Les commissions des droits de la personne et les droits écomomiques et sociaux

Sommaire

Ce document est l’une des initiatives prises par la Commission ontarienne des droits de la personne pour explorer les façons dont les commissions des droits de la personne peuvent jouer un plus grand rôle dans la protection et la promotion des droits économiques et sociaux et dans l’application des traités internationaux ratifiés par le Canada. Le défi pour les commissions des droits de la personne consiste à trouver des façons de réaliser tout le potentiel de leur mandat pour mettre en valeur les normes internationales, y compris celles qui sont énoncées dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

À l’échelle internationale et, plus récemment, nationale, on reconnaît de plus en plus que tous les droits de la personne sont universels, indissociables, interdépendants et interreliés. Les groupes vulnérables protégés par les lois sur les droits de la personne sont les plus susceptibles de vivre au bas de l’échelle économique et sociale. La pauvreté est liée de façon inextricable à l’inégalité, particulièrement pour les femmes (surtout les mères seuls soutiens de famille et les femmes âgées), les Autochtones, les membres des minorités raciales et les personnes handicapées; il devient donc éminemment clair que, pour tenir compte efficacement de la réalité complexe des personnes défavorisées, les commissions des droits de la personne doivent tenir compte des droits sociaux et économiques de la façon la plus large possible.

Le but du présent document d’étude est de définir des mesures particulières que peuvent prendre les commissions des droits de la personne dans le contexte de leurs mandats actuels. À titre d’exemples, le document souligne quelques réussites dans les domaines de l’élaboration de politiques et du contentieux. Il explore également la possibilité d’inclure le concept de « condition sociale » dans les motifs illicites de discrimination, comme façon de protéger les droits sociaux et économiques. Le document met en lumière les obligations internationales du Canada, les inquiétudes exprimées à l’échelle internationale sur le dossier canadien quant à la réalisation des droits sociaux et économiques ainsi que les difficultés qu’ont eues les tribunaux canadiens à traiter des requêtes portant sur les droits sociaux et économiques, pour souligner la nécessité que les commissions des droits de la personne intensifient leur intervention.

Ce document est un document de recherche préparé par le personnel de la Commission ontarienne des droits de la personne et ne constitue pas un énoncé de politique approuvé par la Commission. Les auteurs espèrent qu’il fournira des renseignements utiles pouvant éclairer le contexte général et qu’il servira de ressource dans le débat portant sur la condition sociale et d’autres mesures qui pourraient être adoptées par les commissions dans le cadre de leurs mandats actuels.

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Introduction

Le présent document a pour objet d’entreprendre une discussion et une réflexion sur le nouveau rôle que les commissions des droits de la personne seront appelées à jouer au 21e siècle. À l’aube du nouveau millénaire, les commissions des droits de la personne subissent des pressions croissantes face à la restructuration des gouvernements, à de nouveaux mandats ou motifs de discrimination, à la mondialisation et aux attentes de la société civile qui joue un rôle de plus en plus important. Ces développements ont une incidence sur les droits de la personne en général et sur les commissions des droits de la personne en particulier.

Parallèlement, la communauté internationale a indiqué très clairement que les commissions des droits de la personne sont, à certains égards, les « fiduciaires » ou les « gardiennes » des droits de la personne à l’échelle nationale, de concert avec un éventail d’autres partenaires. Bien sûr, il est entendu que les « droits de la personne » ne comprennent pas seulement les droits civils et politiques, mais aussi les droits économiques, sociaux et culturels. De plus en plus, la distinction entre les deux catégories de droits tend à s’estomper. Les Nations Unies et d’autres organisations internationales ont déclaré que tous les droits de la personne sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. Par conséquent, nous envisageons d’un oeil neuf les droits qu’il faut protéger et les mesures que l’on pourrait et que l’on devrait prendre pour y arriver.

Dans les pays industrialisés de l’Ouest, on a de tout temps accordé une plus grande attention aux droits civils et politiques, qui ont bénéficié d’une codification juridique, d’une protection et d’une interprétation judiciaire, comparativement aux droits économiques, sociaux et culturels. Les droits économiques, sociaux et culturels sont souvent perçus comme de simples normes, à la fois impossibles à appliquer et non justiciables, qui ne pourront être réalisés que « progressivement » avec le temps.[1] Ils sont souvent perçus comme des droits dont la réalisation peut nécessiter l’intervention de l’État et on estime donc qu’il vaut mieux laisser aux législatures la responsabilité d’en décider. Il existe cependant des liens étroits entre ces deux catégories de droits et la réalisation pleine et entière des deux peut être envisagée comme un idéal commun.[2]

En vérité, les droits économiques, sociaux et culturels sont particulièrement pertinents au dialogue actuel sur les droits de la personne. Alors que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[3] établit un cadre international pour la protection de ces droits, il existe peu de mécanismes pour les faire respecter. En ratifiant le Pacte en 1976, le Canada a accepté des obligations internationales à l’égard de la défense des droits économiques, sociaux et culturels. Cependant, l’apparente impossibilité de les faire respecter a soulevé des inquiétudes croissantes à l’échelle internationale sur la protection de ces droits. Les nouvelles pressions socio-économiques qui s’exercent sur la société canadienne, ainsi que la retenue des tribunaux dans le domaine des droits sociaux et économiques, ont porté de nombreuses commissions des droits de la personne à réexaminer leur mandat en vue de déterminer ce qu’elles peuvent faire de plus. Au Québec, bien sûr, la loi[4] prévoit expressément la protection contre la discrimination fondée sur la condition sociale, alors que le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne a étudié une possibilité semblable et, dans son rapport publié en juin 2000[5], a recommandé d’ajouter la condition sociale aux motifs illicites de discrimination, dans la Loi fédérale.

Il est grand temps que nous nous penchions sur cette question au Canada. Des statistiques récentes, qui utilisent le seuil de faible revenu de Statistique Canada pour mesurer la pauvreté, indiquent que 17,9 pour 100 de la population canadienne vit dans la pauvreté[6]. Pendant cinq années consécutives, le Canada était en tête de l’Indicateur du développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) alors que l’Indicateur de la pauvreté humaine du PNUD le place au dixième rang des pays industrialisés.[7]

En 1995, 57 pour 100 des personnes à faible revenu étaient des femmes.[8] Les personnes qui n’arrivent pas à obtenir plus qu’un emploi à temps partiel ou au salaire minimum, celles qui appartiennent à une famille monoparentale dirigée par la mère, les femmes âgées, les personnes ayant un handicap, les membres d’une minorité raciale, les Autochtones ou les personnes qui viennent d’immigrer sont tous plus susceptibles de vivre dans la pauvreté.[9] Les pauvres font face à de graves problèmes, notamment celui d’avoir une nourriture suffisante et un logement abordable. On sait que la pauvreté a une incidence directe sur la santé des personnes et un effet néfaste sur la réussite scolaire, ce qui, en retour, a des répercussions considérables sur le risque d’être pauvre.[10]

En Ontario, la question des sans-abri, surtout dans les grands centres urbains, devient un problème social et politique de plus en plus pressant. Dans bien des régions, le parc de logements locatifs abordables a diminué. Malgré certains progrès constatés récemment au moyen d’initiatives pour appuyer le logement aux paliers municipal et fédéral (notamment des fonds fédéraux destinés spécifiquement au logement et la mise en oeuvre de plusieurs des recommandations du rapport Golden par le conseil municipal de Toronto[11]), les besoins l’emportent sur les ressources. Par ailleurs, on constate un recours accru aux banques alimentaires[12] et aux maisons d’hébergement temporaire.[13] Ces tendances se manifestent en dépit d’une économie vigoureuse et d’une période marquée par un taux d’emploi sans précédent. Ces contradictions soulèvent d’importantes questions sur le sens des « droits économiques » et des « droits sociaux », ainsi que la question de savoir si les commissions des droits de la personne peuvent ou devraient avoir un rôle à jouer dans la protection de ces droits.

Sur la scène internationale, certains ont exprimé leurs préoccupations sur le dossier du Canada en matière d’application des droits économiques et sociaux. Ces préoccupations portent notamment sur la réponse du Canada au problème des sans-abri, les coupures dans les programmes sociaux, le déclin des taux d’aide sociale et les effets discriminatoires de ces coupures sur certains groupes défavorisés comme les femmes, les enfants et les personnes handicapées.[14] Dans ses Observations finales de 1998, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (ci-après le Comité du PIRDESC) critique également les gouvernements provinciaux pour encourager leurs tribunaux à adopter une interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) qui aurait pour effet de nier aux plaidants la protection des droits reconnus par le Pacte et de les priver ainsi des nécessités vitales et de la possibilité d’un recours légal.[15]

Les Observations finales de 1998 comprennent un certain nombre de recommandations pour améliorer l’application des droits sociaux et économiques. Le Comité du PIRDESC réitère que les droits économiques et sociaux ne sauraient être réduits à de simples « principes et objectifs » dans les politiques et programmes sociaux. Le Comité encourage le gouvernement fédéral à s’assurer que les provinces soient bien conscientes de leurs obligations et du fait que les droits énoncés dans le PIRDESC doivent être exécutoires dans les provinces, au moyen de mesures législatives et de politiques et par l’établissement de mécanismes indépendants et appropriés de surveillance et d’arbitrage.[16] De plus, le Comité du PIRDESC suggère des campagnes de sensibilisation et d’éducation sur les obligations découlant des traités.[17] D’autres recommandations portent sur des questions particulières, par exemple les droits économiques et sociaux des femmes, le droit à un niveau de vie adéquat, les droits des travailleurs et les droits des sans-abri.

Le présent document commence par une brève discussion des droits sociaux et économiques dans le cadre du droit international. On fera un survol de ces droits et de la façon dont ils ont été appliqués au Canada; on explorera également le concept de « condition sociale » ou des concepts connexes, en tant qu’expression des droits économiques et sociaux qui peuvent être protégés par les commissions des droits de la personne.

Bien que les droits culturels soient souvent regroupés avec les droits sociaux et économiques, ils ne seront pas considérés dans les pages qui suivent, car ils relèvent d’une problématique bien distincte et soulèvent des questions qui dépassent la portée du présent document.


[1] Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, Fiche d’information no 16 (Rév. 1) (1991), en ligne : site du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme <http://www.unhchr.ch/french/html/menu6/2/fs16_fr.htm> (consulté le 19 février 2001) [ci-après Fiche d’information no 16].
[2] M.K. Addo, « The Justiciability of Economic, Social and Cultural Rights » (1988) 14 Commonwealth Law Bulletin 1425, p. 1425.
[3] 16 décembre 1966, 993 R.T.N.U. 3, R. T. Can. 1976 no 46 (entrée en vigueur le 3 janvier 1976, adhésion par le Canada le 19 août 1976) [ci-après PIRDESC].
[4] Québec, Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12 [telle que modifiée].
[5] Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, La promotion de l’égalité : une nouvelle vision (Ottawa : en vertu de l’autorisation de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, 2000) (président du Comité : l’honorable Gérard La Forest), en ligne : site du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne <http://www.chrareview.org/indexf.html> (consulté le 20 février 2001) [ci-après La promotion de l’égalité : une nouvelle vision].
[6] Tiré de S. Day, M. Young et N. Won, « The Civil and Political Rights of Canadian Women » - travail de recherche effectué pour l’honorable Lois M. Wilson, Sénat du Canada (printemps 1999), citant Statistique Canada, « Le Quotidien », (3 mars 1999), texte anglais en ligne : page de l’honorable Lois M. Wilson <http://sen.parl.gc.ca/lwilson/> (consulté le 20 février 2001).
[7] Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies. Examen des rapports présentés par les États parties conformément aux articles 16 et 17 du Pacte (Observations finales - Canada), 10 décembre 1998, E/C.12/1/Add.31., paragr. 3 [ci-après les Observations finales de 1998].
[8] Voir Day, Young et Won, supra, note 6, citant le Conseil national du bien-être social, Profil de la pauvreté 1995 (Ottawa : Approvisionnement et Services Canada, 1997), p. 34, 84 et 85.
[9] M. Jackman, « Constitutional Contact with the Disparities in the World: Poverty as a Prohibited Ground of Discrimination Under the Canadian Charter and Human Rights Law » (1994) 2 Revue d’études constitutionnelles 76, p. 83 [ci-après Constitutional Contact with the Disparities in the World].
[10] Ibid., p. 84 - 88.
[11] Groupe d’action du maire sur les sans-abri, Taking Responsibility for Homelessness: An Action Plan for Toronto (Présidente : A. Golden), en ligne : site de la ville de Toronto <http://www.city.toronto.on.ca/mayor/homelessnesstf.htm> (consulté le 21 février 2001).
[12] L’Association of Canadian Food Banks a déclaré que les banques alimentaires ont constaté une croissance régulière de la demande d’aliments. En Ontario, en moins de deux mois après la réduction des taux d’aide sociale, les banques alimentaires ont constaté une augmentation de 70 pour 100 du recours à leurs services; tiré du mémoire présenté par l’Organisation nationale anti-pauvreté au Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (février 1996), en ligne : site de Charter Committee on Poverty Issues <http://www.web.net/ccpi/un/napo.html> (consulté le 21 février 2001).
[13] Voir, par exemple, Toronto Disaster Relief Committee, State of Emergency Declaration: An Urgent Call for Emergency Humanitarian Relief & Prevention Measures (octobre 1998), en ligne : site du Toronto Disaster Relief Committee <http://www.tao.ca/~tdrc/booklet.shtml> (consulté le 21 février 2001) lequel déclare que n’importe quel jour de 1996, environ 3 100 différentes personnes utilisaient les maisons d’hébergement d’urgence de Toronto. C’est là une augmentation comparativement à 2 600 en 1994 et à 2 100 en 1988.
[14] Voir Observations finales de 1998, supra, note 7; par exemple, les paragraphes 16, 19, 20, 21, 23-25, 27, 28, 32, 33, 35, 36.
[15] Ibid., paragr. 14.
[16] Ibid., paragr. 52.
[17] Ibid., paragr. 58.

Les droits sociaux, culturels et économiques et le droit international

Principaux instruments internationaux

La Déclaration universelle des droits de l’homme[18], adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1948, proclamait le caractère inaliénable des droits sociaux et économiques. Les droits sociaux et économiques contenus dans la Déclaration comprennent le droit à la propriété (article 17), le droit à la sécurité sociale et à la satisfaction des droits sociaux et économiques « indispensables à [la] dignité [d’une personne] et au libre développement de sa personnalité » (article 22), les droits relatifs à l’emploi (article 23) et les droits relatifs à l’éducation (article 26). L’article 25 reconnaît le droit à un certain niveau de vie :

Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté...

L’article 2 de la Déclaration prévoit que toute personne peut se prévaloir de tous ces droits sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de religion et autres.

Les principes moraux exprimés dans la Déclaration ont été mis en vigueur par deux pactes : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[19] et le PIRDESC. La division de ces deux catégories de droits en deux instruments distincts serait partiellement à la source, selon certains, de la distinction établie entre ces droits, distinction qui menace depuis les initiatives de protection des droits de la personne.[20]

Le PIRDESC est l’un des documents internationaux ayant la plus grande influence et la plus grande portée dans le domaine des droits sociaux et économiques.[21] En plus, il existe une série de conventions, de déclarations et d’ententes internationales qui traitent des droits économiques, sociaux et culturels.[22] Ces instruments ont affiné les normes juridiques internationales relatives à un vaste éventail de questions socio-économiques.[23]

Les droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans le PIRDESC se fondent sur une perspective voulant que les personnes puissent se prévaloir à la fois des droits et libertés fondamentales et de la justice sociale.[24] La protection des droits économiques, sociaux et culturels est considérée comme fondamentale, puisque le droit de vivre dans la dignité ne peut se réaliser si tous n’ont pas un accès adéquat et équitable aux nécessités essentielles à la vie : travail, nourriture, logement, santé, éducation et culture.[25]

Portée du PIRDESC

Le PIRDESC garantit une gamme étendue de droits fondamentaux, y compris :

  • Le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes (article 1);
  • L’égalité des droits des hommes et des femmes (article 3);
  • Le droit au travail (article 6);
  • Le droit de jouir de conditions de travail justes et favorables (article 7);
  • Le droit de former des syndicats et de s'y affilier et le droit de négociation collective (article 8);
  • Le droit à la sécurité sociale et aux assurances sociales (article 9);
  • Le droit à la protection et à l'assistance accordé à la famille (article 10);
  • Le droit à un niveau de vie suffisant (article 11), ce qui comprend :
    • Nourriture suffisante
    • Vêtements suffisants
    • Logement suffisant;
  • Le droit d’être à l’abri de la faim (article 11);
  • Le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre (article 12);
  • Le droit à l’éducation (article 13);
  • Le droit de chacun à la culture et aux bienfaits du progrès scientifique (article 15).

L’article 2 oblige tous les États qui sont parties au Pacte à garantir que tous les droits reconnus par le PIRDESC seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Il ne s’agit pas là d’une liste exhaustive. Selon l’interprétation donnée à cette disposition du PIRDESC, les États parties sont tenus d’interdire aux particuliers et aux organismes privés de pratiquer la moindre discrimination dans quelque domaine que ce soit de la vie publique.[26]

Obligations des États en vertu du PIRDESC

Le Canada est devenu un État partie au PIRDESC en 1976.[27] Le PIRDESC est un acte juridique exécutoire conclu avec les États parties qui acceptent la responsabilité d’accorder et de maintenir les droits qui y sont garantis. L’article 28 prévoit que les dispositions du pacte « s'appliquent, sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives des États fédératifs ». Par conséquent, le PIRDESC est exécutoire pour le gouvernement fédéral comme pour les provinces et les territoires; il appartient aux provinces et aux territoires de garantir et de protéger les droits qui relèvent de la compétence provinciale.[28] Avant la ratification du PIRDESC et du PIRDCP, de larges consultations ont eu lieu entre le gouvernement fédéral et les provinces. Après une conférence fédérale-provinciale des ministres responsables des droits de la personne, tenue en 1975, toutes les provinces ont consenti à ce que le Canada ratifie les deux pactes. À la même rencontre, les gouvernements fédéral et provinciaux sont arrivés à une entente au sujet de la ratification de tous les pactes internationaux relatifs aux droits de la personne, entente fondée sur le principe de la « concertation » fédérale-provinciale et interprovinciale, c’est-à-dire la collaboration en vue d’appliquer les traités relatifs aux droits de la personne qui sont ratifiés par le Canada.[29]

L’article 2 décrit la nature des obligations juridiques découlant du PIRDESC et la façon dont les États parties devraient aborder l’application des droits fondamentaux. Les États parties sont tenus de prendre des mesures, en utilisant le meilleur de leurs ressources, en vue de réaliser progressivement la pleine satisfaction des droits reconnus dans le PIRDESC, par tous les moyens appropriés. Les Limburg Principles on the Implementation of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights prévoient cependant que des mesures législatives, à elles seules, ne suffisent pas : les gouvernements doivent adopter des mesures administratives, judiciaires, politiques, économiques, sociales et éducatives s’ils veulent garantir les droits reconnus par le PIRDESC.[30]

Mécanismes d’application internationaux

D’éminents experts ont souligné la faiblesse relative du système international pour assurer le respect des normes internationales en général, et dans le domaine des droits sociaux et économiques en particulier. Pour peu qu’il existe des procédures, elles se limitent à des pouvoirs d’enquête et de supervision et se fondent sur la persuasion plutôt que sur la coercition.[31]

Le PIRDCP renferme une disposition qui permet aux États et aux personnes de porter plainte devant un organe de révision. Le PIRDESC ne comporte pas de mesure semblable.[32] Le Comité du PIRDESC a fait remarquer que « l'absence de procédure à cet effet restreint beaucoup la possibilité pour le Comité de créer une jurisprudence et, bien évidemment, limite sérieusement les chances qu'ont les victimes de ces violations d'obtenir réparation au niveau international. »[33] Pour résoudre ce problème, le Comité a mis de l’avant un projet de protocole facultatif qui renforcerait l’application pratique du PIRDESC. Le Comité a également signalé qu’en attendant l’adoption de ce protocole, les bénéficiaires des droits énoncés dans le PIRDESC peuvent avoir recours aux procédures générales du Comité, et peuvent utiliser ce qui a été appelé une « procédure non officielle de pétition » fondée sur les modalités de travail du Comité.[34] De la même façon, le Comité des droits de l’homme, qui étudie les rapports et entend les plaintes relatives au PIRDCP, a indiqué que les droits économiques et sociaux peuvent, dans certains cas, être protégés à titre de droits civils et politiques.[35]

Comme le PIRDESC ne prévoit aucune procédure de plainte, le principal mécanisme pour en assurer l’application est le processus de présentation des rapports des États. En vertu des articles 16 et 17, les États parties s’engagent à soumettre des rapports périodiques au Comité du PIRDESC sur les programmes et les lois qu’ils ont adoptés et sur les progrès accomplis dans la protection des droits énoncés dans le Pacte. L’ONU a établi des directives sur la préparation de ces rapports.[36]

La procédure pour présenter les rapports des États est assez complexe, mais il importe d’aborder certains aspects. Les rapports des États sont d’abord examinés par un groupe d’étude préliminaire du Comité du PIRDESC qui élabore une liste de questions. Les États parties doivent fournir une réponse écrite à ces questions avant que leur délégation se présente devant le Comité du PIRDESC. Au cours des réunions du Comité, les délégations des États et les organismes spécialisés de l’ONU fournissent des données pertinentes au rapport étudié. Les membres du Comité font des observations et posent des questions aux États parties et des réponses sont fournies. Le Comité peut demander des renseignements supplémentaires qu’il étudiera à une session ultérieure.[37]

Le Comité a également établi les formalités d’une procédure pour la participation des organismes non gouvernementaux (les ONG) dans ce processus. Les ONG ont la possibilité de présenter des observations orales sur l’application des droits énoncés dans le Pacte par l’État partie devant le groupe d’étude préliminaire et durant la session régulière du Comité du PIRDESC. Le Comité reçoit le témoignage oral des ONG pourvu qu’il soit fiable, pertinent et non offensif. Le Comité reçoit également des documents écrits des ONG.[38]

Le Comité du PIRDESC conclut son étude du rapport d’un État partie en publiant des Observations finales qui constituent la décision du Comité sur la conformité au PIRDESC dans ce pays. Les Observations finales comprennent les aspects positifs de la mise en oeuvre du Pacte, les principaux sujets de préoccupation et des suggestions et recommandations. Le Comité peut conclure qu’un État partie n’a pas respecté une des obligations énoncées et que, par conséquent, il y a violation du PIRDESC. Les Principes de Limburg et plus récemment les Maastricht Guidelines on Violations of Economic, Social and Cultural Rights[39] établissent ce qui peut constituer une violation du PIRDESC.[40]

Il est important de souligner que les Observations finales du Comité du PIRDESC ne sont pas exécutoires et qu’il n’existe aucune méthode pour les faire respecter. Cependant, le Comité a déclaré que si un État partie ignorait les points de vue exprimés dans les Observations finales, il témoignerait de sa mauvaise foi à s’acquitter des obligations acceptées en vertu du Pacte.[41]


[18] 10 décembre 1948, Résolution de l’Assemblée générale 217A (III), Doc. de l’ONU A/810 [ci-après la Déclaration].
[19] 16 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171, R.T. Can. 1976 no 47 (entrée en vigueur le 23 mars 1976, adhésion par le Canada le 19 mai 1976) [ci-après le PIRDCP].
[20] C. Scott, « Canada’s International Human Rights Obligations and Disadvantaged Members of Society: Finally into the Spotlight? » (1999) 10 Forum constitutionnel 1, p. 1 [ci après Canada’s International Human Rights Obligations].
[21] Ministère du Procureur général de l’Ontario, Division des politiques et du droit constitutionnel, The Protection of Social and Economic Rights: A Comparative Study, document préparé par le personnel (19 septembre 1991), p. 34.
[22] En 1995, les Nations Unies estimaient qu’il y avait au moins 81 accords officiels portant sur des questions comme l’élimination de la pauvreté, la création d’emplois et l’intégration sociale; J.W. Foster, « Meeting the Challenges: Renewing the Progress of Economic and Social Rights » (1998) 47 R.D.U.N.-B. 197, p. 197.
[23] Fiche d’information no 16, supra, note 1.
[24] Ibid.
[25] Ibid.
[26] Ibid.
[27] Le Canada a également ratifié le PIRDCP en même temps.
[28] Selon M. Jackman et B. Porter, « L'égalité matérielle des femmes et la protection des droits sociaux et économiques en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne » (Ottawa: Condition féminine Canada, octobre 1999), en ligne : site de Condition féminine Canada <http://www.swc-cfc.gc.ca/research/1-8-99f.html>, citant la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969; 115 R.T.N.U. 331; 8 I.L.M. 679 (entrée en vigueur le 27 janvier 1980), art. 27.
[29] Pour une discussion détaillée du processus menant à la ratification des pactes par le Canada, des modalités et mécanismes d’application des pactes et de la création d’un comité permanent fédéral-provincial des cadres responsables des droits de la personne, voir P. LeBlanc, « Le Canada et les traités des Nations Unies sur les droits de la personne » Série des agendas pour le changement no 3 (recherche commandée par le programme de réforme des Nations Unies du Comité canadien pour le cinquantième anniversaire des Nations Unies, novembre 1994).
[30] The Limburg Principles on the Implementation of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, Doc. de l’ONU E/CN.4/1987/17, annexe, aux paragr. 17 et 18 [ci-après les Principes de Limburg].
[31] Voir par exemple, The Protection of Social and Economic Rights: A Comparative Study, supra, note 21, p. 37.
[32] Ce fait peut expliquer en partie l’idée répandue que les droits économiques, sociaux et culturels ne sont ni applicables ni justiciables, et qu’il s’agit de droits « positifs » pouvant être satisfaits « progressivement » au fil du temps. On abordera plus loin le caractère justiciable de ces droits.
[33] Fiche d’information no 16, supra, note 1.
[34] Ibid. Les Observations finales de 1998 illustrent bien la façon dont le Comité utilise le mécanisme redditionnel pour renforcer les droits économiques et sociaux au Canada par son pouvoir de persuasion. D’éminents experts ont souligné que le Comité adopte de plus en plus un rôle d’arbitrage, ce qui indique que la communauté internationale commence à être plus à l’aise avec l’idée que les droits sociaux et économiques peuvent être revendiqués et arbitrés de la même façon que les autres droits de la personne. Voir Jackman et Porter, supra, note 28, p. 52.
[35] The Protection of Social and Economic Rights: A Comparative Study, supra, note 21, p. 38. Cette étude souligne que, dans la décision rendue dans deux causes, le Comité des droits de l’homme a maintenu que le fait d’exclure une personne des avantages sociaux (protégés en vertu du PIRDESC) constitue une atteinte au droit à l’égalité reconnu par le PIRDCP pour lequel l’État doit fournir un recours. De plus, le Comité des droits de l’homme a laissé entendre dans une observation générale que le droit à la vie reconnu dans le PIRDCP pourrait obliger un État à adopter des mesures actives, par exemple, réduire le taux de mortalité infantile, ou éliminer la malnutrition.
[36] Par exemple, Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies : Rapports des États parties : Observation générale 1, 24 février 1989, E/1989/22.
[37] Fiche d’information no 16, supra, note 1.
[38] Ibid., citant la Procédure applicable à la participation des organismes non gouvernementaux dans les activités du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, 8e session, mai 1993, E/1994/23, paragr. 354.
[39] The Maastricht Guidelines on Violations of Economic, Social and Cultural Rights, nouvelle parution dans (1998) 20 Human Rights Quarterly 691 [ci-après les Directives de Maastricht].
[40] Principes de Limburg, supra, note 30, principe 72.
[41] Fiche d’information no 16, supra, note 1.

Application intérieure des droits économiques et sociaux

Le PIRDESC ne précise aucun moyen particulier d’application et il appartient à chaque État partie de décider des méthodes particulières par lesquelles il garantira les droits prévus dans le Pacte dans ses lois nationales. Il faut cependant que les moyens utilisés soient appropriés, c’est-à-dire qu’ils doivent donner les résultats qui témoignent de la volonté de l’État partie de s’acquitter pleinement de ses obligations.[42] Les droits sociaux et économiques imposent trois types d’obligations aux États : 1) l’obligation de les respecter; 2) l’obligation de les protéger et 3) l’obligation de les promouvoir.[43]

1) L’obligation de respecter les droits

Un gouvernement ne doit pas porter atteinte, ou faire entrave, à la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. Par exemple, le gouvernement ne peut pas prendre part à des évictions forcées ni confisquer des terres sans une indemnisation appropriée.

2) L’obligation de protéger les droits

Le gouvernement doit empêcher des tiers de porter atteinte aux droits économiques, sociaux et culturels. Les lois sur les droits de la personne et les commissions chargées de les appliquer ont un rôle critique à jouer pour honorer cette obligation.[44] Les lois sur les droits de la personne sont destinées à empêcher des entités privées et même le gouvernement de porter atteinte à certains droits et les commissions des droits de la personne sont chargées d’administrer et d’appliquer les lois.

3) L’obligation de promouvoir les droits

Un gouvernement a le devoir de prendre les mesures législatives, administratives, budgétaires, judiciaires et autres suffisantes pour promouvoir les droits, c’est-à-dire que le gouvernement doit fournir la nourriture, le logement, les services de santé, d’éducation et autres aux personnes qui n’ont pas les moyens de se les procurer. Le Canada a répondu à ces obligations au moyen de diverses mesures de politiques sociales et publiques à l’échelle provinciale et nationale. Une discussion détaillée sur toute la gamme de ces programmes dépasse la portée du présent document; notons cependant que ces programmes comprennent, par exemple, l’aide sociale, les services de santé publique et le système public d’éducation.

Quelle que soit la façon dont les États parties décident de s’acquitter de leurs obligations découlant du PIRDESC, le Comité du PIRDESC a établi plusieurs principes qui doivent être respectés. Premièrement, l’État partie doit choisir le moyen d'application propre à lui permettre de s'acquitter de ses obligations en vertu du Pacte. Deuxièmement, il lui faut tenir compte des moyens qui se sont avérés les plus efficaces pour la protection d'autres droits fondamentaux au pays.[45] Troisièmement, même si le Pacte n'oblige pas formellement les États à incorporer ses dispositions dans la législation interne, une telle démarche est souhaitable.[46] Comme l’indiquent les Directives de Maastricht :

L’intégration ou l’application directe des instruments internationaux reconnaissant les droits économiques, sociaux et culturels au sein de l’ordre juridique intérieur peut renforcer de façon significative la portée et l’efficacité des mesures correctives et devrait être encouragée dans tous les cas.[47] (traduction)

L’Observation générale 9 souligne que les États ont fait appel à des approches diversifiées. Certains n’ont pris aucune mesure particulière. D’autres ont intégré les dispositions du Pacte en étayant ou en modifiant les lois existantes, sans toutefois reprendre les termes mêmes du Pacte; d’autres ont adopté ou intégré le Pacte à leurs lois nationales en conservant la formulation de ses dispositions et leur donnant officiellement effet dans l’ordre juridique national.[48]

L’expérience d’autres pays dans l’application des droits économiques et sociaux

Ces dernières années, on a constaté, aux quatre coins du monde, un mouvement croissant vers de meilleures procédures d’application et d’arbitrage relatives aux droits sociaux et économiques. Par exemple, le Conseil de l’Europe, qui compte 40 membres, a récemment adopté une Charte sociale européenne révisée qui est entrée en vigueur le 1er juillet 1999.[49] Cette Charte sociale européenne révisée prévoit la protection des droits économiques et sociaux, en précisant par exemple, le droit à un logement d’un niveau suffisant[50] et la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale.[51] Ces droits peuvent donner lieu à une procédure de plainte qui permet à des organismes d’employeurs et des ONG de déposer des plaintes contre les gouvernements, plaintes qui sont alors examinées par un comité d’experts indépendants.[52] L’historique des droits économiques et sociaux dans le cadre de la version précédente de la Charte sociale n’est pas sans rappeler la situation canadienne, notamment en ce que ces droits étaient perçus comme des objectifs de politiques, et non pas comme des droits fondamentaux entièrement justiciables. Ce qui est diamétralement opposé à la situation des droits civils et politiques, qui sont énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme, dont la protection est assumée en partie par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « la CEDH »).[53]

Par le passé, l’application de la Charte sociale européenne a été assurée par un système redditionnel, semblable aux dispositions prévues dans le PIRDESC. En 1995, un protocole additionnel a été adopté pour permettre un mécanisme de réclamations collectives qui peuvent être présentées à un Comité d’experts indépendants par des organismes nationaux et internationaux de travailleurs et d’employeurs et par des ONG. Néanmoins, on craint que ce mécanisme ne soit pas assez rigoureux pour permettre l’application intégrale de la Charte sociale. Bien des observateurs ont préconisé un système de pétition individuel et un tribunal européen des droits sociaux ou une commission des droits sociaux.[54]

Certains auteurs ont envisagé la possibilité que les tribunaux puissent donner effet à la Charte sociale, non pas en confirmant directement les obligations positives de l’État qui sont énoncées dans la Charte sociale, mais plutôt en l’utilisant dans l’interprétation d’autres domaines du droit de la Communauté européenne. On peut trouver des exemples de ces nouvelles tendances dans la jurisprudence de la Cour européenne de justice (ci-après « la CEJ ») et de la CEDH.[55] Par exemple, la CEDH a conclu dans l’affaire Airey[56] que la prestation de services gratuits d’aide juridique est une condition préalable essentielle à l’exercice efficace des droits civils d’une personne. Dans les affaires Feldbrugge[57] et Deumeland,[58] la CEDH a maintenu que les décisions relatives aux prestations de sécurité sociale doivent satisfaire aux garanties d’un juste procès. Cette jurisprudence a été confirmée par une décision plus récente relative aux prestations d’aide sociale.[59]

On constate une approche semblable dans la jurisprudence de la CEJ. Dans l’affaire Defrenne c. Sabena,[60] la CEJ renvoie explicitement à la Charte sociale comme à une source importante des principes fondamentaux du droit au sein de la Communauté européenne, pour appuyer sa conclusion qu’il y avait discrimination fondée sur le sexe du fait que l’âge de la retraite n’était pas le même pour les hommes et pour les femmes dans l’industrie belge de l’aviation. Par conséquent, en accord avec le principe de l’interdépendance des droits économiques et sociaux et des droits civils et politiques, les tribunaux européens ont utilisé la Charte sociale pour donner effet aux droits civils en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il semble que les tribunaux européens soient de plus en plus disposés à imposer le respect des obligations positives des États membres de la Communauté européenne. On constate en Europe un mouvement en faveur de l’adoption de mesures actives de la part des États pour fournir des prestations, des avantages et des services sociaux, plutôt que de restreindre les actions des États et des particuliers qui sont discriminatoires en raison de la pauvreté ou de la condition sociale d’une personne.

La Cour suprême de l’Inde a tenté d’assurer une certaine protection à l’égard d’aspects particuliers des droits sociaux et économiques en intégrant ces droits à la protection des droits civils et politiques. Dans la Constitution de l’Inde, les droits civils et politiques sont expressément exécutables devant les tribunaux. Les droits sociaux et économiques sont établis dans une section de la Constitution portant sur les « principes directeurs de la politique de l’État » et ils sont rendus expressément exécutables devant les tribunaux. Cependant, la Cour suprême de l’Inde a donné un effet indirect aux principes directeurs en interprétant les droits civils et politiques, comme le droit à la vie, pour lui donner le sens de droit à la qualité de vie, c’est-à-dire le droit à un niveau suffisant de nourriture, de vêtement et de logement.[61]

L’approche adoptée en Afrique du Sud[62] vaut également qu’on s’y attarde, car ce pays a récemment eu l’occasion de définir une façon d’aborder les droits de la personne. La Constitution finale de l’Afrique du Sud énumère une large gamme de droits sociaux et économiques, comme l’accès à un logement adéquat, aux services de santé, y compris dans le domaine de la reproduction, l’accès à une quantité suffisante de nourriture et d’eau, et à la sécurité sociale, y compris une aide sociale appropriée. Certains aspects de ces droits sont assujettis à des limites relatives à la disponibilité des ressources, mais tous les aspects peuvent faire l’objet d’une révision judiciaire. Dans certains cas, il peut également être possible de déposer des réclamations relativement à des droits économiques et sociaux contre les entités privées. Dans une récente décision, la Cour constitutionnelle a confirmé que la Constitution oblige l’État à prendre des mesures actives en ce qui concerne les droits sociaux et économiques. La Cour jugeait que la réalisation de ces droits et l’avancement de l’égalité raciale et sexuelle étaient étroitement liés et se renforçaient mutuellement. La décision confirmait que dans des circonstances appropriées, les tribunaux peuvent et doivent veiller à l’application des droits sociaux et économiques. La commission des droits de la personne semble avoir joué un rôle important dans cette affaire à titre d’intervenant désintéressé.[63]

La South African Human Rights Commission a un mandat général, ainsi que des responsabilités particulières en matière de droits sociaux et économiques. Par exemple, chaque année, elle doit exiger des organes compétents de l’État qu’ils lui fournissent des renseignements sur les mesures qu’ils ont prises en vue d’assurer le respect des droits reconnus dans le Bill of Rights en matière de logement, de services de santé, d’alimentation, d’approvisionnement en eau, de sécurité sociale, d’éducation et d’environnement.[64]

Il est évident que la vaste majorité des pays reconnaissent déjà les droits sociaux et économiques dans leurs politiques intérieures, par l’application de traités internationaux dans leurs lois nationales ou par des dispositions de leur constitution ou de leur charte des droits de la personne qui mentionnent les droits sociaux et économiques.[65] En 1991, une étude comparative préparée par la Division du droit constitutionnel et des politiques du ministère du Procureur général de l’Ontario indiquait que la constitution de plus de la moitié des pays à l’échelle mondiale comprend des dispositions expresses sur des droits ou des principes sociaux et économiques. Par exemple, plus de 55 constitutions parlent d’un droit de la personne ou d’une obligation de l’État à l’égard de l’aide sociale; plus de 30 constitutions parlent du droit à un niveau de vie minimal; plus de 30 constitutions reconnaissent un droit ou une obligation de l’État en matière de logement, et ainsi de suite.[66] Bien que ces dispositions ne soient pas toujours exécutoires devant les tribunaux, leur reconnaissance législative constitue une expression des valeurs et des aspirations communes et un guide pour l’établissement de politiques nationales.[67]

Approche canadienne à l’application des droits économiques et sociaux

Au Canada, les instruments internationaux ne font pas partie du cadre législatif intérieur, à moins qu’ils ne soient mis en oeuvre par une loi. Les obligations du Canada découlant des traités peuvent être exécutoires devant un tribunal intérieur si : i) l’instrument international est expressément intégré à une loi intérieure ou y est intégré par déduction nécessaire, et ii) lorsqu’une telle loi est elle-même promulguée par la législature dont relève le sujet du traité.[68] Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a confirmé la valeur d’interprétation des instruments internationaux, même lorsqu’ils n’ont pas été intégrés aux lois intérieures, en particulier dans les domaines de l’interprétation de la Charte et de l’interprétation et de l’application du droit administratif.

En 1983, dans son opinion dissidente dans l’affaire du Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act, le juge en chef Dickson a déclaré ce qui suit au sujet des obligations internationales du Canada et de l’interprétation constitutionnelle des lois intérieures :

... le Canada est partie à plusieurs conventions internationales sur les droits de la personne qui comportent des dispositions analogues ou identiques à celles de la Charte. Le Canada s'est donc obligé internationalement à assurer à l'intérieur de ses frontières la protection de certains droits et libertés fondamentaux qui figurent aussi dans la Charte. Les principes généraux d'interprétation constitutionnelle requièrent que ces obligations internationales soient considérées comme un facteur pertinent et persuasif quand il s'agit d'interpréter la Charte.[69]

Peu après, en rédigeant le jugement de la majorité, le juge en chef Dickson réaffirmait sa position dans l’affaire Slaight Communications Inc. c. Davidson.[70] Il concluait « qu'il faut présumer, en général, que la Charte accorde une protection à tout le moins aussi grande que celle qu'offrent les dispositions similaires des instruments internationaux que le Canada a ratifiés en matière de droits de la personne ». Le droit qui faisait l’objet de cette décision était le droit au travail énoncé à l’article 6 du PIRDESC.[71]

Au cours des dix ans qui ont suivi la décision Slaight Communications, très peu de tribunaux de niveau inférieur ont tenu compte des instruments internationaux dans leurs décisions ou appliqué le cheminement élaboré dans cette affaire.[72] Récemment, la Cour suprême du Canada a eu l’occasion de réitérer la présomption d’interprétation énoncée dans la décision Slaight Communications et d’élaborer son argument sur la place des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne dans le droit intérieur. Dans l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),[73] la Cour a tenu compte des effets de la ratification de la Convention relative aux droits des enfants par le Canada dans le contexte de l’immigration. Mme Baker avait quatre enfants à charge nés au Canada et elle était frappée d’expulsion. Elle s’est fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour demander une exemption de l’obligation de sortir du pays pour pouvoir présenter une demande de résidence permanente. La question en litige était de savoir s’il fallait tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants, tel que défini dans la Convention relative aux droits des enfants, dans la décision de lui accorder ou non cette exemption.

En rédigeant la décision au nom de la majorité, la juge L’Heureux-Dubé a souligné que les conventions et traités internationaux ne font pas partie du cadre législatif canadien, à moins qu’ils n’aient été incorporés par une loi interne. Comme la Convention relative aux droits des enfants n’a pas été adoptée par le Parlement, ses dispositions n’ont pas d’application directe dans les lois canadiennes. Cependant, il faut donner préséance à une interprétation des lois intérieures qui reflète les valeurs et les principes exprimés dans les instruments internationaux :

...Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l'approche contextuelle de l'interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire. [Le droit international] a également une incidence cruciale sur l'interprétation de l'étendue des droits garantis par la Charte...[74]

Par conséquent, cette déclaration plus récente de la Cour suprême du Canada confirme l’importance des instruments internationaux dans l’interprétation du droit intérieur. Certains observateurs prétendent que la décision Baker affirme que l’interprétation et l’application du droit administratif, tant au palier provincial que fédéral, doivent être conformes aux traités internationaux sur les droits de la personne ratifiés par le Canada et que cela aura des incidences importantes sur la législation relative aux droits de la personne.[75]

La problématique de la justiciabilité : la défense des droits sociaux et économiques devant les tribunaux

Un aspect important de l’application à l’échelle nationale de chacune des obligations de respecter, de protéger et de promouvoir les droits sociaux et économiques est la question de savoir si ces droits sont justiciables. On entend par « justiciabilité » le caractère de toute question qui peut être réglée de façon appropriée par les tribunaux. Dans l’Observation générale 9, on aborde la question de la justiciabilité (qui est appelée invocabilité dans ce texte) et de l’accès à des recours judiciaires. L’Observation générale 9 rejette la conviction pourtant répandue que les droits sociaux et économiques n’ouvrent pas droit à une exécution judiciaire :

Dans le cas des droits civils et politiques, on tient généralement pour acquis qu'il est essentiel de pouvoir disposer de recours judiciaires contre d'éventuelles violations. Malheureusement, le contraire est souvent affirmé en ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels. Cette différence de traitement n'est justifiée ni par la nature de ces droits ni par les dispositions pertinentes du Pacte... L'adoption d'une classification rigide des droits économiques, sociaux et culturels qui les placerait, par définition, en dehors de la juridiction des tribunaux serait, par conséquent, arbitraire et incompatible avec le principe de l'indivisibilité et de l'interdépendance des deux types de droits de l'homme. Elle aurait en outre pour effet de réduire considérablement la capacité des tribunaux de protéger les droits des groupes les plus vulnérables et les plus défavorisés de la société.[76]

L’Observation générale 9 affirme que les États sont tenus de fournir des recours judiciaires de deux façons : par une interprétation du cadre législatif intérieur qui soit compatible avec les obligations internationales et par l’adoption de mesures législatives qui prévoient des recours judiciaires en cas de violation des droits économiques et sociaux. Les tribunaux devraient tenir compte des droits conférés par le Pacte pour s’assurer que la conduite de l’État est conforme à ses obligations. La protection de l’égalité et de la non-discrimination devrait être interprétée, dans la plus large mesure, de façon à faciliter la protection des droits économiques et sociaux.

La Cour suprême du Canada a refusé de rejeter une interprétation de l’article 7 de la Charte qui protégerait les droits sociaux et économiques. Dans l’affaire Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général),[77] la Cour suprême a pris en considération la portée de l’article 7 de la Charte.[78] La Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si les droits reconnus à l’article 7 peuvent comprendre le droit à l’aide et au soutien matériels :

À notre avis, l'exclusion intentionnelle de la propriété de l'art. 7 et son remplacement par la « sécurité de sa personne » [...] permet d'en déduire globalement que les droits économiques, généralement désignés par le terme « propriété », ne relèvent pas de la garantie de l'art. 7. Cela ne signifie pas cependant qu'aucun droit comportant un élément économique ne peut être visé par l'expression « sécurité de sa personne »...[79]

La Cour a déclaré que « ce serait agir avec précipitation » que de limiter la portée de l’article 7 en excluant « certains droits reconnus dans diverses conventions internationales -- tels la sécurité sociale, l'égalité du salaire pour un travail égal, le droit à une alimentation, un habillement et un logement adéquats ».[80]

Le Comité du PIRDESC a interprété cette décision, ainsi que la décision Slaight Communications, comme une déclaration de la Cour suprême voulant que la Charte puisse être interprétée de façon à protéger un niveau de vie adéquat et d’autres droits énoncés dans le PIRDESC.[81] Cependant, ce n’est pas tout à fait exact, en ce sens que la Cour suprême n’a pas encore affirmé de manière positive une telle interprétation, elle a simplement refusé de l’exclure. Cette perception de l’importance des affaires Slaight Communications et Irwin Toy provient sans doute de la réponse du gouvernement du Canada à une question posée par le Comité du PIRDESC :

La Cour suprême du Canada a affirmé que l’article 7 de la Charte pouvait être interprété de façon à inclure les droits reconnus dans le Pacte (...Slaight Communications...). La Cour suprême a également affirmé que l’article 7 garantit que les besoins fondamentaux des gens doivent être satisfaits (...Irwin Toy...). Le gouvernement du Canada est lié à ces interprétations de l’article 7 de la Charte.[82]

L’évolution de l’approche de la Cour suprême à l’égard du droit à l’égalité énoncé à l’article 15 de la Charte semble également compatible avec la protection des droits économiques et sociaux en vertu de la Charte et des autres lois sur les droits de la personne. La Cour suprême a défini l’égalité matérielle comme une valeur fondamentale de la société contre laquelle les objectifs de toute loi doivent être mesurés. Elle a affirmé que l’article 15 de la Charte, qui dit que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimination, est la garantie la plus générale, et qu’à ce titre il s’applique à tous les autres droits et les appuie.[83] Le droit à l’égalité peut créer des obligations positives de répondre aux besoins liés à une situation défavorisée et l’omission ou le refus d’agir pour répondre aux besoins des groupes défavorisés ou vulnérables peut constituer une violation du droit à l’égalité. De telles obligations positives ne sont pas nouvelles, elles sont au contraire bien établies dans les lois portant sur les droits de la personne.[84] Comme l’exprimait le juge LaForest dans la décision Eldridge :

...les intimés [...] prétendent que le par. 15 (1) n'oblige pas les gouvernements à mettre en oeuvre des programmes destinés à atténuer les désavantages qui existent indépendamment des actions de l'État [et que] les gouvernements devraient être autorisés à accorder des avantages à la population en général sans devoir faire en sorte que les membres défavorisés de la société aient les ressources pour bénéficier pleinement de ces avantages. À mon avis, cette position témoigne d'une vision étroite et peu généreuse du par. 15 (1). Fait plus important encore, elle va à contre-courant de la jurisprudence de notre Cour sur l'égalité.[85]

Dans l’affaire Eldridge, le motif de discrimination était un handicap. C’est une affaire importante par sa façon d’aborder l’égalité matérielle et parce qu’elle reconnaît que l’objet du paragraphe 15 (1) de la Charte n’est pas uniquement de prévenir la discrimination découlant de l’attribution de stéréotypes, mais aussi d’améliorer la situation des groupes qui ont été défavorisés par suite de leur exclusion de la société dans son ensemble.

On pourrait soutenir que le paragraphe 36 (1) de la Charte contient un engagement constitutionnel à fournir les nécessités vitales :

... les gouvernements fédéral et provinciaux s'engagent à

  1. promouvoir l'égalité des chances de tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être;
  2. favoriser le développement économique pour réduire l'inégalité des chances;
  3. fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels.

On ne peut dire de façon sûre si cet article crée des obligations exécutoires pour les gouvernements fédéral ou provinciaux.[86] Néanmoins, l’article constitue une affirmation de l’engagement des gouvernements du Canada à l’égard de certains droits économiques et il peut servir d’outil d’interprétation en vertu de la Charte.

Prises ensemble, la décision de la Cour suprême dans l’affaire Irwin Toy, l’évolution de son analyse du droit à l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte, sa jurisprudence naissante sur le rôle des instruments internationaux dans l’interprétation de la Charte et du paragraphe 36 (1) de la Charte semblent toutes appuyer le principe de la justiciabilité des droits sociaux et économiques en vertu de la Charte.[87] Cependant, les tribunaux de palier inférieur du Canada ont constamment préféré des interprétations étroites des droits conférés dans la Charte, ce qui place les droits économiques et sociaux hors de leur compétence. En se fondant, en partie, sur leurs préoccupations à l’égard de la souveraineté parlementaire et les divers degrés de compétences des législatures par rapport aux tribunaux, les tribunaux canadiens se sont abstenus de jouer un rôle dans la justiciabilité de ces droits. Les pages suivantes donnent un aperçu des causes les plus significatives.[88]

Causes relatives à l’aide sociale

Dans l’affaire Masse v. Ontario (Ministry of Community and Social Services),[89] une cour supérieure de l’Ontario a considéré une contestation de la réduction de 21 pour 100 des taux d’aide sociale provinciale. Le tribunal a accepté la preuve non controversée que les coupures auraient un effet néfaste important sur les groupes vulnérables :

... [certains des requérants] sont des mères seuls soutiens de famille qui craignent de perdre leur logement actuel et de faire face aux privations associées à un revenu moindre, comme le manque d’argent pour acheter de la nourriture, des vêtements et les effets nécessaires à l’éducation. Ce bref aperçu ne peut faire comprendre adéquatement la profondeur des effets de ces réductions sur ces requérantes et sur leurs enfants. Chaque jour, sans relâche, c’est un fardeau épuisant que de devoir assurer la subsistance de la famille et les soins aux enfants lorsque l’argent est rare, voire insuffisant. Tous les prestataires d’aide sociale et les personnes dont ils ont la charge souffriront d’une façon ou d’une autre de cette réduction des prestations d’aide sociale. Bon nombre seront contraints de trouver un autre logement ou de prendre d’autres dispositions d’hébergement. S’ils n’arrivent pas à trouver de logement moins coûteux [...] nombre d’entre eux pourraient bien se retrouver sous peu dans les rangs des sans-abri.[90] (traduction)

Malgré cela, et malgré l’argument voulant que le droit à la sécurité de la personne et le droit à l’égalité reconnus par la Charte doivent être interprétés à la lumière des obligations acceptées par le Canada en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, le tribunal a rejeté la demande en se fondant sur le principe que les droits sociaux et économiques ne sont pas justiciables. Le juge O’Brien a déclaré que, dans une large mesure, les politiques économiques et sociales dépassent tout simplement la compétence institutionnelle des tribunaux,[91] et dans un jugement distinct et concordant, le juge O’Driscoll a déclaré que la Cour n’est pas habilitée à reconsidérer les politiques ou les décisions politiques des gouvernements.[92]

Pour ce qui est de l’analyse du droit à l’égalité, la Cour s’est abstenue de conclure que le fait de recevoir de l’aide sociale est un motif analogue de discrimination au sens de l’article 15, en invoquant le fait que l’article 15 exige une comparaison du traitement gouvernemental de catégories d’individus fondée sur des caractéristiques personnelles. Le tribunal a soutenu que les prestataires recevaient du gouvernement un avantage que d’autres ne recevaient pas, de sorte que la comparaison ne pouvait être valide. De plus, la Cour a constaté que le groupe n’est pas défini par une quelconque caractéristique personnelle et que la condition d’assisté social, pour constituer un motif analogue, doit être reliée à une caractéristique personnelle.

Dans une autre cause entendue devant les tribunaux de l’Ontario, Mohamed v. Metropolitan Toronto (Department of Social Services)[93], le régime d’aide sociale a été jugé discriminatoire (discrimination fondée sur l’âge) car il ne prévoyait pas de versements d’aide sociale ou de prestations équivalentes pour des personnes de moins de 16 ans. Cependant, on a jugé que cette discrimination constituait une limite justifiable aux droits reconnus à l’article 1 de la Charte. Dans une autre affaire, Silano v. British Columbia[94], le tribunal a rendu une décision fort différente lorsqu’il a jugé discriminatoires les règles de l’aide sociale qui prévoyaient une prestation de 25 $ de moins par mois pour les personnes âgées de moins de 26 ans. Comme cette distinction fondée sur l’âge n’était ni raisonnable ni justifiée, il était impossible de légitimer cette discrimination fondée sur l’âge en vertu de l’article 1.

Au Québec, une femme a contesté la réduction des prestations destinées aux personnes seules aptes au travail âgées de 18 à 30 ans, réduction qui les porte au tiers de celles qui sont destinées aux personnes seules de plus de 30 ans.[95] Elle a soutenu que la somme de 170 $ par mois qui lui était versée était tellement insuffisante qu’elle portait atteinte à son droit à la vie, à la liberté et la sécurité de la personne. Dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle avait connu la faim, qu’elle avait été sans-abri pendant un certain temps et qu’elle avait dû vivre dans une relation intime, contre son gré, en échange pour le gîte et le couvert. La Cour supérieure du Québec a rejeté la requête, en invoquant le fait que l’article 7 n’assurait pas la protection des droits économiques.

La Cour a justifié sa décision de bien des façons. La Cour s’en est remise à l’intention des législateurs d’exclure les droits sociaux et économiques de la portée de l’article 7 lorsqu’ils ont formulé la Charte. La Cour s’est refusé à interpréter la Charte de façon à y inclure des droits positifs exigeant l’utilisation des ressources publiques et a souligné que « [l]es tribunaux ne doivent pas substituer leur jugement en matière sociale et économique au jugement des corps législatifs... ».[96] Enfin, en adoptant cette même approche « peu généreuse » que la Cour suprême avait rejetée dans l’affaire Eldridge, la Cour a fait remarquer que la pauvreté n’avait pas été créée par l’État, mais par d’autres conditions ou circonstances, et que c’était la pauvreté qui entraînait les privations sur le plan du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Par conséquent, l’inefficacité des mesures gouvernementales à éliminer la pauvreté n’était pas en elle-même une cause de la privation. La Cour d’appel du Québec a récemment confirmé le point de vue selon lequel les droits sociaux et économiques ne sont pas justiciables en vertu de la Charte et les tribunaux ne sont pas habilités à se prononcer sur le bien-fondé des mesures de sécurité sociale prises par le gouvernement provincial.[97] La Cour suprême du Canada a autorisé un appel.

Une femme de Nouvelle-Écosse a contesté la décision prise par les autorités de lui refuser l’aide sociale provisoire pour répondre aux nécessités vitales de nourriture et de logement pour elle et son enfant pendant que l’on faisait enquête sur une allégation voulant qu’elle ait vécu avec un homme. La Cour d’appel a jugé que la Charte ne peut pas assurer la protection des intérêts économiques.[98] Cependant, sue une note un peu plus encourageante, dans une récente décision rendue en Ontario, la Cour a jugé discriminatoire une règle semblable sur la présence d’un conjoint au domicile, selon laquelle toute personne de sexe opposé vivant sous le même toit était réputée conjoint ou conjointe, sans égard au fait qu’il existe ou non une véritable relation conjugale; selon la Cour, il s’agissait d’une discrimination fondée sur le sexe et sur le motif analogue de l’état de mère seul soutien de famille bénéficiaire de l’aide sociale.[99]

Dans Fernandes v. Director of Social Services (Winnipeg Central),[100] le requérant, qui avait besoin de l’usage permanent d’un ventilateur, a contesté la décision des autorités de l’aide sociale du Manitoba de lui refuser une aide additionnelle pour des soins à domicile. M. Fernandes a soutenu que cette décision l’obligeait à vivre à l’hôpital, ce qui portait atteinte à ses droits reconnus à l’article 7. La Cour d’appel du Manitoba a rejeté la requête en invoquant le fait que le désir de vivre dans un milieu particulier et le droit à un mode de vie particulier n’étaient pas protégés par l’article 7.[101] La requête fondée sur l’article 15 a aussi été rejetée parce que le requérant était traité de la même façon que tous les bénéficiaires de l’aide sociale et que ses besoins essentiels étaient satisfaits.

Les arguments relatifs à la Charte présentés au nom des bénéficiaires de l’aide sociale ont réussi à défaire une requête d’annulation d’une revendication des requérants dans l’affaire Federated Anti-Poverty Groups v. British Columbia (A.G.).[102] Comme condition au versement de prestations d’aide sociale aux enfants et aux conjoints, les dispositions législatives contestées les obligeaient à transférer à la Couronne tout droit à des aliments qu’ils pouvaient avoir. La Cour a refusé de considérer qu’il était clair et évident, comme le prétendaient les défendeurs, que les droits des requérants relevant de l’article 7 n’étaient pas ainsi violés. Pour ce qui est de l’article 15, la Cour a déclaré qu’il était évident que des personnes recevant de l’aide sociale constituent une minorité petite et isolée au sens de l’article 15. Cette affaire a été une victoire pour les défendeurs de la justiciabilité des droits sociaux et économiques en vertu de la Charte, mais une victoire partielle seulement, car la décision ne constituait pas un jugement final sur les droits des parties.

Causes relatives aux services de santé

Les articles 7 et 15 de la Charte ont aussi été invoqués, mais sans succès, pour contester des décisions provinciales prises en matière de services de santé. Dans l’affaire Ontario Nursing Home Association v. Ontario[103], les requérants ont soutenu que le niveau de financement accordé aux maisons de soins infirmiers était insuffisant, ce qui violait les droits des pensionnaires reconnus à l’article 7, et que le droit à l’égalité reconnu à l’article 15 était également violé en raison du niveau de financement différent accordé aux foyers pour personnes âgées. La Cour a souligné que les requérants n’ont pas prétendu que le niveau de soins offert était inconstitutionnel ou que les pensionnaires ne recevaient pas des soins suffisants. La Cour a jugé que l’article 7 ne garantissait pas de bénéfices additionnels qui pourraient améliorer la vie, la liberté ou la sécurité de la personne. L’argument relatif à l’article 15 a échoué car la distinction était fondée sur le type d’établissement et non sur un motif énuméré ou analogue de discrimination au sens de l’article 15.

Dans l’affaire Brown v. British Columbia Minister of Health,[104] la Cour a rejeté la contestation fondée sur la Charte d’une décision du gouvernement provincial de ne pas subventionner entièrement le coût d’un traitement contre le SIDA. Les requérants soutenaient que le refus de payer pour les médicaments constituait une atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Encore une fois, la Cour a jugé que l’article 7 n’assurait pas la protection contre les privations économiques ni ne garantissait les bénéfices qui pourraient améliorer la vie, la liberté ou la sécurité de la personne. Le paragraphe 15 (1) n’avait pas été violé parce que le régime Pharmacare s’appliquait à tous les résidents de la province et que toute personne recevant un traitement semblable de médicaments devait assumer une part des coûts des médicaments nécessaires.

Un tribunal de l’Ontario s’est refusé à juger discriminatoires les règles d’admissibilité au régime d’assurance-santé fondées sur le statut de résident.[105] Les requérants n’étaient pas protégés par le régime parce qu’ils n’avaient pas le statut d’immigration requis ou que les soins de santé donnant lieu à la réclamation avaient été dispensés au cours de la période d’attente de trois mois. Nombre des requérants ne pouvaient obtenir le statut d’immigrant nécessaire en raison d’un trouble de santé antérieur. Les requérants ont soutenu que les règles constituaient une discrimination fondée sur le statut d’immigrant et qu’elles étaient préjudiciables, en particulier aux femmes enceintes, aux enfants et aux personnes handicapées. Le tribunal a fondé sa décision en tout premier lieu surtout sur l’article 6 de la Charte (liberté de circulation) et l’article 15 reçut peu d’attention. En appel, la Cour d’appel a porté plus attention aux arguments fondés sur l’article 15. Toutefois, la Cour rejeta la façon dont l’appelant caractérisait les distinctions qui étaient faites dans les règles contestées, décidant plutôt que les distinctions étaient fondées sur des facteurs qui ne pouvaient pas présumer être des motifs analogues. Bien que le tribunal soit d’accord avec le fait que s’ils n’avaient pas été handicapés, trois des appelants auraient obtenu le statut d’immigrant admis et auraient été admissibles au régime d’assurance-santé, il a signalé que les autorités fédérales de l’immigration avaient décidé que leurs handicaps physiques les rendaient inadmissibles. La Cour n’a pas estimé que le gouvernement provincial savait qu’en se fondant sur le statut d’immigrant, il excluait les personnes qui ne peuvent pas devenir des immigrants admis en raison de leur handicap.

Au contraire de l’approche adoptée dans ces décisions, dans l’affaire Eldridge, la Cour suprême du Canada a affirmé que, en vertu du paragraphe 15 (1) de la Charte, les gouvernements étaient tenus de prendre des mesures spéciales pour assurer que les membres de groupes défavorisés puissent bénéficier de façon égale des services offerts au public en général. Les raisons de politiques pour limiter le devoir du gouvernement d’améliorer la situation créant une inégalité dans la prestation des avantages et services ne peuvent être prises en compte que pour déterminer si une violation du paragraphe 15 (1) est légitimée par l’article 1 de la Charte. Le fait que la British Columbia Medical Services Commission et les hôpitaux ne fournissent pas de services d’interprétation gestuelle, lorsqu’ils sont nécessaires à une bonne communication, a été jugé comme une violation prima facie des droits des personnes sourdes en vertu du paragraphe 15 (1), violation non légitimée par l’article 1 de la Charte.

Causes relatives au logement

Dans une cause marquante relative au droit à l’égalité, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que les locataires de logements publics constituaient une catégorie protégée analogue à celles qui sont énumérées à l’article 15 de la Charte. Dans l’affaire Dartmouth/Halifax County Regional Housing Authority v. Sparks,[106] la Cour a annulé deux articles de la Residential Tenancies Act, dans lesquels les locataires des logements publics étaient traités différemment des autres locataires, parce que ces articles constituaient une atteinte non justifiable à l’article 15 de la Charte. La Cour a déterminé que la requérante, une mère seul soutien de famille de race noire, avait été défavorisée en raison de cette différence de traitement. La Cour a constaté que la pauvreté était une caractéristique commune à tous les résidents des logements publics et a souligné que, de nos jours, c’est un fait généralement reconnu que les mères seuls soutiens de famille forment le groupe de la société le plus susceptible de connaître une pauvreté extrême. C’est parce qu’elles sont mères seuls soutiens de famille que la pauvreté est susceptible de frapper les membres de ce groupe. Cet état ne constitue pas moins une caractéristique personnelle chez ces personnes que le fait de ne pas être citoyen dans l’affaire Andrews.[107] La Cour a reconnu que la discrimination était le résultat combiné de plusieurs facteurs, y compris la pauvreté :

En règle générale, les personnes qui ont droit au logement public sont des personnes défavorisées sur le plan économique qui sont ainsi défavorisées en raison de leur âge et des faibles revenus qui y sont associés (personnes âgées), ou encore des familles à faible revenu, la majorité dirigées par une mère seul soutien de famille, recevant de l’aide sociale, souvent de race noire. Le groupe des locataires des logements publics dans son ensemble a été historiquement défavorisé par suite de l’effet combiné des quelques caractéristiques personnelles énumérées au paragraphe 15 (1).[108] (traduction)

Il importe de noter que le requérant avait produit des preuves empiriques sur les caractéristiques typiques des locataires des logements publics, y compris la répartition selon le sexe et la race. La Cour a conclu que la violation de l’article 15 ne pouvait être légitimée en vertu de l’article 1 de la Charte, puisque l’objet de la politique pouvait être réalisé d’une manière qui ne portait pas une telle atteinte aux droits des locataires.

Dans l’affaire Sparks, la Cour a abordé la requête avec souplesse et largeur de vue et a jugé qu’il y avait discrimination fondée non seulement sur la pauvreté, mais aussi sur des motifs étroitement reliés à la pauvreté. La Cour a tenu compte des conséquences désavantageuses des dispositions sur les membres des groupes énumérés à l’article 15 ou analogues à ceux-ci.[109] Une approche semblable a été utilisée dans l’affaire Kearney v. Bramalea Ltd. (No. 2),[110] décision d’une commission d’enquête établie en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario (voir la section sur le rôle des commissions des droits de la personne).

Dans une autre affaire relative au logement, un tribunal ontarien a rejeté une requête soutenant que le fait d’exiger que les locataires dont le dossier passé de paiements était peu satisfaisant paient un dépôt de sécurité pour les services publics constituait une atteinte aux droits reconnus par la Charte.[111] Le requérant s’appuyait, en partie, sur le droit à un niveau suffisant de logement en vertu du PIRDESC. La Cour a statué que l’article 7 ne garantissait pas le logement et les services publics dans le cadre du droit à la vie ou à la sécurité de la personne, et que ce type de questions relevait de la législature et non des tribunaux. Quant à l’article 15, la Cour a jugé la preuve insuffisante pour conclure que la politique touchait de manière disproportionnée les personnes parce qu’elles étaient mères seuls soutiens de famille, qu’elles recevaient de l’aide sociale, ou qu’elles étaient pauvres, au contraire de la situation dans l’affaire Sparks où l’on pouvait démontrer que le fait d’être locataire d’un logement public était étroitement relié à la race, au sexe, à l’âge et à la pauvreté. Cette décision a été portée en appel, et la Cour d’appel, ayant jugé la question purement théorique, n’a pas statué sur le fond.

Causes relatives à l’emploi

La Cour d’appel de l’Ontario a récemment considéré l’abrogation de la Loi sur l’équité en matière d’emploi de l’Ontario,[112] une loi visant la discrimination systémique à l’endroit des Autochtones, des personnes ayant un handicap, des membres des minorités raciales et des femmes. La Cour a statué que si l’article 15 de la Charte impose aux législatures un devoir positif d’adopter des lois pour combattre la discrimination systémique dans l’emploi, le Code des droits de la personne de l’Ontario satisfaisait à ce devoir. À la lumière de cette conclusion, la Cour a trouvé qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si l’article 15 impose cette obligation. Néanmoins, après avoir observé que la Cour suprême a laissé entendre que dans certains cas le paragraphe 15 (1) pourrait obliger l’État à prendre des mesures affirmatives pour amoindrir les symptômes d’inégalité systémique ou générale, le tribunal a conclu qu’il ne semblait pas qu’une telle obligation soit imposée dans le cas des lois pour combattre la discrimination systémique dans l’emploi. La Cour a souligné que les tribunaux n’étaient pas habilités à déterminer la nature ou la portée des obligations positives : « Les législatures ont besoin d’une grande liberté pour décider du contenu matériel, des mécanismes de procédure et des recours d’application dans les lois de ce genre. C’est aux appareils du gouvernement qu’il appartient de prendre ces décisions, non aux tribunaux... ».[113] (traduction). Cette décision a été interprétée comme voulant dire « si, en premier lieu, une politique n’est pas fondée sur un impératif constitutionnel, il ne peut être inconstitutionnel de renverser cette politique ».[114] (traduction)

Les tribunaux ont constamment conclu que la situation professionnelle ne constituait pas un motif analogue au sens de l’article 15.[115] Dans une récente décision, confirmée en appel, un tribunal de l’Ontario a conclu que la classification « travailleurs agricoles » n’est pas un motif analogue, et que de nombreux facteurs pouvant causer un désavantage économique ne sont pas de nature à être examinés en fonction de l’article 15. La Cour suprême a accordé l’autorisation d’interjeter appel.[116]

Dans l’affaire Fenton v. British Columbia (Forensic Psychiatric Services Commission),[117] un patient d’un établissement psychiatrique a contesté les règles provinciales de normes d’emploi qui dispensaient les employeurs de payer le salaire minimum à des employés handicapés qui recevaient un programme de thérapie, de formation ou de réadaptation professionnelle. La Cour supérieure de C.-B. a conclu à une violation de l’article 15. Cependant la Cour d’appel a renversé cette décision, sans se pencher sur la question constitutionnelle, en se fondant sur le fait que les patients n’étaient pas considérés comme des employés au sens de la loi.

Autres causes

Dans plusieurs affaires de fiscalité, les tribunaux se sont refusé à rendre des décisions qui feraient valoir les droits économiques et sociaux des femmes contribuables. Dans l’affaire Symes c. Canada[118], la Cour suprême a statué que l’article 15 de la Charte n’était pas violé du fait de l’exclusion des dépenses de garde d’enfants des déductions permises pour les entreprises. La Cour n’a pas conclu que cette exclusion constituait une discrimination en raison de ses effets néfastes sur les femmes, parce que, même s’il est évident que dans notre société les femmes portent la plus grande partie de la responsabilité de la garde des enfants, la requérante n’avait pas prouvé que les femmes assumaient une portion disproportionnée des dépenses relatives aux services de garde. Dans l’affaire Thibaudeau c. Canada,[119] la Cour suprême a statué que les dispositions de la Loi sur l’impôt obligeant les personnes recevant une pension alimentaire à l’égard des enfants à l’inclure dans leur revenu aux fins du calcul de l’impôt et permettant à ceux qui effectuent ces versements de les déduire de leur revenu ne contrevenaient pas à l’article 15 de la Charte. La Cour a conclu que ces dispositions sont conçues pour minimiser les conséquences fiscales des pensions de soutien des enfants et pour promouvoir l’intérêt supérieur des enfants (en faisant en sorte que plus d’argent soit disponible pour l’enfant). Dans l’affaire Schaff[120], la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’imposition des pensions alimentaires que recevait une mère seul soutien de famille vivant dans la pauvreté ne constituait pas une violation de l’article 7. Comme dans les affaires Ontario Nursing Home Association, Brown et Fernandes, le tribunal a préféré considérer ces requêtes comme des plaintes portant sur la qualité de vie et non pas sur les nécessités vitales, au sens de nourriture, vêtement et logement.

Il y a eu plusieurs affaires relatives à la Loi sur le Régime d’assistance publique du Canada, maintenant abrogée, un régime qui établissait les prestations minimales pour les programmes d’aide sociale. Là encore, les tribunaux en ont déféré aux décisions gouvernementales. Dans Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.),[121] la Cour suprême a statué que la décision unilatérale du gouvernement fédéral de réduire sa contribution au Régime ne pouvait faire l’objet d’une révision par les tribunaux. Dans Canada (Ministre des Finances) c. Finlay,[122] la Cour suprême a considéré une requête disant que les déductions effectuées sur les prestations d’aide sociale du requérant pour recouvrer des paiements en trop qu’avait versés la province avaient pour conséquence qu’il ne pouvait satisfaire à ses besoins vitaux, ce qui est contraire à l’esprit du Régime d’assistance publique du Canada. La Cour a déterminé que le gouvernement du Manitoba avait satisfait à l’obligation de tenir compte des nécessités de base de M. Finlay en calculant le montant des déductions.

Analyse

Face à des requêtes prétendant que l’action (ou l’inaction) des gouvernements avait donné lieu à une violation de l’un des droits reconnus à l’article 7, soit les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, les tribunaux ont eu tendance à concevoir ces requêtes comme des demandes « d’amélioration » des avantages, donc reliées à des intérêts purement économiques. La plupart des tribunaux de palier inférieur ont eu tendance à accepter la notion que, en règle générale, l’article 7 ne porte pas sur les droits « économiques » positifs et que les politiques sociales ne constituent pas un domaine approprié pour l’application judiciaire de la Charte. D’autres tribunaux ont soutenu, à tort, que la menace à la vie ou à la sécurité de la personne était le résultat de quelque condition sous-jacente de cette personne (par exemple, la pauvreté, un handicap) qui n’avait pas de lien de cause à effet avec l’action de l’État faisant l’objet de la plainte. Les requêtes présentées en vertu de l’article 15 se sont souvent soldées par des échecs, le tribunal ayant jugé que le groupe auquel les requérants appartiennent n’est pas un groupe analogue, ou en raison du fait, comme dans l’affaire Masse, que les requérants reçoivent des avantages que d’autres ne reçoivent pas.

Lorsque les gouvernements dispensent des programmes ou des avantages sociaux pour pallier un désavantage, on constate une tendance pour les tribunaux à refuser d’intervenir au nom des bénéficiaires. Les tribunaux accordent aux gouvernements une grande latitude dans l’établissement des programmes répondant à des problèmes complexes dans un contexte de contraintes fiscales. Les juges se préoccupent du rôle des tribunaux dans l’examen des programmes de bien-être social et ils hésitent à usurper ce qu’ils considèrent être le rôle des législatures élues.[123]

Par ailleurs, des décisions comme celle prise dans l’affaire Sparks reconnaissent l’interdépendance entre les droits sociaux et économiques et le droit fondamental à l’égalité. Il y a souvent un lien entre les groupes vulnérables qui sont déjà protégés en vertu de l’article 15 de la Charte et des lois sur les droits de la personne et les désavantages socio-économiques. Fondamentalement, les concepts des droits et libertés – droits positifs qui sont universellement considérés comme justiciables et qui sont au coeur de la Charte – doivent inclure l’égalité économique. Comme l’écrit un auteur :

Un ordre économique qui refuse des biens comme [la nourriture, le logement, la possibilité de travailler] à certaines personnes, ou qui les distribue systématiquement de façon grossièrement inégale, est aussi opposé à la prétention égale de toute personne à la dignité que ne l’est un ordre politique qui réprime indûment la liberté ou la distribue de façon grossièrement inégale.[124] (traduction)

De plus, ces décisions sont plus compatibles avec l’évolution de l’approche de la Cour suprême à l’égard de l’analyse du droit à l’égalité et du rôle du droit international. En réalité, comme le soulignait la juge L’Heureux-Dubé dans l’affaire R. c. Ewanchuk, les articles 7 et 15 de la Charte seront particulièrement importants pour ce qui est de donner effet à l’échelon national aux obligations internationales prises en matière de droits de la personne[125] : « En particulier, l'art. 15 [...] et l'art. 7 [...] expriment la notion de respect de la dignité et de l'intégrité de la personne. » [126]

La jurisprudence canadienne a donné préséance à la notion de non-justiciabilité des droits sociaux et économiques. Cependant, cette approche, qui, selon le Comité du PIRDESC, dans son Observation générale 9, repose sur une distinction désuète et artificielle entre les droits positifs et négatifs, n’est pas imposée par la Cour suprême ni par la Charte. En fait, l’approche la plus appropriée est de permettre l’examen judiciaire de ces droits. L’ONU a jugé que le défaut des tribunaux canadiens d’offrir des recours contre les atteintes aux droits sociaux et économiques soulevait de graves inquiétudes. Au pays, certains observateurs ont souligné que le débat sur la justiciabilité des droits sociaux et économiques n’était pas simplement une question théorique. C’est une question qui a des conséquences bien réelles pour les groupes vulnérables.[127]

Le rôle des commissions des droits de la personne et des lois sur les droits de la personne

La réticence des tribunaux à statuer en matière de droits sociaux et économiques a, en partie, accru l’importance du rôle des commissions des droits de la personne et des lois portant sur les droits de la personne dans la protection de ces droits. Le Comité du PIRDESC a mentionné de manière spécifique le rôle des institutions vouées aux droits de la personne dans les efforts des États parties pour atteindre la réalisation des droits sociaux et économiques. Le Comité note que les institutions nationales des droits de la personne « pourraient jouer un rôle capital pour ce qui est de promouvoir et de garantir l'indivisibilité et l'interdépendance de tous les droits de l’homme », mais que trop souvent ce rôle a été négligé.

Dans l’Observation générale 10[128] le Comité du PIRDESC recommande un certain nombre de mesures que les institutions vouées aux droits de la personne pourraient prendre :

Promotion de programmes d'éducation et d'information visant à favoriser une meilleure prise de conscience et une plus grande compréhension des droits économiques, sociaux et culturels au sein de la population dans son ensemble et auprès de groupes particuliers comme la fonction publique, le pouvoir judiciaire, le secteur privé et le mouvement ouvrier;

  • Examen des lois et instruments administratifs existants ainsi que des projets de loi et autres propositions pour vérifier qu'ils sont conformes aux dispositions du Pacte;
  • Apport de conseils techniques et réalisation d'études touchant les droits économiques, sociaux et culturels;
  • Définition de repères au niveau national pouvant servir à mesurer l'exécution des obligations découlant du PIRDESC;
  • Réalisation de recherches et d'enquêtes pour déterminer dans quelle mesure certains droits sont mis en oeuvre, que ce soit au sein de l'État ou à l’égard de groupes vulnérables;
  • Contrôle de l’application des droits spécifiques reconnus dans le Pacte et établissement de rapports à ce sujet;
  • Examen des plaintes relatives à des atteintes alléguées.

En plus de ce guide général, le Comité du PIRDESC a offert des suggestions particulières en ce qui a trait aux institutions canadiennes de protection des droits de la personne. On peut lire dans les Observations finales de 1998 :

Le Comité engage à nouveau le Gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux à étendre aux droits sociaux et économiques la protection conférée par la législation relative aux droits de la personne et à protéger les pauvres devant toutes les juridictions contre toute discrimination fondée sur leur situation sociale ou économique. En outre, il convient de renforcer les mécanismes d'application prévus dans la législation relative aux droits de la personne pour faire en sorte que toutes les plaintes pour violation des droits de l'homme qui n'ont pas été réglées par voie de médiation le soient rapidement par le tribunal des droits de la personne compétent, une aide juridictionnelle étant apportée aux groupes vulnérables.[129]

En vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario (ci-après le « Code »), la Commission ontarienne de droits de la personne a pour mandat de faire enquête sur les plaintes de discrimination et de harcèlement et de veiller à l’application du Code. Le Code s’applique aux particuliers comme au gouvernement, y compris les mesures, les politiques, les programmes et les lois du gouvernement. Au chapitre de la mise en application, le Code traite des droits sociaux et économiques de bien des façons. Le paragraphe 2 (1) du Code prévoit que toute personne a droit à un traitement égal en matière d'occupation d'un logement, sans discrimination fondée sur l’état d'assisté social.[130] Cette disposition comprend non seulement le droit de conclure une entente et d’occuper un logement d’habitation, mais aussi le droit d’être à l’abri de toute discrimination dans toutes les question reliées au logement. Le Code protège aussi contre les effets néfastes que pourraient avoir certaines règles neutres pour les personnes recevant de l’aide sociale (article 11). Le Code protège également contre le harcèlement fondé sur le fait de recevoir de l’aide sociale dans les questions se rapportant au logement.

Dans le domaine du logement, l’état d’assisté social a constamment été au deuxième rang des motifs de plaintes présentées à la Commission au cours des dix dernières années. La plupart des plaintes portent sur un refus catégorique de logement ou des effets préjudiciables ou d’une discrimination indirecte. Parmi les exemples de décisions dans lesquelles les commissions d’enquête de l’Ontario ont conclu à une discrimination, citons une cause de 1987 dans laquelle la commission d’enquête a constaté que lorsque la plaignante a offert de payer le deuxième mois de loyer après avoir occupé le logement, le propriétaire lui a dit qu’il ne voulait plus le lui louer parce qu’elle recevait de l’aide sociale,[131] et une décision plus récente portant sur une mère seul soutien de famille recevant de l’aide sociale à qui on a refusé un appartement.[132]

La situation socio-économique peut également être un facteur dans les plaintes de discrimination en matière de logement qui sont fondées sur d’autres motifs énumérés dans le Code. Par exemple, le refus de louer un appartement comptant une seule chambre à une travailleuse, seul soutien d’une famille comptant plusieurs enfants (qui n’a probablement pas les moyens de louer un logement plus spacieux) peut être considéré comme une discrimination fondée sur l’état familial. Bien que le motif de la plainte serait une discrimination fondée sur l’état familial (l’état d’assisté social ne s’appliquant pas puisque cette femme a un emploi), c’est la situation socio-économique de cette femme qui la force à louer un appartement d’une chambre à coucher. Une affaire entendue en Colombie-Britannique offre un autre exemple des liens que l’on peut faire entre la situation socio-économique et un motif illicite de discrimination. Dans l’affaire Trudeau v. Chung,[133] le requérant recevait une prestation pour invalidité de longue durée en raison de son handicap. On lui a refusé un logement parce qu’il était sans emploi et en congé de maladie. Le fait d’être sans emploi ou en congé de maladie ne constitue pas un motif illicite de discrimination, mais le conseil a jugé que la politique de refuser des locataires sans emploi avait un effet néfaste sur le requérant, en raison de son handicap.

Un exemple important de la protection des droits sociaux et économiques dans le contexte des droits de la personne est la décision d’une commission d’enquête de l’Ontario dans l’affaire Kearney v. Bramalea Ltd. (No. 2).[134] L’affaire portait sur l’utilisation, par de nombreux locateurs, de critères de revenu minimum ou d’un ratio loyer-revenu pour évaluer les demandes de logement. Les preuves statistiques ont montré que le recours à un tel critère par les locateurs avait un effet différent sur les personnes en fonction de leur sexe, de leur race, de leur état matrimonial, de leur état familial, de leur citoyenneté, de leur lieu d’origine, de leur âge et de l’état d’assisté social. Les locateurs n’ont pas pu établir de défense parce qu’ils n’ont pas pu démontrer que le recours à de tels critères était raisonnable et de bonne foi ou qu’ils subiraient des préjudices injustifiés s’ils mettaient fin à cette pratique.

L’approche utilisée dans l’affaire Kearney reconnaissait l’interaction entre la situation socio-économique et les motifs illicites énumérés dans le Code. Cette affaire établit un précédent très important pour considérer les questions de droits sociaux et économiques devant les commissions d’enquête, lorsque la preuve est faite qu’une discrimination fondée sur la situation socio-économique touche de façon disproportionnée les groupes qui ont traditionnellement été protégés par les lois relatives aux droits de la personne.[135] Cette affaire a déjà été citée dans plusieurs autres décisions portant sur le refus de logement locatif[136] et de nombreux ouvrages et articles y font référence comme à un exemple d’une victoire cruciale pour les pauvres.[137]

Après les audiences de la commission d’enquête dans cette affaire et avant le prononcé de la décision, le gouvernement de l’Ontario a adopté des mesures législatives modifiant le Code pour permettre de façon expresse l’usage de certaines pratiques de commerce, notamment les renseignements sur le revenu, les vérifications du crédit et les références en la matière, les antécédents en matière de logement, les garanties et autres pratiques semblables.[138] Le Règlement de l’Ontario 290/98, pris en application du Code le 13 mai 1998, permet aux locateurs de demander et d’examiner des renseignements sur le revenu d’un locataire éventuel lorsqu’il a aussi demandé et pris en considération les références en matière de crédit, les vérifications en matière de crédit et les antécédents en matière de logement dans le processus de sélection.

Dans l’affaire Vander Shaaf, une commission d’enquête de l’Ontario a conclu qu’il y avait eu discrimination fondée sur l’état matrimonial, lorsque deux femmes célibataires n’avaient pas eu le droit de combiner leur revenu pour répondre au critère du ratio loyer-revenu. Cependant, la commission d’enquête n’avait pas jugé que la requérante, une femme célibataire de 23 ans gagnant 30 000 $ par année, avait subi une discrimination fondée sur son âge et son sexe. Dans cette affaire, on n’a pu produire une preuve que le ratio loyer-revenu avait un effet quelconque sur le groupe d’âge des 20-24 ans, et bien que le ratio loyer-revenu ait eu un effet négatif sur la requérante à titre de femme, si le ratio loyer-revenu avait été appliqué de façon juste en combinant les revenus de la requérante et de son éventuelle colocataire, elle aurait été admissible. La commission a ajouté ses observations sur les modifications apportées au Code après l’affaire Kearney et sur le Règlement de l’Ontario 290/98. Tout en reconnaissant que cette partie de la décision constituait une remarque incidente, obiter dictum[139], la commission d’enquête a conclu que le Code et le règlement ne permettent pas aux locateurs d’utiliser les renseignements sur le revenu pour appliquer un ratio loyer-revenu. Toutefois, la décision de la cour divisionnaire dans l’affaire Kearney semble suggérer que le ratio loyer-revenu peut être appliqué s’il est utilisé conformément aux dispositions du Règlement de l’Ontario 290/98.

Le Code contient d’autres protections en matière de droits sociaux et économiques :

  • Protection des travailleurs qui ont présenté une demande d’indemnisation en raison d’un accident du travail à l’égard de la discrimination fondée sur un handicap;
  • Nécessité de fournir des adaptations, à moins de préjudice injustifié, pour divers groupes identifiés par un motif de discrimination énuméré dans le Code, par exemple, les personnes ayant un handicap, dans les domaines des services, des installations, du logement, des contrats, de l’emploi et de l’appartenance à des associations professionnelles;
  • Autorisation de programmes spéciaux destinés à alléger un préjudice ou un désavantage économique ou à aider des personnes ou des groupes défavorisés à jouir de chances égales.

Le dernier point est important pour ce qui est de la promotion des droits socio-économiques en vertu du Code. L’article 14 du Code permet aux employeurs, aux locateurs, aux fournisseurs de services et autres d’adopter des mesures spéciales pour aider les personnes qui subissent une discrimination, un préjudice ou un désavantage économique. Un programme spécial est un programme qui est : 1) destiné à alléger le préjudice ou le désavantage économique; 2) destiné à aider les personnes ou les groupes défavorisés à jouir de chances égales; ou 3) susceptible de contribuer à l’élimination des atteintes portées aux droits reconnus dans le Code. Pour aider les organismes qui envisagent d’adopter des programmes spéciaux et pour encourager le recours volontaire à de tels programmes, la Commission a élaboré des Directives concernant les programmes spéciaux.[140] Parmi les exemples de programmes spéciaux, mentionnons les programmes d’emploi pour combattre le chômage chez les jeunes, les organismes fournissant des services exclusivement aux personnes handicapées pour les aider à surmonter des obstacles systémiques et les coopératives d’habitation qui réservent des logements aux femmes qui quittent une relation violente.

Le PIRDESC oblige les États parties à veiller à ce que les droits reconnus dans le Pacte puissent être exercés sans discrimination. Le Code ontarien protège contre la discrimination fondée sur un certain nombre de motifs et peut donc servir à garantir que les droits sociaux et économiques seront reconnus de façon égale pour toute la population.[141] Cela peut nous aider à satisfaire à l’une des obligations acceptées dans le PIRDESC. Les domaines protégés par le Code comprennent également les intérêts sociaux et économiques. Par exemple, l’emploi, le logement, les services (comme les services de santé, les programmes sociaux et les transports en commun) et l’adhésion à un syndicat ou à une association professionnelle sont autant de domaines où entrent en jeu des intérêts économiques. De plus, la Cour d’appel de la Saskatchewan a soutenu que l’aide sociale est un service au public et qu’à ce titre elle relève du Human Rights Code de la Saskatchewan.[142] Cette affaire offre un précédent utile pour la contestation de la discrimination fondée sur un motif illicite dans la prestation de l’aide sociale. Le droit à l’assistance sociale est l’un des droits fondamentaux reconnus dans le PIRDESC.

En plus de la responsabilité d’appliquer la loi, le Code confère à la Commission un mandat plus large, celui de défendre et de promouvoir les droits de la personne par l’établissement de politiques et par l’éducation. Le préambule du Code ainsi que le caractère quasi constitutionnel de la Commission donnent le ton à ses travaux à ce chapitre. L’article 29 énumère quelques-uns des aspects particuliers du mandat de la Commission. Il affirme que la Commission a pour fonction, entre autres, de favoriser la reconnaissance de la dignité et de la valeur de la personne et d’assurer à tous les mêmes droits et les mêmes chances, sans discrimination contraire à la loi. Il incombe également à la Commission de mener des programmes d’éducation du public, d’entreprendre des recherches, d’examiner les lois, règlements, programmes et politiques et de faire des recommandations sur toute disposition qui serait contraire à l’esprit du Code. Cet aspect du mandat de la Commission offre des possibilités de jouer un rôle de leadership dans l’élaboration de politiques et de promouvoir des changements positifs. Il lui permet également d’intégrer les principes du droit international en matière de droits de la personne dans le travail quotidien de la Commission.

La Commission s’est engagée dans diverses initiatives de politiques qui portent directement ou indirectement sur les droits des personnes défavorisées sur le plan social et économique. En ce qui concerne la Loi sur la protection des locataires, la Commission a écrit au ministre des Affaires municipales et du Logement et aux chefs des partis de l’Ontario et a pris part aux audiences des comités législatifs pour exprimer ses inquiétudes au sujet de l’ébauche de loi qui permettrait aux locateurs de sélectionner les locataires éventuels en se servant de renseignements sur le revenu. La Commission a averti le gouvernement que cette disposition aurait pour effet de permettre une discrimination contre les personnes recevant de l’aide sociale et les personnes identifiées par d’autres motifs illicites de discrimination, ce qui allait à l’encontre du Code. De même, au sujet des tests de dépistage de la drogue pour les bénéficiaires de l’aide sociale, la Commission a écrit au ministre des Services sociaux et communautaires et s’est entretenue avec ce dernier pour exprimer ses inquiétudes à l’égard d’une possible violation du Code. Le commissaire en chef a fait publiquement connaître ses préoccupations au sujet de cette proposition.

La Commission a également participé activement à la reconnaissance des droits sociaux et économiques des partenaires de même sexe. Jusqu’à très récemment, les couples homosexuels de l’Ontario ne jouissaient pas des mêmes droits sociaux et économiques que les couples hétérosexuels. La liste des droits qui leur ont été refusés est très longue, mais elle comprend les prestations de retraite et les prestations au conjoint offertes par les employeurs, le droit à un soutien pécuniaire en cas de rupture de la relation et le droit d’être admissible à titre de bénéficiaire dans les mesures législatives sur la sécurité au travail et l’assurance en cas d’accident du travail, pour n’en mentionner que quelques-uns. Les efforts de la Commission à cet égard comprennent son intervention dans l’affaire M. c. H.[143] entendue devant la Cour suprême du Canada, une contestation des lois qui contenaient une définition exclusivement hétérosexuelle du terme conjoint, diverses commissions d’enquête et la rédaction de nombreuses lettres au procureur général de l’Ontario pour l’inciter à modifier les lois. Au 1er mars 2000, 67 textes législatifs ontariens avaient été modifiés pour accorder aux partenaires de même sexe les mêmes droits et responsabilités qu’aux partenaires de sexe opposé.

La Commission a procédé à une étude de l’accessibilité des réseaux de transport en commun de l’Ontario et a adopté une position de principe selon laquelle les services de transport pour les personnes handicapées ne sont pas des programmes spéciaux, mais plutôt une adaptation permettant aux personnes ayant un handicap d’avoir accès aux transports en commun.[144] Cette position a pour effet de veiller à ce que les services soient fournis en conformité avec les Politique et directives concernant le handicap et l’obligation d’accommodement[145] énoncées par la Commission, qu’ils soient assujettis à la norme du préjudice injustifié, et qu’ils ne soient pas soustraits à un examen attentif comme s’il s’agissait d’un programme spécial que les fournisseurs de services de transport peuvent décider de fournir, sans toutefois y être tenus. Les nouvelles Politique et directives de la Commission maintiennent des critères rigoureux pour évaluer le préjudice injustifié et affirment la nécessité d’adapter notre société de telle sorte que ses structures et ses attitudes assurent l’intégration des personnes handicapées. Les nouvelles Politique et directives reconnaissent le désavantage que subissent depuis longtemps les personnes handicapées, y compris leur exclusion de l’emploi et de l’accès aux biens qu’offre la société relativement à un niveau de vie suffisant, et elles cherchent à promouvoir les principes de l’intégration et de la pleine participation à la société. Ces principes sont importants, car c’est seulement par l’égalité des chances et de l’accès que l’on peut commencer à s’attaquer aux désavantages sociaux et économiques auxquels font face les personnes handicapées.

L’intervention récente de la Commission dans le dossier de la discrimination fondée sur l’âge dont font l’objet les personnes âgées de l’Ontario comprend une analyse des questions socio-économiques, par exemple la pauvreté chez les femmes âgées vivant seules, et se rapporte à l’Observation générale 6 : Droits économiques, sociaux et culturels des personnes âgées[146] relative au PIRDESC. La Commission a déclaré que l’élaboration des politiques relatives à l’âge tiendra compte du travail fait à l’échelle internationale à ce sujet.[147]

Grâce aux efforts de la Commission devant les commissions d’enquête et à son travail d’élaboration de politiques, on a donné au Code une interprétation large, libérale et fondée sur l’objet, afin de fournir une protection dans les cas où la loi n’était pas claire. Ces efforts ont stimulé des changements de politiques en Ontario, et abouti, dans certains cas, à des changements législatifs.

À partir de 1996, la Commission a entrepris un examen exhaustif de tout son cadre de politiques afin de s’assurer que le personnel et le grand public disposent des renseignements à jour sur le Code et sur les décisions de la Commission en matière de politiques. Une grande partie des nouvelles politiques ont été élaborées en tenant compte des normes internationales. Par exemple, la Commission a adopté une Politique sur la mutilation génitale féminine[148] afin de répondre à certaines dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant qui interdisent les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants de sexe féminin. Les normes internationales ont été intégrées directement aux politiques de la Commission qui traitent des droits qui sont explicitement protégés en vertu du Code. Par exemple, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes affirme le droit à l’égalité pour les femmes pendant la grossesse et l’allaitement, ainsi que les droits connexes durant la période postnatale. La Commission a maintenant intégré ces normes à sa Politique concernant la discrimination fondée sur la grossesse.[149]

Les propos qui précèdent donnent quelques exemples des réussites en matière de politiques et du contentieux. Cependant, un des buts du présent document est d’explorer des façons de faire davantage, surtout dans le contexte du mandat actuel.

Autres provinces

Tout comme l’Ontario, la Saskatchewan protège aussi contre la discrimination fondée sur l’état d’assisté social (« receipt of social assistance »); cependant, cette protection s’étend à davantage de domaines, y compris les contrats, l’éducation, l’emploi, le logement, l’appartenance à une association professionnelle, les services publics (restaurants, magasins, hôtels, services gouvernementaux, etc.), les publications, l’achat de propriété, l’occupation et l’appartenance à un syndicat. Les autres provinces ont diverses façons de formuler ce motif de discrimination. Par exemple, au Manitoba, en Alberta, en Nouvelle-Écosse et au Yukon, on interdit la discrimination fondée sur la source de revenu (« source of income »). En 1994, une modification apportée à la Residential Tenancy Act de la Colombie-Britannique ajoute expressément la protection contre la discrimination fondée sur la source de revenu dans l’obtention d’un logement locatif. La source de revenu comprend ordinairement toutes les sources légitimes de revenu, comme les gains tirés d’un emploi, les prestations d’aide sociale (bien-être), les pensions, le soutien alimentaire pour le conjoint/la conjointe, le soutien alimentaire pour les enfants, l’assurance-emploi, les prêts étudiants et divers types de bourses d’études; c’est un concept plus large que celui de l’état d’assisté social, qui ne protège pas les travailleurs pauvres ou les personnes qui pourraient subir une discrimination en raison d’une autre source de revenu, comme le soutien par le conjoint ou les prestations d’un régime de pension.

À Terre-Neuve, la loi sur les droits de la personne comprend le terme « national or social origin » à titre de motif illicite. Ce concept d’origine sociale diffère de celui de condition sociale en ce qu’il porte plus sur la situation sociale de la personne à sa naissance que sur sa situation actuelle.

Ce n’est qu’au Québec, dans la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après « la Charte québécoise ») que l’on peut trouver des dispositions assurant la protection de personnes fondée sur la « condition sociale ». La Charte québécoise décrit ainsi le droit à la reconnaissance et à l’exercice des droits, en pleine égalité :

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

Au chapitre IV, la Charte québécoise intègre des droits sociaux et économiques portant sur des questions de condition sociale dans le contexte du Québec. Les principaux droits garantis comprennent :

  • Le droit de l’enfant à la protection, à la sécurité et à l'attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner (art. 39);
  • Le droit à l’instruction publique gratuite (art. 40);
  • Le droit des parents à ce que leurs enfants reçoivent, dans les établissements d'enseignement publics, un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions (art. 41);
  • Le droit de toute personne, pour elle et sa famille, à des mesures d'assistance financière et à des mesures sociales susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent (art. 45);
  • Le droit à des conditions de travail justes et raisonnables (art. 46);
  • Le droit de toute personne âgée ou de toute personne handicapée d'être protégée contre toute forme d'exploitation et leur droit à la protection et à la sécurité (art. 48).

Un examen des affaires entendues au Québec relativement à la condition sociale révèle que la majorité des affaires qui ont eu gain de cause portaient sur le logement locatif. De plus, la majorité des requérants qui ont eu gain de cause étaient des bénéficiaires de l’aide sociale (la plupart des causes touchaient des femmes ayant des enfants).[150] Dans une décision récente, le tribunal a jugé qu’il était discriminatoire de refuser de louer un logement à une personne ayant un emploi temporaire en raison de stéréotypes défavorables.[151]

Certaines causes entendues au Québec portaient également sur des allégations de discrimination en matière d’emploi. Dans l’affaire Lambert c. Québec (Ministère du Tourisme) (No. 3),[152] un tribunal québécois a statué qu’une entente de travail obligatoire autorisée par la loi, dans le cadre de laquelle le requérant recevait uniquement son chèque d’assistance sociale malgré le fait qu’il travaille à plein temps à la photothèque du ministère du Tourisme, constituait une discrimination fondée sur sa condition sociale. Cette décision a été portée en appel.[153]

Pour ce qui est des services, un tribunal du Québec a jugé qu’une institution financière réglementée par la province avait commis un acte de discrimination fondé sur la condition sociale en refusant de prendre en considération une demande d’hypothèque présentée par une bénéficiaire de l’assistance sociale.[154] La requérante était une mère seul soutien de famille recevant de l’assistance sociale. Le tribunal a jugé qu’elle disposait de moyens suffisants pour être admissible à un prêt hypothécaire.

Il y a eu également des causes dans lesquelles les requêtes relatives à la discrimination fondée sur la condition sociale ont échoué. Par exemple, dans le contexte d’une loi qui empêchait le requérant, un étudiant célibataire, d’être admissible à l’assistance sociale, la Cour d’appel du Québec a déterminé que le fait d’étudier à temps plein au collège ou à l’université ne constituait pas une condition sociale au sein de la loi. Cependant, la Cour n’a pas exclu la possibilité que le fait d’être étudiant puisse, dans certaines circonstances, être considéré comme une condition sociale.[155]


[42] Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, Observation générale 9 : Application du Pacte au niveau national, 3 décembre 1998, E/C.12/1998/24, paragr. 5 [ci-après Observation générale 9].
[43] Cette façon de voir les obligations des États a été définie pour la première fois par l’expert américain Henry Shue; voir The Protection of Social and Economic Rights: A Comparative Study, supra, note 21, p. 10. Cette approche a été adoptée par les experts dans leurs ouvrages sur la réalisation des droits économiques et sociaux et suivie par l’ONU dans ses travaux relatifs à ces droits; voir par exemple A. Eide, « Realization of Social and Economic Rights and the Minimum Threshold Approach » (1989) 10 Human Rights L. J. 35, p. 37, et aussi les Directives de Maastricht, supra, note 39, paragr. 6.
[44] Les lois relatives aux milieux de travail, comme celles qui portent sur les normes d’emplois, la santé et la sécurité au travail, les relations de travail et l’indemnisation des accidents du travail, offrent d’autres exemples des mesures prises par les gouvernements pour protéger les citoyens contre la violation de leurs droits par des tiers.
[45] Observation générale 9, supra, note 42, paragr. 7.
[46] Ibid., paragr. 8.
[47] Directives de Maastricht, supra, note 39, paragr. 26.
[48] Observation générale 9, supra, note 42, paragr. 6.
[49] Charte sociale européenne (révisée), 3 mai 1996, STE no 163 (entrée en vigueur le 1er juillet 1999).
[50] Ibid., article 31. Cette disposition oblige les Parties à prendre des mesures visant à prévenir et à réduire le problème des sans-abri en vue de son élimination progressive, à favoriser l’accès à un logement de niveau suffisant, à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes. On entend par « logement d’un niveau suffisant » un logement qui répond à des normes acceptables pour ce qui est des critères de salubrité. Il appartient à l’autorité compétente de chaque État de déterminer, à l’échelle nationale, ce qui constitue un niveau suffisant.
[51] Ibid., article 30. Le terme « pauvreté » dans ce contexte signifie les personnes qui se trouvent dans différentes situations allant d’une pauvreté extrême qui peut s’être perpétuée depuis plusieurs générations, à des situations temporaires comportant un risque de pauvreté. Le terme « exclusion sociale » s’entend des personnes qui se trouvent en situation d’extrême pauvreté parce qu’elles cumulent des handicaps, subissent des faits ou événements dégradants, des exclusions. L’exclusion sociale frappe aussi ou risque aussi de concerner des personnes qui, sans être pauvres, pourraient être écartées de l’accès à certains droits ou services en raison, par exemple, d’une longue maladie, de la dislocation de la famille, de violences, d’une sortie d’une période pénitentiaire ou de déviances dues notamment à l’alcoolisme et à la toxicomanie.
[52] Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives, 9 novembre 1995, STE no 158 (entrée en vigueur le 1er juillet 1998).
[53] A. Eide, « Future Protection of Economic and Social Rights in Europe », dans A. Bloed, L. Leicht, M. Nowak et A. Rosas, éd., Monitoring Human Rights in Europe: Comparing International Procedures and Mechanisms (Dordrecht: Martinus Nijhoff, 1993).
[54] Par exemple, M. Gomez, « Social Economic Rights and Human Rights Commissions » (1995) 17 Human Rights Quarterly 155.
[55] Un auteur fait remarquer que la CEDH a exercé une forte influence sur l’interprétation des droits de l’homme par des décisions affirmant qu’un certain nombre d’obligations positives incombant aux États découlent de la Convention européenne des droits de l’homme, même si la Convention ne prévoit pas de droits sociaux particuliers; G.S. Katrougalos, « The Implementation of Social Rights in Europe » (1996) 2 Columbia Journal of European Law 277, p. 303.
[56] Airey c. Irlande, Cour européenne des droits de l’homme, jugement du 9 octobre 1979, série A, vol. 32.
[57] Cour européenne des droits de l’homme, jugement du 29 mai 1986, série A, vol. 99.
[58] Cour européenne des droits de l’homme, jugement du 29 mai 1986, série A, vol. 100.
[59] Salesi c. Italie, Cour européenne des droits de l’homme, jugement du 26 février 1993, série A, vol. 257-E. Pour une discussion de ces quatre affaires de la CEDH, voir Katrougalos, supra, note 55, p. 303-304.
[60] Cour européenne de justice, affaire 149/77 [1978] ECR 1365.
[61] Cette discussion de l’expérience indienne est tirée de l’étude de 1991 « The Protection of Social and Economic Rights: A Comparative Study », supra, note 21, p. 11. Dans une affaire, une municipalité de Bombay a tenté de procéder à l’éviction forcée des itinérants de leurs abris de fortune. La Cour a conclu qu’il s’agissait là d’une atteinte à leur droit à la vie, atteinte qui ne saurait être admise que si elle était indispensable à la réalisation d’un objectif d’État nécessaire. Dans cette affaire, la Cour a conclu à une justification raisonnable, mais elle établissait des limites strictes à la capacité de l’État de restreindre l’accès au logement, et peut-être même à d’autres biens sociaux considérés nécessaires à la vie; Olga Tellis v. Bombay Municipal Corporation AIR (1987) LRC 351.

[62] Cette discussion de l’expérience de l’Afrique du Sud est tirée de Jackman et Porter, supra, note 28, p. 65.
[63] Government of RSA and others v. Grootboom and others, (4 octobre 2000) Constitutional Court – CCT 11/00. Cette affaire portait sur le droit d’accès à un logement adéquat.
[64] Constitution of the Republic of South Africa 1996, acte 108 de 1996, paragr. 184 (3), tel que cité dans Jackman et Porter, Ibid., p. 65.
[65] Ibid., p. 66.
[66] The Protection of Social and Economic Rights: A Comparative Study, supra, note 21, p. 6-7.
[67] Ibid., p. 17.
[68] M. Cohen et A. Bayefsky, The Canadian Charter of Rights and Freedoms and Public International Law (Canadian Bar Review: 1983-6) 265, p. 288.
[69] Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act, [1987] 1 R.C.S. 313, p. 349.
[70] [1989] 1 R.C.S. 1038 [ci-après Slaight Communications].
[71] La question en litige était de savoir si un tribunal pouvait ordonner à un employeur de donner une lettre de référence positive à une ancienne employée, ou si un tel recours portait atteinte au droit à la liberté d’expression de l’employeur d’une façon qui ne pouvait être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte.
[72] Voir Canada’s International Human Rights Obligations, supra, note 20.
[73] Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 [ci-après Baker].
[74] Ibid., paragr. 70.
[75] Jackman et Porter, supra, note 28, p. 57.
[76] Observation générale 9, supra, note 42, paragr. 10.
[77] Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 [ci-après Irwin Toy].
[78] L’article 7 garantit ce qui suit : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. »
[79] Irwin Toy, supra, note 77 (pages 1003-1004 de la version anglaise).
[80] Ibid.
[81] Observations finales de 1998, supra, note 7, paragr. 15.
[82] Tiré de Jackman et Porter, supra, note 28, p. 57.
[83] Ibid., p. 55.
[84] Voir Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624 [ci-après Eldridge].
[85] Ibid., (p. 677-678 de la version anglaise).
[86] M. Certosimo, « Does Canada Need a Social Charter? » (1992) 15 Dalhousie L.J. 568, p. 605-606.
[87] Plusieurs éminents experts soutiennent que la Charte pourrait appuyer au moins quelques requêtes relatives aux droits sociaux. Voir, par exemple : R. Howse, « Another Rights Revolution? The Charter and the Reform of Social Regulation in Canada », dans P. Grady, R. Howse et J. Maxwell, Redefining Social Security (Kingston: School of Policy Studies, 1995) et M. Jackman, « Poor Rights: Using the Charter to Support Social Welfare Claims » (1993) 19 Queen’s L.J. 65.
[88] La discussion de ces causes est tirée principalement de sources secondaires citées dans le présent document.
[89] (1996), 134 D.L.R. (4e) 20 (Cour de l’Ont. - Div. gén.), autorisation d’appel à la C.A. refusée [1996] O.J. n1526, autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [1996] S.C.C.A. no 373 [QL] [ci-après Masse].

[90] Ibid., p. 69.
[91] Ibid., p. 46.
[92] Ibid., p. 46-47.
[93] (1996), 133 D.L.R. (4e) 108 (Cour div. l’Ont.).
[94] (1987), 42 D.L.R. (4e) 407 (Cour suprême C.-B.).
[95] Gosselin c. Québec (Procureur général), [1999] R.J.Q. 1033 (C.A.), [1992] R.J.Q. 1647 (Cour supérieure), autorisation d’appel à la C.S.C. accordée [1999] R.C.S. no 364.
[96] Ibid., p. 1670 (Cour supérieure) [traduction].
[97] Ibid., p. 18 (C.A.) [traduction].
[98] Conrad v. Halifax (County) (1994), 130 N.S.R. (2d) 305 (C.A.), confirmation (1993), 124 N.S.R. (2d) 251, autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [1994] S.C.C.A. no 264.
[99] Falkiner v. Ontario (Ministry of Community and Social Services, Income Maintenance Branch), [2000] O.J. no 2433 (Cour div.) [QL]. Le gouvernement de l’Ontario a interjeté appel de la décision.
[100] (1992), 93 D.L.R. (4e) 402 (Cour d’appel Man.), autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [1993] 2 R.C.S vii [ci-après Fernandes].
[101] Ibid., p. 414.
[102] (1991), 70 B.C.L.R. (2d) 325 (Cour suprême C.-B.).
[103] (1990), 72 D.L.R. (4e) 166 (Haute Cour de just. l’Ont.) [ci-après Ontario Nursing Home Association].
[104] (1990), 66 D.L.R. (4e) 444 (Cour suprême C.-B.) [ci-après Brown].
[105] Dans Irshad (Litigation guardian of) v. Ontario (Minister of Health) (1999), 60 C.R.R. (2d) 231 (Cour de l’Ont. - Div. gén.), confirmation 197 D.L.R. (4e) 103 (C.A. de l’Ont.).
[106] (1993) 101 D.L.R. (4e) 224 (N.S.C.A.) [ci-après Sparks].
[107] Ibid., p. 233-234.
[108] Ibid., p. 234.
[109] Bien que l’affaire Sparks soit un exemple de réussite d’une contestation de la discrimination contre les locataires de logements subventionnés, plusieurs autres contestations faites par des locataires de logements publics au sujet des distinctions contenues dans les lois provinciales sur les logements locatifs ont échoué; voir, par exemple, Newfoundland and Labrador Housing Corporation v. Williams (1987), 62 Nfld. & P.E.I.R. 269 (Cour d’appel T.-N.), Bernard v. Dartmouth Housing Authority (1988), 53 D.L.R. (4e) 81 (Cour suprême N.-É. – Div. des appels). Au contraire de l’affaire Sparks, ces causes ont été entendues avant l’affaire Irwin Toy et avant la décision de la Cour suprême sur le droit à l’égalité dans l’affaire Andrews v. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 43.
[110] Infra, note 134.
[111] Clark v. Peterborough Utilities Commission (1995), 24 O.R. (3d) 7 (Div. gén.), appel annulé (1998), 40 O.R. (3d) 409 (C.A.).
[112] Ferrel v. Ontario (Attorney General) (1998), 42 O.R. (3d) 97 (C.A.), autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [1999] S.C.C.A. no 79.
[113] Ibid., p. 113.
[114] Russell v. Ontario (Health Services Restructuring Commission) (1999), 175 D.L.R. (4e) 185, paragr. 23 (C.A.), autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [1999] S.C.C.A. no 395.
[115] Il existe de nombreux exemples de ceci; voir, par exemple, George c. M.N.R.(1990), 116 N.R. 185 (C.A.F.). Le requérant, qui avait travaillé assez de semaines pour avoir droit à l’assurance chômage mais en trois emplois différents, n’a pas eu gain de cause dans sa contestation de la règle excluant les emplois occasionnels du régime d’assurance-emploi. La Cour a déterminé que la Loi sur l’assurance-emploi crée une distinction entre les catégories d’emplois et non entre des catégories de personnes, de sorte qu’il n’y avait pas de violation de l’article 15.
[116] Dunmore v. Ontario (Attorney General) (1999), 37 O.R. (3d) 287 (Div. gén.); (1999), 49 C.C.E.L. (2d) 29 (C.A.); autorisation d’appel à la C.S.C. accordée [1999] S.C.C.A. no 196. Cette affaire comprend aussi une requête relative au paragraphe 2 (d) de la Charte, le droit à la liberté d’association.
[117] (1991), 82 D.L.R. (4e) 27 (Cour d’appel C.-B.), renversant (1989), 29 C.C.E.L. 168 (Cour suprême C.-B.); autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [1992] 1 R.C.S. vii.
[118] [1993] 4 R.C.S. 695 [ci-après Symes].
[119] [1995] 2 R.C.S. 627.
[120] Schaff c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 2695 (T.C.C.) [ci-après Schaff].
[121] [1991], 2 R.C.S. 525.
[122] [1993] 1 R.C.S. 1080. Avant que cette cause puisse être jugée sur le fond, elle s’est rendue jusqu’en Cour suprême pour résoudre la question de savoir si un résident provincial prestataire de l’aide sociale était habilité d’intenter cette action. Le gouvernement fédéral soutenait que ces personnes n’étaient pas habilitées à contester des ententes financières entre les gouvernements fédéral et provinciaux. La Cour suprême a déterminé que M. Finlay était habilité à le faire.
[123] Poor Rights: Using the Charter to Support Social Welfare Claims, supra, note 87, p. 86-87.
[124] N. MacCormick, Legal Rights & Social Democracy: Essays in Legal and Political Philosophy (Oxford: Clarendon Press, 1982), p. 43, tel que cité dans « Does Canada Need a Social Charter? », supra, note 86, p. 613.
[125] Jackman et Porter, supra, note 28, p. 58.
[126] R. c. Ewanchuk, [1999] 1 S.C.R. 330, p. 365.
[127] Jackman et Porter, supra, note 28, p. 63.
[128] Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, Observation générale 10 : Le rôle des institutions nationales des droits de l'homme dans la protection des droits économiques, sociaux et culturels, 3 décembre 1998, E/C.12/1998/25 [ci-après Observation générale 10].
[129] Observations finales de 1998, supra, note 7, paragr. 51.
[130] Il importe de souligner que, puisque les commissions des droits de la personne sont créées par des lois, elles sont limitées par le cadre législatif qui les a constituées et ne peuvent reconnaître de nouveaux motifs de discrimination, à moins que la loi d’habilitation ne leur permette de le faire. Même si l’omission d’un motif illicite de discrimination était inconstitutionnelle, les commissions des droits de la personne ne peuvent pas considérer la loi comme incluant le motif omis, puisqu’elles ne sont pas autorisées à examiner la constitutionnalité de leur loi d’habilitation; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854.
[131] Willis v. David Anthony Philips Properties (1987), 8 C.H.R.R. D/3847 (Comm. d’enquête de l’Ont.).
[132] Kostanowicz v. Zarubin (7 mars 1994), no 593 (Comm. d’enquête de l’Ont.) [inédit].
[133] (1991), 16 C.H.R.R. D/25 (Conseil des droits de la personne C.-B.).
[134] (1998), 34 C.H.R.R. D/1 (Comm. d’enquête de l’Ont.), confirmation Shelter Corp. v. Ontario (Human Rights Comm.) (2001), 39 C.H.R.R. D/111 (Cour sup. de l’Ont.) [ci-après Kearney].
[135] Il n’y a pas de règle claire quant au type de preuve requis pour établir un lien avec un motif illicite de discrimination. Cependant, dans les affaires Sparks et Kearney, des preuves statistiques ont été présentées, et certaines causes ont échoué en raison de l’absence de preuves empiriques (par exemple, Symes et Vander Schaaf).
[136] Voir Vander Schaaf v. M & R Property Management Ltd. (2000), 38 C.H.R.R. D/251 (Comm. d’enquête de l’Ont.) [ci-après Vander Schaaf] et Birchall v. Guardian Properties Ltd. (2000), 38 C.H.R.R. D/83 (Tribunal des droits de la personne C.-B.).
[137] L’importance accordée à cette affaire ne se limite pas aux publications canadiennes; voir, par exemple, Jackman et Porter, supra, note 28. Cette affaire a attiré l’attention des experts internationaux; voir, par exemple, International Human Rights Internship Program et Asian Forum for Human Rights and Development, Circle of Rights, Economic, Social & Cultural Rights Activism: A Training Resource (International Human Rights Internship Program, 2000), p. 169.
[138] Loi sur la protection des locataires, L.O. 1997, chap. 24 modifiant les articles 21 et 48 du Code.
[139] Comme la commission a conclu que l’utilisation du ratio loyer-revenu n’avait pas été la cause de son échec à obtenir le logement (si le ratio avait été appliqué correctement, soit en combinant les deux revenus, elle aurait été admissible), la question de savoir si les modifications législatives permettent à un locateur d’utiliser les renseignements sur le revenu pour calculer le ratio loyer-revenu n’était pas un facteur déterminant de l’affaire, et donc obiter.
[140] Commission ontarienne des droits de la personne, Directives concernant les programmes spéciaux, (1997) publié dans Les droits de la personne en Ontario (Toronto : CCH Canadian Limited, 2001).
[141] À titre d’exemple, si un employeur payait les femmes à son emploi moins que les hommes exerçant les mêmes fonctions, en raison de sa perception que les femmes sont soutenues financièrement par les hommes de leur famille, cet intérêt économique relèverait du Code à titre de discrimination fondée sur le sexe. Cet exemple de la façon dont le Code peut protéger la jouissance d’un droit économique n’est pas exagéré. En 1984, deux Hollandaises ont contesté le refus des autorités de leur verser de l’assurance-chômage fondé sur la présomption que les femmes mariées seraient soutenues financièrement par leurs époux. Le Comité des droits de l’homme en charge du PIRDCP « a étendu la protection de la disposition contre la discrimination découlant de l’article 26 du PIRDCP à la discrimination associée à la jouissance des droits économiques et sociaux »; tiré de Jackman et Porter, supra, note 28, p. 89, citant les Communications 182/1984 (Zwaan-de Vries) et 172/1984 (Broeks), Décisions choisies du Comité des droits de l’homme en vertu du protocole facultatif, vol 2. (1990), p. 209 et 196, respectivement.
[142] Saskatchewan (Human Rights Commission) v. Saskatchewan (Department of Social Services) (1988), 9 C.H.R.R. D/5181 (Cour d’appel Sask.).
[143] [1999] 2 R.C.S. 3.
[144] Commission ontarienne des droits de la personne, Document de travail sur les services accessibles de transport en commun en Ontario (16 janvier 2001), en ligne : site de la Commission ontarienne des droits de la personne <http://www.ohrc.on.ca/french> (consulté le 15 octobre 2001).

[145] Commission ontarienne des droits de la personne, Politique et directives concernant le handicap et l’obligation d’accommodement, (2001) publié dans Les droits de la personne en Ontario, supra, note 140 [ci-après Politique et directives].
[146] Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, E/C.12/1995/16/Rév.1 (1995).
[147] Voir Commission ontarienne des droits de la personne, La discrimination et l’âge : problèmes relatifs aux droits de la personne vécus par les personnes âgées en Ontario (Document de travail, 31 mai 2000) et Commission ontarienne des droits de la personne, Il est temps d’agir : Faire respecter les droits des personnes âgées en Ontario (Document de consultation, 28 juin 2001) en ligne : site de la Commission ontarienne des droits de la personne <http://www.ohrc.on.ca/french> (consulté le 15 octobre 2001).
[148] Commission ontarienne des droits de la personne, Politique sur la mutilation génitale féminine (MGF), (1996, révisé 2000), publié dans Les droits de la personne en Ontario, supra, note 140.
[149] ommission ontarienne des droits de la personne, Politique concernant la discrimination fondée sur la grossesse, (1996, révisé 1999) publié dans Les droits de la personne en Ontario, supra, note 140.
[150] S. Day et G. Brodsky, « L’inégalité économique des femmes et la Loi canadienne sur les droits de la personne » (Condition féminine Canada : octobre 1999), en ligne : site de Condition féminine Canada <http://www.swc-cfc.gc.ca/directf/>
[151] Québec (Comm. des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Sinatra (1999), C.H.R.R. Doc. 99-218f (Trib. Qué.).
[152] (1997), 29 C.H.R.R. D/246 (Trib. Qué.).
[153] La discussion de la décision Lambert est inspirée de « L’inégalité économique des femmes et la Loi canadienne sur les droits de la personne », supra, note 150.
[154] D’Aoust c. Vallières (1993), 19 C.H.R.R. D/322 (Trib. Qué.) [ci-après D’Aoust].
[155] Lévesque c. Québec (P. G.), [1998] R.J.Q. 223 (Cour d’appel Qué.).

La condition sociale – une option pour les commissions des droits de la personne

Le concept de « condition sociale »

L’une des options proposées pour s’attaquer aux inégalités économiques au Canada a été d’ajouter le concept de « condition sociale » dans les lois sur les droits de la personne.[156] En outre, ce pourrait être une réponse à la recommandation du Comité du PIRDESC voulant que les droits sociaux et économiques soient expressément intégrés aux lois fédérales et provinciales touchant les droits de la personne.

La condition sociale n’est qu’un des aspects des droits sociaux et économiques. Ce concept définit un motif illicite de discrimination et de harcèlement dans les lois relatives aux droits de la personne, de la même façon que les autres motifs comme le sexe, l’âge et le lieu d’origine, par exemple. Le terme particulier « condition sociale » comme motif illicite de discrimination n’est pas très répandu, ni à l’échelle nationale ni à l’échelle internationale.[157] Comme nous venons de le voir, le Québec est la seule compétence canadienne qui interdit la discrimination fondée sur le terme précis de « condition sociale ».

À l’échelle internationale, la documentation consultée indique que seule la constitution de l’Espagne utilise le concept de condition sociale (« social condition » dans la version anglaise) dans les motifs illicites de discrimination. Une version antérieure de la constitution du Portugal utilisait ce concept (« social condition », aussi dans la version anglaise), mais la version révisée en 1992 n’en fait pas mention. Il semble que seul un instrument régional portant sur les droits de la personne, l’American Convention on Human Rights, utilise le concept de la naissance ou toute autre condition sociale (« birth or any other social condition »). Par ailleurs, on peut lire dans le préambule de la constitution de l’Organisation mondiale de la santé : « La possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale. »[158]

Au Québec, la loi ne définit pas le terme « condition sociale ». C’est la jurisprudence, dans une large mesure, qui a défini le terme. Dans les premières causes, on mettait l’accent sur l’égalité formelle; cependant, dans les années 1990, on s’est tourné vers une définition plus libérale et davantage fondée sur l’objet, qui donnait une plus grande importance à l’égalité matérielle.[159] La définition normalisée qu’utilise le Tribunal des droits de la personne du Québec provient d’une décision remontant à 1993.[160] Le tribunal a conclu que le terme avait une composante objective et une composante subjective :

[...] l'expression « condition sociale » comporte d'abord un aspect objectif. Le rang, la place ou le traitement réservé à une personne dans sa communauté varie en fonction de son occupation, de son revenu, de son niveau d'instruction ou encore des circonstances entourant sa naissance. L'expression comporte également un élément subjectif qui est associé, essentiellement, aux perceptions générées par ces éléments objectifs. La partie demanderesse n'est pas obligée de démontrer que chacun de ces éléments a joué contre elle lors des événements en litige. Elle aura plutôt à démontrer qu'un ou plusieurs de ces éléments ont pour effet de l'associer à un groupe de personnes socialement identifiables et qu'elle a subi, de ce fait, le traitement différent contesté.[161]

La Commission des droits de la personne du Québec a adopté en 1994 une position de principe sur la condition sociale[162] et la décrit comme un rang, une position sociale ou une classe sociale attribué à une personne en raison, surtout, de son niveau de revenu, de son occupation et de sa scolarité, eu égard aux composantes objectives et subjectives de chacun. Les tribunaux du Québec ont jugé que la condition sociale peut inclure des situations temporaires,[163] comme le chômage. En outre, la condition sociale est distincte de l’origine sociale (« social origin »), un concept utilisé à Terre-Neuve, en ce que l’origine sociale se rapporte à la naissance et aux antécédents d’une personne, et non à son rang et à sa position actuels dans la société.

La difficulté qu’il y a à définir ce concept et à le rendre fonctionnel a été cernée tant par la commission québécoise que par ceux qui ont envisagé d’inclure ce concept dans les motifs illicites de discrimination dans les lois fédérales ou provinciales relatives aux droits de la personne. Dans un rapport sur les droits de la personne en Colombie-Britannique, datant de 1994, l’auteur, William Black, décrit ce concept comme un motif illicite destiné à protéger les pauvres. En tant que concept, il s’applique :

...aux personnes qui vivent dans la pauvreté, aux personnes occupant certains emplois, comme les travailleurs domestiques, aux personnes étiquetées comme inférieures parce qu’elles ont de la difficulté à lire et à écrire, et aux personnes dont la façon de s’habiller ou de parler les stigmatise comme des personnes « ne venant pas du bon côté de la barrière ».[164] (traduction)

C’est un terme qui n’a pas une signification généralement acceptée et qui se prête mal à une définition précise. Il faut plutôt l’interpréter de manière large, libérale et souple, et tenir compte de facteurs divers, comme l’origine sociale, le niveau de scolarité, l’occupation et le revenu. Ces facteurs ne sont pas nécessairement exhaustifs et doivent parfois être adaptés pour tenir compte des particularités de chaque cas.

Appels à la réforme : arguments en faveur de l’ajout de la condition sociale

C’est un fait généralement reconnu que la pauvreté a été de tout temps et continue d’être une cause importante de stigmatisation sociale :

Pour les pauvres, les stéréotypes négatifs et la stigmatisation sociale sont une réalité constante : dans les médias populaires, dans leurs rapports avec les propriétaires, les établissements financiers, les directions d’école, le personnel des magasins et les vendeurs, les voisins et les étrangers, les organismes de bien-être social, les autres fonctionnaires du gouvernement et avec le système juridique.[165] (traduction)

La pauvreté est à la source de graves désavantages matériels, sociaux et politiques dans la société canadienne. Les personnes qui sont pauvres font l’objet de stéréotypes, de préjugés et de discrimination dans tous les aspects de la vie, y compris l’emploi, l’accès aux biens et aux services, et le logement. Cependant, ces désavantages systémiques qu’entraîne la pauvreté ne sont pas reconnus de manière explicite dans la plupart des lois canadiennes qui visent à combattre la discrimination.

L’Association du Barreau canadien (section de Colombie-Britannique) a résumé de manière éloquente le sort des pauvres :

Les personnes qui vivent dans la pauvreté subissent une discrimination systémique d’une portée immense. On leur refuse fréquemment un logement et l’accès aux services, et elles subissent le mépris d’une culture populaire qui les dépeint comme des êtres moralement inférieurs. Les personnes qui vivent dans la pauvreté n’arrivent même pas à se faire entendre sur la scène politique. Elles sont marginalisées au point de devenir invisibles. C’est précisément ce genre de désavantage social et d’exclusion que les lois relatives aux droits de la personne sont censées atténuer.[166] (traduction)

La pauvreté recoupe souvent d’autres formes de désavantages expressément reconnus dans les lois sur les droits de la personne, comme la pauvreté et le sexe, la pauvreté et la race, la pauvreté et un handicap, pour ne donner que quelques exemples. Si elles ne prévoient pas de protection fondée sur la pauvreté, les lois relatives aux droits de la personne pourraient bien ne pas être en mesure d’aborder véritablement l’expérience complexe des personnes les plus défavorisées.[167] Les pauvres comprennent également un groupe distinct et identifiable qui fait l’objet de formes particulières de discrimination et de désavantage.[168] Étant donné la marginalisation sociale et politique des pauvres, les observateurs ont attiré l’attention sur le fait que les lois conçues spécifiquement pour améliorer la condition de vie des groupes aux prises avec une discrimination qui existe depuis longtemps et qui persiste toujours ne prévoient pas de protection pour les personnes ayant un statut socio-économique défavorisé. Cette omission reflète, renforce et favorise la persistance des préjugés systémiques contre les pauvres dans la société canadienne.[169]

En plus des avantages évidents qu’il y aurait à intégrer la condition sociale comme motif illicite de discrimination, les observateurs ont mentionné d’autres avantages plus subtils. Par exemple, comme la Cour suprême du Canada a la coutume de se guider de façon significative sur les décisions des tribunaux des droits de la personne sur les questions d’égalité, l’inclusion des droits sociaux et économiques dans les textes législatifs sur les droits de la personne aurait pour effet de promouvoir l’avancement d’une jurisprudence en matière d’égalité qui pourrait être appliquée aux requêtes faites en vertu de la Charte.[170]

On constate un appui ferme à l’inclusion du concept de « condition sociale » dans la Loi canadienne sur les droits de la personne au sein du Sénat canadien et de la Commission canadienne des droits de la personne. La Commission canadienne a reconnu que la pauvreté est une question fondamentale des droits de la personne au Canada, qui est liée de façon inextricable à la violation du droit à l’égalité garanti par la Loi canadienne sur les droits de la personne. La commissaire en chef Michelle Falardeau-Ramsay a déclaré ce qui suit dans son introduction au Rapport annuel de la Commission canadienne des droits de la personne de 1997 :

[L]a pauvreté est une grave menace aux droits à l'égalité, et elle n'a pas sa place dans un pays aussi prospère que le Canada. L'expérience démontre que les membres de notre société les plus exposés à la discrimination fondée sur l'un ou l'autre des motifs de distinction illicite - par exemple, les femmes, les Autochtones et les personnes handicapées - sont aussi plus susceptibles de souffrir de la pauvreté... [Il est] difficile de soutenir que la pauvreté n'a rien à voir avec les droits de la personne... La communauté internationale reconnaît depuis longtemps que les droits de la personne sont indissociables et que les droits économiques et sociaux ne peuvent être séparés des droits politiques, des garanties juridiques ou des droits à l'égalité. Le temps est maintenant venu de reconnaître la pauvreté comme un enjeu des droits de la personne ici même au pays.[171]

Dans la préface du Rapport annuel de 1998, Mme Falardeau-Ramsay réitère la nécessité de considérer les droits sociaux et économiques dans le cadre des droits de la personne au Canada.[172]

En 1998, la sénatrice Erminie Cohen a présenté le projet de loi S-11 qui aurait ajouté la condition sociale aux motifs illicites de discrimination dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le projet de loi a été adopté à l’unanimité par le Sénat et, le 19 octobre 1998, il a été étudié en première lecture à la Chambre des communes. Le 8 avril 1999, la ministre de la Justice Anne McLellan a annoncé que le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne examinerait, entre autres, la condition sociale comme motif de discrimination illicite. Cinq jours plus tard, le projet de loi S-11 a été rejeté en deuxième lecture.

En juin 2000, le Comité de révision a publié son rapport qui recommandait l’ajout de la condition sociale comme motif illicite de discrimination dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le rapport résume les résultats de la recherche et des consultations du Comité de révision et met en lumière les obstacles sociaux et la discrimination répandue auxquels font face les pauvres. Le rapport souligne que même s’il est vrai que certains obstacles reliés à la pauvreté peuvent être attaqués au moyen des motifs existants, cet « examen, motif par motif, peut être perçu comme une solution partielle qui ne tient pas compte de l'effet cumulatif du problème ».[173] Par conséquent, il recommande l’inclusion de la condition sociale, avec une définition semblable à celle qui est appliquée au Québec, à la différence qu’elle ne porterait que sur les personnes défavorisées. Le rapport reconnaît la nécessité de prévoir des exemptions et de s’en remettre au gouvernement lorsque des questions complexes de politiques sociales sont en jeu, mais il recommande également que le Cabinet entreprenne une révision de tous les programmes gouvernementaux afin de réduire la discrimination à l’égard des pauvres.

Le Comité de révision a décidé de ne pas recommander l’ajout des droits sociaux et économiques reconnus dans les pactes internationaux, comme le droit à un niveau suffisant de nourriture, de logement et de services de santé. Il a cependant affirmé que la Commission canadienne des droits de la personne devrait avoir la responsabilité de surveiller la conformité du gouvernement fédéral aux traités internationaux sur les droits de la personne et en faire rapport au Parlement et à l’ONU et il a ajouté que « [l]es commissions provinciales et territoriales des droits de la personne voudraient peut-être commenter les sujets de leur ressort... ».[174] La ministre de la Justice a indiqué que le gouvernement du Canada allait examiner ce rapport en détail. Jusqu’à présent, rien ne permet de prédire si, oui ou non, l’inclusion de la condition sociale sera adoptée.

L’ajout de la condition sociale à la Loi canadienne sur les droits de la personne est perçu comme un point de départ, car de nombreux domaines d’application parmi les plus importants, comme la santé, l’éducation et le logement, et la majorité des requêtes relatives aux droits de la personne sont du ressort provincial. Certaines provinces se sont également penchées sur la question. Les propositions de réforme en matière de droits de la personne au Nouveau-Brunswick, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique ont indiqué un ferme appui à l’inclusion de la condition sociale dans leurs lois sur les droits de la personne. L’Alberta, la Colombie-Britannique, Terre-Neuve et l’Île-du-Prince-Édouard ont également recommandé l’inclusion d’une forme quelconque de protection relative au niveau ou à la source de revenu.[175] Les Territoires du Nord-Ouest songent à recommander ce motif dans sa nouvelle loi sur les droits de la personne.

S’appuyant sur le rapport de 1994 préparé par Bill Black, la Commission des droits de la personne de C.-B., dans un document de janvier 1998 intitulé Human Rights for the Next Millennium, recommandait un certain nombre de modifications au Human Rights Code de la Colombie-Britannique. La commission de la C.-B. recommandait de préférence une modification qui ajouterait une protection contre la discrimination fondée sur la condition sociale. À défaut de cela, elle recommandait l’ajout de la mention « lawful source of income », c’est-à-dire la source légale de revenu, comme motif illicite de discrimination. Pour appuyer sa recommandation première, elle déclare dans Human Rights for the Next Millennium :

Une écrasante majorité des observations présentées affirmaient que le concept de « source légale de revenu » ne peut offrir une protection suffisante aux pauvres en général à l’égard de la discrimination dans les domaines du logement, des services, des installations, de l’achat de biens, de l’emploi et par les syndicats et les associations. Elles suggèrent qu’il conviendrait d’adopter le terme « condition sociale », lequel comprend, selon l’interprétation qui en a été faite par les tribunaux, les prestataires d’assistance sociale, ainsi que les femmes seules et les mères seuls soutiens de famille. Une telle modification serait également conforme aux obligations que nous avons acceptées à titre de signataire du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.[176] (traduction)

À l’exception des Territoires du Nord-Ouest, aucun des projets de réforme n’a été adopté par aucune province jusqu’à présent.

Préoccupations que soulève l’ajout de la condition sociale

Dans le débat sur la condition sociale, plusieurs arguments contre l’inclusion de ce concept dans les lois sur les droits de la personne ont été avancés. Une préoccupation porte sur l’absence de signification ou de définition généralement acceptée pour ce concept. En raison de ce manque de clarté, l’inclusion de la condition sociale, prétend-on, pourrait ouvrir la porte à d’innombrables causes devant les tribunaux et à des litiges prolongés visant à définir ce motif illicite et à appliquer les mesures de protection appropriées. Un argument apparenté veut que ce nouveau motif pourrait éclipser et écarter les motifs traditionnels de discrimination qui ont besoin d’autant d’attention.[177] Une préoccupation plus concrète porte sur le fait que les commissions des droits de la personne disposent de ressources limitées et qu’elles ont déjà, dans la plupart des cas, un arriéré de causes à traiter. L’ajout de la condition sociale drainerait encore davantage ces ressources et aggraverait le problème de l’arriéré.[178]

On se préoccupe aussi du fait que l’ajout de la condition sociale pourrait donner un pouvoir discrétionnaire trop grand à un organisme administratif et que les requérants pourraient abuser d’une juridiction ayant une portée aussi large. Dans le même ordre d’idée, on se demande également si l’ajout de ce nouveau motif illicite ne permettrait pas aux commissions des droits de la personne de prendre les gouvernements à partie parce qu’ils n’assurent pas un niveau de vie suffisant à tous les citoyens. Cela soulève donc les questions auxquelles se sont toujours heurtés les tribunaux dans la considération des droits économiques et sociaux.

En revanche, les groupes en faveur de l’inclusion ont souligné que l’inclusion des droits économiques et sociaux dans les lois relatives aux droits de la personne ne donne pas aux tribunaux une autorité sans limite pour déterminer les politiques sociales, pas plus qu’elle ne signale aux organes décisionnels qu’ils doivent abandonner leur souci de respecter la souveraineté parlementaire. L’inclusion permettrait simplement une orientation fort nécessaire sur l’intervention appropriée dans les affaires relatives aux droits sociaux et économiques.[179] Quant à la crainte que la protection des droits socio-économiques n’encourage les organes décisionnels à forcer les gouvernements à augmenter les dépenses, on constate qu’il arrive parfois que la protection judiciaire des droits civils et politiques impose des obligations fiscales positives aux gouvernements.[180]

Limites du concept de condition sociale comme moyen de combattre l’inégalité

Comme nous l’avons déjà dit, l’inclusion de la condition sociale comme motif illicite de discrimination dans les lois sur les droits de la personne ne porte que sur l’un des aspects des droits sociaux et économiques. Elle porte uniquement sur l’interdiction de poser des gestes discriminatoires contre les pauvres.[181] Elle ne signifie pas que l’existence de la pauvreté constitue une violation des lois nationales en matière de droits de la personne, pas plus qu’elle ne permet aux commissions des droits de la personne de prendre les gouvernements à partie parce qu’ils n’auraient pas assuré un niveau de vie suffisant. Elle pourrait n’avoir qu’une utilité restreinte pour combattre le problème des sans-abri, par exemple.

Shelagh Day et Gwen Brodsky, deux éminentes expertes sur les questions d’égalité des femmes, ont examiné l’expérience québécoise au sujet de l’inclusion de la condition sociale et ont conclu que, si l’on se fonde sur la façon dont les tribunaux ont interprété la condition sociale au Québec, l’utilité de ce motif illicite de discrimination semble limitée. Bien que la condition sociale puisse offrir un moyen efficace de contester des lois et des pratiques qui encouragent les préjugés et les stéréotypes à l’égard des pauvres, elle pourrait bien ne pas être un moyen efficace de contester les lois et les pratiques qui causent, maintiennent et aggravent la pauvreté et l’inégalité économique.[182] Ces auteures nous mettent en garde contre le danger d’inclure un motif illicite de discrimination qui ne vise que la stigmatisation, car cela pourrait laisser entendre que c’est là le seul aspect que les lois relatives aux droits de la personne sont tenues de considérer en matière de droits sociaux et économiques :

...si aucun autre changement n’est apporté à la Loi pour mettre en lumière le fait que l’inégalité économique des femmes n’est pas compatible avec les garanties d’égalité et de non-discrimination, [inclure le] motif de la condition sociale pourrait, à notre avis, être trompeur et dangereux.[183]

Le rapport du Comité de révision confirme également que l’ajout de la condition sociale aux lois sur les droits de la personne ne serait qu’un aspect des solutions qu’il faut trouver aux problèmes que vivent les personnes pauvres. Cependant, ce motif illicite de discrimination fournirait un moyen de combattre les stéréotypes défavorables aux pauvres et jouerait un rôle important d’éducation.

Les groupes anti-pauvreté ont appuyé l’inclusion de la condition sociale comme moyen de combattre les préjugés et la discrimination contre les pauvres. En plus de ses effets pratiques, l’inclusion de la condition sociale dans les lois sur les droits de la personne aurait une grande importance symbolique :

Elle mettrait en évidence l'idée que les différences de situation économique sont autant une source d'inégalités dans notre société que la race, le sexe ou les handicaps. ...[L]es Canadiens pauvres sont tous les jours victimes de stigmates sociaux et de stéréotypes négatifs et [...] on leur fait subir un préjudice semblable à celui que subissent d'autres groupes marginaux soumis à une discrimination fondée sur les autres motifs énumérés dans la [L]oi [canadienne sur les droits de la personne].... L'inscription de la « condition sociale » dans la Loi canadienne sur les droits de la personne indiquerait clairement aux Canadiens et Canadiennes que le préjugé contre les gens pauvres est aussi inacceptable dans notre société que celui contre les Noirs, les [A]utochtones, les personnes handicapées ou les femmes.[184]

Comme l’a fait remarquer la commissaire en chef Falardeau-Ramsay, l’inclusion de la condition sociale dans les lois sur les droits de la personne ne représente qu'une petite partie d'un problème plus grand : comment faire le lien entre la problématique de la pauvreté dans toute sa complexité et la jouissance effective des droits de la personne.


[156] Un auteur a suggéré d’ajouter le terme « pauvreté » aux motifs illicites de discrimination énumérés dans le Code ontarien pour tous les domaines d’activité sociale. L’auteur souligne que la philosophie fondamentale du Code, telle qu’elle est énoncée dans le préambule, les mesures de correction qui peuvent être ordonnées par les commissions d’enquête et la capacité de la Commission de jouer un rôle actif au sein de la collectivité, par des activités d’éducation par exemple, font du Code un outil approprié pour aborder la problématique de la pauvreté. Voir S. Turkington, « A Proposal to Amend the Ontario Human Rights Code: Recognizing Povertyism » (1993) 9 J.L. & Social Pol’y 134 [ci-après Recognizing Povertyism].
[157] H. Berry et M.M. Lepage, « Recherche documentaire sur la condition sociale » (Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, 2000), en ligne : site du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne <http://www.chrareview.org> (consulté le 8 mars 2001).
[158] Ibid.
[159] A.W. Mackay, T. Piper et N. Kim, « La condition sociale, motif de distinction illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne » (Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, 2000), en ligne : site du Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, supra, note 157.
[160] Tiré de Recherche documentaire sur la condition sociale, supra, note 157.
[161] Québec (Comm. des droits de la personne) c. Gauthier (1993), 19 C.H.R.R. D/313 [Sommaire français].
[162] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, « Lignes directrices sur la condition sociale » (31 mars 1994) Cat. 2.120.8.4.
[163] D’Aoust, supra, note 154.
[164] William Black, BC Human Rights Review: Report on Human Rights in British Columbia, (Vancouver : Gouvernement de la Colombie-Britannique, 1994), p. 170.
[165] Constitutional Contact with the Disparities in the World, supra, note 9, p. 94.
[166] Association du Barreau canadien – Section de C.-B., groupe de travail sur les droits de la personne, tel que cité dans le document de la BC Human Rights Commission, Human Rights for the Next Millennium (19 janvier 1998), en ligne : site de la BC Human Rights Commission <http://www.bchrc.gov.bc.ca> (consulté le 8 mars 2001).
[167] Recognizing Povertyism, supra, note 156, p. 186.
[168] Bien que le logement soit un domaine important dans lequel les pauvres subissent une discrimination, ce n’est pas le seul. Les pauvres ont de la difficulté à avoir accès aux services et aux établissements (y compris les établissements de santé et d’enseignement) et ils font face à des pratiques discriminatoires dans le domaine de l’emploi.
[169] Constitutional Contact with the Disparities in the World, supra, note 9, p. 117.
[170] Jackman et Porter, supra, note 28, p. 77.
[171] Commission canadienne des droits de la personne, Rapport annuel 1997, (Ottawa : Commission canadienne des droits de la personne, 1997), p. 2.
[172] Commission canadienne des droits de la personne, Rapport annuel 1998, (Ottawa : Commission canadienne des droits de la personne, 1998).
[173] La promotion de l’égalité : Une nouvelle vision, supra, note 5, p. 120.
[174] Ibid., p. 129.
[175] a condition sociale, motif illicite de discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, supra, note 159.
[176] Human Rights for the Next Millennium, supra, note 166, recommandation 9 (a).
[177] Report on Human Rights in British Columbia, supra, note 164, p. 171.
[178] La condition sociale, motif illicite de discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, supra, note 159.
[179] Jackman et Porter, supra, note 28, p. 72.
[180] Voir, par exemple, Schachter c. Canada (Commission de l’emploi et de l’Immigration du Canada), [1992] 2. R.C.S. 679.
[181] Certains ont suggéré que cette inclusion devrait être un motif neutre, qui s’appliquerait à tous de façon égale, les riches comme les pauvres. Autrement dit, il pourrait offrir une protection aux personnes dont la condition sociale est défavorisée, aussi bien qu’aux personnes dont la condition sociale est privilégiée. [Par exemple, intervention du sénateur Grafstein, Délibérations du comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, 36e Législature, 1re session (4 juin 1998)].
[182] L’inégalité économique des femmes et la Loi canadienne sur les droits de la personne, supra, note 150. Ces conclusions se situent dans le contexte particulier de l’inégalité des femmes, mais elles semblent s’appliquer pareillement à toute personne vivant dans la pauvreté.
[183] Ibid., p. 145.
[184] Michelle Falardeau-Ramsay, commissaire en chef, Commission canadienne des droits de la personne, Délibérations du comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, 36e Législature, 1re session (27 mai 1998).

Conclusion

L’ajout de la condition sociale aux motifs illicites de discrimination dans les lois sur les droits de la personne pourrait être un moyen d’assurer une meilleure protection des droits sociaux et économiques au Canada. Toutefois, l’expérience du Québec a montré que la condition sociale comme motif illicite de discrimination a ses limites et qu’elle ne peut servir de panacée pour tous les aspects de l’inégalité socio-économique que l’on constate dans la société canadienne. D’autres mesures sont aussi nécessaires. Le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne a recommandé d’ajouter la condition sociale à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Parlement du Canada et les législatures provinciales pourraient envisager de modifier les lois relatives aux droits de la personne en tenant compte de cette recommandation. Quoi qu’il arrive à cet égard, les commissions des droits de la personne ont eu et continuent d’avoir un rôle à jouer dans la protection des droits sociaux et économiques.

À la lumière de la présomption d’interprétation découlant des affaires Slaight Communications et Baker, les lois sur les droits de la personne peuvent être interprétées, et la discrétion administrative peut être exercée, d’une manière qui soit des plus conformes aux normes internationales en matière de droits de la personne. Pour ce qui est de la partie du mandat des commissions des droits de la personne qui porte sur l’application des droits, il existe une certaine marge de manoeuvre permettant de rendre des jugements en matière de droits économiques et sociaux en se fondant sur des motifs illicites de discrimination comme l’« état d’assisté social », en établissant des liens entre les autres motifs et la situation socio-économique, comme l’illustre l’affaire Kearney, et en veillant à ce que les intérêts et avantages socio-économiques, comme l’aide sociale, soient offerts à tous de façon égale.

Pour ce qui est des aspects du mandat des commissions relatifs à l’élaboration de politiques publiques et d’éducation du public, diverses mesures proactives peuvent être prises dans le domaine des droits sociaux et économiques. De telles mesures pourraient comprendre :

  • mener des campagnes d’éducation pour combattre les préjugés et la discrimination contre les personnes à faible revenu au sein du public en général, mais aussi auprès de groupes particuliers, comme les locateurs;
  • élaborer des politiques dans les domaines touchant des intérêts socio-économiques, comme le logement, en mettant un accent sur la discrimination fondée sur les motifs les plus apparentés à la condition socio-économique (par exemple, l’état d’assisté social, l’état familial, l’état matrimonial, le sexe, la race, le lieu d’origine, un handicap, l’ascendance);
  • s’assurer que l’élaboration des politiques dans tous les domaines d’activité soit conforme aux obligations internationales prises par le Canada en matière de droits de la personne, et adopter des énoncés de principe qui, autant que possible, assurent la promotion des intérêts sociaux et économiques;
  • réviser tant les programmes privés que les mesures gouvernementales pour veiller à ce qu’ils respectent les droits sociaux et économiques, et exprimer des préoccupations à cet égard, au besoin;
  • entreprendre des recherches et des enquêtes portant sur les droits sociaux et économiques.

Voilà quelques exemples seulement des façons dont les commissions des droits de la personne, même dans le cadre de leurs mandats actuels, peuvent jouer un rôle accru pour promouvoir les droits sociaux et économiques.

Le but des lois sur les droits de la personne et de l’article 15 de la Charte est de protéger de la discrimination les groupes vulnérables et défavorisés, et de promouvoir l’égalité des droits et des chances. Ces groupes vulnérables et défavorisés (par exemple, les femmes, les personnes ayant un handicap et les membres des minorités raciales), sont aussi les groupes les plus susceptibles d’être pauvres. Ainsi, l’interdépendance et l’indissociabilité des droits qui sont déjà reconnus dans les lois sur les droits de la personne, d’une part, et des droits économiques et sociaux qui suscitent une attention et une reconnaissance accrues, d’autre part, nous poussent à adopter une approche qui considère la protection des deux catégories de droits comme un idéal commun. Il n’y a aucun doute que l’ajout d’un motif illicite de discrimination qui porte directement sur la pauvreté, comme la condition sociale, ne peut que donner aux commissions des droits de la personne une plus grande latitude pour protéger et promouvoir les droits sociaux et économiques. Cependant, même en l’absence de modification aux lois sur les droits de la personne, les commissions ont un rôle à jouer.