12. Programmes, lois et politiques touchant la santé mentale et les dépendances

Différents types de programmes, de lois et de politiques ciblent les personnes handicapées, dont les personnes ayant des troubles mentaux ou des dépendances, ou leur procurent des services ou un bénéfice. Parmi eux figurent les programmes, lois et politiques qui :

  • favorisent l’équité et éliminent les obstacles (p. ex. la LAPHO et les programmes spéciaux visés par l’art. 14 du Code)
  • fournissent des soutiens, mesures d’adaptation ou avantages particuliers (p. ex. prestations du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, groupements sélectifs) 
  • restreignent les activités de certaines personnes ou leur participation à la société (p. ex. lois touchant la capacité ou compétence au sens de la loi qui pourraient restreindre les activités au sein de la société des personnes ayant des troubles psychiques)[152].

Tous ces programmes, lois et politiques sont régis par le Code. Même lorsqu’elles restreignent la participation à un programme, l’adhésion à un groupe ou l’admissibilité à un emploi aux seules personnes ayant des handicaps psychosociaux afin de limiter les iniquités ou les épreuves auxquelles se heurtent ces personnes, les organisations ont l’obligation, au sens de la loi, d’intervenir pour prévenir et éliminer la discrimination.

Les mesures qui visent de façon particulière les personnes ayant des handicaps psychosociaux doivent assurer l’équité, tenir compte des besoins individuels des personnes et respecter la dignité. Elles ne doivent jamais servir à perpétuer les iniquités, la ségrégation ou l’exploitation. 

Des questions spécifiques ont été soulevées relativement aux évaluations effectuées et aux soins fournis par le système de santé. Le Code couvre tous les services, y compris les soins de santé. Les gestes et la conduite des professionnels de la santé, et les lois qui s’appliquent aux soins de santé prodigués aux personnes ayant des troubles mentaux et des dépendances, doivent respecter le droit des personnes de vivre à l’abri de la discrimination.

Peuvent être soumis à un examen de conformité aux lois relatives aux droits de la personne à la fois le processus de sélection d’un service et les critères utilisés pour en choisir les usagers[153]. Comme le démontrent des causes intentées contre des programmes gouvernementaux de prestations d’envergure[154], les critères qui sont trop peu inclusifs ou qui empêchent les personnes ayant des handicaps spécifiques de tirer avantage de certains avantages offerts à d’autres personnes handicapées ou aux personnes non handicapées peuvent être jugés discriminatoires dans certaines circonstances. Dans de tels cas, les décideurs du secteur des droits de la personne peuvent chercher à savoir si l’exclusion de requérants était fondée sur des motifs protégés par le Code ou si ces motifs ont joué un rôle dans la décision du gouvernement[155].

Les organisations devraient examiner attentivement leurs critères de sélection pour veiller à ce qu’ils reflètent l’objectif sous-jacent du programme ou service et ne mènent pas à l’exclusion injustifiée de personnes en raison d’un problème de santé mentale ou d’une dépendance, ou d’autres motifs protégés aux termes du Code[156].

Exemple : Le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) est un programme d’aide sociale destiné aux personnes handicapées qui ont un faible statut socio-économique. Il se distingue d’Ontario au travail, le programme général d’aide sociale de l’Ontario, par le fait que seules les personnes handicapées peuvent y participer. Les personnes qui respectent les critères d’admissibilité ont droit à des mesures financières et d’aide à l’emploi spécifiques offertes par le POSPH. Une requête a été intentée avec succès contre le programme parce qu’il excluait les personnes dont le handicap était uniquement lié à une dépendance à l’alcool ou aux drogues. La Cour d’appel de l’Ontario a déterminé qu’il était bien connu que les toxicomanes et bénéficiaires de l’aide sociale font l’objet de stigmatisation et de préjugés, et qu’il n’y avait aucune explication juridique évidente de l’inadmissibilité des personnes aux prises avec une dépendance aux prestations. Cela suffisait pour en déduire que la loi était discriminatoire, car elle « perpétuait un préjudice et un désavantage, et véhiculait des stéréotypes en privant les requérants d’avantages offerts à d’autres personnes en raison de leur handicap particulier[157] ».

Des désaccords peuvent survenir à propos de décisions médicales, y compris de diagnostics médicaux, de l’administration (ou non) d’un médicament particulier, de l’inclusion d’une personne à un programme médical particulier ou de la décision d’appréhender une personne aux termes de la Loi sur la santé mentale. Ces décisions sont prises par des médecins, par d’autres fournisseurs de soins de santé ou par des agents de police, dans le cas de l’appréhension d’une personne aux termes de la Loi sur la santé mentale. Il a été déterminé que les allégations générales concernant la mauvaise évaluation d’un handicap ou la prestation de soins de santé ne répondant pas aux normes appropriées compte tenu du handicap ne relevaient pas de la législation relative aux droits de la personne. Pour qu’elles en relèvent, on doit pouvoir plaider que le traitement approprié n’a pas été prodigué en raison du handicap psychosocial ou de l’état de santé de la personne, ou que le fournisseur de services médicaux n’a pas tenu compte des besoins de la personne jusqu’au point de préjudice injustifié[158]. Des tribunaux ont conclu qu’il n’était pas suffisant d’être en désaccord avec une décision médicale, ou une appréhension aux termes de la Loi sur la santé mentale, même si on avait pu établir qu’il ne s’agissait pas d’une bonne décision. Un facteur additionnel de discrimination doit accompagner l’allégation[159].

Cependant, lorsqu’un traitement différentiel fondé sur un handicap psychosocial réel ou perçu a un effet préjudiciable, qu’un fournisseur de soins ne tient pas compte des besoins d’un patient en matière de handicap jusqu’au point de préjudice injustifié, ou qu’une conduite ou pratique a un effet disproportionné sur des personnes ayant des handicaps psychosociaux, le cas peut relever du Code[160].

Les personnes ayant des troubles psychiques qui ne vont pas bien et qui doivent composer avec des restrictions de leur autonomie se retrouvent en situation de grande vulnérabilité. Elles peuvent ne pas se sentir en position de s’opposer à des comportements ou à des gestes pouvant s’avérer discriminatoires. Pour se conformer aux lois comme le Code et la LAPHO, les fournisseurs de soins de santé et autres parties offrant des services aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou des dépendances (comme les services de police) devraient élaborer des politiques relatives aux droits de la personne et des procédures de dépôt de plaintes pour faire en sorte que les membres de la collectivité comprennent leurs droits et responsabilités.

12.1 Programmes spéciaux

L’article 14 du Code autorise la mise en œuvre de programmes destinés à aider des personnes qui se heurtent à des difficultés, à un désavantage économique, à une iniquité ou à de la discrimination, et protègent ces programmes contre les attaques de personnes qui ne connaissent pas le même désavantage[161].

Les programmes dotés de critères bien conçus qui prêtent assistance aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou des dépendances peuvent constituer une bonne façon d’assurer l’égalité réelle. La CODP encourage les organisations à mettre sur pied et en œuvre des programmes spéciaux pour pallier les difficultés ou désavantages qui existent. Voici des exemples de programmes spéciaux qui visent à alléger les désavantages historiques auxquels se heurtent les personnes ayant des handicaps psychosociaux :

  • Embauche et formation – programmes visant à remédier à la sous-représentation des personnes ayant des handicaps psychosociaux au sein d’une organisation, d’une profession ou d’une catégorie d’emploi
  • Logement – programmes qui aident les personnes qui ont des handicaps psychosociaux et ont par le passé éprouvé de la difficulté à se loger
  • Santé – stratégies spéciales d’amélioration des résultats en santé des personnes ayant des troubles psychiques et des dépendances
  • Éducation – initiatives visant à aider les personnes ayant des handicaps psychosociaux en milieu scolaire, en matière de formation professionnelle, ou en vue de leur admission à certains programmes dont elles ont historiquement été exclues
  • Initiatives pour usagers/survivants – entreprises et services de soutien gérés par des usagers/survivants à l’intention d’usagers/survivants, et bénéficiant souvent de financement public
  • Défense des droits et intérêts – initiatives visant à aider les personnes ayant des handicaps psychosociaux à exercer leurs droits garantis par la loi.

Pour qu’un programme soit qualifié de programme spécial, on doit pouvoir établir un lien logique entre son objectif et les restrictions ou exclusions qu’il impose, et ces restrictions ou exclusions doivent s’appuyer sur des éléments de preuve objectifs. Les critères d’admissibilité qui ne sont pas clairement liés à l’objectif du programme et qui ont un effet préjudiciable sur certaines personnes protégées par le Code contreviennent probablement aux droits de la personne.

Par conséquent, si un programme exclut une personne aux prises avec un handicap psychosocial qui a des besoins que le programme a été conçu pour combler, le fournisseur du programme serait tenu de justifier l’exclusion en démontrant qu’elle est liée à l’objectif sous-jacent du programme[162].

Exemple : Compte tenu de recherches exhaustives démontrant que les personnes ayant des « problèmes de santé mentale graves » affichent des taux très élevés d’itinérance, le gouvernement décide de fournir un financement à des organisations pour créer des programmes de logements abordables qui offrent un hébergement et des services de soutien à ce groupe de personnes. Un organisme de logement décide d’exclure de ses participants les personnes qui ont des dépendances (comme seul handicap ou en complément d’un problème de santé mentale). Si une personne décidait de contester cette exclusion, le fournisseur de logement serait tenu de justifier la pertinence de cette restriction par rapport à l’objectif du programme. Sinon, il pourrait être établi que le programme contrevient au Code.

Les programmes spéciaux ne peuvent pas faire à l’interne de la discrimination à l’endroit des personnes qu’ils ont été conçus pour aider. Ils doivent respecter les mêmes normes de non-discrimination que les services qui ne sont pas qualifiés de programmes spéciaux. Si une personne se heurte à un désavantage quelconque et est exclue d’un programme conçu pour le compenser, le programme pourrait être jugé discriminatoire[163].


[152] Adapté de Commission du droit de l’Ontario, La loi et les personnes handicapées, Document de consultation préliminaire : Méthodes de définition de l’incapacité, 2009, p. 6-8. Accessible en ligne : Commission du droit de l’Ontario www.lco-cdo.org/disabilities/Disabilities%20Threshold%20Paper%20-%20July%202009_fr.pdf.

[153] J and J obo R v. B.C. (Ministry of Children and Family Development) and Havens (No. 2), 2009 BCHRT 61 (CanLII), au par. 256; Berg (University of British Columbia c. Berg, [1993] 2. 4 R.C.S. 353.

[154] J and J obo R v. B.C.idemBall v. Ontario (Minister of Community and Social Services), 2010 HRTO 360; Ontario (Director, Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010, supra, note 39.

[155] El Jamal v. Ontario (Minister of Health and Long-Term Care), 2011 HRTO 1952, au par. 21.

[156] Dans l’arrêt J and J obo R v. B.C.supra, note 153, aux par. 299 à 300, la partie plaignante avait une déficience intellectuelle et avait fait une demande de services de soutien communautaire pour adultes ayant une déficience intellectuelle. Ces services étaient régis par la Community Living Authority Act de la Colombie-Britannique, qui constituait le chap. 60 des lois refondues de 2004 de la province. Le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a conclu que le refus d’offrir des services à la partie plaignante reposait sur une définition déraisonnablement étroite de la notion de « déficience intellectuelle ». Ce faisant, l’intimé aurait importé des critères qui ne figuraient pas dans la loi ou dans les règlements pris en son application. Il s’agissait de discrimination.

[157] Ontario (Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010, supra, note 39, au par. 121.

[158] Voir Kline v. Ontario (Community Safety and Correctional Services) 2012 HRTO 1167 (CanLII); Wilson v. Dixie Road Medical Association, 2011 HRTO 1607 (CanLII); TenBruggencate v. Elgin (County), 2010 HRTO 1467 (CanLII); J.M. v. St. Joseph’s Health Centre, 2012 HRTO 239 (CanLII); Egan v. Kennedy, 2006 BCHRT 15; et Sparks v. Vancouver Coastal Health Authority (2006), 58 C.H.R.R. D/268, 2006 BCHRT 575. Dans l’arrêt Haskins v. Religious Hospitaliers of Hotel Dieu of St. Joseph, 2010 HRTO 2112 (CanLII), le TDPO a indiqué qu’il ne constituait pas un mécanisme d’appel des décisions relatives aux évaluations de la santé mentale et que les personnes qui désiraient soulever des préoccupations concernant le bien-fondé ou l’exactitude des évaluations et décisions médicales devaient faire appel à la Commission du consentement et de la capacité et à l’Ordre des médecins et chirurgiens.

[159] Wilson v. Dixie Road Medical Associationidem, au par. 13; Egan v. KennedyidemMarshall v. Durham Regional Police Services, 2013 HRTO 2029 (CanLII).

[160] Voir, par exemple, Sparks v. Vancouver Coastal Health Authoritysupra, note 158, qui contient cette mention du tribunal, au par. 17: « La plupart sinon toutes les décisions concernant l’appréhension et la détention de personnes aux termes des dispositions pertinentes de la Loi sur la santé mentale auront un lien quelconque avec un trouble mental réel ou perçu. En soi, cela n’est pas suffisant pour déposer une plainte relative aux droits de la personne. Pour alléguer qu’il y a eu discrimination dans ce contexte, un plaignant doit alléguer qu’il a fait l’objet d’un traitement préjudiciable en raison de son trouble mental réel ou perçu. » Voir aussi, S.D. v. Grand River Hospital, 2011 HRTO 2165, au par. 18.

[161] Pour obtenir plus de renseignements sur les programmes sociaux, voir le document de la CODP intitulé Les programmes spéciaux et le Code des droits de la personne de l’Ontario : Un guide pratique, accessible en ligne à l’adresse : www.ohrc.on.ca/fr/guide-des-programmes-sp%C3%A9ciaux-et-du-code-des-droits-de-la-personne.  

[162] In Ontario (Human Rights Commission) v. Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 387 (C.A.), la Cour d’appel de l’Ontario a affirmé ce qui suit : « Les programmes spéciaux visant à aider une personne ou un groupe défavorisés doivent être conçus de façon que les restrictions contenues dans le programme aient un lien rationnel avec le programme. Autrement, le prestataire du programme encouragera cette même inégalité et injustice qu'il cherche à atténuer. » Voir aussi Ball v. Ontariosupra, note 154, au par. 121.

[163] BallidemXY v. Ontario (Government and Consumer Services) (2012) HRTO 726, aux par. 264 à 266 (CanLII); et A.T. and V.T. v. The General Manager of O.H.I.P (2010) ONSC 2398 (CanLII).