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Journée de la justice pour les prisonniers : d’importants obstacles au progrès persistent 42 ans après

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Août 10, 2016

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Le 10 août 1974, Edward Nolan s’est suicidé dans une cellule d’isolement au pénitencier Millhaven à Bath, en Ontario. Chaque année, le 10 août, nous commémorons la Journée de la justice pour les prisonniers pour rendre hommage à Edward Nolan et à tous les prisonniers morts en détention et réitérer notre appel au respect des droits fondamentaux des prisonniers incarcérés dans les prisons, les centres correctionnels et les pénitenciers de tout le pays.

Quarante-deux ans après, la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) reste préoccupée par le fait que le recours actuel au placement en isolement, aussi appelé « isolement cellulaire », contrevient aux droits dont les détenus bénéficient en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario. Certains groupes protégés par le Code, comme les prisonniers noirs et autochtones, les détenus ayant des troubles mentaux et les femmes, sont placés en isolement de façon disproportionnée et le placement en isolement a sur eux des effets particulièrement préjudiciables.

La CODP a appelé le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (MSCSC) de l’Ontario à mettre fin à cette pratique et, d’ici là, à mettre en œuvre des mesures provisoires, comme des délais stricts et un contrôle externe, pour réduire les torts causés aux prisonniers vulnérables.

Afin d’éclairer davantage le travail de la CODP sur ces questions, j’ai récemment visité le Centre de détention d’Ottawa-Carleton, la prison de Brockville et le Centre correctionnel et de traitement de la vallée du Saint-Laurent (SLVCTC), dont j’ai eu l’occasion de rencontrer la haute direction. J’ai beaucoup appris de ces visites.

Tout d’abord, j’ai appris que l’infrastructure demeurait un obstacle quasi insurmontable à la limitation du recours au placement en isolement. Sans unité de gestion et de traitement intensif, unité de soins courants, unité à faible occupation, ni hébergement en cellule individuelle, les options sont extrêmement limitées pour répondre aux besoins complexes des détenus ayant des troubles mentaux graves qui se sentent rarement en sécurité ou qui sont incapables de fonctionner en société. J’ai appris que, même dans les établissements où l’infrastructure existante pourrait être utilisée pour offrir ces options, un telle possibilité n’était pas réalisable dans la pratique compte tenu de la surpopulation.

La surpopulation est un problème majeur et permanent. Le passage à une majorité de personnes en détention provisoire (comme l’a souligné Statistique Canada) et le recours croissant à des peines discontinues sont en train de plonger le milieu carcéral dans l’instabilité. La surpopulation accroît le stress et l’anxiété de certains détenus vulnérables, et notamment des jeunes ou des personnes en proie à des troubles mentaux, ce qui, encore une fois, peut conduire à l’admission « volontaire » en isolement. J’ai aussi constaté le soutien qui s’est exprimé en faveur des efforts déployés récemment par le MSCSC et le ministère du Procureur général pour recenser les problèmes systémiques en matière de mise en liberté sous caution et de détention provisoire qui contribuent à la surpopulation.

J’ai également appris que les ressources en soins de santé, comme les traitements psychiatriques, le soutien thérapeutique et les programmes ciblés, étaient insuffisantes pour répondre aux besoins complexes de la population carcérale. Il est fort nécessaire de fournir des services de santé mentale adaptés aux besoins particuliers des différents groupes protégés par le Code, notamment les femmes, les Autochtones et les prisonniers racialisés. De plus, la population carcérale est dans l’ensemble vieillissante, de nombreux prisonniers ont des besoins de santé complexes en raison de la pauvreté et des problèmes de toxicomanie, et le taux de prévalence des troubles mentaux est plus élevé qu’au sein de l’ensemble de la population ontarienne.

Il a été proposé que le gouvernement élargisse les accords conclus avec le ministère de la Santé et des Soins de longue durée pour permettre à ce dernier d’administrer et de fournir tous les services de santé, idéalement dans la communauté, ainsi que ceux offerts dans le milieu correctionnel. J’ai aussi entendu à plusieurs reprises qu’il était difficile d’offrir en milieu carcéral un traitement adéquat aux personnes handicapées et qu’il était nécessaire d’élaborer d’autres options de traitement.

Je constate qu’au Centre correctionnel et de traitement de la vallée du Saint-Laurent (SLVCTC), les taux d’isolement sont faibles par rapport aux autres centres correctionnels traditionnels, malgré la présence de détenus aux besoins importants. Ce résultat s’explique par l’hébergement en cellule unique et les nombreuses options de traitement proposées. Je me réjouis de voir qu’un large éventail de soutiens thérapeutiques est offert et que le modèle de dotation en personnel prévoit plus de professionnels de la santé que d’agents des services correctionnels. En revanche, j’ai aussi remarqué que le centre n’avait pas la capacité nécessaire pour répondre aux besoins importants en soins de santé mentale des prisonniers à l’échelle du système correctionnel provincial. En effet, le centre ne peut accueillir que 100 personnes, et il n’accepte généralement que des prisonniers ayant reçu une condamnation (plutôt que des personnes en détention provisoire ou des personnes détenues à des fins d’immigration) et des personnes qui ont bientôt fini de purger leur peine. De plus, les soins sont limités aux personnes ayant les troubles mentaux les plus graves.

Surtout, bien que les femmes détenues affichent des taux de troubles mentaux plus élevés que les hommes, elles ne bénéficient toujours pas d’option de traitement comparable. La CODP estime que le manque d’options de traitement intensif pour les femmes détenues suscite des préoccupations sur le plan des droits de la personne.

On m’a indiqué qu’au moment de sa construction, le SLVCTC devait être combiné à un centre de traitement en milieu fermé pouvant accueillir 300 détenus ayant des troubles mentaux moins aigus. La construction de ce centre a débuté, mais a ensuite été abandonnée. La CODP appelle le MSCSC à annuler cette décision, à bâtir ce centre indispensable et à veiller à ce qu’il ait les moyens d’offrir un traitement aux femmes, aux Autochtones et aux autres détenus vulnérables.

La CODP continuera de réclamer une meilleure protection des droits des détenus et d’utiliser son mandat de défense et de promotion des droits de la personne pour impulser des changements dans les prisons et les centres correctionnels de la province. Il s’agit d’une question urgente de vie ou de mort et un enjeu de taille sur le plan des droits de la personne. Au nom d’Ashley Smith, d’Abdurahman Ibrahim Hassan, de Terry Baker et des nombreuses autres personnes qui sont décédées dans nos prisons, nous devons agir dès à présent : nous ne pouvons pas attendre encore 42 ans.

La commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne,

Renu Mandhane, B.A., J.D., LL.M

Lire l'article dans le Huffington Post Canada (08/10/2016, en anglais)