Lignes directrices régissant l’élaboration d’un programme spécial

La conception d’un programme spécial doit s’appuyer sur un processus de consultation. Pour établir un plan adapté à cette fin, il convient de définir la raison d’être du programme, de fournir des données complémentaires à l’appui et de préciser les critères d’admissibilité et la méthode d’évaluation applicables. Une fois ces éléments en place, un programme s’avèrera moins susceptible de faire l’objet de contestations judiciaires de la part de personnes le jugeant discriminatoire en vertu de la partie I du Code et pourra donc être mieux défendu à titre de « programme spécial », le cas échéant.

Les locateurs, les fournisseurs de services et d’autres organismes peuvent instaurer leurs propres programmes spéciaux. Aucune autorisation spécifique ou préalable de la CODP n’est requise.

Consultation

Il convient de toujours consulter les personnes que le programme spécial prévu est susceptible de toucher, à savoir les personnes et les groupes cibles, les syndicats ou associations d’employés, les associations de locataires, les utilisateurs de services ou les organismes communautaires. Voici les éléments qu’il convient de garder à l’esprit lors de l’élaboration d’un plan.

Définition de la raison d’être du programme

On entend tout simplement par raison d’être d’un programme spécial la raison pour laquelle il est créé. La raison d’être sert de principe sur lequel repose la conception du reste du programme. Elle facilite ainsi l’élaboration des critères d’admissibilité et permet une évaluation constructive du programme après son lancement. De plus, la définition d’une raison d’être précise aide les utilisateurs du programme à mieux comprendre l’objet de ce dernier.

Dans cette optique, la raison d’être doit :

  • préciser qui tirera parti du programme
  • expliquer pourquoi le public cible est considéré comme faisant l’objet d’un préjudice, d’un désavantage économique, d’une inégalité ou d’une discrimination. Les preuves doivent être objectives et non subjectives, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas se fonder sur des impressions personnelles. Il convient de rappeler qu’un programme spécial vise à résoudre un problème réel, dont l’existence doit être démontrée. Il est souvent possible de consulter facilement certaines recherches, comme les données du recensement, qui contribuent à définir le problème. Parfois, une collecte de données s’impose
  • expliquer comment et pourquoi le programme devrait atténuer le préjudice, |e désavantage économique, l’inégalité ou la discrimination, en précisant notamment les avantages, les objectifs, le calendrier et les résultats attendus
  • indiquer la durée prévue du programme.

Exemple : Sur la base d’études démontrant que les personnes d’origine sud-asiatique à faible revenu rencontrent des difficultés pour accéder au système juridique, le gouvernement crée et finance une clinique d’aide juridique pour conseiller gratuitement ce groupe et lui offrir une représentation juridique. L’une des raisons d’être à l’appui de ce programme est d’aider ce groupe à obtenir plus facilement une représentation juridique, au regard de son désavantage dans le système juridique.

La définition d’une raison d’être précise aide les organismes à fixer les objectifs du programme et les critères qui serviront à évaluer les progrès réalisés et à déterminer quand les objectifs ont été atteints (reportez-vous à la section Évaluation d’un programme spécial).

Collecte de données

En règle générale, l’utilisation de questions ayant trait aux motifs illicites dans les domaines de l’emploi, des services, du logement, des contrats ou de l’adhésion aux associations professionnelles est jugée discriminatoire en vertu de la partie I du Code. Toutefois, le Code autorise la collecte de données en vue de surveiller, d’évaluer et d’éliminer la discrimination systémique ou d’autres formes de discrimination. La collecte de données peut constituer en elle-même un programme spécial si elle a pour vocation de lutter contre une discrimination systémique.

La collecte de données qualitatives ou quantitatives est une bonne façon de déterminer si un programme spécial est nécessaire. Il est possible de recueillir des données pour savoir si certains groupes sont sous-représentés ou s’il existe d’autres formes de préjudice, d’inégalité ou de désavantage[8].

Exemple : Avant d’étoffer ses effectifs en embauchant de nouvelles recrues, un employeur effectue un sondage en milieu de travail pour déterminer si son personnel reflète la collectivité qu’il dessert. Il demande aux employés de se définir selon leur sexe, race, handicap, croyance, etc., et de soumettre les renseignements de façon anonyme. Sur la base de ces résultats, l’entreprise s’efforce de recruter davantage de femmes à des postes de gestion.

Les organismes sont susceptibles de recueillir ponctuellement des données pour évaluer les résultats des programmes spéciaux et décider ainsi s’il convient d’élargir le programme, de revoir l’admissibilité des personnes qui n’en ont plus besoin ou d’abandonner le programme une fois que les objectifs en matière d’équité ont été atteints.

Exemple : Un organisme crée un programme spécial d’une durée de quatre ans en vue d’offrir un logement à des sans-abri ayant une déficience mentale ou des problèmes de toxicomanie. Des données sont recueillies pendant la durée et à la fin du programme pour déterminer si la qualité de vie, les perspectives d’emploi et de bénévolat, ainsi que l’état de santé physique et mentale des pensionnaires, se sont améliorés. Sur la base de ces résultats, l’organisme modifie ses objectifs en poursuivant le programme et en offrant des soutiens supplémentaires aux clients masculins âgés.

Les organismes peuvent également rassembler des données pour déterminer si leurs méthodes d’emploi et de prestation de service sont équitables, ou pour régler un problème connu en interne ou au sein du secteur. Une collecte de données effectuée
à ces fins aide les organismes à cerner et à éliminer de possibles violations du Code.

Exemple : Un conseil scolaire est informé des recherches, menées dans d’autres territoires de compétence, qui mettent en évidence l’effet négatif des politiques disciplinaires visant à assurer la sécurité dans les écoles sur les élèves racialisés et les élèves handicapés. Les parents de certains élèves appartenant à ces groupes ont fait part de leurs préoccupations au conseil scolaire, jugeant que les mesures disciplinaires prises contre leurs enfants sont inappropriées. Le conseil scolaire veut savoir s’il s’agit d’un problème systémique. Il élabore un programme de collecte de données pour connaître la race et le handicap des élèves sanctionnés, ainsi que la nature de l’infraction et le type de mesures disciplinaires prises, et déterminer ainsi si des traitements discriminatoires existent.

Le Code ne prévoit pas les modalités de collecte des données. Toutefois, il existe quelques méthodes exemplaires permettant d’identifier les groupes constitutifs d’un organisme ou desservis par ce dernier :

  • questionnaires d’auto-identification
  • recours à un(e) employé(e) dûment formé(e) ou à un/une spécialiste en externe pour consigner des données par le biais de l’observation
  • recours à une conseillère/un conseiller ou à un/une spécialiste en externe pour rassembler des données.

En général, les questionnaires d’auto-identification anonymes ou à participation volontaire sont une bonne façon de recueillir des renseignements, mais les organismes doivent opter pour la méthode qui leur convient le mieux.

Dans le cadre d’une collecte de données, il est impératif de tenir compte de la protection de la vie privée et de la dignité. Les organismes assujettis aux lois sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée doivent veiller à ce que la méthode choisie soit conforme aux exigences législatives en vigueur en la matière[9]. La collecte de données doit être menée dans le respect de la dignité et de la vie privée et les organismes doivent élaborer des politiques internes à ce sujet. Il peut s’avérer nécessaire de garantir l’anonymat pour tenir compte des préoccupations
liées à la protection de la vie privée et à la confidentialité. Les fournisseurs de services, les employeurs, les locateurs et d’autres organes responsables doivent consulter les collectivités concernées à propos de l’utilité de la collecte de données
et de la méthodologie à adopter.

Il convient d’indiquer systématiquement aux participants les raisons motivant la collecte de données, la façon dont ces dernières seront utilisées, les avantages découlant de leur participation à la collecte, et les mesures qui seront prises pour protéger leur vie privée et la confidentialité de leurs renseignements personnels. Les données recueillies dans le cadre de programmes spéciaux doivent uniquement servir aux fins de ces programmes.

Pour en savoir plus, veuillez consulter le document intitulé Comptez-moi! Collecte de données relatives aux droits de la personne, disponible sur le site Web de la CODP.

Critères d’admissibilité

La raison d’être d’un programme spécial orientera l’admissibilité à ce dernier. Comme mentionné précédemment, les critères d’un programme spécial ne doivent se rapporter qu’à l’objet de ce dernier et ne peuvent pas exercer une discrimination fondée sur d’autres motifs du Code.

L’application de critères trop étroits limite fortement l’éventail des personnes susceptibles de profiter du programme, ce qui peut mettre en échec la raison d’être du programme
en excluant des personnes auxquelles il était censé venir en aide. De la même façon, l’application de critères trop larges peut donner lieu à la prestation d’avantages au profit de personnes qui n’en ont pas besoin.

Exemple : Sur la base d’études démontrant que les personnes d’origine sud-asiatique à faible revenu rencontrent des difficultés pour accéder au système juridique, le gouvernement finance une clinique d’aide juridique pour conseiller gratuitement ce groupe et lui offrir une représentation juridique.

Critères trop larges : En décidant qui peut utiliser ses services, la clinique d’aide juridique se donne la possibilité d’aider toutes les personnes d’origine sud-asiatique. Le programme aurait toutefois une portée trop large, car des personnes ayant un revenu moyen ou élevé pourraient en bénéficier. La raison d’être du programme, qui consiste à aider les personnes d’origine sud-asiatique à faible revenu, serait alors partiellement mise en échec.

Critères trop étroits ou sans lien avec l’objet du programme : La clinique d’aide juridique pourrait seulement fournir des services aux personnes dont le revenu est inférieur à un certain montant, qui sont issues de la communauté sud-asiatique et qui pratiquent une certaine religion. Ces critères seraient alors trop étroits, car le programme vise à aider toutes les personnes d’origine sud-asiatique à faible revenu et, en restreignant l’accès aux personnes appartenant à une religion particulière, il exclurait de fait les autres personnes d’origine sud-asiatique à faible revenu. En outre, le programme pourrait faire l’objet d’une contestation en vertu du Code pour discrimination fondée sur la croyance.

Les personnes participant à un programme spécial sont protégées contre la discrimination, comme elles le sont lorsqu’elles reçoivent un service qui ne fait pas partie d’un programme spécial. Les règles ou les restrictions s’appliquant aux personnes participant au programme spécial ne doivent pas désavantager des personnes au regard des motifs du Code.

Les ressources des programmes spéciaux sont souvent limitées. Il pourrait donc s’avérer tentant de restreindre l’admissibilité en vue de les préserver au mieux. Toutefois, les contraintes financières n’éliminent pas à elles seules l’obligation de justifier le lien entre l’admissibilité et la raison d’être du programme. Les ressources doivent être octroyées de façon à favoriser l’objet du programme, tout en respectant l’esprit du Code.

Avant tout, les critères d’admissibilité doivent découler naturellement de la raison d’être du programme et se fonder sur les données probantes à l’appui. Les critères qui ne se rapportent pas clairement à l’objet du programme contreviendront probablement à la partie I du Code[10].

De plus, même si le programme spécial vise à aider des personnes appartenant à des groupes protégés par le Code, il est important de faire remarquer que la participation à un programme spécial n’est pas obligatoire.

Enfin, il convient de faire connaître l’existence d’un programme spécial, d’expliquer les restrictions ou les limites d’admissibilité et d’indiquer s’il s’agit d’un programme dans le domaine des services, de l’emploi ou du logement.

Exemple : Les annonces d’un programme d’emploi du gouvernement destiné aux jeunes âgés de moins de 25 ans expliquent clairement aux candidats éventuels et au public que l’emploi s’inscrit dans un programme spécial visant à aider les jeunes défavorisés.

Évaluation d’un programme spécial

Il est important de surveiller un programme spécial, car cela peut aider à :

  • évaluer son efficacité
  • circonscrire les possibilités d’amélioration et d’expansion
  • promouvoir la responsabilité au sein de l’organisme
  • légitimer les demandes de financement
  • communiquer les résultats du programme à l’organisme et à ses clients
  • obtenir l’appui de décideurs et d’intervenants clés.

L’évaluation du fonctionnement d’un programme peut exiger la collecte de données, comme expliqué précédemment.

Exemple : Un organisme de santé mentale communautaire et une banque instaurent un programme spécial à l’intention des personnes ayant de graves problèmes de santé mentale qui bénéficient de l’aide sociale. Ce programme les aide à ouvrir un compte bancaire sans frais. La raison d’être du programme indique que certaines personnes ayant des problèmes de santé mentale se heurtent entre autres à des obstacles financiers pour ouvrir et utiliser un compte bancaire, ce qui crée un préjudice financier et contribue à leur isolement social.

Le programme spécial vise à aider les personnes ayant des problèmes de santé mentale en améliorant l’accès aux services bancaires. Les organismes établissent des critères pour atteindre cet objectif et se fixent un nombre minimum de participants à atteindre. Ils prévoient également de demander aux participants s’ils ont l’impression d’être davantage à l’abri financièrement et de mieux maîtriser leur situation financière.

Les organismes utilisent des données qualitatives et quantitatives pour évaluer le programme. Ils constatent que les participants ont augmenté leur revenu, sont en mesure d’acheter plus de provisions, gèrent mieux le paiement de leurs factures et ont l’impression d’appartenir à la collectivité. D’après ces renseignements, les organismes décident que le programme a atteint son objectif et envisagent de l’étendre à d’autres régions.


[8] Voir Carter c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (2011) HRTO 1604 (CanLII). Dans cette affaire, la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario a fourni des statistiques sur lesquelles le Tribunal s’est appuyé pour trancher, considérant ainsi valable l’argument selon lequel les femmes sont sous-représentées aux postes de direction au sein de la fédération et jugeant que la création de programmes et de postes de cadre réservés aux femmes vise à éliminer une discrimination systémique fondée sur le sexe à l’encontre des enseignantes, dans l’optique de promouvoir l’égalité des chances.

[9] La législation relative à la protection de la vie privée applicable comprend la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée et la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée de l’Ontario, ainsi que la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques du gouvernement fédéral. Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez consulter le site Web du Bureau du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée. (www.ipc.on.ca/french/home-page/default.aspx)

[10] Voir XY c. Ontario (Services gouvernementaux et Services aux consommateurs) (2012) HRTO 726, par. 264-268 (CanLII).