6. Analyse en vue de la conciliation des droits de la personne contradictoires

Cette section porte sur un cadre analytique de résolution des situations de droits contradictoires que la CODP a élaboré en se basant sur les principes internationaux de droits de la personne, la jurisprudence, la recherche en sciences sociales et ses consultations avec des partenaires communautaires et intervenants.[79] Le cadre est présenté sous forme de graphique sommaire à l’Annexe C.

Le cadre analytique a été élaboré à l’intention des organisations. C’est en milieu organisationnel que surviennent la plupart des situations de droits contradictoires et qu’on y apporte les meilleures solutions. Les employeurs, fournisseurs de services, fournisseurs de logements, syndicats et autres organisations sont tenues, aux termes de la loi, de résoudre toutes les questions de droits de la personne qui surviennent. Cette politique donne les grandes lignes d’un processus qui aide les organisations à reconnaître et à concilier les droits de la personne contradictoires. Elle constitue aussi un outil d’analyse à la disposition des avocats, médiateurs et arbitres.

Il est essentiel de donner à toutes les parties concernées l’occasion de se faire entendre et d’entendre les points de vue des parties adverses. Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a indiqué :

Si une personne a la pleine possibilité de présenter sa position et si elle reçoit une explication raisonnable de la conduite à adopter, la reconnaissance offerte aux droits de cette personne dans le cadre du processus proprement dit a tendance à valider la revendication de cette personne, même si la décision ultime ne donne pas à cette personne tout ce qu’elle veut.[80]

En adoptant l’approche proposée par la CODP, les organisations peuvent être confiantes d’avoir adopté un processus de résolution des conflits qui respecte les principes de droits de la personne. Le cadre analytique aide les organisations à reconnaître tout déséquilibre de pouvoir pouvant exister, et à prendre des mesures pour rééquilibrer la situation. De plus, l’adoption d’un processus objectif élimine certains des aspects de discrétion personnelle des décisionnaires, et aide les parties à se sentir traitées équitablement et de façon conforme aux procédures standard.

En suivant l’approche mise de l’avant dans le cadre analytique, les organisations peuvent prendre des mesures pour résoudre rapidement les tensions et conflits entre les parties. La résolution rapide des conflits aide les organisations à composer avec ces situations avant qu’elles ne s’enveniment et ne s’enlisent. Cela contribue à la santé et au bon fonctionnement de l'organisation, et peut prévenir des interventions coûteuses en temps et en argent devant un tribunal.

Le suivant résume le processus de reconnaissance et de conciliation des droits de la personne contradictoires du cadre analytique, qui compte trois phases et cinq étapes :

Processus permettant de résoudre les situations de droits contradictoires

Première phase : Reconnaître les droits contradictoires

     Étape 1 : Sur quoi portent les revendications?

     Étape 2 : Les revendications concernent-elles des droits légitimes?

(a)   Les revendications concernent-elles des personnes ou des
groupes, plutôt que des intérêts opérationnels?

(b)   Les revendications concernent-elles des droits de la personne, d’autres droits reconnus par la loi ou des intérêts raisonnables
et de bonne foi?

(c)   Compte tenu du contexte, les protections consenties aux droits invoqués s’étendent-elles à la présente situation?

     Étape 3: La situation constitue-t-elle davantage qu’une atteinte minimale
                   aux droits?

Deuxième phase: Concilier les droits contradictoires

     Étape 4 : Existe-t-il une solution assurant la jouissance de chacun des droits?

     Étape 5 : S’il en n’existe pas, y a-t-il une solution de remplacement?

Troisième phase : Prendre des décisions

  • Les décisions prises doivent respecter les lois relatives aux droits de la personne et autres, les décisions rendues par les tribunaux et les principes de droits de la personne, et prendre en compte la politique de la CODP.
  • Au moins un des droits revendiqués doit relever du Code des droits de la personne de l’Ontario pour faire l’objet d’une requête auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario.

À un moment ou un autre, la plupart des organisations se heurtent à des situations qui mettent en opposition les valeurs, intérêts et droits de différentes parties. La première phase offre aux organisations trois pistes d’enquête pour aider à déterminer si des revendications précises font intervenir des droits de la personne contradictoires.6.1 Première phase : Reconnaître les droits contradictoires

Le fait de déterminer si les revendications font intervenir des « droits » reconnus par la loi est une considération préliminaire, distincte du processus de conciliation de droits contradictoires. Il s’agit d’une composante essentielle de l’analyse, même dans le cas où l’organisation ne penserait pas qu’on a affaire à des droits contradictoires. Cette phase du processus aide à éduquer les parties quant à leurs droits de la personne et responsabilités, ce qui constitue un objectif particulièrement important étant donné le manque général de connaissances de la population et de clarté à l’égard des droits et du langage des droits de la personne. Une meilleure connaissance des droits pourrait aider les parties à bien délimiter leurs revendications.

Dès le début, les parties devraient tenter de faire preuve d’ouverture et de se garder de porter des jugements. Souvent, les parties adverses ont tendance à nier la légitimité des revendications d’autrui. Le fait de franchir cette phase du processus de façon respectueuse et sincère donne une voix aux parties, aide à réduire les déséquilibres de pouvoir (surtout dans le cas des groupes marginalisés), démontre une réelle considération envers différentes positions et encourage le respect de la dignité de tous les requérants. Cela invite aussi à la coopération, laquelle s’avère très importante à la phase de conciliation.

6.1.1 Étape 1 : Sur quoi portent les revendications?

La première étape du cadre aide les organisations à brosser un portrait détaillé de chaque revendication et de la situation ou du contexte sous-jacent. Les parties devraient présenter l’ensemble des faits, leur perception de ce qui s’est produit et leurs points de vue quant aux droits, valeurs et intérêts que pourrait éventuellement faire intervenir la situation. Il est important que les parties prennent pleinement part à cette étape du processus. Comme le fait remarquer une auteure :

L’écoute directe des personnes touchées est essentielle au développement de moyens efficaces et adaptés visant à résoudre les tensions entre, ou parmi, les revendications de droits. Ceux dont les droits ont été enfreints possèdent une perspective unique sur les raisons et sur les remèdes appropriés. [81]

Une approche exhaustive et inclusive aidera l’organisation à apprécier pleinement le contexte social et factuel dans lequel s’est produit le conflit de droits. Elle permettra également d’éviter le rejet prématuré de facteurs pertinents et aidera à délimiter correctement les droits revendiqués. À ce moment-là seulement pourra-t-on déterminer s’il s’agit d’une situation de droits contradictoires.

6.1.2 Étape 2 : Les revendications concernent-elles des droits légitimes?

Une fois que l’organisation aura clairement cerné le contexte et les revendications à la première étape, elle passera à la deuxième étape pour examiner trois questions et déterminer si la situation fait bel et bien intervenir des droits légitimes :

(a)   Les revendications concernent-elles des personnes ou des groupes, plutôt que des intérêts opérationnels?

(b)   Au moins une des revendications concerne-t-elle un droit de la personne?

(c)   Les protections consenties au droit s'étendent-elles à la présente situation?

(a) Les revendications concernent-elles des personnes ou des groupes, plutôt que des intérêts opérationnels?

En vertu du Code, de nombreuses organisations, dont les employeurs, les fournisseurs de services, les fournisseurs de logements et les syndicats, ont le devoir d’offrir des mesures d’adaptation pour les besoins relatifs au Code des personnes. Dans le cadre du travail de détermination de la nature de chaque revendication, les organisations doivent faire la distinction entre les situations qui ne touchent que des activités d’affaires et les situations de droits contradictoires qui concernent les droits d’autres personnes et groupes. Les revendications qui touchent uniquement des activités d’affaires relèvent de l’obligation d’accommodement (c’est-à-dire si une mesure d’adaptation est appropriée ou constitue un préjudice injustifié). Il ne s’agit pas de revendications de droits de la personne contradictoires.

Exemple : Une employée se plaint de discrimination quand son employeur refuse sa demande de modification de son horaire de travail en vue d’assumer ses responsabilités de garde d’enfant. Sa demande ne semble pas avoir d’incidence sur les droits légaux d’autres personnes. Par conséquent, il ne s’agit pas ici d’une situation de « droits contradictoires », mais plutôt d’une demande de mesures d’adaptation relatives aux droits de la personne. Pour limiter ses obligations en matière d’accommodement, l’employeur pourrait soutenir que les répercussions financières d’une telle mesure causeraient un préjudice injustifié à son entreprise.

Une demande d’accommodement pourrait se transformer en situation de droits contradictoires si, au moment de traiter la demande, on s’aperçoit que la situation pourrait porter atteinte aux droits d’une autre personne ou d’un autre groupe.

(b) Au moins une des revendications concerne-t-elle un droit de la personne?

À cette étape, les organisations doivent déterminer si les revendications sont fondées en droit (autrement dit, s’il s’agit de droits protégés par la loi). Les droits pourraient être garantis par la Constitution (y compris la Charte), des mesures législatives, des traités internationaux ou des décisions des tribunaux. Il peut être utile de se demander quels droits seraient bafoués si ces allégations étaient fondées. Dans bien des cas, la réponse pourrait être évidente. Par exemple, une partie pourrait indiquer qu’elle a un besoin devant faire l’objet d’un accommodement aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario. Une autre partie pourrait faire valoir un droit garanti par la Charte, comme le droit à une défense pleine et entière. D’autres revendications pourraient ne pas faire intervenir de droit reconnu par la loi, mais plutôt des questions déjà abordées devant les tribunaux, comme le droit à la jouissance paisible des parcs publics lors de manifestations.

(c) Les protections consenties au droit invoqué s’étendent-elles à la situation?

Les organisations doivent déterminer si chaque revendication relève de la « portée » du droit. Certaines revendications peuvent se fonder sur un droit général précis,  sans que ce droit ne s’étende nécessairement à la situation particulière. Les conflits de droits sont-ils correctement caractérisés? Les organisations devraient examiner les revendications dans leur contexte et à la lumière de tout paramètre déjà établi dans la législation ou par les tribunaux pour ce genre de situations. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, la législation elle-même impose parfois des limites aux droits qu’elle tente de protéger, ou prévoit des défenses pour résoudre de façon proactive des situations éventuelles de droits contradictoires.

Exemple : La portée du droit à la non-discrimination en emploi protégé par le Code ne s’étend pas aux préposés aux soins personnels embauchés directement par les personnes qui ont besoin de leurs services. Par exemple, une personne pourrait choisir d’embaucher une personne du même sexe pour lui prodiguer des soins personnels.[82]

Dans d’autres cas, le milieu ou le secteur peut avoir une incidence sur les restrictions apportées à l’exercice d’un droit précis.

Exemple : Une femme s’opposait à une inscription gravée sur un monument offert par une organisation d’hommes catholique et placé sur un terrain appartenant à l’Église catholique. Selon elle, la référence à la vie « de la conception jusqu’à la mort naturelle » constituait une déclaration contre l’avortement qui est choquante et discriminatoire parce qu’elle dénonce, victimise et exclut les femmes. Elle soutenait aussi que l’inscription violait son droit de vivre à l’abri de coercition religieuse, ce qui inclut les messages religieux. Il fallait se trouver sur le terrain de l’église pour lire l’inscription, qui n’était pas lisible à partir du trottoir public. Dans le cadre d’une procédure d’audience sommaire, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TPDO) a rejeté la demande de l’appelante, en indiquant qu’il n’avait pas la compétence nécessaire pour examiner le contenu de croyances et d’enseignements religieux, particulièrement lorsqu’ils sont véhiculés sur le terrain d’une organisation religieuse.[83]

La portée du droit à la libre expression de propos offensants varie aussi selon le contexte. Par exemple, ce droit pourrait bénéficier d’une interprétation large dans le cas de commentaires faits dans les médias, mais d’une interprétation plus restreinte s’il s’agit de propos formulés en milieu scolaire ou de travail. Le Code criminel prévoit des restrictions aux expressions de la haine dans ces deux contextes.

Selon les règles acceptables d’interprétation de la loi, au moment d’examiner la portée des droits, les organisations devraient donner une interprétation large aux droits et restreinte aux défenses (sauf lorsque les défenses invoquées reconnaissent aussi les droits d’autres groupes de la société et en font la promotion). La réponse pourrait se trouver dans des décisions précédentes de tribunaux judiciaires ou administratifs ayant imposé des limites dans des circonstances semblables. 

Le fait de déterminer si les revendications s’inscrivent bel et bien dans la portée du droit compte tenu du contexte de l’affaire peut permettre de régler bien des situations semblant à première vue faire intervenir des droits contradictoires. Le fait de délimiter correctement des droits ou d’y apporter des rajustements raisonnables peut faciliter la résolution de certains conflits de droits. Après avoir correctement délimité les droits en jeu, on peut réaliser qu’il n’a pas réellement eu d’atteinte d’un droit sur un autre. Comme l’a noté le juge Iacobucci :

B. (R.) offre un exemple classique de conciliation au moyen d’une approche définitionnelle. Lorsqu’on détermine que le droit à la religion n’inclut pas le droit d’un parent à faire des choix médicaux pouvant nuire à la santé d’un enfant, il n’existe réellement aucun conflit entre la liberté de religion et le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. L’affaire Trinity Western fait écho à ce sentiment. Dans cette cause, la Cour suprême a affirmé : « Voici un cas où tout conflit éventuel devrait être résolu par la délimitation appropriée des droits et valeurs en jeu. Essentiellement, une bonne délimitation de la portée des droits permet d'éviter un conflit dans ce cas-ci » (mis en évidence dans l’original).[84]

L’applicabilité d’un droit quelconque à des revendications précises peut parfois être matière à discussion. Encore là, le cadre analytique de la CODP encourage les parties à ne pas rejeter prématurément une affaire à moins de disposer d’un fondement juridique solide sur lequel baser cette décision.[85]

6.1.3 Étape 3 : La situation constitue-t-elle davantage qu’une atteinte minimale aux droits?

Lorsque la délimitation de la portée des droits ne permet pas de résoudre le conflit, il devient nécessaire de déterminer la portée de l’entrave en question. Si l’entrave à un autre droit est mineure ou insignifiante, le droit ne va probablement pas bénéficier d’une protection. Un conflit n’existe qu’en cas d’entrave ou d’obstacle réel à un droit, ou d’empiètement réel sur un droit. Si l’atteinte à un droit est négligeable ou insignifiante, ce droit doit céder la place à l’autre.[86] Si l’exercice d’un droit ne porte pas d’atteinte réelle à un autre droit, ou n’a pas d’incidence réelle sur celui-ci, il n’y a pas de vrai conflit entre les droits et aucune conciliation n’est nécessaire.[87] Il est utile de déterminer si la situation fait intervenir l’élément fondamental, ou « de base » du droit. Si la situation touche la « périphérie » d’un droit, ce droit devra probablement céder la place au droit dont l’élément fondamental est en jeu.[88]

Les organisations doivent déterminer si la situation fait minimalement ou considérablement entrave à des droits revendiqués. Pour qu’il y ait entrave, une distinction ou un facteur pertinent en matière de droits de la personne doit exister, en lien avec une des revendications en jeu. Cette distinction ou ce facteur doit avoir pour effet d’imposer à une personne ou à un groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres, ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bienfaits et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.[89] Parfois, les parties perçoivent une entrave là où il en n’existe pas vraiment.

Exemple : Les tribunaux judiciaires ont généralement rejeté les arguments s’opposant au mariage entre conjoints de même sexe sur la base des droits religieux. Les tribunaux sont généralement d’avis que le fait de permettre aux conjoints de même sexe de se marier ne crée pas d’entrave significative aux droits religieux des personnes qui s’opposent au mariage entre conjoints de même sexe,
à moins que les organisations religieuses soient tenues de célébrer ces mariages.

Si l’entrave créée par l’exercice d’un droit sur un autre est considérable, les décisionnaires doivent entreprendre un exercice de conciliation des droits contradictoires.

6.2 Deuxième phase : Concilier les droits contradictoires

Si les investigations menées au cours de la première phase montrent qu’il existe une situation de droits de la personne contradictoires, l’organisation devrait passer à la deuxième phase pour voir si les droits peuvent être conciliés. Idéalement, la conciliation aura pour résultat de ne limiter de façon significative les droits d’aucune partie. Si cela est impossible, la solution de remplacement la plus appropriée pourrait consister à retirer aux parties des éléments négociables de leurs droits, ou des éléments situés à la périphérie de ceux-ci, déterminés en se basant sur des principes juridiques ou sur la jurisprudence. L’étape 4 établit les aspects à considérer pour trouver une solution « idéale » à la situation. L’étape 5 porte sur la détermination de la meilleure « solution de remplacement » possible quand il n’existe pas de solution idéale.

6.2.1 Étape 4 : Existe-t-il une solution assurant la jouissance de chacun des droits?

La conciliation de droits est un processus d’exploration d’options visant à réduire ou à éliminer les entraves et à assurer l’exercice complet ou du moins « substantiel » des droits de toutes les parties dans un contexte donné. Souvent, la conciliation mène à la modification de conditions ou au rajustement de l’exercice des droits d’une ou des deux parties. Cela peut parfois s’apparenter à un processus d’accommodement de droits de la personne multiples basé sur l’apport de changements secondaires comme la modification d’horaires, de conditions de travail, de lieux d’activités ou autres.

Exemple : Une femme souffrant d’un handicap utilise un chien d’assistance pour exécuter ses tâches d’enseignante, mais une élève de la classe qui souffre d’un handicap (des allergies) a des réactions allergiques en présence du chien. Le Code exige que les employeurs procurent des mesures d’adaptation aux employés handicapés, et exigerait aussi que les établissements d’enseignement offrent des mesures d’adaptation aux étudiants handicapés. Le Code n’établit pas d’échelle de priorités entre ces besoins ou ces exigences – ils sont tout aussi importants les uns que les autres. Il pourrait toutefois être possible de résoudre le conflit créé par ces droits contradictoires en procédant à une évaluation des besoins des deux parties.

L’employeur ou le fournisseur de services devrait commencer par examiner les mesures d’adaptation que requièrent l’employée et l’élève dans le contexte de la salle de classe pour déterminer si les besoins des deux parties sont réellement contradictoires. De quelle façon le chien d’assistance aide-t-il l’employée dans la salle de classe? Y a-t-il d’autres moyens de lui offrir le soutien dont elle a besoin sans avoir recours au chien?[90] Il serait important d’envisager également d’autres façons de satisfaire les besoins de l’élève. Dans cet exemple, il pourrait être suffisant de transférer l’élève dans une autre classe, où l’enseignement est prodigué par une autre personne. L’employeur ou le fournisseur de services devrait également examiner les solutions qui satisferaient les deux personnes concernées, et permettraient à chacune d’elles d’exercer ses droits.

6.2.2 Étape 5 : S’il n’existe pas de solution idéale, y a-t-il une solution de remplacement?

Lorsque le processus de conciliation ne mène pas à l’adoption d’une solution idéale, l’organisation a le devoir d’explorer les options les moins susceptibles de porter atteinte à un droit. Même si, dans les circonstances, un droit l’emporte sur l’autre, l’organisation peut conserver le devoir d’accommoder l’autre droit dans une certaine mesure.

L’exploration de la solution idéale et des solutions de remplacement les plus appropriées mène inévitablement à la limitation de droits ou à une atteinte à des droits. Les organisations devraient appliquer les principes relatifs aux droits de la personne établis dans la jurisprudence et dans la politique de la CODP. Sans aucun doute, la sélection, la pondération et l’application des principes peuvent mener à des résultats variables. À lui seul, un principe relatif aux droits de la personne peut ne pas fournir de réponse. Envisagez ensemble les différents principes en gardant à l’esprit le contexte dans son ensemble. Les principes suivants, dont on discute de façon plus détaillée à
la section de cette politique intitulée Principes juridiques clés, aideront les organisations qui doivent trouver la solution de remplacement la plus appropriée :

  1. aucun droit n’est absolu
  2. il n’y a pas de hiérarchie entre les droits
  3. le but est de respecter les deux catégories de droits en jeu
  4. l’examen doit prendre en compte le contexte dans son ensemble et tous les faits et valeurs constitutionnelles en jeu
  5. l’examen doit mesurer l’étendue de l’entrave (un conflit n’existe qu’en cas d’atteinte réelle à un autre droit)
  6. les éléments fondamentaux d’un droit bénéficient d’une plus grande protection que ses éléments périphériques
  7. les défenses légales peuvent restreindre certains droits.

Le cadre analytique de la CODP propose une approche fluide de reconnaissance et de conciliation des droits contradictoires. Les organisations pourraient devoir retourner à des étapes précédentes du cadre pour examiner le bien-fondé de solutions possibles. Par exemple, il pourrait s’agir de vérifier si une option possible rendrait non significative l’incidence sur les droits.

Toute limitation d’un droit devrait tenir compte des valeurs relatives aux droits de la personne, y compris le respect de la dignité humaine, l’inclusion de tous, l’harmonie communautaire et sociale, et les intérêts collectifs des groupes minoritaires et marginalisés.

6.3 Troisième phase : Prendre des décisions

Lorsqu’il s’agit de concilier des droits contradictoires, les organisations ne constituent pas des tierces parties neutres. Elles ont l’obligation légale de résoudre les revendications de droits de la personne contradictoires de la même façon que toute autre question de droits de la personne pouvant survenir au sein de leur environnement. En bout de ligne, les organisations devront décider du dénouement de la situation et sanctionner la solution apportée. Tout au long du processus, elles devront se rappeler de leurs obligations légales et veiller à ce que les parties comprennent le processus. Elles devront aussi faire en sorte que le règlement de la situation respecte la politique de la CODP, les lois sur les droits de la personne et les autres lois, les décisions juridiques applicables et les principes relatifs aux droits de la personne.

En agissant conformément aux principes des droits de la personne, les organisations prennent des mesures pour se protéger contre toute responsabilité éventuelle si elles sont un jour désignées comme partie dans une affaire devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario ou une cour supérieure.

D’autres parties — soit d’éventuels requérants ou répondants, ou des syndicats, le cas échéant — ont également une responsabilité commune d’agir de bonne foi, de promouvoir la dignité et le respect mutuel, et de coopérer à un processus de reconnaissance des droits et d’apport de solutions au bénéfice de toutes les personnes concernées. Autrement dit, vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu’on respecte vos droits si vous ne respectez pas les droits d’autrui.

Après avoir terminé la première phase, une organisation pourrait déterminer qu’il ne s’agit pas en bout de ligne d’une situation de droits contradictoires. L’organisation devrait communiquer cette évaluation aux parties, tout en envisageant quand même de résoudre la question. Dans bien des cas, d’ailleurs, l’organisation pourrait avoir l’obligation légale de le faire. Même si une situation ne porte pas atteinte aux droits d’une autre partie, l’organisation a quand même le devoir de maintenir un environnement libre de discrimination et de harcèlement, et d’offrir des mesures d’adaptation pour les besoins relatifs au Code que pourrait avoir une personne.

Dans d’autres cas, une organisation pourrait évaluer la situation et décider qu’il n’est pas nécessaire, pas souhaitable ou même impossible d’entreprendre un processus avec les requérants. Par exemple, l’organisation pourrait avoir déjà réglé une affaire semblable et adopté une politique à ce chapitre. L’organisation pourrait aussi décider que la situation est trop controversée ou complexe pour la concilier et choisir plutôt d’obtenir des conseils juridiques.

Certaines personnes pourraient revendiquer des droits que l’organisation juge sans mérite ou refuser de participer à un processus de conciliation, ou les parties pourraient être incapables d’en arriver à une entente. L’organisation pourrait alors prendre une décision unilatérale, mais devrait examiner sérieusement cette possibilité et en communiquer clairement les raisons aux parties. La solution pourrait ne pas plaire à l’une ou l’autre des parties, qui pourrait demander à l’organisation de réexaminer sa décision. Les parties pourraient aussi avoir l’option de saisir de la question le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario ou un autre décisionnaire du système juridique.

Pour qu’une partie saisisse un tribunal des droits de la personne d’une affaire de droits contradictoires, au moins un des droits revendiqués doit relever d’un droit de la personne établi dans la législation. Par exemple, si l’une des parties désire saisir de la question le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, la situation doit faire intervenir un droit de la personne protégé par le Code des droits de la personne de l’Ontario.

Dans la plupart des cas, l’organisation trouvera qu’il est avantageux d’entreprendre un processus qui tente de reconnaître et de concilier des droits contradictoires plutôt que de prendre une décision unilatérale.

 

[79] La CODP a déjà pris des mesures pour encourager l’utilisation de son cadre analytique au cours d’une variété d’instances judiciaires opposant des droits contradictoires. La CODP est intervenue dans l’affaire R. c. N.S., supra, note 21, mettant en scène un témoin portant le niqab. Dans les mémoires qu’elle a soumis à la Cour d’appel de l’Ontario et à la Cour suprême du Canada, la CODP a eu recours à une approche juridique de résolution des revendications de droits de la personne contradictoires qui correspondait au cadre analytique. Vous trouverez sur le site Web de la CODP des sections pertinentes du mémoire soumis à la Cour d’appel de l’Ontario, sur lesquelles a été fondée la décision de la Cour d’appel. Le mémoire d’intervenant soumis par la CODP à la Cour suprême du Canada dans l’affaire Saskatchewan Human Rights Commission v. William Whatcott2010 CanLII 62501 (SCC) est aussi basée sur le raisonnement et l’analyse du cadre analytique. L’appel a été entendu par la Cour suprême le 12 octobre 2011.

[80] R. c. N.S.supra, note 21, au par. 83.

[81] Patricia Hughes, « La politique sur les droits concurrents : l’approche de la Commission du droit de l’Ontario », Diversité canadienne, volume 8, no 3, été 2010, p. 54.

[82] Alinéa 24(1)c) du Code des droits de la personne de l'Ontariosupra, note 30.

[83] Le TDPO a décrit les dimensions positives (le droit d’exprimer et de propager ses croyances) et négatives (le droit de vivre à l’abri de coercition visant à faire accepter ou adopter des croyances, des pratiques ou des formes de culte) des droits contradictoires en jeu. Le TDPO a fait remarquer que l’appelante faisait valoir un droit protégé par le Code qui faisait intervenir des situations situées au cœur même d’autres droits protégés par la Charte, notamment le droit de l’intimé d’afficher un message en accord avec ses croyances religieuses sur le terrain d’une institution religieuse. Selon le TDPO, l’interprétation des droits de l’appelante en vertu du Code doit se garder de vider de leur sens les droits religieux positifs de l’intimé. Le TDPO a conclu qu’il n’était pas approprié d’invoquer les protections des droits de la personne prévues dans le Code pour contester le système de croyances et les enseignements de l’Église catholique : Dallaire c. Les Chevaliers de Colomb2011 HRTO 639 (CanLII).

[84] Supra, note 25, au par. 163.

[85] Voir la publication de la CODP intitulée L’ombre de la loi : Survol de la jurisprudence relative à la conciliation de droits contradictoiressupra, note 7, qui comprend une discussion détaillée sur la jurisprudence relative à la conciliation de droits contradictoires.

[86] Amselem, supra, note 16, au par. 84; Brukersupra, note 52.

[87] C’est la conclusion qu’a tirée la Cour suprême du Canada dans Renvoi relatif au
mariage entre personnes du même sexe
supra, note 57 et Trinity Westernsupra, note 23.

[88] Brockie v. Brillinger (No. 2)supra, note 60, au par. 51.

[89] Le cadre analytique de la CODP se base sur l’analyse menée dans R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483 (CSC).

[90] La rubrique 4.3 du document Politique et directives concernant le handicap et l'obligation d'accommodement de la CODP indique que « si on a le choix entre deux mesures d’adaptation qui répondent aussi bien l’une que l’autre aux besoins de la personne tout en respectant sa dignité, les responsables de l’adaptation peuvent choisir la solution la moins coûteuse ou celle qui entraîne le moins de dérangement pour l’organisme. » Vous trouverez la politique à l’adresse : www.ohrc.on.ca/fr/resources/policies/DisabilityPolicyFRENCH/pdf

 

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