IV. Définition de la croyance

Cette section présente les arguments en faveur et à l’encontre de l’élargissement de la portée actuelle de la définition de la croyance dans la politique mise à jour de la CODP. On y examine aussi des conditions possibles à remplir pour obtenir la désignation de croyance à des fins de protection des droits de la personne, et les limites éventuelles de cette désignation. Enfin, on y aborde les conséquences possibles de l’élargissement de la définition de la croyance pour les organisations responsables de l’application du Code. Bon nombre des arguments mis de l’avant dans les différentes sections du présent document pourraient être immédiatement opposés à des arguments contraires, mais nous avons préféré présenter les contre-arguments dans des sections différentes, dans la mesure du possible, pour donner à chaque perspective un éclairage positif et permettre au lecteur de juger chacun des arguments selon ses propres mérites.

Questions clés

  • La CODP devrait-elle définir la croyance dans sa politique mise à jour? Dans l’affirmative, comment?
  • Que nous disent la jurisprudence et les principes d’interprétation législative à propos de la façon de concevoir le terme « croyance »?
  • Quelles distinctions, le cas échéant, peut-on établir entre la « croyance » et les autres « convictions » (p. ex. opinions, préférences) et pratiques connexes?
  • Quelles sont certaines des conséquences de l’élargissement de la définition de « croyance » pour ceux et celles qui ont des responsabilités aux termes du Code?

1. Contexte

1.1 Définition actuelle de la croyance dans la politique de la CODP

La croyance est l’un des motifs de discrimination interdits aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario. Le Code n’offre pas de définition de la croyance, mais la Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses de la CODP de 1996 la définit de la façon suivante :

On entend par croyance une « croyance religieuse » ou une « religion », ce qui est défini par un système reconnu et une confession de foi, comprenant à la fois des convictions et des observances ou un culte. La foi en Dieu ou en des dieux, ou en un être suprême ou une divinité, n’est pas une condition essentielle de la définition de croyance[220].

La Politique sur la croyance de 1996 utilise le terme « religion » dans son sens large, en y incluant par exemple des cultes non théistes, comme les croyances et pratiques spirituelles des cultures autochtones, ainsi que les nouvelles religions de bonne foi (évaluées au cas par cas)[221]. Néanmoins, elle y exclut clairement les croyances non religieuses en affirmant explicitement que « [l]e terme croyance ne comprend pas les convictions profanes, morales ou éthiques, ni les convictions politiques »[222]. La politique de 1996 stipule également qu’elle ne s’étend pas aux « religions qui incitent à la haine ou à la violence contre d’autres groupes ou personnes » ou aux « pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux, mais qui contreviennent aux normes internationales en matière de droits de la personne ou même au code criminel »[223].

Depuis l’adoption de la politique de 1996, les tribunaux et le TDPO sont de plus en plus souvent amenés à s’interroger sur la portée légitime à donner aux protections en matière de droits de la personne conférées aux termes du Code au motif de la croyance (voir la discussion ci-après). Plusieurs causes récentes ont fait intervenir des systèmes de croyances non religieuses, y compris le véganisme éthique[224], l’athéisme[225] et des convictions politiques[226]. Ce genre de causes, jumelées à d’autres développements du domaine juridique et tendances sociales plus vastes (comme la hausse des formes de croyances et d’affiliation non religieuses), contribuent à faire de la définition de la croyance un élément essentiel de la mise à jour de la politique actuelle.

1.2. Développements du domaine juridique

La plupart des décisions prises en application du Code et rendues par le TDPO et les tribunaux judiciaires donnent à la croyance le sens de religion, conformément à la position stratégique de 1996 de la CODP[227]. Le Black’s Law Dictionary fait de même quand il définit le mot anglais « creed » comme étant « une confession d’articles de la foi, une déclaration formelle de croyances religieuses, toute formulation ou confession de foi religieuse et un système de croyances religieuses »[228]. De façon semblable, l’ouvrage de Tarnopolsky et Pentney intitulé Discrimination and the Law indique que les termes croyance (ou « creed ») et religion « sont essentiellement synonymes »[229].

Il existe cependant quelques exceptions notables à cette tendance. Dans R.C. v. District School Board of Niagara[230]le TDPO a conclu que la protection contre la discrimination fondée sur la croyance s’étendait à l’athéisme. Le TDPO affirmait que l’interdiction de la discrimination fondée sur la croyance incluait « le fait de veiller à ce que nulle personne ne fasse l’objet de discrimination en emploi, en matière de services et dans les autres domaines sociaux visés par le Code en raison de son rejet des convictions ou pratiques d’une ou plusieurs religions, voire de toutes les religions, ou de sa croyance en l’existence d’aucune divinité »[231].

Une variété d’autres causes ont laissé la porte ouverte à la possibilité que les convictions non religieuses puissent constituer une croyance au sens où l’entend le Code (voir la discussion ci-après). Dans l’ensemble, les tribunaux semblent réticents à fournir une définition finale, définitive ou fermée du terme « croyance » qui ferait autorité, y préférant plutôt une évaluation au cas par cas plus organique et analogique de la situation (« si cela ressemble à un canard, marche comme un canard et fait coin-coin, cela doit être un canard »)[232]. Cette approche a donné des résultats variés. Les tribunaux judiciaires et administratifs ont étendu la portée des notions de « croyance » au sens du Code et de « religion » au sens de la Charte à une grande variété de croyances spirituelles et religieuses définies de façon subjective, dont :

  • les pratiques spirituelles autochtones[233]
  • la Wicca[234]
  • l’huttérisme[235]
  • le mouvement raëlien[236]
  • le Falun Gong[237]
  • l’Église universelle de Dieu[238]
  • la Rocky Mountain Mystery School[239].

Rien dans la jurisprudence n’interdit l’élargissement de la définition de « croyance » ou l’inclusion de convictions éthiques et morales laïques à cette définition. Par conséquent, la question de savoir ce qui devrait constituer une croyance au sens du Code lorsqu’il s’agit de protéger le droit de vivre à l’abri de la discrimination n’est pas close, surtout en ce qui concerne les croyances laïques, morales ou éthiques. D’ailleurs, cette question est au cœur des discussions entourant la mise à jour de notre Politique sur la croyance. En même temps, les tribunaux ont proposé des lignes directrices sur les limites qu’ils comptent imposer aux croyances dignes de protection aux termes du Code (voir la discussion ci-après).

De plus, l’application des principes d’interprétation législative peut porter à croire que croyance et religion ont un sens distinct (consulter l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance de la CODP et la section 3, ci-après, pour une discussion plus poussée de la question).


[220] Voir la Politique sur la croyance et les mesures d'adaptation relatives aux observances religieuses de la CODP, 1996, p. 4.

[221] ibidem, p. 4. La politique indique aussi que « [p]our qu’il y ait croyance au sens de la loi, il faut et il suffit qu’il y ait à la fois des convictions et des pratiques religieuses, pourvu que ces convictions soient entretenues et que ces pratiques soient observées de façon sincère ».

[222] ibidem, p. 5.

[223] ibidem, p. 5. La politique stipule également ce qui suit, dans une note de fin de texte : « Non seulement de tels groupes ne sont pas protégés par le Code, mais ils pourraient bien être sujets à des poursuites en vertu du Code criminel ». Les activités illicites de ces groupes devraient être immédiatement signalées à la police. Par exemple, la mutilation génitale des femmes est une violation des droits fondamentaux des femmes et n’est pas une activité protégée au motif de la croyance. Voir la Politique sur la mutilation génitale féminine de la CODP.

[224] Voir Ketenci v. Ryerson University, 2012 OHRT 994 (CanLII). 

[225] R.C. v. District School Board of Niagara, supra note 8. 

[226] Al-Dandachi v. SNC-Lavalin Inc., 2012 ONSC 6534 (CanLII).

[227] Voir l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance (2012) et Chiodo (2012a) pour un résumé de certaines de ces décisions.

[228] 6e édition, 1990.

[229] Tarnopolsky et Pentney, 1985, p. 61.

[230] Supra note 8.

[231] ibidem, par. 30. Dans sa décision en faveur du requérant athée, le président associé du TDPO, David Wright, a noté également, au par. 31 :

À mes yeux, la protection contre la discrimination fondée sur la religion doit inclure la protection de la croyance d’un requérant en l’existence d’aucune déité, une conviction personnelle profonde du manque d’existence d’une divinité ou un d’ordre supérieur qui gouverne sa perception de soi, de l’être humain et du monde. Les croyances du requérant ont trait à la religion et font intervenir l’objectif d’assurer le traitement équitable de chaque personne, quelles que soient ses opinions ou pratiques en matière de religion. Il n’est pas nécessaire dans le présent cas de déterminer si la croyance peut parfois englober les convictions profondes portant sur des questions autres que la religion. 

[232] Voir Kislowicz (2012) pour en connaître davantage sur les points forts de cette approche analogique.

[233] Voir Kelly v. British Columbia (Public Safety and Solicitor General), supra, note 11.

[234] Re O.P.S.E.U. and Forer (1985), supra, note 12.

[235] Alberta v. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 S.C.R. 567.

[236] Chabot c. Conseil scolaire catholique Franco-Nord, 2010 TDPO 2460 (CanLII).

[237] Huang, supra note 14.

[238] Central Alberta Dairy Pool v. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 S.C.R. 489.

[239] Dans cette décision arbitrale particulière au sujet d’un grief, l’arbitre du travail n’a pas approfondi pourquoi la participation à la Rocky Mountain Mystery School, un « organisme qui enseigne les pratiques et connaissances anciennes de la lumière et de l’œuvre de la lumière dans le monde » était une croyance. Il s’est plutôt concentré sur la question de savoir si l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation pour accorder à l’employée un congé afin qu’elle participe à un pèlerinage (Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada Local 722-M v. Global Communications, [2010] C.L.A.D. No. 298 [QL]). En concluant que l’employeur aurait dû prendre de telles mesures d’adaptation, l’arbitre a implicitement admis que le motif de la croyance était en jeu.

 

2. Arguments à l’appui d’une définition large de la croyance qui va au-delà de la religion et inclut les croyances laïques,morales ou éthiques

2. 1. Principes d’édification et d’interprétation des mesures législatives

Certains des principaux arguments contre la restriction de la notion de croyance aux seules religions dans la politique de la CODP puisent leurs sources dans les principes d’interprétation législative. Parmi les principes invoqués ci-après figurent :

  • la présomption d’absence de tautologie
  • la présomption de cohérence
  • l’absence d’absurdités de logique
  • le statut égal des versions française et anglaise du Code
  • l’interprétation conforme à la Charte.

2.1.1 Présomption d’absence de tautologie et de cohérence

La « présomption d’absence de tautologie » est un outil clé d’interprétation législative du terme croyance au sens du Code. Cette présomption part du principe que l’Assemblée législative a choisi avec soin tous les mots utilisés dans les lois de façon à ce qu’ils ne soient pas redondants ou superflus, ou qu’on ne puisse les confondre avec des mots semblables[240]. De façon similaire, la « présomption de cohérence » part du principe que l’Assemblée législative utilise le langage de façon soignée et cohérente afin qu’un même mot conserve le même sens tout au long d’une même loi, sans jamais prendre le sens d’un autre mot utilisé dans cette loi[241].

Il y a toutefois des exceptions à ces règles, à la fois dans le cas de la présomption de cohérence que dans celui de la présomption d’absence de tautologie[242].

Les lois d’autres administrations canadiennes traitant de sujets semblables peuvent aussi servir d’outils d’interprétation législative[243]. Par exemple, dans B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), la Cour suprême a indiqué ce qui suit, en ce qui a trait à l’interprétation du motif de l’état matrimonial en Ontario : « nous [admettons] que le texte d’une loi d’un autre ressort puisse servir à l’interprétation d’une disposition litigieuse […] »[244]. Le tribunal examinait l’impact de la définition de l’état matrimonial dans la loi relative aux droits de la personne de la Saskatchewan, qui excluait expressément l’identité particulière du conjoint ou de la conjointe du motif de l’état matrimonial (contrairement au Code de l’Ontario). Selon le tribunal, « l’exclusion expresse de la notion d’identité particulière dans le code de la Saskatchewan et sa non exclusion dans le Code de l’Ontario incitent davantage à conclure que le législateur ontarien a en fait voulu que la définition d’état soit extensive »[245]. Autrement dit, le fait que le code de la Saskatchewan définissait l’état matrimonial différemment que le Code de l’Ontario pouvait donner à penser que les législateurs de l’Ontario avaient une intention différente de celle des législateurs de la Saskatchewan.

Le Code de l’Ontario interdit la discrimination fondée sur la croyance, mais n’inclut pas la religion au nombre des motifs de discrimination interdits. Le mot « religion » ne figure pas dans le Code. Les articles qui traitent des défenses légales dont peuvent se prévaloir les groupements sélectifs (art. 18) et des emplois particuliers (art. 24) utilisent l’adjectif « religieux ». Outre la croyance, les termes « religion », « croyance religieuse » et « conviction politique » figurent dans d’autres lois canadiennes sur les droits de la personne (voir la Figure 3 ci-après qui dresse la liste des termes associés à la croyance utilisés dans les lois et (ou) décisions jurisprudentielles relatives aux droits de la personne de l’ensemble du pays).

Figure 3 : Motifs de discrimination interdits associés à la croyance prévus dans les lois et décisions jurisprudentielles relatives aux droits de la personne

Loi

Motifs de discrimination interdits

Loi canadienne sur les droits de la personne (1977)

religion

Human Rights Code de la Colombie-Britannique (1969)

religion et conviction politique

Human Rights Act de l’Alberta (1966)

religion et conviction politique

Human Rights Code de la Saskatchewan (1979)

croyance religieuse et conviction politique

Code des droits de la personne du Manitoba (1970) (version française codifiée non officielle)

religion ou croyance, ou croyances religieuses, association ou activité religieuse

Code des droits de la personne de l’Ontario (1962)

croyance

La Charte des droits et libertés de la personne du Québec (1975)

religion, conviction politique

nota : le chap. 1.3 de la Charte reconnaît aussi la liberté de conscience, la liberté de religion [246] et la liberté d’opinion, entre autres

Loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse (1963) (version française codifiée non officielle)

Religion et croyance, affiliation et activité politique

Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick (1967)

religion et conviction et activité politiques

Human Rights Act de Terre-Neuve (1969)

croyance religieuse, religion et opinion politique

Human Rights Act de l’Île-du-Prince-Édouard (1968)

religion, croyance et conviction politique

Loi sur les droits de la personne du Yukon (1987)

religion ou croyance, ou croyances religieuses, association ou activité religieuse et conviction politique

Loi sur les droits de la personne du Nunavut (2003)

croyance, religion

Remarque : Les dates renvoient à l’année d’adoption originale de la loi et non aux termes utilisés à l’époque.

Les recherches menées en vue d’interpréter la variété des termes en usage d’un bout à l’autre du pays ont révélé que les lois, politiques et décisions jurisprudentielles offrent peu de définitions, comme c’est le cas en Ontario. La définition du terme « religion » (tirée de l’affaire Syndicat Northcrest c. Amselem[247]) et la définition de « conviction politique » qui a été établie par l’Île-du-Prince-Édouard et renvoie aux seules croyances des partis conformément à la loi électorale de la province sont les deux exceptions. Dans Wali v. Jace Holdings Ltd.[248], le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a tenté de définir le terme « conviction politique ». Il a laissé entendre que la loi ne s’appliquerait pas à toutes les convictions politiques, mais plutôt à celles qui concernent un système de « coopération sociale », et a conclu que le requérant avait fait l’objet de discrimination fondée sur ses convictions politiques parce qu’il avait été licencié en partie à cause de sa position politique à l’égard de la réglementation des techniciens en pharmacie par l’ordre des pharmaciens[249].

En appliquant les outils d’interprétation législative présentés précédemment, il est possible de soutenir que les termes religion et croyance désignent des notions différentes dans la législation ontarienne et canadienne relative aux droits de la personne, pour les raisons suivantes :

  1. le Code de l’Ontario utilise le terme croyance plutôt que religion
  2. au moment de l’élaboration du Code de l’Ontario, les termes croyance et religion étaient tous les deux connus de l’Assemblée législative de la province, qui a opté pour le terme croyance
  3. d’autres lois relatives aux droits de la personne utilisent les termes « religion », « croyance religieuse » et parfois à la fois « religion » et « croyance ».

2.1.2 Absence d’absurdités de logique

Le principe de la prévention des absurdités de logique et des conséquences absurdes peut, selon certains, constituer un autre outil d’interprétation pertinent au moment de tenter de résoudre des cas d’ambiguïté législative[250]. Bien que certains penseurs aient noté le potentiel d’absurdité, il n’est pas du tout clair que ce principe d’interprétation puisse aider à interpréter le sens du terme croyance.

Selon Labchuck (2012) et Szytbel (2012), la restriction de la protection des croyances aux seules convictions religieuses pourrait avoir comme conséquence absurde d’assurer des mesures de protection différentes aux adeptes du véganisme éthique selon que leurs croyances, bien que quasi identiques, puisent ou non leurs sources dans la religion[251]. Labchuck donne en exemple quatre différents types d’adeptes du véganisme éthique :

  1. adepte du jaïnisme qui est végétalien pour des motifs religieux
  2. chrétien pratiquant pour qui le véganisme constitue un devoir religieux
  3. chrétien végétalien, qui pratique le véganisme pour des motifs moraux laïques en lien avec le bien-être animal
  4. athée qui pratique le véganisme éthique pour des motifs strictement moraux et laïques.

De soutenir Labchuck, le fait d’exclure les croyances laïques de l’interprétation donnée au terme croyance créerait une absurdité de logique en offrant uniquement des protections relatives aux droits de la personne aux deux premières catégories d’adeptes du véganisme au détriment des autres, bien que ces dernières puissent avoir un engagement équivalent envers les mêmes convictions en matière de véganisme éthique (ou même faire partie de la même organisation).

Des analystes du milieu juridique ont mis en lumière d’autres absurdités de logique, incohérences et exclusions pouvant inévitablement découler de toute tentative de définition et de délimitation universelles de ce qui constitue une religion au sens de la loi[252]. D’autres ont fait remarquer que la définition de croyance de la Politique sur la croyance de 1996 de la CODP, qui exclut « les convictions profanes, morales ou éthiques », contenait aussi des contradictions d’ordre logique. Cette définition semble indiquer que les convictions laïques et les convictions morales ou éthiques ne bénéficient pas de protection. Selon eux, le fait d’isoler les convictions religieuses (qui bénéficient de protection) des « convictions morales ou éthiques » ou même des « convictions politiques » (qui ne bénéficient pas de protection selon le libellé de la politique) n’est pas logique puisque les convictions morales et éthiques ont souvent leurs origines dans la religion, entre autres sources (y compris des sources laïques)[253].

2.1.3 Statut égal des versions française et anglaise du Code

Un autre principe d’interprétation législative veut que l’on donne aux versions française et anglaise du Code les mêmes statut et égard au moment d’interpréter le Code. La première étape de l’interprétation de toute loi bilingue consiste à vérifier les équivalences de sens des versions française et anglaise de la loi, par exemple « croyance » et « creed » dans le présent cas. En second lieu, il est essentiel de déterminer si un sens commun est conforme aux intentions du Parlement.[254]. Si l’une des deux versions donne plus de poids à l’objet du Code, cette version doit être retenue même si les deux versions du Code ont en commun un sens plus restreint[255].

La version française du Code des droits de la personne de l’Ontario emploie le terme « croyance », que l’on traduit souvent par « belief » en anglais plutôt que par le terme « religion », plus restrictif. Cela donne à penser qu’on pourrait donner au mot « creed » une interprétation allant au-delà de la simple notion de « religion », comme le reconnaît le TDPO dans l’affaire R.C. v. District School Board of Niagara[256].

2.1.4 Interprétation du Code conforme à la Charte

Les partisans d’une interprétation large du terme « croyance » allant au-delà de la notion de religion soutiennent qu’on devrait donner au Code une interprétation conforme au paragraphe 2(a) de la Charte, qui garantie à la fois la liberté de religion et la liberté de conscience. L’examen de la jurisprudence relative à la liberté de conscience mené par la CODP révèle que les tribunaux accordent généralement au terme conscience un sens qui englobe les convictions non religieuses dictées par la conscience, qu’elles puisent leur source dans une « morale laïque »[257], des positions « d’athées, d’agnostiques, de sceptiques ou d’indifférents »[258], ou des « croyances intimes profondes qui régissent la perception qu’on a de soi, de l’humanité, de la nature et, dans certains cas, d’un être supérieur ou différent »[259], et ce, malgré le fait que la Cour suprême n’ait jamais rendu de décision majoritaire qui donnait à la « liberté de conscience » une interprétation différente de la « liberté de religion ».

Par exemple, dans Roach c. Canada (Ministre d’État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté) [260], l’appelant Charles Roach a contesté en vain l’exigence qui lui était imposée, en tant que nouveau citoyen, de jurer ou d’affirmer solennellement son allégeance au monarque, au motif que cela contrevenait à sa liberté de conscience au sens du paragraphe  2(a) de la Charte. Dans sa décision, le juge Linden a établi la distinction suivante entre la liberté de conscience et la liberté de religion :

Il semble [...] que la liberté de conscience ait une portée plus large que la liberté de religion. Cette dernière se rattache davantage à des opinions religieuses transmises par des institutions religieuses établies alors que la première vise à protéger les opinions, fondées sur une conception morale très profondément ancrée du bien et du mal, qui ne reposent pas nécessairement sur des principes religieux organisés. Ce sont de graves questions de conscience. Par conséquent, l’appelant peut contester le serment ou l’affirmation solennelle en se fondant sur la liberté de conscience garantie par l’alinéa 2a) de la Charte, sans faire appel à des moyens découlant de ses croyances religieuses [...]Toutefois, comme l’a exprimé Mme la juge Wilson, les termes « conscience » et « religion » ont des sens apparentés du fait qu’ils décrivent tous les deux le domaine des croyances éthiques et morales profondes, par opposition aux autres croyances et notamment à celles à caractère politique qui sont protégées par le par. 2b) [liberté d’expression]. (italiques ajoutés; voir aussi la décision concordante du juge Wilson dans R. c. Morgentaler[261]).

Compte tenu des recoupements entre les objectifs de la Charte et du Code et le statut pleinement (et non quasi) constitutionnel de la Charte, certains s’appuient sur des décisions du TDPO et d’autres tribunaux[262] pour soutenir que l’interprétation du Code devrait être fidèle aux interprétations, valeurs et modalités de la Charte, surtout en cas d’ambiguïté législative. Dans la décision rendue par le TDPO le 9 octobre 2012 dans l’affaire McKenzie v. Isla, le vice-président du tribunal affirme ce qui suit :

Le Tribunal a souligné que toute ambiguïté de la portée des droits protégés par le Code devrait être résolue d’une manière qui protège les éléments fondamentaux des droits et libertés prévus dans la Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), chap. 11 (Charte)[263].

Selon Labchuck et Chiodo, l’inclusion des convictions laïques, morales ou éthiques à la « croyance » au sens du Code va dans le sens de donner plein effet aux éléments fondamentaux du droit à la liberté de religion et de conscience prévu au paragraphe  2(a) de la Charte[264].

En même temps, le degré de correspondance qui existe ou devrait exister entre les visées et objectifs de la jurisprudence relative à l’« égalité » aux termes du Code et les visées et objectifs de la jurisprudence relative à la liberté aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte demeure matière à discussion. Certains penseurs mettent en garde contre l’« impérialisme de la Charte »[265] et le chevauchement de ces analyses et objectifs distincts dans de récentes décisions judiciaires. Dans Freitag v.Penetanguishene (Town) 2013 TDPO 893 (CanLII), la décision du Tribunal établie une distinction claire entre les mesures de protection garanties par la Charte et le Code en matière de religion et de croyance[266].

Il n’est pas déraisonnable de penser qu’on devrait plutôt comparer et harmoniser les dispositions du Code en matière de discrimination fondée sur la croyance avec le paragraphe 15(1) de la Charte (« tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur […] la religion […] »), auquel ces dispositions s’apparentent davantage[267]. Aucune mention n’étant faite à l’article 15 de la Charte des questions de conscience et de conviction sans fondement religieux certains diront que les interprétations du Code devraient aller dans le même sens[268]. La CODP n’a pas connaissance de cas de reconnaissance de la conscience à titre de motif analogue.

Selon la Politique sur la croyance de la CODP de 1996 « [l]a liberté religieuse est le principe de base qui sous-tend le droit à un traitement égal en vertu du Code en matière de croyance » (p. 5). D’indiquer une note de fin d’ouvrage, la CODP en arrive à cette interprétation à la lecture du Préambule du Code[269]. Beaucoup semble dépendre de la façon dont on interprète l’objet du Code, et plus particulièrement de la façon dont on compose avec le recoupement des objectifs de protection de la dignité individuelle et des visées sociales plus générales comme la création d’un « climat de respect mutuel » et la promotion de l’« égalité des droits et des chances sans discrimination »[270]. Si le libellé du Préambule est nettement au cœur de cette question, les tribunaux ont clairement affirmé l’importance de tenir également compte de la manière dont les tribunaux supérieurs des différentes compétences ont interprété les lois relatives aux droits de la personne dans leurs décisions.[271]

2.1.5 Interprétation libérale et téléologique du Code

Certains analystes et penseurs du milieu juridique soutiennent que l’inclusion des convictions laïques, morales et éthiques aux croyances protégées par le Code répond principalement à une interprétation libérale et téléologique du Code, comme l’exige son statut « quasi constitutionnel »[272]. Ils s’appuient sur des décisions judiciaires indiquant que :

  1. les lois relatives aux droits de la personne devraient être interprétées de façon libérale et téléologique conformément à leur statut quasi constitutionnel[273]
  2. les ambiguïtés perçues (comme la portée de la définition du terme croyance) devraient être interprétées de façon à promouvoir les objectifs de la loi, soit prévenir la discrimination[274].

Conscients de la fonction et du mandat progressifs de la CODP[275], certains analystes soutiennent que « la protection au même titre des croyances similaires, sans égard à leur fondement religieux ou laïque », cadre tout à fait avec l’esprit et le mandat du Code et de la CODP[276].

Ce point de vue trouve des appuis dans une décision de 2013 du TDPO, qui portait sur l’inclusion de l’athéisme au nombre des croyances protégées par le Code des droits de la personne. Dans cette affaire, l’arbitre et président associé du Tribunal, David Wright, a tranché de façon décisive en faveur du requérant, affirmant qu’« une interprétation libérale et téléologique de l’interdiction de la discrimination fondée sur la croyance s’étend à l’athéisme et, par conséquent, qu’il est interdit, au sens du Code, d’exposer une personne à de la discrimination parce qu’elle est athée »[277].

2.2 Tendances sociales : Laïcisation et nature changeante des convictions

« Je pense qu’il existe un argument de taille en faveur d’étendre la croyance au-delà de la religion lorsque des convictions similaires ont une importance similaire pour une personne non croyante. »
– Participant à l’atelier juridique de mars 2012

 « [L]a distinction établie [entre les croyances religieuses, qui sont pleinement protégées aux termes du Code, et les systèmes de convictions laïques, morales ou éthiques, qui ne le sont pas] semble arbitraire aux yeux de bien des observateurs, et laisse entendre que les croyances familières ou privilégiées constituent de “vraies” convictions, tandis que les croyances nouvelles ou différentes ne constituent pas des convictions ou constituent des pseudo-convictions[278]. »

Les transformations qu’ont subies la société et ses convictions à l’ère contemporaine offrent un autre argument central à l’appui de l’inclusion des convictions laïques, morales et éthiques à la définition de la croyance. Le sens que les gens donnent à leur vie et au monde[279] a considérablement changé durant l’époque moderne, et plus particulièrement depuis les années 1960. De soutenir certains observateurs, la religion n’est plus l’unique ou principale autorité en matière de morale et d’identité en cette ère contemporaine, mais plutôt une parmi tant d’autres. Selon ces observateurs, il est particulièrement important de reconnaître au même titre les motivations religieuses et non religieuses à l’origine des convictions et de l’action morale dans l’environnement social actuel, caractérisé par la diversification et la personnalisation des systèmes de croyances, la décentralisation de la religion et le déclin de son importance, et la croissance du nombre de personnes professant des convictions non religieuses profondes (comme l’explique précédemment la section III, Historique et contexte).

L’idée que seules les religions ont des bases sociales et communales profondes, ou reposent sur des relations sociales inéquitables (et, par conséquent, qu’elles
sont les seules à mériter des protections et remèdes particuliers aux termes du Code) a également été contestée. Soulignant les similitudes entre les convictions laïques et religieuses profondes, et les questions de conscience, un participant à l’atelier juridique affirmait :

Si l’on pense aux éléments qui se chevauchent sans être identiques, on en arrive aux convictions profondes qu’on ne peut changer, ou qu’on peut uniquement changer à grand coût personnel. Nous ne sommes pas ici pour protéger les frivolités. Nous sommes ici pour protéger les personnes marginalisées, et les athées et pacifistes ont toujours été marginalisés au sein de la société.

D’autres, y compris certains penseurs du milieu des sciences des religions, soutiennent que les distinctions entre les convictions/pratiques religieuses et laïques s’estompent rapidement, comme l’illustre l’individualisme grandissant, la fluidité croissante des convictions, de l’identité et de l’appartenance religieuses et non religieuses, et le déclin de l’importance et du sens accordés aux formes de communautés stables de longue date. « Les convictions laïques peuvent jouer dans la vie de certaines personnes un rôle fondamental presque identique à celui que joue la religion dans la vie d’autres personnes », affirme également Labchuck en soulignant qu’il est difficile de tirer « un trait définitif entre les convictions religieuses et autres ». Selon elle :

Les deux types de convictions renvoient à des engagements directionnels qui contribuent à donner un sens et une orientation à la vie. Les convictions laïques pourraient bien constituer les équivalents éthiques et moraux des convictions religieuses. Elles pourraient jouer un rôle équivalent ou encore plus grand dans la vie des personnes qui y adhèrent que ne le joue la religion dans la vie des personnes qui vont à l’église, mais parfois ne respecte que du bout des lèvres les idéaux prêchés à leur lieu de culte.[280]

D’après Chiodo, « [l]e fait de reconnaître que les points de vue sans fondement religieux peuvent aussi constituer des prétentions exhaustives à la vérité », et fonctionner de façon similaire à la religion, pourrait aider à « changer notre façon d’envisager de nombreuses visions du monde [laïques] considérées à tort comme étant neutres »[281].

Si certains sont d’avis qu’il est tout simplement sage et raisonnable d’étendre les protections prévues par le Code aux convictions non religieuses compte tenu des tendances sociales actuelles, d’autres présentent des arguments en ce sens encore plus forts, reposant sur des considérations juridiques. Selon eux, le principe de l’interprétation libérale et téléologique du Code, conformément à son statut quasi constitutionnel, repose sur une interprétation organique et progressive des droits de la personne par les tribunaux, en accord avec l’évolution des tendances sociales, valeurs et conceptions de la société[282].

2.2.1 L’adoption d’une définition extensive de la croyance permet d’adapter les mesures législatives anti-discrimination à l’évolution des tendances au sein de la société

« Il est odieux d’entamer des procédures judiciaires en établissant une distinction entre des convictions légitimes et illégitimes. »
– Participant au dialogue stratégique de la CODP de janvier 2012

La CODP a entendu beaucoup d’arguments en faveur d’une définition extensive de la croyance qui ne se limiterait plus aux croyances religieuses, sans pour autant affirmer explicitement quels autres types de convictions (sans fondement religieux) pourraient bénéficier de mesures de protection relatives aux droits de la personne. De l’avis de certains, l’adoption d’une définition extensive de la croyance, soumise aux critères minimaux déjà établis par les tribunaux, permettra aux mesures de protection des droits de s’adapter et d’évoluer au rythme des développements sociaux émergents, des tendances en matière d’iniquité et de discrimination, et de la nature changeante et dynamique de la croyance et de sa pratique à l’ère moderne. D’autres soutiennent que l’absence d’une définition figée de la croyance fera en sorte que les adeptes de diverses croyances et fois minoritaires, comme la spiritualité autochtone, n’auront pas forcément à faire correspondre leurs convictions et pratiques à un quelconque modèle catégorique occidental prédéfini (p. ex. une religion) qui leur est, dans certains cas, étranger[283].

Dans son mémoire de janvier 2012 présenté dans le cadre du dialogue stratégique de la CODP, Tenter de verser un océan dans un gobelet en carton : Un argument pour la « dé-définition » de la religionHoward Kislowicz soutien que « parce que les expériences religieuses vécues des individus et des communautés sont tellement diverses », et en constante évolution, « une réponse plus appropriée peut être de refuser d’adopter une approche globale, une définition a priori de toute religion » dans le but d’éviter de réprimer la liberté de religion au nom, ironiquement, de la religion[284].

Le même argument pourrait s’appliquer à la croyance. En fin de compte, Kislowicz plaide en faveur de l’approche de la common law visant à traiter les cas à mesure qu’ils se présentent[285], selon un raisonnement analogique contextuel (« si cela ressemble à un canard, marche comme un canard et fait coin-coin, cela doit être un canard »)  plutôt qu’une définition abstraite de la notion de croyance. Selon l’auteur, le raisonnement analogique constitue déjà un principe fondamental du droit et, à ce titre, ne devrait pas susciter de crainte.

2.3. Cohérence par rapport aux lois et à la jurisprudence canadiennes et internationales

2.3.1 Droits de la personne sur la scène internationale

Pour appuyer leur position, les partisans d’une définition élargie de la croyance, qui inclurait les convictions laïques, éthiques et morales, citent la jurisprudence canadienne et internationale en matière de droits de la personne. Bien qu’ils n’aient pas force de loi chez nous à moins d’avoir été inclus à la législation du pays, les lois et instruments internationaux en matière de droit de la personne établissent les normes applicables aux lois et politiques internes en matière de droits de la personne. Les tribunaux canadiens peuvent citer explicitement ces lois et instruments internationaux au moment de rendre des décisions judiciaires, ce qu’ils ont d’ailleurs fait par le passé, particulièrement en cas d’ambiguïté quant à l’interprétation des lois canadiennes en matière de droits de la personne[286].

L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme indique ce qui suit :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

Ce regroupement des droits afférents à la liberté de pensée, de conscience, de religion et de conviction dans le contexte du droit international, y compris dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP) de1966[287] et la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction de 1981[288], dont le Canada est signataire, peut être interprété comme un appel à l‘inclusion de l’ensemble de ces droits dans la législation nationale (comme l’exige l’article 7 de la Déclaration)[289] et dans les lois sur les droits de la personne des provinces[290]. Le droit international en matière de droits de la personne et les résolutions connexes témoignent également d’une réticence envers l’établissement de distinctions entre les systèmes de croyances dignes ou non de protection et envers le rejet des définitions subjectives de ces systèmes[291].

Dans R.C. v. District School Board of Niagara, le TDPO a explicitement affirmé la pertinence, à ce chapitre, de la jurisprudence et du droit internationaux en matière de droits de la personne[292].

En plus de souligner ces tendances du droit international, les partisans de l’inclusion des convictions non religieuses aux croyances protégées aux termes du Code donnent en exemple les lois d’autorités compétentes étrangères. Par exemple, l’Angleterre inclut la « religion et les convictions » au nombre des motifs de discrimination interdits aux termes de l’Equality Act de 2010 du pays, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, articles 9 et 14) et au droit international (voir la section 4.1 ci-après)[293]. La Nouvelle-Zélande et certains États américains étendent aussi leurs mesures de protection aux systèmes de croyances sans fondement religieux, comme
le véganisme éthique[294].

2.3.2 Jurisprudence canadienne

Bien qu’une bonne part de la jurisprudence relative au Code continue d’assimiler la croyance à la religion (comme il en a été question précédemment), il existe des exceptions notables à cette tendance. Une variété de causes ont mené à la conclusion que les croyances non religieuses peuvent constituer une croyance au sens où l’entend le Code, ou ont ouvert la voie à cette possibilité. En effet, les tribunaux semblent en général réticents à fournir une définition finale, faisant autorité, définitive ou fermée du terme « croyance ». Au lieu de cela, ils préfèrent procéder à une évaluation organique, analogique[295] et au cas par cas, ce qui a donné une variété de résultats (voir l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance).

Les tribunaux judiciaires et administratifs n’ont pas eu de difficulté à reconnaître une grande variété de convictions religieuses et spirituelles définies de façon subjective à des fins d’application du Code, y compris des pratiques spirituelles autochtones[296], la Wicca[297], l’huttérisme[298], le mouvement raëlien[299], le Falun Gong [300], l’Église universelle de Dieu [301] et la Rocky Mountain Mystery School[302]. Plus important encore, rien dans la jurisprudence n’interdirait l’élargissement de la définition de la « croyance » pour y inclure les convictions laïques, morales et éthiques. Il existe cependant des lignes directrices relatives aux limites que les tribunaux sont prêts à imposer à la portée de la notion de « croyance » (voir la section sur les critères minimaux, ci-après).

Parmi les exemples notables de décisions jurisprudentielles ayant envisagé une définition élargie de la croyance figurent R.C. v. District School Board of Niagara[303] et Hendrickson Spring Stratford Operations v. USWA, Local 8773. Dans ce dernier cas, l’arbitre a affirmé ce qui suit :

Le terme « croyance » au sens du Code a un sens large et peut être interprété comme comprenant presque tout système de croyances qui englobe un ensemble particulier de croyances religieuses, mais également nombre d’autres croyances philosophiques, profanes et personnelles – les « ismes » (dans la terminaison des mots comme « environnementalisme », « conservatisme », « libéralisme » ou « socialisme »)[304].

Dans Rand v. Sealy Eastern Ltd., le Tribunal a aussi envisagé la possibilité d’inclure les convictions non religieuses, citant à l’appui la définition du terme anglais « creed » figurant dans le Webster’s New International Dictionary, soit « parfois un sommaire de principes ou un ensemble d’opinions professées ou adoptées, et relevant de la science ou de la politique »[305].

Dans une autre décision de 1998 faisant autorité, Jazairi v. Ontario (Human Rights Commission)[306]la Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé la décision de la CODP de ne pas soumettre une plainte à une commission d’enquête au motif que « les opinions politiques relatives à une question particulière, dans le présent cas le point de vue du requérant à propos du conflit israélo-palestinien, ne constituent pas une croyance au sens du Code ». La Cour a cependant reconnu que la définition de la croyance varie d’un dictionnaire à l’autre, et que certains lui donnent le sens de systèmes de croyances laïques[307]. Selon la Cour divisionnaire, le terme « croyance » pourrait inclure un ensemble exhaustif de principes, mais son sens comprend d’ordinaire une dimension religieuse. La Cour a ensuite explicitement affirmé la possibilité qu’une « perspective politique comme le communisme, composée d’une structure ou d’un système cohésif et reconnu de convictions » puisse constituer une croyance, mais qu’il n’était pas nécessaire de résoudre cette question dans le cadre de cette affaire[308]. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision de la Cour divisionnaire. Elle a confirmé l’importance d’évaluer chaque affaire relative à la croyance sur les faits qui lui sont propres et a souligné que la question de savoir si d’autres perspectives politiques fondées sur un système cohésif de convictions pouvaient ou non constituer une « croyance » n’était pas une question sur laquelle elle devait trancher en l’instance. La Cour d’appel a observé que ce serait une erreur de traiter de questions aussi importantes dans l’abstrait.[309]

La tendance de plusieurs décisions à ne pas se prononcer sur la définition de la croyance, pour plutôt s’en tenir à une analyse à première vue de l’existence de discrimination au motif que la conviction ou pratique en cause pourrait constituer une croyance, peut être une indication de la réticence qu’ont les tribunaux à définir officiellement la notion de croyance[310].

La jurisprudence canadienne définit plus clairement la notion de religion. L’arrêt de principe de la Cour suprême du Canada qui interprète le terme « religion » est la décision Amselem. Dans cette affaire, la Cour a adopté une définition large de la religion, en affirmant ce qui suit : 

Une religion s’entend typiquement d’un système particulier et complet de croyances et de pratiques. En outre, une religion comporte généralement une croyance dans l’existence d’une puissance divine, surhumaine ou dominante. Essentiellement, la religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui sont intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et s’épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion permettent à l’individu de communiquer avec l’être divin ou avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle[311].

La décision Amselem indique clairement que lorsqu’il s’agit de liberté de religion, seules les croyances, convictions et pratiques ayant un fondement religieux, par opposition à celles qui possèdent une source laïque ou sociale ou sont dictées par la conscience, sont protégées aux termes des chartes du Québec ou du Canada[312].

Dans Amselem, la Cour a également souligné que la teneur du droit à la liberté de religion reconnu à toute personne aux termes de la Charte est extensive et repose sur les notions de choix personnel, d’autonomie et de liberté individuelle. Compte tenu de l’importance accordée par le tribunal aux choix personnels et à l’autonomie en tant que valeurs sous-jacentes et raison d’être des droits religieux, certains soutiennent qu’il n’y a pas de raison de ne pas étendre ces droits à d’autres types de convictions (y compris les convictions de son choix), et ce, au nom de ces mêmes valeurs. D’autres font valoir que l’importance accordée dans Amselem et dans des décisions subséquentes à la nature individuelle et subjective de la religion, par opposition à ses aspects communaux et associationnels distinctifs, ont brouillé les frontières entre la religion, la croyance et la conscience individuelle, rendant les distinctions entre les convictions religieuses et non religieuses « de plus en plus difficile à justifier »[313]. Selon Moon, « [l]’importance accordée à la conviction personnelle nous porte à nous interroger sur la raison pour laquelle on devrait traiter les convictions religieuses et autres convictions de façon différente »[314].


[240] Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (2002, p. 158-161), citant un bon nombre de décisions de la Cour suprême du Canada. Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) 2011 CSC 53, la Cour suprême du Canada affirme cette « présomption d’absence de tautologie » et, citant des décisions à l’appui, indique, au par. 38 :

[...]La professeure Sullivan signale d’ailleurs à la p. 210 de son ouvrage que « [l]e législateur est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement ni s’exprimer en vain. Chaque mot d’une loi est présumé avoir un sens et jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur. » Comme l’explique l’ancien juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, au par. 28, « [s]uivant un principe d’interprétation législative reconnu, une disposition législative ne devrait jamais être interprétée de façon telle qu’elle devienne superfétatoire ». Voir également l’arrêt Procureur général du Québec c. Carrières Ste-Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831, au par. 838.

[241] La « présomption de cohérence » s’applique aussi à l’ensemble des lois et suppose que les mesures législatives ne seront pas interprétées de manière à contrevenir les unes aux autres (pour en savoir davantage sur la prise en compte des mesures législatives parallèles, voir la note de fin de texte 243). Par conséquent, quand deux lois traitant du même sujet ou de sujets analogues emploient les mêmes termes ou des termes semblables, les tribunaux concluent habituellement que les mots ont les mêmes sens. À l’opposé, quand un mot différent est utilisé par des lois qui sont en d’autres points semblables, on peut supposer que l’Assemblée législative voulait donner au mot un sens ou un objet différent (Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes).

[242] Comme la présomption de cohérence, la « présomption d’absence de tautologie » peut être réfutée en attribuant un sens possible à un mot potentiellement tautologique pour lui donner une signification et éviter qu’il ne soit redondant, ou en expliquant pourquoi, en choisissant ce mot, l’Assemblée législative pourrait avoir voulu créer une redondance ou inclure des mots superflus. Quand le tribunal a des raisons de croire que l’Assemblée législative inclut intentionnellement des mots tautologiques, la présomption est plus facile à réfuter. Par exemple, le tribunal peut laisser entendre que l’Assemblée législative a choisi de créer la répétition pour se prémunir contre la confusion et la mauvaise application de la loi. La répétition peut également s’avérer nécessaire pour rendre la loi plus facile à comprendre pour les non-initiés. Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes.

[243] L’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) 2011 CSC 53 affirme la pertinence de la prise en compte des lois parallèles d’autres provinces et territoires au moment de tenter de déterminer et d’interpréter l’intention de la loi et le sens de ses éléments. Dans cette décision, le tribunal cite d’autres décisions à l’appui de ce principe, indiquant aux par. 57 et 58 :

L’intimé nous incite [...] à tenir compte des dispositions législatives parallèles des provinces et des territoires et nous convenons qu’il s’agit d’une entreprise utile en l’espèce. Évidemment, nous ne laissons pas entendre que la consultation des lois provinciales et territoriales s’avère toujours pertinente pour discerner l’intention du législateur fédéral. La professeure Sullivan confirme toutefois que la comparaison des lois fédérales, provinciales et territoriales portant sur un même sujet peut se révéler instructive (p. 419-420).

La Cour a déjà examiné en parallèle les dispositions législatives de différents ressorts. Ainsi, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, le juge Sopinka étudie quelques lois provinciales comparables afin de déterminer si la loi fédérale considérée permet à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique de décider qui est un employé en application de sa loi habilitante (p. 631-632). De même, dans l’arrêt Morguard Properties Ltd. c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, le juge Estey recourt à une analyse comparative de la loi manitobaine et de celles d’autres provinces pour décider si la ville de Winnipeg entendait geler des évaluations foncières (p. 504-505).

Les tribunaux ont fait preuve d’un désir assez profond d’assurer l’uniformité des lois relatives
aux droits de la personne du Canada. Par conséquent, ils ont semblé imposer aux assemblées législatives le fardeau d’envoyer, s’il en est, un message clair de leur désir de s’éloigner de l’approche nationale en matière de droits de la personne au moyen du langage utilisé dans la loi. Le juge en chef Lamer, s’exprimant pour la majorité de la Cour suprême du Canada dans Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 RCS 353 en a fait la démonstration en indiquant,
au par. 372 :

Si les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées en fonction de l’objet visé, les différences de formulation entre les provinces ne devraient pas masquer les fins essentiellement semblables de ces dispositions, à moins que la formulation n’indique la poursuite d’une fin différente de la part d’une législature provinciale particulière.

Par conséquent, on pourrait soutenir dans certains cas, plus particulièrement lorsque l’assemblée législative l’a signalé de façon explicite, que l’emploi de mots différents par des lois dont l’objet est similaire montre que l’Assemblée législative voulait donner à ces mots des sens différents, conformément à la « présomption d’absence de tautologie ».

[244] B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2002] 3 RCS 403, au par. 42.

[245] ibidem

[246] Amselem, supra, note 137, par. 39, indique que lorsqu’il s’agit de liberté religieuse, seules les croyances, convictions et pratiques tirant leur source d’une religion, par opposition à celles qui soit possèdent une source séculière ou sociale, soit sont une manifestation de la conscience de l’intéressé, sont protégées aux termes des chartes du Québec ou du Canada.

[247] Supra, note 137.

[248] Wali v. Jace Holdings Ltd. [2012], CHRR Doc. 12-0389, 2012 BCHRT 389.

[249] Dans cette affaire (ibidem), l’arbitre du tribunal, Enid Marion, a fait remarquer au par. 106 : Le Code ne définit pas la « conviction politique » et le tribunal n’a pas formulé d’observations complètes sur le sujet. Cependant, dans Croxall c. West Fraser Timber Co., 2009 BCHRT 436 [CHRR Doc. 09-2826], le tribunal a indiqué que :

Le motif de la conviction politique n’est pas défini dans le code et le tribunal n’a pas eu maintes occasions d’établir un argument juridique exhaustif et d’élaborer sa définition.

Dans Prokopetz and Talkkari v. Burnaby Firefighters' Union and City of Burnaby, 2006 BCHRT 462 [CHRR Doc. 06-621], au par. 31 (Prokopetz), le tribunal a résumé les quelques causes qui traitaient de la conviction politique en tant que motif et en a ressorti deux principes sous-jacents. Le tribunal a conclu que la conviction politique au sens du code
doit être définie de manière libérale et sa portée ne doit pas être restreinte, d’un côté, aux convictions politiques partisanes ni étendue, de l’autre, de façon illimitée (aux par. 19-20).

Dans sa décision de conclure à la légitimité de la requête des requérants au motif de la conviction politique aux termes du code de la Colombie-Britannique, le tribunal a déclaré, aux par. 117 et 119 :

À mes yeux, la libre expression des membres de l’ordre en matière de réglementation de leur profession s’inscrit dans la portée de la conviction politique compte tenu du cadre législatif régissant les activités de l’ordre et du mandat réglementaire exprès donné à l’ordre par le gouvernement relativement aux techniciens en pharmacie. Il s’agissait d’une nouvelle initiative légiférée qui concernait le bien-être de la population et était source de discussion
au sein du milieu de la pharmacie. 

J’accepte que l’expression de la conviction de M. Wali ait trait à un système de « coopération sociale », c’est-à-dire le contrat social entre le gouvernement, l’ordre et la population relativement à la distribution sûre de médicament pharmaceutique.

Thrifty admet que la position adoptée par M. Wali auprès de l’ordre avait joué un rôle dans son licenciement. Puisque j’ai conclu que la position de M. Wali s’inscrit dans la portée de la conviction politique au sens du code, je conclus que cet aspect de la plainte de M. Wali était également justifié.   

[250] Labchuck (2012) s’inspire de l’ouvrage de Ruth Sullivan intitulé Driedger on the Construction of Statutes [Butterworth Canada Ltd, 3e éd. (1994), Chapitre 3 : « Avoiding Absurd Consequences »]. Elle attire aussi l’attention sur les justifications du recours à des interprétations extensibles de dispositions législatives par les tribunaux pour éviter de telles absurdités. Elle donne en exemple Campbell (G.T.) & Associates Ltd. v Hugh Carson Co.,[1979] 99 DLR (3d) 529 (CA ON).

[251] Voir Labchuck (2012) et Szytbel (2012).

[252] Voir Sztybel (2012) et Kislowicz (2012). Dans le discours-programme qu’elle a prononcé le 12 janvier 2012 dans le cadre du dialogue stratégique, la professeure de droit Winnifred Sullivan a parlé de la difficulté de définir la religion en droit de manière à protéger la liberté religieuse tout en délimitant, du même coup, cette liberté (au moyen de la définition préventive).

[253] « Bien qu’il y ait peut-être un argument à faire pour exclure le terme "laïque", on peut difficilement rendre compte de l’exclusion des croyances morales ou éthiques, puisque la religion n’est que l’un des arbitres de la morale et l’éthique (McCabe et coll., 2012). » Benson (2012b) attire l’attention de façon similaire sur le problème logique que constitue toute tentative de départir les considérations non seulement morales et éthiques, mais également politiques (sauf de la définition de la croyance) des préoccupations proprement religieuses. Selon lui, la dimension politique doit englober les considérations morales et éthiques.

[254] Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition, Markham, LexisNexis Canada Inc., 2008, p. 101-102.

[255] R. c. Turpin, [1989] 1 RCS 1296 aux par. 1313 et 1314.

[256] Supra, note 8, au par. 42. Le président associé David Wright a affirmé : « Je me fie à la traduction française "croyance" que l’on retrouve dans le Code, laquelle reflète une conception plus large de la croyance qui tient compte des convictions plutôt que de la seule identification à un ensemble structuré d’opinions religieuses ».  

[257] R c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30, au par.179. Voir aussi R. c. Little, 2009 NBCA 53 (CanLII), au par. 6, indiquant de façon incidente : « Bien sûr, le paragraphe 2(a) ne se limite pas à protéger les convictions religieuses. Il ouvre la porte aux objecteurs de conscience dont le jugement s’inspire d’autres sources. »

[258] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 235, au par. 90. Voir Simoneau c. Tremblay, 2011 QCTDP 1 aux par. 208 et 209.

[259] R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC) [1986] 2 R.C.S. 713, par. 759. Voir Chiodo (2012a); Chiodo (2012b).

[260] [1994] 2 F.C. 406, 1994 CanLII 3453 (CAF).

[261] R. c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30. Dans cette affaire, la Cour suprême a aboli une disposition du Code criminel qui limitait l’accès à l’avortement, parce qu’elle portait atteinte, de façon injustifiable, à l’art. 7 de la Charte. Dans son opinion concordante, la juge Wilson indiquait :

[D]ans une société libre et démocratique, la « liberté de conscience et de religion » devrait être interprétée largement et s’étendre aux croyances dictées par la conscience, qu’elles soient fondées sur la religion ou sur une morale laïque. D’ailleurs, sur le plan de l’interprétation législative, les termes « conscience » et « religion » ne devraient pas être considérés comme tautologiques quand ils peuvent avoir un sens distinct, quoique relié.

[262] Chiodo (2012a) cite Mortillaro v. Ontario (Minister of Transportation), 2011 OHRT 310 (CanLII), au par. 61; Ontario (Director, Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010 CA ON 593. Cependant, étant donné que ces deux causes ont trait à des interprétations congruentes de l’analyse de la discrimination au sens du Code et de l’art. 15 de la Charte, elles sont peut-être peu applicables au par. 2(a) de la Charte. Labchuk cite la décision de la juge McLachlin dans R. v. Zundel, [1992] 2 RCS 731 qui établissait que lorsqu’on peut tirer de la législation deux interprétations tout aussi convaincantes, le tribunal devrait privilégier une interprétation qui fait la promotion des principes et valeurs de la Charte, plutôt qu’une qui ne la fait pas.

[263] Dans McKenzie v. Isla, 2012 OHRT 1908 (CanLII), le vice-président Ken Bhattacharjee cite les affaires ci-après qui affirment ce principe (au par. 33) : Taylor-Baptiste v. Ontario Public Service Employees Union, 2012 OHRT 1393 (CanLII); Dallaire v. Les Chevaliers de Colomb, 2011 OHRT 639 (CanLII); et Whiteley v. Osprey Media Publishing, 2010 OHRT 2152 (CanLII).

[264] Voir Labchuck (2012) et Chiodo (2012a).

[265] Ce terme a été employé par un participant durant une séance de consultation de la CODP. Consulter Ryder (2012b) pour en apprendre davantage sur les liens entre les analyses de la discrimination au sens du Code et au sens de la Charte. Voir aussi Huang v. 1233065 Ontario, supra, note 14, au par. 28, dans lequel sont citées quelques décisions portant sur les liens entre le Code et la Charte, et R. v. Badesha, 2011 ONCJ 284 (CanLII). Dans la décision de 2010 de la cour d’appel de la Colombie-Britannique British Columbia (Ministry of Education) v. Moore, 2010 (CanLII) BCCA 478, au par. 51, la juge Rowles affirmait dans son opinion dissidente (que la Cour suprême a largement suivi en appel)  que la jurisprudence prise en application de la Charte devrait « informer de façon appropriée l’analyse législative, sans la dominer ». À l’appui de son opinion, la juge Rowles cite Leslie Reaume :

« [...]les emprunts au contexte de la Charte dans le cadre législatif sont appropriés pour autant que l’exercice enrichisse l’analyse relative à l’égalité réelle, respecte les limites de l’interprétation des lois et serve l’objectif et le statut quasi constitutionnel de la loi habilitante » (au par. 375; cité dans Ryder, 2012b, p. 12). 

[266] Freitag v. Penetanguishene (Town) [2013] OHRT 893. Dans cette décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (2013), l’arbitre, Leslie Reaume, soutient : « [...] La Charte et le Code sont des instruments législatifs distincts et l’établissement de la contravention du par. 2(a) de la Charte ne permet pas de conclure à la discrimination dans la cause portée devant moi en application du Code » (au par. 27). Elle poursuit en indiquant, au par. 42 :

« [D]ans la mesure où l’on reprend dans les analyses relatives au Code des observations faites dans le cadre d’affaires relatives au [paragraphe 2(a) de la Charte], on doit prendre ces observations en compte d’une manière qui est conforme aux principes d’interprétation législative de longue date qui régissent l’analyse de la discrimination menée aux termes du Code. Et bien qu’il existe des liens évidents entre le paragraphe 2(a) de la Charte et le concept de discrimination, les différentes méthodes d’interprétation de la Charte et du Code soulèvent la possibilité que l’on obtienne deux conclusions différentes, même quand les questions et éléments de preuve à l’étude sont de nature semblable. » 

[267] Dans Freitag c.Penetanguishene, l’arbitre du TDPO, Leslie Reaume, établit une autre distinction entre le Code et les protections conférées en matière de discrimination par l’article 15 de la Charte, en indiquant, au par. 41 :

Même dans le cas des affaires faisant intervenir l’article 15, lorsque la question de la discrimination est au cœur de l’analyse, les tribunaux ont établi qu’il existe des différences considérables à la manière dont on interprète la Charte et le Code. Voir Ontario (Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010 CA ON 593.

[268] Prenons par exemple Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75 (CanLII). S'exprimant au nom de la Cour unanime, le juge Stratas indique ce qui suit, au par. 19  : La jurisprudence en matière d’égalité sous le régime de la Charte nous éclaire sur la teneur de la jurisprudence en matière d’égalité relevant des lois sur les droits de la personne, et réciproquement (voir, par ex. Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143, aux par. 172-176; Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au par. 27;[Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 (CanLII)] au par. 30; [Québec (Procureur général) c. A., 2013 CSC 5 (CanLII)] aux par. 319 et 328) ».

Les droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte sont les suivants :

15.(1) La loi ne fait exception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

De plus, le paragraphe 15(2) soulève une préoccupation plus générale en matière d’égalité réelle ayant trait à l’« [amélioration de] la situation d’individus ou de groupes défavorisés ». Il indique :

15.(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[269] À ’appui du fait qu’elle qualifie la liberté de religion de « principe de base qui sous-tend le droit à un traitement égal en vertu du Code en matière de croyance » (p.5), la politique de 1996 indique (dans sa note de fin de texte no 7) :

Ce principe est exprimé dans le préambule du Code qui dit de façon expresse que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde [...] [qui vise] à créer un climat de compréhension et de respect mutuel de la dignité et de la valeur de toute personne de façon à ce que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à contribuer pleinement à l’avancement et au bien-être de la collectivité et de la province.

[270] Par exemple, Labchuck (2012), dans son appel à l’extension de la définition de la croyance, accorde une importance relative à l’objectif du Code visant à protéger la dignité humaine de la personne. Labchuck décrit de la façon suivante l’esprit, l’intention et la visée des lois relatives aux droits de la personne : « protéger au maximum la dignité humaine ». D’autres participants au dialogue stratégique et à l’atelier juridique de 2012 ont effectué une lecture du Code davantage ancrée dans la dimension sociale, en insistant sur le rôle que jouent les lois relatives aux droits de la personne dans l’élimination progressive des « pratiques sociales d’exclusion ».

[271] Les tribunaux ont démontré un désir profond d’uniformiser la législation canadienne en matière de droits de la personne. Le juge en chef Lamer, s’exprimant pour la majorité de la Cour suprême du Canada dans Université de la Colombie-Britannique c. Berg, en a fait la démonstration en indiquant, au par. 372 :

Si les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées en fonction de
l’objet visé, les différences de formulation entre les provinces ne devraient pas masquer les fins essentiellement semblables de ces dispositions, à moins que la formulation n’indique la poursuite d’une fin différente de la part d’une législature provinciale particulière.

[272] Voir par exemple Labchuck (2012), Chiodo (2012a), McCabe et coll. (2012), Benson (2012b) et Szytbel (2012).

[273] Labchuck (2012) et Chiodo (2012b) citent tous les deux Insurance Corp of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 RCS 145 à cet égard.

[274] Selon Labchuck (2012), la Cour suprême du Canada a approuvé ce concept dans Dickason c. Université de l'Alberta [1992] 2 RCS 1103, au par. 115.

[275] Chiodo (2012a) et Labchuck (2012), entre autres personnes, attirent l’attention sur l’affirmation explicite, dans le Code, du besoin d’interpréter et de promouvoir progressivement les objectifs du Code.

[276] Labchuck (2012).

[277] R.C. v. District School Board of Niagara, supra note 8, au par. 43.

[278] Chiodo, 2012b, p. 19

[279] Charles Taylor s’est abondamment prononcé sur la quête de sens et d’authenticité à l’ère moderne, fondée sur des sources aussi diverses que la religion, la spiritualité et (ou) l’humanisme laïque (Taylor, 1989).

[280] Labchuck (2012).

[281] Chiodo (2012a). Voir Benson (2012).

[282] Parfois, ce besoin de promouvoir les objectifs des droits de la personne peut amener les tribunaux à chercher à y parvenir même là où la lettre de la loi est limitée. À l’appui de ce principe, Labchuck cite la décision Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons Sears (O’Malley), [1985] 2 RCS 536, dans laquelle le tribunal a laissé présager une obligation d’accommodement, malgré son absence du Code à l’époque.

[283] Bien que les tribunaux aient donné à la définition de la religion et de la croyance une portée vaste qui inclut de nombreuses croyances et pratiques religieuses non occidentales, on a l’impression de devoir continuer de qualifier celles-ci de « religion », dont le concept, de l’avis de certains, a été élaboré principalement en ayant à l’esprit les traditions religieuses occidentales (p. ex. Voir Huang, supra, note 14).

[284] À cet égard, Kislowicz (2012) s’inspire du travail de la penseuse du milieu juridique américain Winnifred Fallers Sullivan, qui a lancé un appel semblable dans le discours-programme qu’elle a prononcé le 12 janvier 2012 lors du dialogue stratégique de la CODP. David Seljak (2012) a similairement mis en garde contre le fait d’établir une quantité excessive de règles et de définitions, et de rendre les droits relatifs à la croyance trop spécifiques, d’une façon qui empêcherait de donner une interprétation plus vaste et dynamique aux notions de religion et de croyance : « [N]ous ne pouvons pas protéger ce que nous ne pouvons pas voir et la façon dont nous définissons la religion va déterminer ce que nous voyons - et ne voyons pas – comme étant digne de protection et de promotion » (Seljak, 2012, p. 11).

[285] Kislowicz, 2012, p.31.

[286] Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux par. 69-71.

[287] L’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques inclut les dispositions suivantes :

  1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou n’importe quelle conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.
  2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix.
  3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.
  4. Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

[288] Voir Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, 1981 à l’adresse :[www2.ohchr.org/english/law/pdf/religion.pdf].

[289] L’article 7 de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, 1981, stipule : « Les droits et libertés proclamés dans la présente Déclaration sont accordés dans la législation nationale d'une manière telle que chacun soit en mesure de jouir desdits droits et libertés dans la pratique. »

[290] L’Article 28 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et l’article 50 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) stipulent que les dispositions de ces pactes (y compris l’article 18 du PIDCP) s’appliqueront à toutes les unités constitutives des États fédératifs sans limitation ni exception aucunes. Pour en savoir davantage, consulter le document de recherche de la CODP intitulé Les commissions des droits de la personne et les droits économiques et sociaux (www.ohrc.on.ca/fr/les-commissions-des-droits-de-la-personne-et-les-droits-%C3%A9comomiques-et-sociaux).

[291] Dans son observation no 22 sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, qui commente l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité affirme ce qui suit :

  • L’article 18 englobe la liberté de pensée dans tous les domaines, les convictions personnelles et l’adhésion à une religion ou une croyance, manifestée individuellement ou en commun.
  • La liberté de pensée et la liberté de conscience sont protégées à égalité avec la liberté de religion et de conviction (au par. 1).
  • L’article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, y compris le droit de ne professer aucune religion ou conviction.
  • Les termes « conviction » et « religion » doivent être interprétés au sens large.
  • Le droit protégé à l’article 18 ne devrait pas être limité aux religions traditionnelles ni être discriminatoire à l’égard de toute religion ou conviction pour quelque motif que ce soit (y compris le fait qu’elle est nouvellement établie ou associée à des minorités religieuses) (au par. 2).

Le Comité des droits de l’homme est un organe composé de 18 experts indépendants. Les États signataires doivent soumettre des rapports sur la façon dont les droits sont mis à exécution (habituellement tous les quatre ans). Le Comité fait ensuite part de ses commentaires et suggestions. L’article 41 du PIRDCP permet au Comité de traiter les plaintes déposées contre un État partie par un autre État partie. Le Premier protocole facultatif permet au Comité de traiter les plaintes individuelles déposées contre des États signataires. 

Dans un paragraphe traitant des « minorités religieuses et nouveaux mouvements religieux » d’un autre rapport de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction (2006) de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, Asma Jahangir fait remarquer ([A/HRC/4/21], aux par. 43-47), entre autres, que :

  • la croyance en l’existence d’un être suprême, des rituels ou un ensemble de règles morales et sociales, ne sont pas propres aux religions; on trouve aussi ces éléments dans les idéologies politiques
  • l’établissement d’une distinction entre sectes et les nouveaux mouvements religieux est compliqué par le fait qu’aucun instrument international relatif aux droits de la personne ne contient de définition des concepts de religion, de secte ou de nouveau mouvement religieux
  • “les termes « sectes », « religions » et « nouveaux mouvements religieux » doivent tous être clarifiés
  • la définition d’une religion ou d’une croyance est extrêmement complexe.

Ce rapport discute de défis semblables à l’échelle internationale lorsqu’il s’agit de composer avec la diversité de croyance et les définitions connexes. Parmi les autres points mentionnés dans ce rapport relativement à l’interprétation de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, 1981, figure :

  • Rosalyn Higgins (membre du Comité des droits de l’homme lors de la rédaction de l’observation générale no 22) était opposée à l’idée qu’un État partie puisse décider de ce qui constitue et ne constitue pas une croyance religieuse véritable - les fidèles devraient eux-mêmes décider.
  • le Rapporteur spécial Abdelfattah Amor a indiqué ce qui suit : « il n’appartient ni à l’État, ni à un quelconque autre groupe ou communauté de prendre en tutelle la conscience des gens et de favoriser, d’imposer ou de censurer une croyance religieuse ou une conviction » (rapport du Rapporteur spécial sur l’intolérance religieuse [E/CN/4/1997/91], au par. 99).
  • Le Rapporteur spécial Riberiro a indiqué que l’ancienneté d’une religion, son caractère révélé et l’existence d’un texte écrit ont leur importance même s’ils ne sont pas suffisants pour faire une distinction entre religions, sectes et associations (1990).

Un autre rapport d’activité de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction de l’Assemblée générale des Nations unies (2009) affirme de façon similaire qu’« [I]l appartient aux fidèles eux-mêmes de définir les contenus d’une religion ou d’une conviction ».

[292] Supra, note 8. Dans cette décision du TDPO (2013), le TDPO s’est fié aux protections conférées

à l’échelle internationale au moment d’interpréter le motif de la croyance aux termes du Code de l’Ontario :

Je me suis également fié au fait que les lois relatives aux droits de la personne incluent des mesures de protection de l’athéisme dans le contexte de la liberté de religion. Comme l’a conclu la Cour suprême dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au par. 70, « les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire ». L’article 18(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Canada, stipule ce qui suit :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou n’importe quelle conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. [40]

Bien que son libellé parle de « religion ou conviction », l’article 18, à mes yeux, a les mêmes objectifs que la protection de la croyance au sens du Code. L’article 2 de l’observation générale de 1993 rédigée sur cet article par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, doc. des N.-U. CCPC/C/21/Rev.1/Add/4L, indique clairement que les convictions athées et la non-conviction sont protégées dans ce traité international fondamental relatif aux droits de la personne :

L’article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune religion ou conviction. Les termes conviction et religion doivent être interprétés au sens large. L’article 18 n’est pas limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques institutionnelles analogues à celles des religions traditionnelles (aux par. 40 et 41).

[293] Voir Donald (2012).

[294] Voir Labchuck (2012).

[295] Voir Kislowicz (2012) pour en connaître davantage sur les points forts de cette approche analogique.

[296] Voir Kelly v. British Columbia (Public Safety and Solicitor General), supra, note 11.

[297] Re O.P.S.E.U. and Forer (1985), supra, note 12.

[298] Hutterin Brethren, supra, note 160.

[299] Chabot c. Conseil scolaire catholique Franco-Nord, 2010 TDPO 2460 [CanLII), Gilbert v. 2093132 Ontario Inc., 2011 OHRT 672 (CanLII).

[300] Huang, supra, note 14.

[301] Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489.

[302] Dans cette décision arbitrale particulière au sujet d’un grief, l’arbitre du travail n’a pas approfondi pourquoi la participation à la Rocky Mountain Mystery School, un « organisme qui enseigne les pratiques et connaissances anciennes de la lumière et de l’œuvre de la lumière dans le monde » était une croyance. Il s’est plutôt concentré sur la question de savoir si l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation pour accorder à l’employée un congé afin qu’elle participe à un pèlerinage (Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada Local 722-M v. Global Communications, [2010] C.L.A.D. No. 298 [QL]). En concluant que l’employeur aurait dû prendre de telles mesures d’adaptation, l’arbitre a implicitement admis que le motif de la croyance était en jeu.

[303] Supra, note 8.

[304] Hendrickson Spring v. United Steelworkers of America, Local 8773 (Kaiser Grievances), [2005] O.L.A.A. No. 382, 142 L.A.C. (4th) 159.

[305] Rand v. Sealy Eastern Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/938 (comm. d’enquête Ont.), D/942. Il s’agit de l’une des premières décisions portant sur la croyance en Ontario. Le professeur Cumming, qui entendait la plainte d’un homme sikh à qui on avait refusé un emploi parce qu’il portait la barbe et le turban, a décrit la croyance comme étant dérivée du mot latin « credo » qui signifie « je crois ». Il a aussi examiné les définitions suivantes des dictionnaires de langue anglaise Oxford et Webster :

Dans le Oxford : sous « Creed » – « Un système accepté ou professé de croyances religieuses : la foi d’un individu ou d’une collectivité, en particulier de la façon dont elle s’exprime ou est susceptible d’expression dans une formule définie. »

Dans le Webster : sous « Creed » - « Toute formule de confession d’une foi religieuse;
un système de croyances religieuses, en particulier de la façon dont il est exprimé ou exprimable dans un énoncé défini; parfois, un sommaire des principes ou d’un ensemble d’opinions professés ou acceptés en sciences, en politique, ou autres domaines semblables; en tant que croyance d’espoir (hopeful creed) ».

[306] [1997] CanLII 12445 (CA ON), confirmé en 1999 CanLII 3744 (CA ON).

[307] ibidem, par. 39. Dans son mémoire à la CODP (McCabe et coll., 2012), l’Ontario Humanist Society, cite d’autres définitions et étymologies semblables de dictionnaires qui dérivent plus généralement le terme « croyance » du latin « credo », signifiant « je crois », sans aucune implication ou nécessité de fondement religieux.  

[308] ibidem, par. 40.

[309] Décision Jazairi [1999] de la Cour d’appel de l’Ontario (supra, note 306, par. 28). Dans une décision récente, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la demande d’un intimé d’annuler une requête relative aux droits de la personne afférente à une poursuite au civil. Le requérant alléguait qu’il avait été licencié pour avoir fait part de ses opinions sur le conflit armé en Syrie, lesquelles étaient inextricablement liées à son identité en tant que musulman et Canadien d’origine syrienne. L’intimé soutenait que la requête reposait sur de la discrimination fondée sur des « opinions politiques », auxquelles le Code ne s’applique pas. La Cour supérieure a cité la décision Jazairi de la Cour d’appel et conclu que le tribunal avait expressément laissé le champ libre à l’inclusion d’autres systèmes de convictions politiques aux croyances reconnues. Compte tenu des éléments de preuve à sa disposition, la Cour supérieure a conclu qu’elle ne pouvait pas (pour les besoins d’une requête en radiation) conclure que les opinions du requérant ne constituaient pas une croyance; voir Al-Dandachi, supra, note 9.

[310] Par exemple, dans Sauve v. Ontario (Training, Colleges and Universities), 2009 OHRT 1415 (CanLII), le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) a conclu qu’il n’avait pas à décider si l’Église métaphysique et la lecture du tarot étaient assimilables à une croyance : « je conclus que même si le tarot pouvait être juridiquement compris dans la définition de croyance aux termes du Code, la décision de refuser les prestations pour travailleurs autonomes n’était pas fondée sur la lecture des cartes de tarot. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je détermine si le tarot dans le contexte de cette cause constitue une croyance selon la jurisprudence pertinente [...] » (au par. 39). Voir également Hayes v. Vancouver Police Board and another (No.2), 2010 BCHRT 324 (CanLII) qui porte sur le paganisme. Dans d’autres affaires, les décisionnaires ont accepté, sans discussion ou analyse poussée, qu’un système de convictions ou de croyances constituait bel et bien une croyance et se sont plutôt concentrés sur la question de savoir quelles pratiques étaient protégées. Par exemple, dans une décision arbitrale au sujet d’un grief, l’arbitre du travail n’a pas approfondi pourquoi la participation à la Rocky Mountain Mystery School, un « organisme qui enseigne les pratiques et connaissances anciennes de la lumière et de l’œuvre de la lumière dans le monde » était une croyance. Il s’est plutôt concentré sur la question de savoir si l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation pour accorder à l’employée un congé afin qu’elle participe à un pèlerinage (Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada Local 722-M v. Global Communications, [2010] C.L.A.D. No. 298 [QL]). En concluant que l’employeur aurait dû prendre de telles mesures d’adaptation, l’arbitre a implicitement admis que le motif de la croyance était en jeu.

[311] Supra, note 137, au par. 69.

[312] Ibidem.

[313] Chiodo (2012b, p. 19) soutient ce qui suit :

Étant donné que les convictions perdent graduellement leurs caractéristiques d’association pour devenir de plus en plus personnelles, la distinction entre les convictions religieuses et non religieuses devient difficile à justifier. En effet, aux yeux de nombreux observateurs, cette distinction semble arbitraire et laisse entendre que des croyances familières ou privilégiées constituent des convictions véritables, à l’opposé des croyances nouvelles ou différentes, qui ne seraient pas des convictions ou constitueraient uniquement des pseudo-convictions.

[314] Moon, 2012a.

 

3. Arguments à l’appui du maintien de la définition de « croyance » de la politique de 1996, fondée sur la notion de « religion »

3.1 Lois sur les droits de la personne et objectif d’égalité

Bon nombre des arguments présentés à la CODP en faveur du maintien de la définition actuelle de la croyance, qui assimile cette notion à la religion, s’articulent autour de la crainte d’un éventuel « assouplissement » de l’objet et de la visée des lois relatives aux droits de la personne. Les tenants de ce point de vue nous ont rappelé à quel point il était important de se remémorer l’objet original des mesures de protection des droits de la personne au moment d’examiner la question de la définition de la croyance. D’affirmer certains, l’objet principal des lois relatives aux droits de la personne était de lutter contre la discrimination qui est fondée sur des inégalités sociales, l’exclusion sociale et les préjudices historiques auxquels se heurtent les groupes vulnérables et marginalisés de la société, et les reproduit. Un participant à l’atelier juridique a fait la remarque suivante :

Je ne veux pas assouplir la loi afin que les personnes en situation de pouvoir, qui jouissent de privilèges, puissent l’utiliser pour consolider le pouvoir qu’elles ont déjà. Nous voulons être inclusifs, mais pas au point d’appliquer les motifs de discrimination interdits à tout un chacun […] Si vous assouplissez la politique [définition], vous serez sur une pente savonneuse et devrez très vite traiter de questions qui débordent l’intention originale des codes des droits de la personne. À ce moment-là, vous aurez perdu votre mécanisme de protection et de promotion des droits des groupes vulnérables et marginalisés identifiables[315].

Les défenseurs de ce point de vue avaient tendance à insister sur le fait que l’aspect collectif des désavantages sociaux et stéréotypes auxquels se heurtent les groupes protégés à l’heure actuelle par le Code était une des conditions de base de la protection de ces groupes aux termes du Code. Selon eux, le virage amorcé dans de récentes décisions jurisprudentielles, qui s’éloignent de l’analyse abstraite formelle de la discrimination à première vue centrée sur la dignité humaine et les groupes de comparaison au profit d’interprétations plus contextuelles et téléologiques prenant en compte les rapports historiques et sociaux de pouvoir et d’iniquité, va dans le sens de ce point de vue[316].

D’autres pourraient répondre que les communautés confessionnelles protégées à l’heure actuelle par le Code ne sont pas toutes désavantagées sur le plan social. D’ailleurs, comme en faisait plus tôt état la section Historique et contexte, certaines communautés confessionnelles pourraient bénéficier d’avantages et de privilèges structurels au sein de la société ontarienne, du moins à certains égards. De toute façon, même si la CODP élargissait la définition de la croyance établie dans sa politique, les affaires soumises aux tribunaux judiciaires et au TDPO seraient encore tenues de satisfaire aux critères de discrimination à première vue, lesquels peuvent prendre en compte le désavantage d’ordre social actuel ou passé, et les contextes d’iniquité sociale[317].

Certains penseurs du milieu juridique insistent sur le besoin d’effectuer une distinction entre l’objectif des lois relatives aux droits à l’égalité (p. ex. protection contre la discrimination fondée sur la croyance aux termes du Code) et l’objectif des lois relatives aux droits à la liberté (p. ex. protection de la liberté de religion aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte)[318]. Selon eux, les premières abordent les désavantages et l’iniquité d’ordre social et historique, en tenant compte, comme il se doit, des dynamiques sociales générales de pouvoir et d’iniquité dans le but d’interdire et d’éliminer les cas de discrimination et de traitement inéquitable[319]. Les secondes auraient tendance à mettre davantage l’accent sur le droit des personnes de vivre à l’abri de la coercition de l’État ou de son ingérence dans les domaines de la religion et de la conscience[320], indépendamment du fait que cette coercition ou ingérence puisse être fondée sur des iniquités sociales, un désavantage collectif ou des stéréotypes par rapport à un groupe.

Bien que les tribunaux reconnaissent à la Charte une dimension de protection de l’égalité en matière de liberté de religion[321], certains penseurs du milieu juridique font état du poids disproportionnel accordé à la dimension de la liberté dans la jurisprudence relative au paragraphe 2(a) de la Charte[322]. S’opposant à la tendance qu’ont les tribunaux supérieurs à combiner et à confondre les droits à l’égalité de religion et de croyance prévus aux termes du Code et de l’article 15 de la Charte, et les droits à la liberté de religion prévus aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte, Ryder, entre autres, souligne l’importance d’établir une distinction entre les objectifs distincts, malgré leurs chevauchements, de ces deux lois, en conseillant à la CODP de garder à l’esprit les visées particulières des lois relatives aux droits de la personne au moment d’évaluer ses options en matière de définition de la croyance dans sa politique[323].

3.2 Protections distinctes pour le caractère unique de la religion

D’avis que la religion est différente des autres types de systèmes de croyances, d’autres soutiennent que l’on commet une erreur catégorique, d’ordre potentiellement juridique, lorsqu’on omet d’établir une distinction entre, par exemple, des convictions politiques et éthiques, la conscience et la religion, étant donné que différents types de convictions nécessitent différents types de protection légale (p. ex. liberté d’expression par opposition à liberté de religion par opposition à liberté de conscience), conformément à leur statut et mode de fonctionnement uniques dans la vie des gens. Un participant à l’atelier juridique mettait en garde contre les dangers de tenter d’associer l’inassociable :

Quelques distinctions pourraient aider. Nous avons une longue tradition de protection des religions en tant que collectifs, de forces institutionnelles au sein de la société. [L’inassociable] fait référence aux nouvelles formes d’identité, qui reposent sur l’autonomie individuelle plutôt que l’aspect collectif des religions. C’est pour cette raison qu’elles devraient être jugées distinctes.

Diverses décisions judiciaires ont abordé la dimension collective de la religion et de la croyance[324]. Par exemple, dans 407 ETR Concession Company v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada, CAW-Canada, un arbitre du travail affirme : « La croyance suppose un certain degré d’association entre les personnes ayant les mêmes convictions. Elle porte sur un ensemble de convictions communes et suppose un système de profession de foi quelconque[325]. » Dans son avis minoritaire dans l’affaire Hutterian Brethren[326], le juge LeBel a aussi insisté sur l’importance de reconnaître les aspects collectif et communal de la religion :

[La liberté de religion] englobe en outre le droit d’établir et de maintenir une communauté, liée par une même foi, qui partage une vision commune […] La religion a trait aux croyances religieuses, mais aussi aux rapports religieux […] [cette cause] soulève des questions sur […] le maintien des communautés organisées autour d’une même foi.[327]

La juge en chef McLachlin, dans sa décision majoritaire, et la juge Rosalie Abella étaient aussi d’avis que la liberté de religion avait à la fois des dimensions individuelles et collectives. Cependant, la juge McLachlin a rejeté l’idée selon laquelle l’incidence de la mesure sur la communauté transformait la demande fondamentale de la colonie – la demande individuelle des plaignants en vue d’obtenir un permis sans photo – en revendication d’un droit collectif.

De façon similaire, la Politique sur la croyance de 1996 reconnaît l’aspect collectif de la religion lorsqu’elle fait référence au besoin d’évaluer les besoins du groupe religieux auquel appartient une personne, et d’en tenir compte (voir la discussion sur les « besoins du groupe » à la section V, 3.2)[328]. Cela est conforme à l’article 11 du Code traitant de la discrimination indirecte, qui fait aussi référence aux besoins du groupe auquel appartient la personne.

De nombreux penseurs du milieu juridique contestent cette omission de la dimension communale de la religion dans la jurisprudence traitant de la liberté de religion au sens du paragraphe 2(a) de la Charte, surtout depuis la décision Amselem.[329] Par exemple, Moon fait remarquer que :

L’importance particulière que revêt la pratique religieuse aux yeux des gens doit reposer en partie sur son caractère collectif, comme le fait qu’une pratique comme l’utilisation de la sukkah relie la personne à une communauté de croyants et fait partie d’un système commun de normes [...] [L’]accommodement religieux pourrait être motivé du moins en partie par le désir d’éviter la marginalisation de groupes identitaires[330].

D’autres ont mis en relief d’autres aspects uniques et distincts de la religion (par opposition à d’autres types de convictions) qui mériteraient des considérations juridiques particulières et leurs propres types de protection. Par exemple, des personnes ont souligné la portée et l’exhaustivité de l’engagement religieux, ainsi que la nature absolue et transcendante de ses revendications de la vérité, qui en soi pourraient poser pour l’autorité de l’État libéral des défis particuliers, différents de ceux d’autres types de convictions (moins toutes englobantes ou absolues)[331].

3.3 Distinction entre les droits fondés sur la conscience et la religion, et les protections existantes sans lien nécessaire avec la croyance

Plusieurs personnes nous ont aussi parlé de l’importance d’établir une distinction entre les questions de « religion » et les questions de « conscience », en partie pour les motifs présentés précédemment. Mettant en garde contre les dangers de combiner ces phénomènes interreliés, mais distincts sous une même catégorie, soit la « croyance », un participant affirmait ce qui suit :

L’histoire de la religion nous montre qu’il existe une composante collective inhérente, c’est-à-dire que le fait de s’identifier à une religion signifie que l’on s’identifie à un groupe et à un ensemble de permissions internes négociées par la personne […] Pour moi, la conscience est une composante individuelle de la religion. Je pourrais avoir un différend avec des membres d’un groupe confessionnel, et me fier à ma conscience. La conscience peut être l’antithèse d’une conviction religieuse. Je suis de plus en plus convaincu que les nouvelles religions devraient être considérées sous l’angle de la conscience plutôt que de la religion.

Le même participant a ensuite expliqué comment deux différents types de mesures juridiques de protection des droits, le premier un droit négatif (droit de vivre à l’abri de la coercition) et le second un droit positif (impliquant une obligation d’accommodement), pourraient ne pas nécessairement s’appliquer de façon égale aux deux types de convictions. Selon lui :

Nous avons peu de difficulté à dire que les gens ne devraient pas faire l’objet de coercition sur le plan de la conscience, mais les choses se compliquent lorsqu’on parle d’accommodement. Le véganisme éthique, qui relève davantage de la conscience que de l’appartenance à une communauté, en est un bel exemple […] Devrait-on prévoir des mesures d’accommodement de la conscience de la même façon qu’on le fait pour les religions? C’est une question importante et difficile à résoudre.

De l’avis de certaines personnes, la Politique sur la croyance de 1996 de la CODP confère suffisamment de droits (bien que négatifs, c’est-à-dire « vivre à l’abri de ») aux adeptes de croyances non religieuses. Par exemple, la politique indique ce qui suit :

La CODP a pris pour position que chaque personne a le droit de vivre à l’abri de la discrimination ou du harcèlement fondé sur sa religion ou sur le fait qu’elle ne partage pas la religion de la personne qui la harcèle. Ce principe s’applique également lorsque les personnes visées par le comportement discriminatoire n’ont aucune conviction religieuse, y compris les personnes athées ou agnostiques, qui elles aussi bénéficient de la protection définie dans le Code[332].

La politique de 1996 étend donc les mesures de protection accordées en matière de droits de la personne aux cas de harcèlement et de traitement discriminatoire de personnes au motif qu’elles ne partagent pas une croyance ou une conviction religieuse particulière (p. ex. qu’elles n’ont pas de croyance religieuse, sont athées, agnostiques ou humanistes laïques) ou aux situations où un membre d’une foi religieuse impose ses croyances de quelque façon à une personne qui ne les partage pas, quelles que soient ces croyances[333]. En revanche, la politique n’impose pas aux organisations d’obligation positive d’accommodement des personnes ayant des convictions non religieuses profondes. Certains sont d’avis que cette limite de l’obligation d’accommodement est justifiable puisqu’elle découle en grande partie d’une reconnaissance, au sein de la société, des règles de jeu inéquitables (sociales, institutionnelles, structurelles) dont font l’objet les membres de « groupes minoritaires » (donc pas d’accommodement des besoins des personnes qui ne font pas l’objet de telles formes de désavantage indirect). Bien sûr, les membres de communautés de croyances sans fondement religieux peuvent aussi se heurter à des désavantages collectifs (examinés précédemment).

Se reportant à la distinction établie entre la religion et la conscience dans la jurisprudence prise en application du paragraphe 2(a) de la Charte (voir la section 2.1.4), certains soutiennent que la CODP ne devrait pas étendre la portée de la notion de croyance au moyen de l’élaboration de politiques, mais plutôt recommander aux législateurs d’inclure la « conscience » au Code s’il elle croit réellement qu’un plus grand éventail de convictions personnelles méritent d’être protégées aux termes de celui-ci. Cela permettrait le maintien de deux volets distincts de jurisprudence (droit de vivre à l’abri de la discrimination fondée sur la croyance et droit de vivre à l’abri de la discrimination fondée sur la conscience). Le fait d’agir autrement, disent certains, équivaut à confondre des pommes et des oranges en les regroupant pêle-mêle dans une seule catégorie (« croyance »). Cela pourrait pousser les décideurs à tout simplement faire fi de la politique de la CODP, qui risquerait d’aller à l’encontre de l’interprétation judiciaire.

3.4 Arguments liés à la prolifération des poursuites et à son impact

L’argument du raz-de-marée a également souvent été invoqué pour expliquer ce qui pourrait arriver si la CODP élargissait sa définition de la croyance. Selon cet argument, les organisations soumises au Code seront noyées dans un déluge de demandes d’accommodement de convictions sincères de tout type qui compromettra leur capacité à fonctionner et à remplir leur objectif fondamental[334]. Les préoccupations relatives au déluge éventuel de réclamations en matière de croyance étaient parfois liées à l’anxiété des organisations par rapport au fait de pouvoir uniquement recourir à un critère de « sincérité subjective » pour contenir ce genre de demandes.

D’autres personnes ont attiré l’attention sur le champ d’application beaucoup plus large du Code, comparativement à la Charte, et sur les répercussions considérables que l’inclusion au Code des questions de conscience individuelle (actuellement incluses à la Charte et applicables uniquement au gouvernement) pourrait avoir sur les organisations

ontariennes. De conclure un participant au dialogue stratégique : « L’analyse de la croyance au sens du Code ne devrait pas s’inspirer de la Charte sans réfléchir, étant donné l’impact considérablement plus grand que peut avoir le Code sur les employeurs et citoyens »[335]

Certaines personnes contesteraient néanmoins l’hypothèse selon laquelle l’inclusion de convictions non religieuses à la définition de la croyance mènerait assurément à une avalanche de demandes frivoles. La définition large et subjective de la religion adoptée dans la décision Amselem[336] ouvre déjà la porte à une multitude de revendications (frivoles et vexatoires dans certains cas) aux termes de la loi actuelle. De plus, la définition de la croyance dans la politique actuelle n’a pas empêché le dépôt auprès du TDPO de requêtes qui ne cadrent probablement pas avec cette définition.

En outre, même si les politiques de la CODP sont jugées convaincantes et sont souvent prises largement en compte par le TDPO et les autres tribunaux, les décideurs chargés d’affaires individuelles ne seraient pas nécessairement assujettis à un quelconque changement leur étant apporté. Quoi qu’il en soit, du point de vue des droits de la personne, le maintien des droits et mesures d’accommodement actuels au motif que leur élargissement pourrait entraîner des difficultés à l’avenir (p. ex. anticipation de préjudices injustifiés) n’est pas une position défendable sur le plan juridique. En matière d’accommodement par exemple, les analyses du préjudice injustifié doivent se baser sur les réalités et contraintes organisationnelles (démontrables sur le plan empirique) actuelles.

3.5. Intention des mesures législatives

Selon les principes d’interprétation législative, l’intention de la législature doit être prise en compte au moment d’interpréter les lois[337], tout comme « [l]’évolution et l’historique législatifs d’une disposition »[338]. La CODP a été informée d’éléments de preuve anecdotiques provenant d’une entrevue orale menée auprès d’un militant de premier plan des droits de la personne de l’époque de l’adoption du Code, qui soutenait que le Parlement visait uniquement les croyances religieuses au moment d’inscrire la croyance au nombre des motifs de discrimination interdits en 1962. D’autres ont laissé entendre que le langage de la « croyance » puisait ses sources dans le vocabulaire chrétien dominant, et avait un sens religieux[339].

Malgré cela, la CODP n’est pas tenue de suivre à la lettre les interprétations de 1962. Depuis sa promulgation en 1962, le Code a été mis à jour à maintes reprises, dont plus récemment en 2008, et à aucun moment a-t-on remplacé le terme « croyance » par « religion » ou « croyance religieuse ». De plus, comme nous l’indiquions plus tôt, les lois relatives aux droits de la personne ont un statut quasi constitutionnel. Cela signifie qu’elles doivent être soumises à une interprétation libérale et téléologique pour assurer l’atteinte de leurs objectifs, y compris une interprétation souple des droits protégés. Cependant, comme nous l’avons également noté précédemment (voir supra, note 337), « [o]n doit tout de même retenir une interprétation de la loi qui respecte le libellé choisi par le législateur »[340].

De plus, en reposant sur des termes et concepts généraux, l’approche se veut organique et souple. Les dispositions principales de la loi peuvent suivre l’évolution des conditions sociales et des conceptions des droits de la personne. Selon Sullivan et Driedger :

Les tribunaux sont tenus de respecter le sens des mots utilisés par la législature. Or, étant donné le caractère plastique de la langue, et surtout du langage général utilisé d’ordinaire dans les codes des droits de la personne, cette contrainte n’empêche pas les tribunaux d’adopter une approche souple et adaptative.

Dans la pratique, la Cour suprême du Canada a toujours adopté une approche souple et adaptative de résolution des questions afférentes aux lois relatives aux droits de la personne. Cela ressort clairement de la volonté de ce tribunal d’adopter et d’élaborer de nouveaux concepts dans le cadre de ces lois. Bien que les nouveaux concepts puissent être vaguement associés à des dispositions particulières de la loi à l’étude, la principale justification de leur adoption réside dans le fait qu’ils respectent les politiques et buts généraux de cette loi, et tendent à en faire la promotion[341].

Cette approche libérale et téléologique d’interprétation de la loi ressort clairement dans la lecture que fait la CODP de l’identité sexuelle, de la grossesse et de l’allaitement dans le contexte du motif de sexe prévu dans le Code, et ce, malgré le fait que la législation n’abordait initialement pas de tels motifs et concepts interreliés.

L’examen de l’histoire du choix de la « croyance » comme motif de discrimination interdit a été d’une aide limitée puisque les recherches archivistiques menées jusqu’à présent par la CODP relativement au passé juridique de ce choix n’ont pu produire de définition fonctionnelle précise et définitive du terme « croyance » utilisée au moment de la première parution de ce terme dans la version originale du Code, en 1962. Lorsqu’il a déposé son projet de loi de création d’un code des droits de la personne le 14 décembre 1961, l’honorable W.K. Warrender a indiqué que ce projet de loi ne contenait aucun nouveau principe. De laisser entendre le député, il ne faisait que rassembler sous forme de code des droits de la personne diverses lois anti-discrimination déjà approuvées par l’Assemblée législative de l’Ontario[342].

Les propres recherches menées par la CODP relativement à l’historique législatif des lois anti-discrimination ontariennes ayant précédé et plus tard modelé le Code des droits de la personne ont révélé que l’ébauche initiale du premier projet de loi anti-discrimination déposé à l’Assemblée législative de l’Ontario le 19 mars 1943 incluait à la fois la « croyance », la « religion » et la « race » au nombre des motifs de discrimination interdits[343]. Ce projet de loi n’a cependant pas été adopté en seconde lecture le 23 mars 1943[344]. Le 3 mars 1944, un second projet de loi anti-discrimination interdisant de façon plus étroite l’affichage et les publications discriminatoires (précurseur de la Racial Discrimination Act) a été déposé à l’Assemblée législative et adopté en troisième lecture[345]. La version finale de la Racial Discrimination Act ayant reçu la sanction royale le 14 mars 1944 interdisait l’affichage et les publications discriminatoires « pour quelque raison que ce soit au motif de la race ou de la croyance de telle personne ou catégorie de personne ». Brillait par son absence dans la version finale de cette loi clé antérieure au Code toute mention de la « religion » en tant que motif de discrimination interdit autonome et distinct de la « croyance ». Même si la croyance incluait clairement la religion dans la Racial Discrimination Act, les archives consultées par la CODP dans le cadre de ses recherches n’expliquent aucunement la raison du passage de l’inclusion de la religion et de la croyance dans l’ébauche du projet de loi initial à la seule mention de la croyance dans la Racial Discrimination Act[346].


 

[315] Plusieurs participants à l’atelier juridique de mars 2012 de la CODP affirmaient de façon similaire que les lois relatives aux droits de la personne, telles qu’elles ont évolué au Canada, n’avaient pas pour but de protéger l’ensemble des convictions personnelles, mais plutôt celui de promouvoir l’égalité réelle et de remédier aux violations des droits de la personne qui avaient une composante collective. Selon eux, les personnes dont les griefs se situaient hors des limites de ce but devraient et peuvent faire appel à d’autres instruments stratégiques et juridiques pour obtenir réparation (p. ex. lois de lutte à l’intimidation, Charte pour les questions de liberté de conscience).

[316] Dans Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5 [Quebec], la Cour suprême du Canada (CSC) a noté que la disposition sur l’égalité de l’article 5, ainsi que les lois anti-discrimination en général ont pour objet « d’éliminer les obstacles qui empêchent les membres d’un groupe énuméré ou analogue d’avoir accès concrètement à des mesures dont dispose la population en général » (Québec, au par. 319; citant Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S.). S’exprimant au nom de la cour unanime dans la récente décision de la Cour d’appel fédérale Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75 (CanLII), le juge Stratas a affirmé l’importance d’aller au-delà des analyses formelles de groupes de comparaison dans le cas présent pour « prendre totalement en compte les facteurs sociaux, politiques, économiques et historiques relatifs au groupe » (par. 22, citant Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396, au par. 39). La CSC a néanmoins indiqué clairement dans l’arrêt Quebec que la stigmatisation, les préjugés, les stéréotypes ou le maintien des désavantages historiques ne sont pas des aspects distincts de la discrimination dont il faut faire la preuve pour démontrer l’existence de la discrimination. De façon similaire, dans B c. Ontario (Commission des droits de la personne), supra, note 244, la Cour suprême a conclu que le requérant n’avait pas à s’identifier à un groupe désavantagé sur le plan historique pour revendiquer le droit de vivre à l’abri de la discrimination au motif de l’état familial (au par. 47). Le TDPO a confirmé cette interprétation dans Hendershott v. Ontario (Community and Social Services), 2011 OHRT 482 (CanLII) [Hendershott].

Les décisions du TDPO, néanmoins, semblent laisser le champ libre à la possibilité que, dans certains cas, il soit nécessaire d’examiner de plus près dans quelle mesure une requête fait intervenir les objectifs des lois anti-discrimination et les principes de l’égalité réelle. Dans ces cas généralement rares, où l’identité du requérant ou le sujet de la requête, ou les deux, ne semblent pas conformes à l’objet des lois relatives aux droits de la personne, il peut être utile de tenir compte d’aspects comme les préjugés et les stéréotypes, qui peuvent supposer une composante collective. Cela pourrait aider à déterminer si les allégations « créent réellement un désavantage » et soulèvent des questions d’égalité réelle (Hendershott, idem aux par. 45, 49 à 51 et 55. Tranchemontagne,[2006] CSC 14, au par. 104; cité dans McCalla v. Home Depot of Canada, 2012 OHRT 877 [CanLII]). Giggey v. York District School Board, 2009 OHRT 2236 (CanLII) fournit un bon exemple du manque de lien pouvant s’opérer entre le motif de discrimination et les types de discrimination réelle que l’adoption du Code est censée prévenir. Dans cette affaire, le requérant soutenait que le refus du conseil scolaire d’accepter son fils à la maternelle durant l’année scolaire 2009-2010 parce son acte de naissance indiquait qu’il était né le 1er janvier 2006 était discriminatoire aux termes du Code au motif du « lieu d’origine », parce que l’enfant était né sous un fuseau horaire différent. S’il était né en Ontario, la date de naissance inscrite aurait été le 31 décembre 2005 (ce qui lui aurait permis d’entrer à la maternelle en 2009-2010). Dans sa décision rejetant la requête, le TDPO a indiqué (au par. 11) : « [...] il doit y avoir un lien entre le "lieu" en cause et les raisons de l’interdiction. Dans le présent cas, je n’en trouve pas. Or, ce sont la rotation de la Terre et les choix de la société humaine relativement aux limites des fuseaux horaires et à l’emplacement de la ligne internationale de changement de date qui déterminent s’il est plus tard ou plus tôt sous un fuseau horaire quelconque. Cela ne fait aucunement intervenir des stéréotypes, des désavantages sociaux ou historiques, ou des caractéristiques présumées. » 

[317] Dans l’importante décision récente Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur les critères d’établissement de la discrimination au sens

du code des droits de la personne de la Colombie-Britannique. Elle a appliqué les critères traditionnels employés depuis longtemps pour établir la discrimination à première vue, qui sont tirés de l’arrêt O’Malley, supra, note 282, au par. 28. Pour établir à première vue l’existence de discrimination aux termes du Code, les plaignants doivent démontrer :

  1. qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination
  2. qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service (à l'emploi ou autre) concerné
  3. que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore, au par. 33).

La Cour d’appel de l’Ontario a adopté une série de critères très similaires dans Shaw v. Phipps, 2012 CA ON 155, au par. 14.

Dans le contexte des dispositions anti-discrimination de la Charte (art. 15), la juge Abella, s’exprimant sur cette question au nom de la majorité de la Cour dans Quebec (supra, note 316), a réaffirmé l’engagement du tribunal envers les critères d’établissement de la discrimination présentés dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 S.CR. 143, qui impose au demandeur le fardeau de démontrer, conformément à l’article 15 de la Charte, que :

  1. le gouvernement a établi une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, et
  2. que l’effet de cette distinction sur l’individu ou le groupe perpétue un désavantage.

Selon la Cour, un désavantage est le résultat d’une distinction fondée sur un motif de discrimination interdit qui a pour effet d’imposer à une personne ou un groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de limiter l’accès aux possibilités et avantages offerts à d’autres membres de la société.

Étant donné que la Cour suprême a très récemment formulé deux séries de critères d’établissement de la discrimination, la première dans le contexte de la Charte (dans Quebec) et la seconde dans le contexte de requêtes relatives à de la discrimination déposées aux termes de lois relatives aux droits de la personne (dans Moore), il reste à déterminer dans quelle mesure ces deux séries de critères se rapprochent et lesquels utiliser pour établir la discrimination aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario. Dans les faits, les critères utilisés par le TDPO depuis Tranchemontagne pour établir la discrimination à première vue ont été relativement malléables, variant selon les circonstances de l’affaire. Certaines des décisions du TDPO stipulent que le requérant doit montrer que le traitement différentiel a créé un désavantage (Voir A.N. v. Hamilton-Wentworth District School Board, 2013 OHRT 67 (CanLII), au par. 112 et Addai v. Toronto (City), 2012 OHRT 2252 (CanLII). Le TDPO a aussi indiqué que dans la plupart des affaires juridiques de droits de la personne, la démonstration d’un traitement préjudiciable fondé sur un motif du Code permet d’inférer qu’il y a eu discrimination s’il existe un lien entre le sujet de la requête et l’objet sous-jacent du Code.

Bien qu’une majorité de décisions prises en application du Code aient confirmé que les critères établis pour la détermination de la discrimination demeurent les mêmes, quel que soit le motif, les facteurs contextuels pris en compte peuvent varier selon le motif. Par exemple, dans le cas de l’âge, il semble que l’on soit plus attentif à la démonstration d’indicateurs (désavantages, préjugés et stéréotypes) de discrimination réelle et moins disposé à simplement inférer de l’existence d’une distinction fondée sur l’âge qu’il y a eu discrimination. Dans le cas de la croyance, certains décisionnaires ont fait remarquer que les effets sur la croyance ne contreviennent pas tous aux droits (p. ex. ne pas être en mesure de participer à des activités sociales ou culturelles liées à la croyance ou de porter un style de hijab particulier). En ce qui a trait aux activités sociales et culturelles, consulter Eldary v. Songbirds Montessori School Inc., 2011 OHRT 1026 (CanLII); Hendrickson Spring v. United Steelworkers of America, Local 8773, supra, note 304; Assal v. Halifax Condominium Corp. No. 4 (2007), 60 C.H.R.R. D/101 (N.S. Bd. Inq.). En ce qui a trait au hijab, consulter Audmax Inc. v. Ontario Human Rights Tribunal, 2011 ONSC 315 (CanLII)). Si la CODP décidait d’élargir la portée de la définition de la croyance figurant dans sa politique, il se pourrait que les tribunaux judiciaires et administratifs choisissent d’accorder plus d’importance aux indicateurs de discrimination réelle.

[318] Par exemple, le penseur du milieu juridique Bruce Ryder a insisté sur cette distinction dans son exposé intitulé The relationship between religious equality and religious freedom : convergence and divergence et présenté à l’atelier juridique (2012a).

[319] Certaines lois relatives aux droits de la personne, comme le code de la Colombie-Britannique, expriment plus explicitement leurs sensibilités envers les formes sociales d’iniquité. Parmi les objectifs déclarés du code des droits de la personne de la Colombie-Britannique figurent :

  1. favoriser l’avènement d’une société dans laquelle rien ne s’oppose à la participation libre et entière à la vie économique, sociale, politique et culturelle de la Colombie-Britannique
  2. favoriser un climat de compréhension et de respect mutuel où tous sont égaux en dignité et en droit
  3. prévenir la discrimination interdite par le Code
  4. reconnaître et éliminer les tendances persistantes d’inégalité liées à la discrimination interdite par le Code
  5. prévoir des mesures de réparation pour les personnes victimes de discrimination en contravention du Code (Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, chap. 210, art. 3; pas en italiques dans l’original). 

[320] La Cour suprême du Canada a abordé pour la première fois la portée du paragraphe 2(a) dans sa décision historique R v Big M Drug Mart Ltd, supra, note 181. Elle a appliqué au paragraphe 2(a) une approche contextuelle vaste en mettant l’accent sur la liberté et la conscience individuelles et en prenant en compte les valeurs qui sous-tendent la disposition et, plus généralement, la Charte. Le juge en chef Dickson a décrit ainsi l’objet de la liberté de religion et de la liberté de conscience (au par. 123) :

Les valeurs qui sous-tendent nos traditions politiques et philosophiques exigent que chacun soit libre d’avoir et de manifester les croyances et les opinions que lui dicte sa conscience, à la condition notamment que ces manifestations ne lèsent pas ses semblables ou leur propre droit d’avoir et de manifester leurs croyances et opinions personnelles.

[321] Les décisions jurisprudentielles prises en application du paragraphe 2(a) révèlent des divisions internes relativement au poids proportionnel accordé aux dimensions de la liberté et de l’égalité de cette liberté fondamentale. La première grande décision prise en application du paragraphe 2(a) de la Charte, l’arrêt Big M Drug Mart, supra, note 181, reconnaissait aux dispositions sur la liberté de religion à la fois des objectifs et visées relatives à la liberté et à l’égalité.

[322] Bon nombre des personnes ayant soumis des mémoires à la CODP notaient depuis Big M un intérêt unilatéral pour les questions de liberté et de croyance individuelles dans les décisions des tribunaux prises en application du paragraphe 2(a) (voir Berger, 2012; Bhabha, 2012; Moon, 2012a; Ryder, 2012a). Selon Bhabha (2012), par exemple, les tribunaux ont eu tendance à reconnaître uniquement les demandes d’accommodement de la religion fondées sur la revendication de droits et d’intérêts individuels, tandis que les « requêtes fondées sur des droits communautaires et collectifs ont été rejetées » (voir aussi Berger, 2002, et l’analyse menée par Berger [2012] sur les partis pris culturels libéraux présents dans la jurisprudence prise en application du paragraphe 2(a)). Selon Berger (2012) :

L’accent excessif placé sur la liberté de religion plutôt que sur l’égalité en matière de religion est un artefact de la perception de la religion dans la loi. Dans le contexte de la loi, la religion semble puiser sa valeur fondamentale dans l’expression de la volonté autonome de l’agent individuel. Toute dignité ou tout privilège accordé à la religion découle de la place fondamentale qu’occupe la religion dans le choix des façons de vivre correctement.

[323] Ryder (2012a). Voir Bhabha (2012); Moon (2012a); et Reaume (2012).

[324] L’avis minoritaire du juge Bastarache dans Amselem (supra, note 137) exprime cette vision de la religion comptant à la fois une dimension collective et objective. D’avis que « la religion est un système de croyances et de pratiques basées sur certains préceptes religieux » (par. 135), le juge Bastarache a conclu (1) que de tels préceptes sont donc « objectivement identifiables, ce qui rend les limites des protections de la liberté religieuse plus prévisibles » et (2) qu’« en connectant les pratiques à ces préceptes religieux, un individu fait savoir qu'il ou elle partage un certain nombre de préceptes avec d'autres adeptes de la religion ». Par conséquent, l’expression collective de convictions et de pratiques communes est, pour le juge Bastarache, un élément essentiel de la religion (cité dans Kislowicz, 2012

[325] 2007 CanLII 1857 (ON LA), au par. 120. Il est à noter cependant que l’arbitre ne se prononçait pas sur ce qui constitue une croyance. Il cherchait à savoir si un employeur devait tenir compte de convictions religieuses ne constituant pas une exigence de la croyance de la personne. L’arbitre faisait cette remarque au moment d’expliquer pourquoi, dans le contexte des relations de travail, il préférait l’approche retenue par les juges minoritaires dans Amselem (supra, note 137). Mais puisqu’il était tenu de respecter la décision majoritaire de l’arrêt Amselem, il s’agissait d’une observation incidente.

[326] Supra, note 160.

[327] ibidem, aux par. 181-18, cité dans Schutten, 2012 [italiques ajoutés]

[328] À la p. 7.

[329] Supra, note 158.

[330] Moon, 2012a.

[331] Berger (2002) affirme ce qui suit :

Aux yeux de l’adepte, la religion n’est pas une chose qu’on laisse à la maison ou à la porte du Parlement. La conscience religieuse assigne à la vie une dimension divine qui gagne tous les aspects de l’être. L’autorité divine s’étend à toutes les décisions, tous les gestes, tous les moments et tous les lieux de la vie du fervent. Contrairement aux pouvoirs d’un État libéral, la conscience religieuse ne fonctionne pas selon un système de compétences.

[332] À la p. 5.

[333] Dans Freitag v.Penetanguishene (Town) [2013] OHRT 893, par exemple, l’arbitre du Tribunal des droits de la personne Leslie Reaume soutient dans sa décision en faveur du demandeur : « [...]  Dans certains contextes, le demandeur n’a pas besoin de faire état d’une croyance ou d’un système de convictions particulier pour bénéficier de protection contre l’imposition des convictions et observances religieuses d’autrui [...] » (au par. 22).

[334] Déplorant la croissance de « sectes » et d’« organisations marginales » qui « empruntent la légitimité de la langue et de la terminologie de la foi et de la croyance pour parvenir à des fins étroites, illégitimes, voire illicites » (Landau, 2012, p. 37), Richard Landau affirme, dans son mémoire (2012) déposé dans le cadre du dialogue stratégique :

Si un Canadien fonde un système de croyances religieuses en 2011 et revendique le droit pour lui-même et ses adhérents de ne pas travailler le jeudi, est-ce une expression légitime d’une croyance et la société est-elle tenue de l’accommoder?

En sa qualité de gestionnaire et réalisateur du domaine des médias et de la diffusion habitué à approuver du contenu religieux pour la télévision canadienne, Landau mettait l’accent sur l’importance pratique que revêt pour les organisations le fait d’avoir des définitions et directives claires relativement aux croyances et religions dignes de reconnaissance sociale, d’accommodement et, dans son champ d’activités particulier, de temps d’antenne (voir Landau, 2012, pour connaître les critères qu’il a élaborés).

[335] Cela est le résultat du champ d’application plus vaste du Code de l’Ontario, qui s’étend aux acteurs du gouvernement et à leurs activités (comme le fait la Charte), mais aussi à des acteurs des secteurs privé et non gouvernemental, y compris tous les employés, fournisseurs de services, fournisseurs de logements, associations et autres, qui sont réglementés par la province.

[336] Supra, note 158. De ce point de vue, les demandes frivoles et vexatoires pourraient tout aussi bien être qualifiées en des termes religieux de convictions laïques, éthiques ou morales. Elles pourraient aussi faire l’objet de requêtes, quelle que soit la politique adoptée par la CODP.

[337] L’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 confirme ce principe. Dans cette affaire, la Cour suprême tient compte des principes d’interprétation législative et souligne l’importance de mener un « examen attentif du texte des dispositions, de leur contexte et de leur objet » (au par. 32). Elle déclare ensuite, au par. 33 :

Il nous faut interpréter le texte législatif et discerner l’intention du législateur à partir des termes employés, compte tenu du contexte global et du sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, son objet et l’intention du législateur (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Dans le cas d’une loi relative aux droits de la personne, il faut se rappeler qu’elle exprime des valeurs essentielles et vise la réalisation d’objectifs fondamentaux. Il convient donc de l’interpréter libéralement et téléologiquement de manière à reconnaître sans réserve les droits qui y sont énoncés et à leur donner pleinement effet (voir, p. ex., R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 497-500. On doit tout de même retenir une interprétation de la loi qui respecte
le libellé choisi par le législateur.

[338] ibidem, par. 43. À ce chapitre, la Cour suprême poursuit :

Souvent, l’évolution et l’historique législatifs d’une disposition peuvent constituer des aspects importants du contexte dont il doit être tenu compte dans une démarche moderne d’interprétation des lois (Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, 2005 CSC 70,
[2005] 3 R.C.S. 425, par. 28, le juge Binnie; Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, p. 528, la juge L’Heureux-Dubé; Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, par. 41-53, la juge Abella. L’évolution législative s’entend de la formulation initiale, puis subséquente, d’une disposition, et l’historique législatif, des éléments touchant à la conception, à l’élaboration et à l’adoption du texte de loi : Sullivan, p. 587-593; P.-A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), p. 496 et 501-508 (au par. 43).

[339] Les personnes qui fondent ce point de vue sur une lecture davantage historique font remarquer que les confessions chrétiennes se sont différenciées les unes des autres en fonction de leurs « croyances », les croyances étant un élément central de l’édification de communautés et de la foi. Au Canada, bon nombre sinon la plupart des cas de discrimination et de préjudice faisaient intervenir des membres de communautés chrétiennes dont les croyances différaient. 

[340] Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général)2011 CSC 53, au par. 33.

[341] Sullivan (2002, à la p. 377). Voir la discussion sur l’interprétation des lois relatives aux droits de la personne fondée sur les intentions présumées du législateur à la p. 374-378.

[342] En plus de la Racial Discrimination Act de 1944, l’hon. Warrender a mentionné les lois suivantes au moment du dépôt du Code des droits de la personne en 1961 :

  • Fair Employment Practices Act et Female Employee’s Fair Remuneration Act de 1951
  • Fair Accommodation Practices Act de 1954
  • Établissement de l’Anti-Discrimination Commission de l’Ontario en 1958 (renommée Commission ontarienne des droits de la personne en 1962). 

[343] Le Hansard (journal des débats de l’Assemblée législative de l’Ontario) du 10 mars 1943 décrit de la façon suivante l’objectif du projet de loi déposé par John Glass : « prévenir la discrimination à l’endroit de quiconque au motif de sa race, de sa croyance ou de sa religion ». Une disposition indique que « [n]ulle personne ne se verra refuser les accommodements ou installations de quelconque hôtel, restaurant, théâtre ou autre lieu public en raison de sa race, de sa croyance ou de sa religion ». Une autre déclare : « Nulle personne ne publiera ou n’exposera ou ne fera publier ou exposer un énoncé, un symbole, un emblème ou une autre représentation qui fomente ou tend à fomenter la haine, la dérision ou le mépris envers toute personne ou classe de personnes en raison de la couleur, de la race, de la croyance ou de la religion de cette personne ou de cette classe de personnes ».

[344] Le Hansard du 23 mars 1943 rapportait que « M. Glass était le seul député présent à la Chambre pour exprimer son appui envers le projet de loi ». Encore selon le Hansard, le projet de loi avait été rejeté en partie parce qu’il ne faisait pas « la promotion de l’unité » et que son adoption « équivaudrait à l’adoption d’une politique de contrainte contraire aux principes démocratiques ».

[345] Le projet de loi s’est néanmoins heurté à une forte opposition de la part des partisans de la libre expression. Déposé le 3 mars 1944 sous le nom de projet de loi 46, il a été modifié le 13 mars pour « protéger les libertés ». Un article a été ajouté, qui stipulait : « Cette loi n’a pas pour effet de porter entrave à la libre expression verbale ou écrite d’opinions sur un quelconque sujet et ne confère aucun avantage ou protection aux sujets de pays ennemis. »

[346] Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, la Cour suprême du Canada confirmait qu’il était pertinent, au moment d’interpréter la loi, de tenir compte de son passé, y compris des dispositions qui ont été rejetées. Par exemple, la Cour affirme au par. 44 :

Nous croyons que rien ne justifie d’oublier les dispositions envisagées mais non retenues dans la mesure où elles peuvent contribuer à la détermination de l’objet de la loi. Une grande prudence s’impose quant à l’importance éventuelle qu’il convient de leur accorder. Cependant, elles peuvent renseigner utilement sur l’historique et l’objet de la loi et, dans certains cas, offrir un élément de preuve direct de l’intention du législateur (Sullivan, p. 609; Côté, p. 507; Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 37. Dans l’arrêt M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, notre Cour a statué qu’un projet de modification législative rejeté pouvait servir à établir l’intention du législateur : par. 348-349, le juge Bastarache.

L’application du principe d’interprétation législative que constitue l’absence de tautologie à la première ébauche du projet de loi anti-discrimination, laquelle a été proposée puis rejetée, peut porter à croire qu’on donnait deux sens différents aux notions de « croyance » et de « religion » puisque ces deux termes coexistaient dans un même projet de loi. Cependant, cela n’offre aucune indication des définitions différentes qu’on avait donnée à ces deux termes et n’exclut pas la possibilité que les deux notions aient été ancrées dans la religion.  

 

4. Critères minimaux susceptibles de délimiter la portée de la notion de croyance

Quelle que soit la définition employée dans la prochaine politique, le fait de donner à cette définition un caractère complètement extensible, sans critères minimaux à satisfaire, pourrait imposer un fardeau excessivement lourd aux organisations tenues de déterminer ce qui constitue une croyance digne de protection aux termes du Code. Cela ferait également fi du petit nombre de limites et de lignes directrices établies dans la jurisprudence. Même les groupes plaidant en faveur d’une définition élargie de la croyance, comme l’Ontario Humanist Society, reconnaissent que les mesures de protection offertes devraient s’étendre, non pas à l’ensemble des convictions ou opinions, mais aux « système[s] de croyances substantiel[s] s’apparentant aux croyances ou aux principes d’une religion » qui « influence[nt] la manière dont vous vivez »[347].

Selon l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance mené par la CODP en 2012, la croyance est définie de façon subjective, mais les requêtes en matière de croyance doivent nécessairement contenir des éléments objectifs (voir la section V 3.3 pour en savoir davantage sur ces éléments). Par exemple, les fournisseurs de mesures d’adaptation pourraient avoir le droit de chercher à obtenir des preuves de l’existence et de l’observance sincère d’un système cohésif de croyance. Dans le cas des croyances nouvelles ou moins bien comprises, ces preuves pourraient prendre la forme de témoignages d’experts (voir entre autres Huang v. 1233065 Ontario[348] et Re O.P.S.E.U. and Forer[349]). La décision Jazairi[350] et, dans le contexte des droits relatifs à la conscience prévus au paragraphe 2(a) de la Charte, celle de Roach [351] excluent aussi les opinions politiques isolées des mesures de protection prévues en matière de croyance et de conscience. Cependant, ces décisions n’écartent pas la possibilité de relier les convictions politiques à un système cohésif plus vaste de croyances morales ou éthiques profondes digne de protection au sens de la loi, comme l’envisageait le tribunal dans Jazairi.

Selon certains, la CODP et les tribunaux devraient s’inspirer des critères minimaux et du cadre d’analyse déjà élaborés par les tribunaux dans le contexte du droit à la liberté de religion prévu au paragraphe 2(a) de la Charte au moment de s’interroger sur la nature et la portée des convictions non religieuses éventuellement dignes de protection aux termes du Code, selon une définition élargie de la définition de la croyance[352]. Les critères minimaux envisageables incluent le fait que les convictions dictées par la conscience (étant ou non associées à la religion ou au divin) doivent :

  • être sincères[353]
  • être « profondes et volontaires », et « intégralement liées à la façon dont la personne se définit et [...] s’épanouit »[354]
  • s’inscrire dans une vision morale et éthique exhaustive du monde[355]
  • former un « groupe universel de croyances qui se fondent pour apporter au croyant les réponses à un grand nombre des problèmes auxquels les êtres humains sont confrontés, si ce n’est à tous ces problèmes »[356]
  • avoir un lien quelconque avec la doctrine officielle d’une organisation ou d’une communauté, même si les convictions et pratiques peuvent ne pas être requises par cette doctrine.[357]

Bien que l’établissement de tels critères minimaux de ce qui pourrait constituer une croyance au sens du Code puisse « écarter un nombre considérable de requêtes d’objecteurs de conscience », soutient Chiodo, « il doit en être ainsi : la religion est protégée parce qu’elle représente une alternative à l’autorité de l’État, commande la loyauté suprême de la personne et s’étend à toutes les facettes de sa vie »[358]. Selon l’auteure, pour mériter les mêmes mesures de protection que la religion, les revendications fondées sur la conscience et les convictions personnelles, ou des convictions non religieuses plus générales, devraient pouvoir satisfaire aux mêmes exigences.

Si l’on se fie à ce cadre analytique, les opinions politiques liées à des visions éthiques et morales plus exhaustives du monde pourraient éventuellement constituer une croyance du point de vue de la perspective conditionnelle élargie susmentionnée. La façon de déterminer qu’une conviction politique est ancrée dans un système de croyances plus vaste, cependant, entraîne ses propres difficultés. Les principes d’interprétation législative que constituent l’absence de tautologie et la cohérence pourraient aussi constituer un obstacle à l’inclusion des convictions politiques à la notion de croyance au sens du Code (comme nous en discutons à la section IV, 2.1.1).

4.1 Exemple du Royaume-Uni : critères de l’affaire Grainger

L’inclusion des « convictions » non religieuses aux lois sur les droits de la personne du Royaume-Uni, moyennant certaines conditions,  peut offrir à la CODP et aux tribunaux certaines pistes sur la façon de délimiter les convictions dignes de protection en matière de droits de la personne. Récemment consolidées dans l’Equality Act de 2010, les mesures législatives relatives à l’égalité du Royaume-Uni interdisent explicitement la discrimination fondée sur des convictions religieuses ou philosophiques. Par exemple, il a été établi que le véganisme (dans Hashman v. Milton Park)[359] et les systèmes de croyances fondés sur la science (dans Grainger Plc v. Nicholson)[360] étaient dignes de protection aux termes des lois relatives au traitement équitable du Royaume-Uni. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) reconnaît aussi de nombreux systèmes de croyances [361], y compris le pacifisme, le véganisme, la scientologie, la secte Moon, le Divine Light Zentrum, le druidisme et la Conscience de Krishna.

Grainger Plc v. Nicholson[362] constitue peut-être l’affaire la plus instructive du Royaume-Uni en matière de critères d’évaluation des convictions dignes de protection[363]. Dans cette affaire, Nicholson, le requérant, soutenait que son système de croyances sur le changement climatique était de nature philosophique et scientifique, et qu’il se conformait non seulement à la réglementation du Royaume-Uni de 2003 relative à l’égalité en matière de religion et de conviction en milieu de travail, mais également aux lois prises en application de la Convention européenne des droits de l’homme (article 9, protocole 1, article 2). Dans sa décision, le juge Burton a conclu que la croyance en l’existence du changement climatique constituait une conviction protégée aux termes de la législation. Il a aussi indiqué qu’une conviction pouvait bénéficier de protection si elle était basée sur la science, pourvu que le système de croyances ait trait à un « aspect considérable de la vie et du comportement humains » et qu’il atteigne « un certain degré de force, de sérieux, de cohésion et d’importance »[364].

Grainger est une cause importante parce qu’elle établit le critère Grainger, qui depuis sert de norme principale d’évaluation des droits des requérants de bénéficier de mesures de protection au motif de la conviction. Tel qu’il est défini dans une décision de 2011 (Hashman v. Milton Park)[365] donnant raison à un adepte du véganisme éthique et militant de la lutte contre la chasse au renard qui alléguait avoir fait l’objet d’un renvoi discriminatoire de son poste de jardinier en raison de ses opinions, le critère Grainger établit que les systèmes de croyances philosophiques (sans fondement religieux) sont dignes de protection tant qu’ils remplissent certaines conditions. Selon ces conditions, le système de croyances philosophiques doit :

  1. être sincère
  2. constituer un système de croyances et non une simple opinion ou un simple point de vue basé sur l’état actuel des informations disponibles sur le sujet[366]
  3. être associé à un aspect important ou considérable de la vie et du comportement humains
  4. s’attirer un certain degré de respect au sein d’une société démocratique en n’allant pas à l’encontre des principes de dignité humaine ou des droits fondamentaux d’autrui[367].

Dans Hashman, le tribunal a aussi fait un renvoi à l’affaire Williamson[368], dans le cadre de laquelle le juge Nichols a précisé que « la conviction doit aussi être cohérente, c’est-à-dire qu’elle doit être intelligible et capable d’être comprise »[369]. Tant que ces conditions sont remplies, les tribunaux ont aussi affirmé dans Grainger et Hashman[370] que le système de croyances peut :

  1. prendre la forme d’une conviction personnelle (que la personne n’a pas en commun avec autrui)
  2. être basé sur une doctrine politique
  3. être basé sur la science, p. ex. darwinisme.

Étant donné que les convictions philosophiques et la religion ne sont pas soumises aux mêmes critères précis relativement à la religion et à la conviction aux termes de l’Equality Protection Act du Royaume-Uni de 2010, certains (comme ceux qui recommandent d’établir une distinction entre la religion et les convictions personnelles dictées par la conscience) pourraient dire qu’il est possible d’user de prudence pour éviter de confondre des phénomènes uniques, tout en conférant à ces deux motifs étroitement liés des mesures de protection égales. La question est de savoir si deux séries de critères distincts (l’une pour la religion et l’autre pour les convictions personnelles dictées par la conscience) devraient être posées comme postulat dans le contexte d’un seul motif élargi de la croyance aux termes du Code, ou une seule comme le soutient Chiodo[371].

Certaines personnes ont critiqué la distinction établie entre les convictions religieuses et les convictions philosophiques dans le contexte de la loi du Royaume-Uni, la traitant d’arbitraire et de susceptible de causer des abus. Selon elles, cette distinction encourage l’adoption d’une approche à deux volets pouvant s’avérer plus stricte à l’endroit des convictions philosophiques, perçues comme de « simples opinions », comparativement aux convictions religieuses[372]. Néanmoins, au moment d’élaborer les critères Grainger dans Hashman, le tribunal a clairement affirmé que « ces exigences minimales ne devraient pas être établies de façon à priver des convictions minoritaires de la protection qui devrait leur être offerte aux termes de la convention »[373].


 

[347] McCabe et coll. (2012, p. 33) citent la définition de la croyance du dictionnaire Cambridge.

[348] Dans cette affaire, le TDPO a rejeté l’argument selon lequel Falun Gong s’apparente à une « secte » et ne devrait pas être reconnu comme une croyance parce qu’il ne s’agit pas d’un système de convictions raisonnable capable de résister à un examen scientifique et qu’il épouse des valeurs qui sont incompatibles avec celles de la Charte. Durant son témoignage, la plaignante a qualifié Falun Gong de « pratique » plutôt que de « religion ». Le TDPO a cependant accepté la preuve d’experts indiquant que la notion de « religion » en Chine est bien différente de celle qui prévaut en Occident et qu’en termes occidentaux, Falun Gong serait considéré comme une croyance. Le TDPO a conclu que Falun Gong constitue un système de croyances, d’observances et pratiques religieuses, et qu’il correspond à la notion de « croyance » au sens du Code (voir Huang, supra).

[349] Dans la décision arbitrale en matière de travail Re O.P.S.E.U. and Forer (supra, note 12) de 1987, le tribunal a conclu que la Wicca correspondait à la notion de « religion » au sens de la convention collective après avoir examiné les éléments de preuve, y compris des avis d’experts au sujet de l’histoire, des pratiques et des convictions qui y étaient associées. Le tribunal a abordé la question de l’observance religieuse d’une perspective « large, libérale et essentiellement subjective » établie dans une décision antérieure de la Cour d’appel de l’Ontario (Re O.P.S.E.U. and Forer, (1985), 52 O.R. (2d) 705 [C.A]). Dans cette affaire, la Cour d’appel avait souligné la diversité des religions et des pratiques religieuses au Canada et avait insisté sur le fait que ce qui constitue une conviction ou une pratique religieuse pour certains peut être considéré comme laïque par d’autres. La notion de religion ne doit pas être interprétée du point de vue de la « majorité » ou du « courant dominant » d’une société.

[350] Dans Jazairi v. Ontario Human Rights Commission, 1999, supra, note 306, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé que les opinions du plaignant concernant la seule question des relations entre les Palestiniens et Israël ne constituaient pas une croyance. Cependant, la Cour a confirmé l’importance d’évaluer chaque affaire relative à la croyance sur les faits qui lui sont propres et a souligné qu’il ne lui incombait pas en l’instance de résoudre la question de savoir si certaines perspectives politiques ou autres, fondées sur un système cohérent de convictions, pouvaient ou non constituer une « croyance ». Le tribunal a observé que ce serait une erreur de traiter de questions aussi importantes dans l’abstrait.

[351] Dans Roach c. Canada (Ministre d'État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté), [1994] 2 CF 406, 1994 CanLII 3453 (CAF), le juge Linden a établi une distinction entre la « conscience » en tant que « domaine des croyances éthiques et morales profondes » et les « autres croyances et notamment […] celles à caractère politique » auxquelles s’appliquent les mesures de protection de la liberté d’expression prévues au paragraphe 2(b). Si l’on soutient qu’en situation d’ambiguïté législative, le Code devrait s’en tenir aux interprétations de la Charte, comme nous en parlions plus tôt, on pourrait en croire que les convictions politiques devraient être exclues de la portée des mesures de protection de la croyance aux termes du Code.

[352] Chiodo (2012a; 2012b) avance cet argument, plus particulièrement dans le contexte de la conscience au sens de la Charte. Elle soutient que le même critère pourrait être appliqué à l’interprétation de la croyance aux termes du Code.

[353] Amselem, supra, note 137.

[354] ibidem, au par. 39.

[355] ibidem La Politique sur la croyance (1996) traite de cette conviction ou vision du monde exhaustive lorsqu’elle donne à la croyance la définition de « système reconnu et […] confession de foi, comprenant à la fois des convictions et des observances ou un culte » (p. 4; italiques ajoutés).

[356] Bennett c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1310 (CanLII) au par. 55 (citant les caractéristiques d’une religion, telles que les établit une décision des États-Unis. Il est important de noter cependant que certaines des caractéristiques citées dans la décision des États-Unis ne correspondent pas à celles qui ont été attribuées aux croyances en Ontario (p. ex. le besoin d’avoir un fondateur ou un prophète, et un clergé et des écrits importants, la prescription d’un régime alimentaire ou du jeûne).

[357] « Dans Amselem, supra, note 137, par exemple », Chiodo (2012a) soutient, « bien que l’installation d’une souccah ne soit pas une obligation prescrite à tous les juifs, il s’agit d’une pratique liée à la religion que les résidents de l’immeuble croyaient devoir respecter » (citant Amselem, au par. 69). Consulter la section V 3.2 pour en connaître davantage sur les arguments juridiques et décisions attribuant à la religion et à la croyance une dimension collective d’association.

[358] Chiodo (2012b, p. 10).

[359] Hashman v. Milton Park (Dorset) Ltd (t/a Orchard Park) (Hashman) Employment Tribunal (ET/3105555/09, 26 Octobre 2011).

[360] Grainger plc v. Nicholson (Grainger) [2010] IRLR 4 (EAT) [Employment Appeal Tribunal].

[361] Conformément au droit international relatif aux droits de la personne (en particulier l’article 18

de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui confère des droits relatifs à la « religion
ou à la conviction »), l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule que :

  • Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
  • La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Les citoyens des pays membres de l’Europe peuvent interjeter appel, en tant que plaignants individuels, des décisions et directives de leur pays devant la Cour européenne des droits
de l’homme.

[362] Grainger, supra, note 360..

[363] Parmi les autres affaires importantes non mentionnées figurent McClintock v. Department of Constitutional Affairs [2008] IRLR 29, R Williamson v. the Secretary of State for Education and Employment UKHL 15 [2005] 2 A.C. 246, R v. Countryside Alliance v Attorney General [2007] UKHL 52, Campbell and Cosans v. United Kingdom [1982] 4 EHRR 293 et Eweida v. British Airways Plc. [2009] ICR 303.

[364] Cité dans Labchuck (2012).

[365] Supra, note 359.

[366] Au Royaume-Uni, la distinction établie entre un système de croyances et une « simple » opinion est tirée de McClintock v. Department of Constitutional Affairs [2008] IRLR 29, Times 5 décembre 2007. Dans cette affaire, un juge se plaignait d’avoir fait l’objet de discrimination en raison de son opposition au mariage entre personnes de même sexe (Pitt, 2011, p. 389). Il a perdu sa cause « parce que les faits indiquaient que la vraie raison de son objection n’était pas son interprétation du christianisme, mais plutôt son opinion selon laquelle les enfants se portaient mieux au sein de ménages traditionnels composés de parents hétérosexuels (ibidem) ». Dans Hashmanle tribunal a indiqué que McClintock v. Department of Constitutional Affairs précisait certaines des limites des critères; plus particulièrement, « il n’est pas suffisant d’avoir un point de vue basé sur une logique réelle ou perçue, ou sur l’existence ou l’absence d’informations disponibles sur le sujet (ibidem, par. 44) ». Certains soutiennent que la distinction établie entre une « simple » opinion et un système de croyances philosophique est vague et complexe, et ouvre la voie à des divergences importantes d’interprétation, un aspect dont a fait état l’avocat de la défense dans Hashman.

[367] Campbell and Cosans v. United Kingdom [1982] 4 EHRR 293, au par. 36 et R (Williamson) v. the Secretary of State for Education and Employment UKHL 15 [2005] 2 A.C. 246, au par. 23

[368] R (Williamson) v. the Secretary of State for Education and Employment UKHL 15 [20052 A.C. 246.

[369] ibidem, par. 43.

[370] Il est à noter que dans Hashman, supra, note 359, le tribunal a explicitement limité la valeur de précédent de l’affaire en déclarant que le jugement s’appliquait uniquement aux opinions et circonstances du plaignant. La décision ne devrait donc pas être interprétée de façon à indiquer que les opinions sur la chasse au renard, en soi, constituent un système de croyances philosophique.

[371] Chiodo, 2012a.

[372] Par exemple Voir Pitt, 2011.

[373] Supra, note 359, au par. 43.

 

5. Impact et répercussions possibles de l’élargissement de la définition de croyance

Le fait d’étendre les mesures de protection prévues par le Code aux convictions et pratiques non religieuses pourrait avoir de nombreuses répercussions sur les employeurs et autres organisations de l’Ontario[374].

Par exemple, cela pourrait accroître les difficultés administratives auxquelles se heurtent les employeurs et organisations lorsqu’il s’agit de déterminer dans quelle mesure et à quels égards, le cas échéant, les « convictions » moins bien connues devraient bénéficier de mesures de protection. Les défis posés iraient au-delà de la simple détermination de ce qui constitue une croyance pour inclure également l’évaluation et l’identification des éléments fondamentaux et périphériques de convictions et de pratiques peu connues à des fins de détermination des mesures d’adaptation pertinentes éventuelles. Les organisations et, dans certains cas, les tribunaux ont déjà du mal à composer avec les allégations d’atteinte aux droits relatifs à la religion et à la croyance (y compris de la difficulté à déterminer ce qui relève de la « croyance » et de la « religion » et quelles pratiques devraient faire l’objet de mesures d’adaptation) aux termes des dispositions et interprétations actuelles du Code et de la Charte, depuis la décision Amselem.[375] Une définition élargie de la croyance ajouterait probablement à ces difficultés.

L’élargissement de la définition de la croyance pourrait également augmenter le nombre et le volume de requêtes pour discrimination fondée sur la croyance soumises aux organisations et au TDPO (en partie simplement en raison de la publicité que pourrait entraîner l’annonce d’une modification aux interprétations de la croyance au sens du Code). Cela pourrait aussi étendre la portée de l’obligation d’accommodement de la croyance à moins de préjudice injustifié à laquelle sont tenues les organisations et, par le fait même, augmenter leurs coûts et nuire à leur fonctionnement (bien que dans la limite du préjudice injustifié)[376]. Par exemple, on pourrait demander à une grande organisation de rénover un bureau, de modifier un uniforme ou de changer ses menus en guise d’accommodement de l’aversion profonde d’un adepte du véganisme éthique envers l’utilisation de produits animaux, y compris le cuir.

Enfin, il faudrait considérer attentivement les répercussions de l’application des défenses légales prévues aux articles 18 (groupement sélectif) et 24 (emploi particulier).


[374]  L’article de Chiodo (2012b) intitulé Conscience, Creed and the Code : Forthcoming Changes to the Ontario Human Rights Commission’s Policy on Creed fait état de tels répercussions possibles.

[375] Voir Chiodo, 2012b.

[376] D’avis que la plupart des causes seront rejetées à la première étape de l’analyse de l’existence de discrimination à première vue, comme c’est le cas à l’heure actuelle, Chiodo (2012b) ne se préoccupe pas trop de cette possibilité.