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Lettre de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) à l’Université de Toronto, au sujet de la révision de sa politique sur les absences imposées par l’université, intitulée University-Mandated Leave of Absence Policy

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Novembre 8, 2021

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Brian D. Lawson
Président du conseil d’administration
Bureau du conseil d’administration 
Université de Toronto

Trevor Young
Vice-président par intérim et doyen
Bureau du vice-président et doyen
Université de Toronto

Objet : Révision de la politique sur les absences imposées par l’université, intitulée University-Mandated Leave of Absence Policy

Monsieur Lawson, Monsieur Young,

J’espère que vous vous portez bien. Je vous écris au sujet de la révision, actuellement en cours, de la politique sur les absences imposées par l’université, University Mandated Leave of Absence Policy, de l'Université de Toronto (la Politique).

Comme vous le savez peut-être, la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a soulevé, à plusieurs reprises, des préoccupations concernant la Politique avant que cette dernière ne soit approuvée par le conseil d’administration, tant par écrit qu’au cours de réunions avec le personnel de l’Université de Toronto.

La CODP s'est dite préoccupée par le fait que le traitement des étudiants figurant dans la Politique pourrait entraîner des problèmes de discrimination fondée sur les troubles mentaux en violation du Code des droits de la personne (le Code). Lesdites préoccupations concernent le fait que la Politique ne respecte pas l'obligation de prendre des mesures d’adaptation en vertu du Code, qu’elle n'est pas conforme à la Politique de la CODP sur le capacitisme et la discrimination fondée sur le handicap, et qu’elle semble permettre à l'université d’imposer immédiatement à l’étudiant une période d’absence et de lui retirer des services essentiels (services de logement, de santé et de counselling) à un moment où il est dans une situation critique et a grand besoin d’être soutenu.

Les versions ultérieures de la Politique ont abordé certaines des préoccupations de la CODP. Néanmoins, la version définitive continue à soulever des inquiétudes. À la suite de sa publication du 17 mai 2018, l’ancienne commissaire en chef Renu Mandhane a envoyé un courriel à l’ancienne doyenne Cheryl Regehr, dans lequel elle exposait les préoccupations continues de la CODP au sujet de la Politique. Elles comprennent notamment le fait que le seuil de risque de causer préjudice à l’étudiant, aux autres ou à l’expérience scolaire n’exige pas de preuve objective du risque, ni des mesures d’adaptation et de réduction du risque, pour évaluer si le seuil est atteint. La CODP a également exprimé ses préoccupations quant au fait que la Politique continue de permettre à l'université de retirer des services essentiels (services de logement, de santé et de counselling) aux étudiants qui présentent un risque sérieux de se faire du mal sans tenir compte de la situation de l'étudiant ou de l'obligation de l’université de prendre des mesures d’adaptation en vertu du Code avant d’imposer l’absence. Ces préoccupations n’ont pas été abordées dans la version définitive de la Politique que le conseil d’administration a approuvée le 27 juin 2018.

Le 27 septembre 2021, le professeur Donald Ainslie a commenté les préoccupations de la CODP en déclarant ce qui suit : « Il y a eu une période où la Commission ontarienne des droits de la personne avait des préoccupations au sujet de la Politique, mais ces préoccupations ont été abordées dans la Politique révisée qui a éventuellement été adoptée en 2018. » Cette déclaration n’est pas exacte. En effet, la CODP a continué à avoir des préoccupations concernant la version révisée de la Politique qui a éventuellement été approuvée.

La CODP croit comprendre qu’une révision de la Politique est en cours, aux termes du paragraphe 79 de ladite politique : « Le doyen s’engage à réviser la politique au cours de la troisième année universitaire de son application et à faire rapport de ladite révision au conseil d’administration ». La CODP a suivi l’évolution de cette révision. Nous croyons savoir qu’elle est menée à l’interne par le professeur Donald Ainslie, président du département de philosophie, et par Varsha Patel, doyenne adjointe, Bureau de la réussite des étudiants et du soutien à la carrière de l’Université de Toronto à Scarborough et que, au cours de cette procédure de révision, on a organisé plusieurs assemblées publiques avec des étudiants. La CODP a examiné le rapport final et les recommandations du groupe de travail du président et de la doyenne sur la santé mentale des étudiants où l’on retrouve notamment une recommandation visant à « améliorer la compréhension de la politique sur les absences imposées par l’université et à assurer sa révision en profondeur ». Nous avons également examiné la réponse administrative au rapport précité, laquelle énonce ce qui suit :

Nous nous efforcerons d’améliorer la compréhension de la politique sur les absences imposées par l’université et nous veillerons à ce qu’elle soit révisée en profondeur par la voie des moyens prévus dans sa section sur les rapports annuels et la révision périodique. Nous nous efforcerons d’insister sur l’intention compatissante de la Politique et d’en clarifier la portée et les processus. Nous aborderons les idées fausses qui circulent au sujet de sa mise en œuvre, tout en réitérant le respect rigoureux, par l’université, des lois sur la protection des renseignements personnels en général et en ce qui concerne la santé.

La CODP se réjouit d’entendre que l’université a l'intention de réviser la Politique en profondeur. Toutefois, la révision actuelle est dépourvue de plusieurs éléments clés qui assureraient qu’elle est effectuée en profondeur et qu’elle ne viole pas les droits des étudiants. En effet, la révision paraît axée sur la mauvaise compréhension de la Politique par les étudiants et, conséquemment, sur un besoin de mieux communiquer avec eux, plutôt que sur sa conformité avec les obligations de l'université, telles que prévues au Code.

La CODP demeure préoccupée par le fait que la Politique n’exige pas de preuve objective du risque ni la participation de professionnels de la santé lorsqu’il s’agit d’évaluer si le seuil du risque de préjudice est atteint. En outre, dans les « situations d’urgence », elle permet à l’université de retirer ses services à un étudiant à un moment où il est dans une situation critique et a grand besoin d’être soutenu. La Politique permet aussi à l’université d’être dispensée temporairement des garanties procédurales, ce qui comprend les mesures d’adaptation pour l’étudiant. Pour ces raisons, il est essentiel que l’université procède à une révision en bonne et due forme de la Politique afin d’aborder les préoccupations en matière de droits de la personne que la CODP et d’autres ont soulevées. Une révision adéquate doit prendre en compte la Politique telle qu’elle est rédigée, sa mise en œuvre et ses répercussions sur les étudiants. Plus particulièrement, elle doit comprendre les éléments suivants :

 

Révision externe

La Politique et sa mise en œuvre devraient être révisées par une personne possédant une expertise en santé mentale et en droits de la personne. La révision externe devrait comprendre l’examen des circonstances dans chacun des cas où l’application de la Politique a été envisagée ou effectuée, y compris une évaluation objective de la question de savoir si :

  • Le seuil a été atteint et les procédures appropriées ont été suivies
  • Des mesures d’adaptation ont été offertes à l’étudiant avant et après que la Politique ait été invoquée
  • Les services comme le logement et l’accès aux services de santé du campus ont été maintenus
  • L’université a fait intervenir la police et, dans l’affirmative, s’il était approprié de le faire dans les circonstances.

La révision externe devrait également porter sur le processus et les conditions de réintégration.

La CODP insiste sur l’importance d’une révision indépendante lors de l’évaluation du respect des droits de la personne. À titre d’exemple, la Politique de la CODP sur l'éducation accessible aux élèves handicapés énonce ce qui suit : « Afin d’apporter un réel changement organisationnel, l’établissement d’enseignement devra également assurer la surveillance et l’évaluation régulière et indépendante ... »

En ce qui concerne la révision des politiques, la CODP s’exprime comme suit :

On peut former un comité d’examen interne pour mener cette évaluation continue.  Cependant, le recours à des conseillers indépendants ou à des spécialistes de l’extérieur peut être particulièrement précieux pour l’exécution de ce type d’examen et la présentation des rapports correspondants à la haute direction.

On devrait procéder à l’examen, à l’évaluation et à la révision de la politique et de l’énoncé d’objectifs d’une organisation ou d’une institution sur une base périodique, en tenant compte des commentaires recueillis auprès des personnes touchées. Il est aussi sage de prévoir le réexamen des situations ayant donné lieu à des plaintes en vertu de la Politique, ainsi que de la manière dont elles ont été traitées et des points à améliorer (voir : Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale de la CODP).

En outre, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, lors de règlements conclus et d’ordonnances rendues dans des affaires soulevant des préoccupations systémiques ou d'intérêt public, exige souvent la participation d'un expert externe pour assurer la conformité au Code.

Étant donné les préoccupations soulevées par la CODP et les étudiants à l’égard de la Politique, il est essentiel que le processus comprenne une révision par un expert externe indépendant, et que cette révision tienne compte des répercussions réelles sur les droits de la personne des étudiants, et non seulement de leur perception de la Politique.

 

Questions liées aux motifs qui se recoupent

La révision devrait également comprendre une évaluation des répercussions de la Politique sur les étudiants qui s’identifient à plusieurs motifs de discrimination protégés qui sont prévus au Code. Elle devrait se pencher sur les caractéristiques sociodémographiques des étudiants ayant été visés par la Politique, si cela peut être vérifié, et déterminer si ceux qui peuvent invoquer simultanément plusieurs motifs du Code ont subi des répercussions négatives supplémentaires lors de son application. À titre d’exemple, les étudiants racialisés ou internationaux ayant un trouble de santé mentale pourraient être davantage stigmatisés au sein de leurs communautés ou subir des conséquences en matière d’immigration en lien avec leurs permis d’étudiants. Ils pourraient être touchés d’une manière toute particulière si l’université fait appel aux forces de l’ordre.

 

Services d’accessibilité

La question de savoir si les étudiants ont réellement accès à des mesures d’adaptation jusqu’à l’atteinte du seuil de préjudice injustifié pendant qu’ils sont visés par la Politique mène à d’importantes préoccupations. La révision devrait porter sur la relation entre la Politique et les services d’accessibilité, ainsi que sur les autres mesures de soutien offertes aux étudiants, comme les services de santé mentale offerts par le centre de santé et bien-être de l’université. La révision devrait permettre d’évaluer si, compte tenu des niveaux de disponibilité actuels de ces services, les étudiants ont un accès réel à des mesures d’adaptation jusqu’à l’atteinte du seuil de préjudice injustifié, avant que la Politique soit invoquée. La révision devrait permettre l’examen des obstacles potentiels à l'accès aux mesures d'adaptation, comme les exigences de documentation excessives, les problèmes de protection de la vie privée et les retards dans les rencontres avec les conseillers en accessibilité.  L'examen devrait porter sur les obstacles potentiels à l'accès au logement, tels que les exigences onéreuses en matière de documentation, les problèmes de confidentialité et les retards dans les rencontres avec les conseillers en accessibilité, et garantir la conformité dans le rapport d’enquête intitulé Dans une optique d’apprentissage, le rapport d'enquête de la CODP sur les obstacles systémiques aux aménagements scolaires pour les étudiants de niveau postsecondaire ayant une déficience mentale.

 

Participation des étudiants

Une occasion adéquate de participer au processus de révision doit être offerte aux étudiants et aux organisations étudiantes. Pour faciliter un processus de consultation transparent avec les étudiants, l’université devrait leur fournir les renseignements dont ils ont besoin pour pouvoir apporter une contribution significative, et mettre à la disposition du public tous les rapports des personnes effectuant la révision, en expurgeant les renseignements permettant de les identifier. Les organisations étudiantes devraient être informées du calendrier des étapes du processus et avoir l’occasion de s’adresser au comité des affaires universitaires (University Affairs Board) et au conseil d’administration lorsqu’ils envisagent de procéder à la révision de la Politique.

La CODP reconnaît que la révision de la Politique par l’université est en cours et que d’ajouter des éléments au processus de révision pourrait entraîner des délais supplémentaires. Nous exhortons l'université à prendre le temps de s'assurer qu'elle effectue une révision appropriée, qui comprend les éléments énoncés par la présente lettre, afin de cerner et de résoudre les préoccupations en matière de droits de la personne qui peuvent découler de la Politique et de sa mise en œuvre. La CODP demande qu’on l’informe des progrès de la révision, y compris les instances où elle sera examinée par le comité des affaires universitaires et le conseil d’administration.

J’attends avec impatience de recevoir une réponse à la présente lettre. Veuillez communiquer directement avec moi si vous souhaitez en discuter davantage. Notre mandat est de faire état de la situation des droits de la personne dans cette province, et en conséquence, dans l’intérêt de la transparence et de la responsabilité, la CODP a l’intention de rendre publique la présente lettre.

Sincères salutations,

Patricia DeGuire
Commissaire en chef

c. c. :      Meric S. Gertler, président, Université de Toronto
              Timothy Harlick, secrétaire, comité des affaires universitaires
              Hon. Doug Downey, procureur général
              Commissaires de la CODP