléatoire. Par exemple, malgré le jugement du TCDP selon lequel le dépistage du cannabis au moyen d’analyses d’urine n’indiquait pas qu’une personne avait les facultés affaiblies au travail, dans Milazzo, supra, note 34, ce type de dépistage a été jugé « raisonnablement nécessaire » pour atteindre le but légitime lié au travail. Cela était dû au fait que les conducteurs d’autobus n’étaient pas supervisés la plupart du temps et qu’un résultat positif de test, bien que non concluant, constituait une « alerte » qui aidait à cerner les conducteurs les plus susceptibles d’avoir un accident. Le dépistage des drogues et de l’alcool servait
de mesure de dissuasion des employés qui avaient le contrôle sur leur consommation d’alcool ou de drogues, mais il existait trop peu d’éléments de preuve pour conclure qu’il aurait dissuadé des personnes ayant des problèmes de consommation d’alcool ou de drogues. La politique reflétait aussi la nécessité de se conformer à la législation américaine. Cependant, le TCDP a déterminé qu’elle ne prévoyait pas l’accommodement jusqu’au point de préjudice injustifié des personnes ayant obtenu un résultat positif. Voir également Chornyj, supra, note 36; Dennis v Eskasoni Band Council [2008] CHRD No 38 (QL); Alberta (Human Rights and Citizenship Commission) v Kellogg Brown & Root (Canada) Company, 2007 ABCA 426, (autorisation d’appel à la C.S.C. refusée).

[51] Irving, supra, note 7.

[52] Irving, supra, note 7, au par. 31.

[53] Dans la décision Irvingsupra, note 7, la minorité dissidente a noté dans la note en bas de page 2 (par. 86) :

Bien que l’arrêt Entrop ait été décidé dans le contexte d’un milieu de travail non syndiqué en vertu de la législation sur les droits de la personne, il demeure pertinent à l’analyse de la raisonnabilité des politiques de tests de dépistage de drogue et d’alcool. En effet, le conseil en l’espèce s’est fondé sur l’arrêt Entrop pour évaluer le caractère attentatoire de l’éthylométrie (par. 116). Que l’arbitre applique le critère élaboré par la Cour dans le contexte des droits de la personne dans Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU1999 CanLII 652 (CSC), [1999] 3 S.C.R. 3 (« Meiorin »), ou les lois traditionnelles en matière de relations de travail et le critère énoncé dans la sentence arbitrale KVP, au fond, l’examen dans les deux cas porte sur la raisonnabilité de la politique de la société. Dans certaines provinces, les arbitres peuvent arbitrer des griefs contestant ces politiques tant sur le fondement de la sentence arbitrale KVP que sur la décision Meiorin, et nous avons de la difficulté à accepter qu’une politique serait annulée en vertu d’un critère, mais jugée acceptable en vertu de l’autre. Voir par exemple Loi sur les relations de travail, 1995, L.O. 1995, chap. 1, Annexe Aal. 48(12)(j). 

[54] Irving, supra, note 7, au par. 20.

[55] Entrop, supra, note 9. La Cour d’appel de l’Ontario n’a pas trouvé nécessaire de s’immiscer dans la décision de la Commission d’enquête de l’Ontario selon laquelle le dépistage effectué après la réintégration du poste ne contrevenait pas au Code, tant que cela était nécessaire dans le cadre d’une évaluation plus exhaustive dont le but était de déterminer s’il s’agissait d’un cas de consommation ou de surconsommation d’alcool ou de drogues par l’employé (par. 129).

[56] Dans le cadre d’une analyse documentaire, McLellan, et coll. ont chiffré à entre 40 % et 60 % les taux de rechute des personnes ayant une dépendance (alcool et drogues) durant la première année suivant la fin du traitement, ce qui est semblable aux taux de rechute associés au diabète de type 1 (30 % à 50 %), à l’hypertension (50 % à 70 %) et à l’asthme (50 % à 70 %). McLellan, et coll., « Comparison of Relapse Rates Between Drug Addiction and Other Chronic Illnesses » (2000) 284, JAMA, vol. 284 (2000), p. 1693.

[57]Colonial Cookies Corp v United Food and Commercial Workers Canada, Local 175 (Grant Grievance), [2010] OLAA No. 468 (QL). Dans la décision Milazzosupra, note 34, au par. 34, le TCDP indiquait :

Par conséquent, l’« entente de dernière chance » est, de l’avis du tribunal, inexécutable au regard de la Loi [canadienne sur les droits de la personne]. Comme l’indique la jurisprudence, une analyse de chaque cas doit être effectuée afin de déterminer s’il est impossible ou non pour l’employeur de tenir compte des besoins de l’employé ou l’employée jusqu’au point de préjudice injustifié. Bien que l’intimé ait certainement le droit d’aviser les employés qui reprennent le travail après leur rétablissement que toute rechute pourrait mener au congédiement, l’imposition d’une entente de dernière chance ne peut avoir pour effet d’annuler l’obligation d’accommodement établie aux termes des lois sur les droits de la personne.

[58]Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000, [2008] 2 SCR 561; Hall v Chief of Police, Ottawa Police Service, 2008 CanLII 65766 (Ont Div Ct).

[59] Article 17 du Code des droits de la personne de l’Ontario.

6. Administration des tests et gestion des résultats

Au moment d’élaborer une politique ou un programme de dépistage, les employeurs devraient également songer aux questions suivantes :

  • Aviser les candidats à l’emploi et employés : Lorsque l’administration en cours d’emploi de tests de dépistage des drogues et de l’alcool est une exigence légitime, l’employeur devrait en aviser les candidats et candidates au moment d’effectuer l’offre d’emploi. Les employeurs devraient indiquer clairement les raisons pour lesquelles de tels examens médicaux sont requis et obtenir au préalable le consentement éclairé des candidats et employés.
     
  • Manipuler les échantillons de façon compétence : L’administration des tests de dépistage des drogues et de l’alcool doit être effectuée par des professionnels compétents. Des méthodes d’analyse réputées doivent être utilisées et l’analyse des résultats doit être effectuée par un laboratoire reconnu. De plus, il incombe à l’employeur de s’assurer que les échantillons prélevés sont bien étiquetés et protégés en tout temps.
     
  • §  Assurer la confidentialité : Bien que l’employeur soit avisé des résultats des tests, on devrait veiller à protéger la confidentialité des renseignements médicaux des employés. Toutes les données liées à l’évaluation de l’état de santé doivent être conservées en exclusivité par le médecin chargé du dépistage et ne doivent jamais être versées au dossier de l’employé ou de l’employée. Les employés devraient être avisés de la façon dont leurs renseignements médicaux seront gardés confidentiels.
     
  • Les employeurs ont le droit de savoir qu’un employé ou qu’une employée a un handicap ou une affection quelconque, quels sont ses besoins ou limites, dans quelle mesure il ou elle pourra exécuter les fonctions essentielles de son poste, ainsi  que les types de mesures d’adaptation qui pourraient s’avérer nécessaires. Cependant, les employeurs n’ont généralement pas le droit de connaître les renseignements médicaux confidentiels de la personne, y compris son diagnostic[60], à moins qu’il n’y ait un lien direct avec l’accommodement demandé ou que les besoins de la personne soient complexes, difficiles à combler ou peu clairs, et qu’ils justifient l’obtention de renseignements additionnels[61]. Dans de tels cas, la personne peut être invitée à communiquer des renseignements supplémentaires, y compris la nature du diagnostic établi, et le fournisseur de la mesure d’adaptation devrait pouvoir indiquer clairement pourquoi les renseignements sont requis. Pour un complément d’information, consulter la section 13.7 de la Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur les troubles mentaux et les dépendances de la CODP.
     
  • Le dépistage des drogues et de l’alcool peut révéler des renseignements autres que la consommation d’alcool et de drogues sur la santé de la personne[62]. Étant donné le potentiel d’atteinte à la dignité et à la vie privée que cela représente, il est important de manipuler les résultats de test d’une façon qui assure un maximum de confidentialité. Le dépistage de l’alcool et des drogues ne doit pas servir à des fins autres que le dépistage des substances dont fait explicitement état la politique relative à l’alcool et aux drogues de l’employeur.
     
  • Passer les résultats en revue avec l’employé ou l’employée : L’employeur devrait adopter des procédures qui permettent à un médecin spécialiste des troubles d’utilisation de substance de passer en revue les résultats des tests avec la personne intéressée. L’employé ou l’employée devrait avoir la possibilité de s’expliquer dans l’éventualité où d’autres motifs médicaux auraient pu entraîner un résultat positif.

[60] Simpson v Commissionaires (Great Lakes), 2009 HRTO 1362 (CanLII), au par. 35; Cristiano v Grand National Apparel Inc, 2012 HRTO 991, au par. 20; Wall v The Lippé Group, 2008 HRTO 50 (CanLII), [« Wall »]; Mellon c. Développement des ressources humaines Canada, [2006] T.D.P.C. No. 2; Leong v Ontario (Attorney General), 2012 HRTO 1685 (CanLII); Noe v Ranee Management; 2014 HRTO 746 (CanLII).

[61] Une personne pourrait devoir s’acquitter d’obligations plus rigoureuses en matière de divulgation de renseignements médicaux dans le contexte de litiges. Dans l’affaire Hicks v Hamilton-Wentworth Catholic District School Board¸ 2015 HRTO 1285 (CanLII), le TDPO a affirmé ce qui suit, au par. 17 : « En cas de différend concernant le statut médical d’un employé, des renseignements médicaux additionnels peuvent être requis. De plus lorsque le différend se transforme en litige, comme dans le présent cas, les parties ont droit à la divulgation de renseignements médicaux plus complets que dans d’autres circonstances ». Voir également Fay v Independent Living Services, 2014 HRTO 720 (CanLII).

[62] Par exemple, les échantillons d’urine peuvent déterminer si une employée est enceinte, ou si un employé prend des médicaments sur ordonnance ou est soigné pour une maladie cardiaque, un trouble bipolaire, le diabète, l’épilepsie ou la schizophrénie. Nancy Holmes et Karine Richer, Le dépistage des drogues en milieu de travail (2008). En ligne : Parlement du Canada www.lop.parl.gc.ca/content/lop/researchpublications/prb0751-f.htm (consulté le 10 mars 2015), par. 2.

7. Conséquences d’un test positif

7.1. Obligation d’accommodement

Même si le Code vise avant tout à faire en sorte que les personnes handicapées ne soient pas traitées de façon discriminatoire, il reconnaît que, dans certaines circonstances, la nature et (ou) le degré de leur handicap peuvent les empêcher de s’acquitter des fonctions essentielles d’un emploi. C’est pourquoi le paragraphe 17 (1) du Code prévoit qu’il n’est pas discriminatoire de traiter une personne de façon différente en milieu de travail parce qu’il lui est impossible de s’acquitter des fonctions essentielles d’un poste en raison de son handicap. Or, il ne suffit pas de présumer qu’une personne ne s’acquitte pas des fonctions ou ne répond pas aux exigences essentielles d’un poste en raison de son handicap; cette incapacité doit être déterminée objectivement. L’évaluation du handicap doit être à la fois exacte et juste.

Le paragraphe 17 (2) prévoit qu’une personne ne peut être considérée incapable de s’acquitter des fonctions essentielles de l’emploi à moins qu’il puisse être prouvé que les mesures d’adaptation nécessaires causent un préjudice injustifié à l’employeur, compte tenu du coût de ces mesures et des exigences en matière de santé et de sécurité[63].

Après qu’une personne a obtenu un résultat positif à un test de dépistage de l’alcool ou des drogues, on devrait l’aviser de la possibilité d’accommodement de ses besoins. Les employés ont droit à une évaluation individualisée menée par une personne possédant de l’expertise sur le plan des troubles d’utilisation de substance pour établir l’existence d’un handicap et évaluer toute mesure de soutien requise. L’accommodement des besoins doit être effectué, à moins que cela ne cause de préjudice injustifié, et la détermination du bien-fondé d’adopter des mesures disciplinaires doit inclure toute dépendance parmi ses circonstances atténuantes[64]. Le Code exige d’adopter des mesures d’adaptation individualisées ou personnalisées. Par conséquent, les politiques qui aboutissent d’office à une perte d’emploi ou à une réaffectation, ou qui imposent des conditions de réintégration inflexibles sans tenir compte de la situation particulière de la personne, sont peu susceptibles de satisfaire à cette exigence.

7.1.1. Responsabilités des employés et des employeurs

Le processus d’accommodement est une responsabilité partagée. Toutes les parties en cause devraient s’y engager dans un esprit de collaboration, mettre en commun l’information disponible et envisager les mesures d’adaptation possibles.

La personne handicapée doit faire ce qui suit :

  • aviser le fournisseur de la mesure d’adaptation qu’elle a un handicap (bien que le fournisseur de la mesure d’adaptation n’ait généralement pas le droit de connaître la nature du handicap)
  • décrire au meilleur de ses capacités, préférablement par écrit, la nature de ses besoins en matière d’accommodement afin que le fournisseur de la mesure d’adaptation puisse donner suite à sa demande
  • au besoin et lorsque cela est approprié, répondre aux questions ou fournir de l’information sur les limites ou restrictions pertinentes, y compris de l’information provenant de professionnels de la santé[65]. Cependant, les personnes en quête d’accommodement ne sont pas tenues de discuter de leur handicap ou de leurs besoins en matière d’accommodement avec des personnes autres que celles qui participent directement au processus d’accommodement[66]
  • prendre part aux discussions sur les mesures d’adaptation possibles
  • collaborer avec tout spécialiste dont l’assistance est requise pour gérer le processus d’accommodement ou qui pourrait fournir l’information demandée lorsque la personne handicapée n’a pas cette information
  • une fois que la mesure d’adaptation a été adoptée, satisfaire aux normes de rendement et exigences convenues, comme les normes de travail applicables
  • travailler de manière continue avec le fournisseur de la mesure d’adaptation afin de gérer le processus d’accommodement.

Le fournisseur de la mesure d’adaptation doit faire ce qui suit :

  • rester conscient du fait qu’une personne pourrait avoir besoin de mesures d’adaptation même si elle n’en a pas fait la demande spécifique ou formelle
  • accepter de bonne foi la demande d’accommodement présentée par la personne, à moins d’avoir des raisons légitimes d’agir autrement
  • obtenir au besoin (mais non de façon automatique) des opinions ou conseils d’experts
  • veiller activement à ce qu’on examine les solutions de rechange et mesures d’adaptation possibles[67] et faire les démarches nécessaires pour trouver diverses formes de mesures d’adaptation et solutions de rechange possibles[68]
  • conserver des dossiers sur la demande d’accommodement et les mesures prises
  • communiquer de façon régulière et efficace avec la personne et lui fournir des mises à jour sur le statut de la mesure d’adaptation et les prochaines étapes[69]
  • respecter le caractère confidentiel de la demande
  • limiter les demandes d’information aux questions qui se rapportent raisonnablement à la nature des limites ou restrictions, de manière à pouvoir répondre à la demande d’accommodement
  • mettre en œuvre les mesures d’adaptation en temps opportun[70] jusqu’au point
    de préjudice injustifié
  • assumer les frais de tout renseignement ou document médical requis (p. ex. le fournisseur de la mesure d’adaptation devrait payer les billets de médecin, évaluations, lettres dressant la liste des besoins en matière d’accommodement et autres)
  • assumer les coûts de la mesure d’adaptation requise.

En règle générale, on s’attend à ce que les employés avisent leur employeur de leurs besoins en matière d’accommodement. Cependant, en raison de la nature des dépendances à l’alcool et aux drogues, les gens peuvent ne pas reconnaître qu’ils ont un handicap ou être disposés à l’admettre, ou même reconnaître l’effet que leur dépendance a sur leur emploi[71]. Les employeurs ont l’obligation de se renseigner sur les besoins possibles d’une personne en matière de dépendance lorsque cette personne n’est clairement pas bien ou s’ils perçoivent qu’elle pourrait avoir des besoins en lien avec une dépendance[72]. Les employeurs devraient offrir de l’assistance et des mesures d’adaptation avant d’imposer des mesures disciplinaires ou d’autres conséquences[73]. Lorsqu’une personne obtient un résultat positif à un test de dépistage de l’alcool ou des drogues, cela déclenche l’« obligation de se renseigner ». Les employeurs devraient s’acquitter de cette obligation d’une façon respectueuse, qui protège la confidentialité de l’employé.  

Les syndicats et les associations professionnelles doivent jouer un rôle actif de partenaires dans le processus d’accommodement, partager la responsabilité avec l’employeur afin de faciliter l’accommodement des besoins et appuyer les mesures d’adaptation prévues sans égard aux conventions collectives, à moins que cela ne cause de préjudice injustifié[74].

Si la dépendance à l’alcool ou aux drogues d’un employé ou d’une employée empêche cette personne d’accomplir les fonctions essentielles de son poste, l’employeur doit d’abord fournir l’appui nécessaire pour que la personne puisse participer à un programme de rétablissement, à moins qu’il puisse démontrer que cela entraînerait un préjudice injustifié.

En général, s’il faut mettre en œuvre une mesure d’adaptation pour permettre à une personne de prendre part aux activités d’une organisation sans obstacle lié à un handicap, l’organisation doit prendre en charge les coûts de la mesure d’adaptation requise[75] à moins que cela ne cause de préjudice injustifié. La jurisprudence en matière de droits de la personne n’a cependant pas encore déterminé si cela inclurait le coût d’un traitement comme une thérapie, de la médication et autres.

Lorsque les gens ne sont pas en mesure de reconnaître qu’ils ont une dépendance, les politiques qui prévoient l’imposition de mesures disciplinaires aux personnes qui ne divulguent pas une dépendance à l’alcool ou aux drogues peuvent êtres jugées discriminatoires[76].

Même le fait de refuser des mesures d’adaptation ne justifie pas le congédiement immédiat d’une personne qui a une dépendance ou chez qui on perçoit une dépendance. L’employeur doit démontrer, par l’application de mesures disciplinaires progressives, que
la personne a été avertie de la situation et qu’elle est incapable de s’acquitter des fonctions essentielles de son poste. Si la personne refuse les mesures d’adaptation offertes et que des mesures disciplinaires progressives et mesures de gestion du rendement ont été mises en œuvre sans succès, la personne peut être congédiée.

Cette approche s’applique aux milieux de travail qui effectuent le dépistage des drogues et de l’alcool, et à ceux qui ne l’effectuent pas.  

Exemple : Un employé de bureau semble souvent en état d’ébriété pendant les heures de travail; l’employeur le convoque donc pour discuter du problème. L’employé refuse d’admettre l’existence du problème ou de consulter un thérapeute aux frais de l’employeur. Peu après, l’employé est congédié, sans préavis officiel. L’employeur peut avoir enfreint les droits de l’employé aux termes du Code.

Pour un complément d’information, consulter la section 13.6.1 de la Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur les troubles mentaux et les dépendances de la CODP.

Le refus de se soumettre à un test de dépistage des drogues et de l’alcool ne devrait pas amener automatiquement à conclure que l’employé ou l’employée échouerait un tel test. Il ne devrait pas non plus entraîner des mesures disciplinaires semblables à celles qu’on imposerait à la personne si elle avait une dépendance (p. ex. suspension du travail et réintégration possible uniquement si la personne accepte d’obtenir du counseling pour une consommation d’alcool ou de drogues). Les circonstances de l’affaire devraient plutôt être examinées au cas par cas, en tenant compte des motifs de refus de l’administration du test et d’autres facteurs pertinents, comme le dossier de service de la personne. Sinon, les mesures imposées pourraient équivaloir à de la discrimination fondée sur la perception d’un handicap[77].

7.1.2. Préjudice injustifié

L’employeur sera libéré de son obligation d’accommodement du membre du personnel ayant une dépendance à l’alcool ou aux drogues s’il peut démontrer que l’accommodement créerait un préjudice injustifié, c’est-à-dire que :

  1. Le coût des mesures d’adaptation est si élevé qu’il nuirait à la nature ou à la viabilité de l’entreprise. Cette analyse doit prendre en compte les sources extérieures de financement et les autres tentatives de réduction du coûtdes mesures;

    ou
     

  2. Les risques pour la santé et la sécurité des autres membres du personnel, du public ou de l’environnement sont si graves qu’ils l’emportent sur les avantages de l’accommodement demandé. Cette analyse doit avoir lieu après l’adoption de mesures d’adaptation et de mesures d’atténuation des risques.

Il incombe à l’employeur de prouver qu’une mesure d’adaptation causerait un préjudice injustifié au moyen d’éléments de preuve directs, réels et objectifs qui sont également quantifiables dans le cas du coût. Il ne suffit pas de simplement affirmer que le coût ou le risque est « trop élevé » en se basant sur des impressions ou des stéréotypes sans preuve à l’appui.

Le critère de détermination du préjudice injustifié est présenté de façon exhaustive dans la Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur les troubles mentaux et les dépendances de la CODP.

7.2. Usagers occasionnels d’alcool ou de drogues

Le fait de consommer de l’alcool et des drogues ne signifie pas qu’on a une dépendance (trouble d’utilisation de substance). En raison de la nature des dépendances, certaines personnes qui se disent usagers occasionnels pourraient en réalité avoir une dépendance[78]. Le Code offre à ces personnes une protection au motif du handicap. Quant aux réels usagers occasionnels d’alcool et de drogues, le Code les protège uniquement s’ils sont perçus comme ayant une dépendance[79].

Si un employeur croit qu’un usager occasionnel a une dépendance, ou si une politique de dépistage des drogues et de l’alcool traite l’usage occasionnel comme une dépendance, cela pourrait soulever des questions de droits de la personne au motif de la perception d’un handicap[80].

Exemple : Durant une visite de lieu de travail, la gérante d’un milieu de travail comportant des risques pour la sécurité remarque qu’un employé semble sous l’influence de l’alcool à son retour du dîner. L’entreprise possède une politique de dépistage des drogues et de l’alcool. Avant de reprendre le travail, l’employé doit se soumettre à un alcootest. Il obtient un résultat positif et admet consommer de l’alcool de façon occasionnelle. Il est congédié sur-le-champ. On lui refuse également le droit de travailler pour l’entreprise dans l’avenir à moins de pouvoir fournir de la documentation médicale attestant de sont aptitude à l’emploi. Les autres candidats à l’emploi ne sont pas tenus de fournir de telle documentation. Les gestes de l’employeur peuvent soulever des questions de droits de la personne au motif de la perception d’un handicap.

Les employeurs devraient être conscients de leur obligation de se renseigner de l’existence possible d’un handicap, mais ne devraient pas agir sur la base de stéréotypes. Ils devraient également veiller à ce que leurs politiques ne confondent pas la consommation d’alcool et de drogues avec la dépendance à l’alcool ou aux drogues.

À la suite de l’obtention d’un résultat positif à un test de dépistage de l’alcool ou des drogues, un employé pourrait être évalué de façon individuelle et qualifié d’usager occasionnel, par opposition à une personne ayant une dépendance à l’alcool ou aux drogues. De préférence dans de telles situations, les employeurs devraient envisager d’adapter toute sanction imposée aux circonstances de l’affaire.


[63] Voir la section 7.1.2. sur le préjudice injustifié.

[64] Voir Krieger v Toronto Police Services Board, 2010 HRTO 1361 (CanLII) [« Krieger »], au par. 157; Kemess Mines Ltd v International Union of Operating Engineers, Local 115, 2006 BCCA 58 (CanLII) (autorisation d’appel à la C.S.C. refusée) [« Kemess Mines Ltd »]; Bowden v Yellow Cab and others (No 2), 2011 BCHRT 14 (CanLII). En cas d’inconduite, la personne aux prises avec un handicap psychosocial qui souhaite bénéficier des mesures de protection prévues au Code serait tenue de démontrer une relation de cause à effet entre l’inconduite et un handicap psychosocial. Voir Fleming v North Bay (City), 2010 HRTO 355 (CanLII); Walton Enterprises v Lombardi, 2013 ONSC 4218 (CanLII); McLean v Riverside Health Care Facilities Inc, 2014 HRTO 1621 (CanLII), au par. 27.

[65] Dans l’arrêt Baber v. York Region Dist. School Board (No. 3) (2011), 2011 HRTO 213 (CanLII), le TDPO a conclu que même si la plaignante avait fait une demande d’accommodement, l’employeur avait rempli son obligation en ce sens parce que celle-ci n’avait pas collaboré au processus d’accommodement en rejetant des demandes raisonnables d’information ayant pu confirmer ses besoins. Elle a toujours refusé de fournir les renseignements médicaux pertinents. Le tribunal a également établi que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation d’accommodement en mettant fin à son emploi.

[66] Dans l’affaire Ravi DeSouza v 1469328 Ontario Inc, 2008 HRTO 23 (CanLII), le TDPO a conclu qu’un club de tennis avait fait de la discrimination fondée sur le handicap à l’endroit d’un instructeur de tennis en l’obligeant à aviser un client qu’il souffrait d’épilepsie et à enseigner à tout le personnel la façon de composer avec une crise d’épilepsie.

[67] Meiorin, supra, note 25, aux par. 65-66.

[68] Lane v. ADGA Group Consultants Inc., 2007 HRTO 34 (CanLII) [« Lane »]; ADGA Group Consultants Inc. v. Lane, 2008 CanLII 39605 (Ont. Div. Ct.) [« ADGA »]; Krieger, supra, note 64; MacLeod v Lambton (County), 2014 HRTO 1330 (CanLII).

[69] Hodkin v SCM Supply Chain Management Inc, 2013 HRTO 923 (CanLII).

[70] DansTurnbull v Famous Players Inc, 2001 CanLII 26228 (ON HRT), le TDPO a déterminé que même si la chaîne Famous Players avait pris des mesures pour se conformer au Code et faire en sorte que les personnes handicapées aient un accès égal à ses cinémas, elle ne l’avait pas fait assez rapidement et n’avait pas agi « avec diligence raisonnable dans les meilleurs délais » (para. 216).

[71] Voir Kemess Mines Ltd, supra, note 64; Primary Care Addiction Toolkit: Fundamentals of Addiction, 2010, What is addiction? En ligne : CAMH et St. Joseph's Health Centre. www.porticonetwork.ca/web/fundamentals-addiction-toolkit/introduction (consulté le 24 juin 2015). Les personnes ayant une dépendance pourraient hésiter à faire part de leur handicap en raison des stigmates considérables associés aux dépendances. Voir Centre de toxicomanie et de santé mentale, The Stigma of Substance Abuse: A Review of the Literature (18 août 1999). En ligne : CAMH www.camh.ca/en/education/Documents/www.camh.net/education/Resources_communities_organizations/stigma_subabuse_litreview99.pdf (consulté le 22 janvier 2016), par. 6-7.

[72] Wall, supra, note 60, au par. 80; Krieger, supra, note 64.

[73] Voir Lane, supra, note 68; ADGA, supra, note 68; Kriegersupra, note 68; Wall, supra, note 60; Mellon c. Développement des ressources humaines Canada, 2006 TCDP 3 (CanLII) aux par. 97-98; Willems-Wilson v Allbright Drycleaners Ltd [1997] BCHRTD No 26 (QL).

[74] La décision de la Cour suprême du Canada dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud [1992] 2 R.C.S. 970 définit les obligations des syndicats. Voir également Bubb-Clarke v Toronto Transit Commission, 2002 CanLII 46503 (HRTO).

[75] Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624.

[76] Mais voir la décision Stewart v. Elk Valley Coal Corporation, 2015 ABCA 225 (CanLII), dans le cadre de laquelle une majorité de la cour d’appel de l’Alberta a déterminé que le congédiement d’un employé qui n’avait pas divulgué sa dépendance ne constituait pas de la discrimination. Selon la majorité, compte tenu des éléments de preuve, l’employé n’avait pas de perte de contrôle suffisante et aurait pu satisfaire à l’exigence de divulgation. La Cour suprême du Canada a accordé le droit d’interjeter appel de la décision.

[77] Sterling Crane, supra, note 42.

[78] Voir CAMH et St. Joseph's Health Centre, supra, note 71.

[79] Entrop, supra, note 9, au par. 92. Il est à noter que dans plusieurs cas, les décideurs ont rejeté les requêtes pour discrimination de personnes qui se sont vues imposer des sanctions (comme le licenciement ou le rejet d’une candidature) après avoir échoué un test de dépistage des drogues ou de l’alcool parce qu’elles ne pouvaient pas démontrer qu’elles avaient une dépendance ou qu’elles étaient perçues comme ayant une dépendance. Voir par exemple Chornyjsupra, note 36.

[80] Chornyj, supra, note 36. Au par. 29, la Cour divisionnaire de l’Ontario a indiqué ce qui suit : 

Les décisions dans Entrop et Kellogg vont à l’encontre de la proposition selon laquelle la seule existence d’une politique de dépistage des drogues constitue de la discrimination à première vue fondée sur la perception d’un handicap. L’effet de la politique de dépistage des drogues doit être examiné au cas par cas pour déterminer si la prétention de perception d’un handicap est défendable.

Les conséquences graves ou rigides, comme le congédiement automatique, peuvent donner l’impression que la politique de l’employeur traite l’employé comme s’il avait une dépendance. Dans Entropsupra, note 9, la Cour d’appel de l’Ontario a examiné la politique de dépistage des drogues et de l’alcool de la société Imperial Oil, qui présentait la surconsommation d’alcool ou de drogues comme un phénomène débutant parfois par un usage expérimental. Le tribunal a déterminé que la société imposait des sanctions à toute personne qui obtenait un résultat positif en partant du principe que la personne est susceptible de se présenter au travail les facultés affaiblies, à l’heure actuelle ou dans l’avenir, et par conséquent n’est pas « apte au travail ». Sur cette base, il a conclu que les dispositions visant le dépistage des drogues et de l’alcool préalable à l’emploi et de façon aléatoire constituaient de la discrimination à première vue à l’égard des personnes qui ont, ou sont perçues comme ayant, un problème de surconsommation de drogues (par. 90-92). Voir aussi Greater Toronto Airports Authority c. Public Service Alliance of Canada, Local 0004, [2007] C.L.A.D. No. 243 (QL), au par. 297.

8. Autres méthodes

Il y a d’autres façons, outre le dépistage des drogues et de l’alcool, de composer avec les questions de santé et de sécurité en milieu de travail. Plusieurs autres facteurs dont la fatigue et le stress peuvent causer des incidents au travail. De nombreuses organisations mènent des activités à risque élevé de façon sécuritaire, sans adopter de politique de dépistage des drogues ou de l’alcool[81]. Comme nous l’avons indiqué précédemment, les employeurs devraient utiliser les méthodes les moins intrusives d’évaluation de l’affaiblissement des facultés et de l’aptitude au travail.

Au moment de déterminer quelle est la meilleure façon de régler les questions de sécurité, les employeurs devraient songer à adopter des approches de rechange qui n’ont pas d’effet discriminatoire[82]. Par exemple, les PAE peuvent aider les personnes ayant une dépendance à l’alcool ou aux drogues, mais aussi aider les employés à composer avec le stress qui mène parfois à la dépendance. Les programmes de sensibilisation aux drogues et de promotion de la santé peuvent également prévenir les problèmes avant qu’ils ne se manifestent, en s’attaquant à leurs causes.

Parmi les solutions de rechange au dépistage figurent :

  • l’utilisation ou l’élaboration de tests de rendement qui peuvent évaluer l’affaiblissement des capacités cognitives ou psychomotrices liées aux parties intégrales du poste
  • la formation des superviseurs ou d’autres membres du personnel afin qu’ils reconnaissent les conduites pouvant nuire à la sécurité au travail, y compris
  • les signes de consommation d’alcool ou de drogues
  • l’exécution de contrôles aléatoires
  • l’observation et la planification de vérifications
  • la surveillance par les pairs.

[81] Mechanical Contractors Assn Sarnia, 2013, supra, note 29, au par. 141.

[82] Le critère à trois volets d’établissement d’une exigence de bonne foi inclut la prise en compte des facteurs non exhaustifs suivants :  si l’organisation a cherché des solutions de rechange qui n’ont pas d’effets discriminatoires; les raisons pour lesquelles des solutions de rechange viables n’ont pas été mises en œuvre; si l’organisation peut atteindre ses buts légitimes d’une façon moins discriminatoire; si la norme est bien conçue pour garantir l’obtention de la qualité requise sans imposer de fardeau indu aux personnes auxquelles elle s’applique, etc. Meiorin, supra, note 6, au par. 65.

Annexe A : Objet des politiques de la CODP

L’article 30 du Code autorise la CODP à préparer, à approuver et à publier des politiques sur les droits de la personne pour fournir des directives quant à l’application des dispositions du Code. Les politiques et directives de la CODP établissent les normes concernant la ligne de conduite que doivent adopter les personnes, les employeurs, les fournisseurs de services et les décideurs pour se conformer au Code. Elles sont importantes parce qu'elles représentent l'interprétation, par la CODP, du Code au moment de sa publication[83]. Enfin, elles favorisent une interprétation progressive des droits établis dans le Code.

L’article 45.5 du Code stipule que le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) peut tenir compte des politiques approuvées par la CODP dans une instance devant lui. Lorsqu’une partie ou un intervenant à une instance en fait la demande, le TDPO doit tenir compte de la politique de la CODP citée. Lorsqu’une politique de la CODP est pertinente pour l’objet d’une requête pour droits de la personne devant le TDPO, les parties et les intervenants sont encouragés à porter la politique à l’attention du TDPO pour qu’il en tienne compte.

Conformément à l’article 45.6 du Code, si le TDPO rend une décision ou une ordonnance définitive dans le cadre d’une instance à laquelle participait la CODP à titre de partie ou d’intervenant, et que la décision ou l’ordonnance n’est pas compatible avec une politique de la CODP, cette dernière peut présenter une requête au TDPO afin qu’il soumette un exposé de cause à la Cour divisionnaire à des fins d’examen du manque de conformité à la politique.

Les politiques de la Commission sont assujetties aux décisions des cours supérieures qui interprètent le Code. Les tribunaux judiciaires et le TDPO manifestent une grande déférence à l’égard des politiques de la CODP[84]. Celles-ci sont appliquées aux faits de la cause devant le tribunal judiciaire concerné ou le TDPO, et citées dans les décisions de ces tribunaux[85].


[83] Veuillez noter que les documents ne reflètent pas l’évolution de la jurisprudence, les modifications législatives et (ou) les changements de position de la CODP survenus après leur parution. Pour plus d'information, communiquer avec la Commission ontarienne des droits de la personne.

[84] Dans Quesnel v London Educational Health Centre (1995), 28 CHRR D/474 (Ont Bd Inq), la commission d’enquête a appliqué l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis dans Griggs c. Duke Power Co., 401 US 424 (4th Cir. 1971) pour conclure que les déclarations de principes de la Commission devraient être envisagées avec « un grand respect » si elles correspondent aux valeurs véhiculées par le Code et élaborées conformément à l’historique de ce texte de loi. Cette dernière exigence a été interprétée de manière à signifier qu’ils ont été formulés par le truchement d’un processus de consultation publique.

[85] Par exemple, la Cour de justice supérieure de l'Ontario a cité in extenso des extraits des travaux publiés par la CODP dans le domaine de la retraite obligatoire et déclaré que les efforts de la CODP avaient « profondément modifié » l'attitude à l’égard de la retraite obligatoire en Ontario. Les travaux de la CODP sur la retraite obligatoire ont sensibilisé le public à cette question et ont, en partie, abouti à la décision du gouvernement de l'Ontario d'adopter une loi modifiant le Code pour interdire la discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi après l'âge de 65 ans, sous réserve de certaines exceptions. Cette modification, qui est entrée en vigueur en décembre 2006, fait en sorte qu’il est illégal pour la plupart des employeurs de l’Ontario d’adopter des politiques sur la retraite obligatoire : Assn of Justices of the Peace of Ontario v Ontario (Attorney General) (2008), 92 OR (3d) 16, au par. 45 CanLII 26258 (SupCt). Voir également Krieger, supra, note 68, et Eagleson Co-Operative Homes, Inc v Théberge, 2006 CanLII 29987 (Ont Div Ct) 9, dans lesquelles le TDPO et la Cour ont appliqué le document Politique et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement, supra, note 32. 

Annexe B : Sommaire des situations de dépistage des drogues et de l’alcool en milieu de travail et du Code des droits de la personne

Lorsque des politiques ou programmes de dépistage de l’alcool ou des drogues entraînent des conséquences négatives en raison d’un handicap ou de la perception d’un handicap, il peut s’agir de discrimination à première vue. Dans ces cas, les employeurs peuvent uniquement justifier le dépistage des drogues et de l’alcool si cela constitue une exigence raisonnable et de bonne foi (légitime). S’il ne peut le justifier sur cette base, le dépistage contreviendra au Code des droits de la personne de l’Ontario. Les politiques de dépistage des drogues et de l’alcool devraient être conçues de façon à satisfaire au critère de la Cour suprême du Canada en matière d’exigences de bonne foi (voir la section 4).


Annexe B : Sommaire des situations de dépistage des drogues et de l’alcool
SITUATIONS DE DÉPISTAGE DES DROGUES ET DE L’ALCOOL SOMMAIRE FACTEURS À PRENDRE EN CONSIDÉRATION

Dépistage des drogues avant l’obtention du poste

La CODP n’est pas en faveur du dépistage
  • Le dépistage ne peut établir ou prédire qu’une personne se présentera au travail avec les facultés affaiblies.
  • Au moment de la publication de cette politique, l’établissement de l’affaiblissement actuel des facultés à l’aide de résultats rapides obtenus de la méthode de dépistage la moins invasive comporte encore des limites.
  • Si le dépistage cause un effet préjudiciable en raison d’une dépendance ou de la perception d’une dépendance, l’employeur pourrait avoir de la difficulté à justifier qu’il s’agit d’une exigence de bonne foi.  

Dépistage de l’alcool avant l’obtention du poste

La CODP n’est pas en faveur du dépistage
  • Le dépistage ne peut établir ou prédire qu’une personne se présentera au travail avec les facultés affaiblies.
  • Si le dépistage cause un effet préjudiciable en raison d’une dépendance ou de la perception d’une dépendance, l’employeur pourrait avoir de la difficulté à justifier qu’il s’agit d’une exigence de bonne foi. 
Dépistage aléatoire des drogues

Le dépistage peut être permis si :

  • la technique utilisée est très précise, peut mesurer l’affaiblissement des facultés au moment de l’administration du test, est peu intrusive et procure des résultats rapides
  • les employés occupent des postes critiques sur le plan de la sécurité  
  • la supervision du personnel est minime ou non existante
  • il existe des éléments de preuve d’un risque dans le milieu de travail particulier
  • l’employeur s’acquitte de son obligation d’accommodement des besoins des personnes qui ont une dépendance et dont les résultats de tests s’avèrent positifs.
  • Au moment de la publication de cette politique, l’établissement de l’affaiblissement actuel des facultés à l’aide de résultats rapides obtenus de la méthode de dépistage la moins invasive comporte encore des limites.
  • Par conséquent, un employeur pourrait avoir de la difficulté à démontrer que le dépistage constitue une exigence de bonne foi
  • Les tests de dépistage qui satisfont aux exigences du Code peuvent être contestés par les employés au motif de la protection de leur vie privée.

Dépistage aléatoire de l’alcool

Le dépistage peut être permis si :

  • on utilise la méthode de l’alcootest
  • les employés occupent des postes critiques sur le plan de la sécurité
  • la supervision du personnel est minime ou non existante
  • il existe des éléments de preuve d’un risque dans le milieu de travail particulier
  • l’employeur s’acquitte de son obligation d’accommodement des besoins des personnes qui ont une dépendance et dont les résultats de tests s’avèrent positifs.
  • L’alcootest est une méthode de dépistage peu intrusive et à grande précision, qui est capable de mesurer l’affaiblissement actuel des facultés et procure des résultats rapides.

Les tests de dépistage qui satisfont aux exigences du Code peuvent être contestés par les employés au motif de la protection de leur vie privée.

Dépistage pour motifs raisonnables et à la suite d’un incident (drogues et alcool)

Le dépistage peut être permis si :

  • si on a établi un lien entre l’affaiblissement des facultés et l’exécution de fonctions critiques sur le plan de la sécurité, ou dans d’autres situations spécifiques
  • cela s’inscrit dans le cadre d’une évaluation plus générale de la dépendance à l’alcool ou aux drogues
  • l’employeur s’acquitte de son obligation d’accommodement des besoins des personnes qui ont une dépendance et dont les résultats de tests s’avèrent positifs.
  • dans le cas du dépistage à la suite d’un incident, il est raisonnable dans le cadre de l’enquête d’examiner l’état de l’employé ou de l’employée.
  • La décision d’administrer un test de dépistage à un employé ou une employée en raison de motifs raisonnables devrait reposer sur des comportements ou indicateurs spécifiques ayant été observés (voir la section 5.2).
  • Le dépistage à la suite d’un incident peut être effectué après l’obtention de rapports de conduites dangereuses ayant presque causé un incident. 

Dépistage effectué dans le cadre d’un plan de rétablissement (drogues et alcool)

Le dépistage peut être permis si :

  • un employé réintègre un poste critique sur le plan de la sécurité
  • les conditions de retour au travail sont adaptées aux circonstances particulières de la personne
  • les périodes de dépistage établies sont raisonnables et non excessivement onéreuses ou intrusives.
  • Les employés qui reprennent le travail
    à la suite d’un traitement pourraient devoir remplir certaines conditions, y compris se soumettre à des tests de dépistage aléatoires (drogues ou alcool).
  • Même après une rechute, un employeur conserve son obligation d’accommodement. Cependant, l’obligation d’accommodement n’est pas illimitée (voir la section 5.4 pour obtenir plus d’information). 

Résultat positif  personnes ayant une dépendance

Si une évaluation individualisée révèle qu’une personne a une dépendance :

  • des mesures d’adaptation personnalisées doivent être fournies jusqu’au point de préjudice injustifié
  • p. ex : du soutien doit être offert pour aider la personne à suivre un programme de rétablissement, à moins que cela ne cause de préjudice injustifié
  • l’organisation doit considérer le handicap
    de la personne comme facteur atténuant
    au moment d’envisager des mesures disciplinaires
  • le congédiement ou la réaffectation automatique, ou l’imposition de conditions de réintégration rigides, ne constitue pas une réaction acceptable.  
Aux termes du Code, les personnes handicapées doivent bénéficier de mesures d’adaptation au travail jusqu’au point de préjudice injustifié.   

Résultat positif : usagers occasionnels

Le Code peut s’appliquer si la personne :

  • est perçue subjectivement par l’employeur comme ayant un handicap, ou
  • est traitée comme si elle avait une dépendance, en raison des conséquences de la politique sur le dépistage des drogues et de l’alcool.  

Si une évaluation individualisée révèle qu’une personne n’a pas de dépendance :

  • l’approche privilégiée consiste à adapter toute sanction aux circonstances individuelles de la personne.
  • Les personnes qui consomment
    des drogues ou de l’alcool de façon occasionnelle  (par opposition aux personnes qui ont une dépendance) bénéficient des mesures de protection prévues au Code seulement si elles sont perçues comme ayant un handicap.

Les programmes qui traitent l’usage occasionnel comme s’il s’agissait d’une dépendance peuvent mener à la détermination d’une « dépendance perçue ».